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“Les Êtres Lieux” à la Maison de la culture du Japon, Paris, du 23 juin au 1er octobre 2022

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“Les Êtres Lieux” 
Amie Barouh I Yukihisa Isobe I Tazuko Masuyama I Sara Ouhaddou

à la Maison de la culture du Japon, Paris

du 23 juin au 1er octobre 2022

Maison de la culture du Japon


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© Sylvain Silleran, présentation presse de l’exposition, le 22 juin 2022.


Texte de Sylvain Silleran

Tazuko Masuyama. Photographie, Collection privée.
Tazuko Masuyama. Photographie, Collection privée.
Tazuko Masuyama. Photographie, Collection privée.
Tazuko Masuyama. Photographie, Collection privée.
Tazuko Masuyama. Photographie, Collection privée.
Tazuko Masuyama. Photographie, Collection privée.
Amie Barouh, Contre-Chant, 2022. Installation vidéo.
Amie Barouh, Contre-Chant, 2022. Installation vidéo.

On passera rapidement sur la cabane-tente de Sara Ouhaddou, bric à brac de tissus et bouts de tapis. Au sol, des fragments imitent la tôle ondulée. Bienvenue au bidonville, une projection simule un écran d’ordinateur low cost, des fenêtres s’ouvrent, des animations enfantines, des mood boards de styliste, quelques recherches de couleur pendent comme du linge sur un fil. Seul un petit nid sur ce qui fait office de toit pourrait sauver l’affaire, mais il est en métal doré, façon bling bling. 


Yukihisa Isobe réalise des cartographies du paysage, de la nature, des flux qui traversent l’environnement comme un corps vivant : des fluides, de l’oxygène. Des pièces de tissu découpées et assemblées rappellent les patrons pour la couture. Le grand plan de la région parisienne ressemble à un grand manteau accroché là par un géant. Des flèches, des axes couleur camouflage, les symboles simples mais dans un langage codé sont cousus les uns sur les autres. Le lieu se définit par une série de causes et de conséquences, une stratégie militaire ou météorologique.  C’est puissant comme une guerre, des décisions de généraux, des armées qui convergent, prêtes à la déflagration. On s’attend à ce que tout s’anime, que les énergies naturelles, tectoniques, les courants des rivières et des vents mettent toutes ces flèches en mouvement et que cette peau de bête pendue là se dresse sur ses pattes et s’en aille.


Tazuko Masuyama a
documenté la vie de son village pour pouvoir raconter à son mari disparu à la guerre ce qui s’est passé pendant son absence si jamais il revenait. Mais son témoignage eut une portée bien plus vaste, le village de Tokuyama devait être englouti sous les eaux pour permettre la construction d’un barrage. Les centaines de milliers de photos prises avec son petit appareil automatique Pikkari Konica remplissent des albums bleus et rouges, ceux des photos de famille. Sauf qu’ici c’est tout le village qui devient sa famille, et puis la nature, les oiseaux, les arbres, la vallée.


« Quoi qu’il arrive dans le monde des hommes, la nature ne cesse de changer au fil du temps et nous console ainsi. Je lui en suis très reconnaissante » écrit-elle. La photographie est instinctive, vernaculaire, et toutefois délicieusement talentueuse. Tazuko Masuyama fait mieux que Vivian Mayer, avec la poésie en plus. Les enfants jouent, dévalent la route à vélo, des femmes récoltent les radis, les anciens sourient, l’un pose à coté de sa chienne et de ses petits. L’hiver il neige, l’été on se baigne dans l’eau claire d’une rivière, les enfants se dirigent vers leur cours de natation pendant que les parents veillent sur les rives, munis de bouées et de cordes. Il y a dans ce village une humble et simple joie de vivre, tous ces visages souriants sont une leçon de philosophie. Masuyama a toujours un mot pour ses amis les arbres, pour les animaux. Le lieu, les êtres, tout fusionne dans un grand organisme, l’engloutissement du village sous les eaux n’en sera que plus cruelle.
« juin 1985
Petites hirondelles mes amies, c’est la dernière fois cette année que vous nichez ici. Cette année en effet, la maison de Masuyama va elle aussi être déplacée en tant que patrimoine historique de Gifu. 
Je me demande où vous irez l’année prochaine. »


Amie Barouh propose une installation vidéo, des images projetées sur des glaces sans tain disposées à angle droit. Sa famille, des chanteurs, des images de cabaret, de concert, un cirque fou où un rhinocéros court avec un tigre sur le dos défilent. Les projections se reflètent l’une dans l’autre, se superposent, le miroir s’ouvre comme une fenêtre sur un territoire nouveau. La caméra simple, du super 8, de la vidéo à l’image tremblante, on est dans le domaine de la vue subjective. Quelque chose de très actuel, mais fabriqué avec une vieille technologie. C’est un voyage dans le temps, un passé et un futur qui fusionnent pour répondre à la question de l’identité. Une vie qui défile, sautillante, scintillante, le regard s’assombrit, puis la clarté renait. On chante, on danse, on est aimé, on est ici, on est là-bas, on attend de naitre dans le ventre de sa mère. Maman chamane nous raconte déjà toute la vie qui va défiler. Ca va être merveilleux.



Sylvain Silleran

Sara Ouhaddou, Atlas/Aomori, 2019-2022. Installation (cabane ; carte mentale ; couvertures brodées).
Sara Ouhaddou, Atlas/Aomori, 2019-2022. Installation (cabane ; carte mentale ; couvertures brodées).
Sara Ouhaddou, Atlas/Aomori, 2019-2022. Installation (cabane ; carte mentale ; couvertures brodées).
Sara Ouhaddou, Atlas/Aomori, 2019-2022. Installation (cabane ; carte mentale ; couvertures brodées).

Communiqué de presse :

Commissariat : Elodie Royer, commissaire d’exposition indépendante




La Maison de la culture du Japon à Paris présente « Les Êtres Lieux » une exposition qui réunit 4 artistes contemporain.e.s à l’écoute de leurs territoires. De générations et de géographies différentes, ces artistes ont en effet en commun d’animer et de raviver nos manières d’être aux lieux et les liens qui nous y attachent, qu’ils soient ancestraux, familiaux, vivants, affectifs ou écologiques. En ce sens, les lieux qu’ils travaillent et qui les travaillent, sont à entendre dans leur épaisseur spatiale et temporelle, dans leur plasticité, comme des milieux au sens géographique du terme, soit l’ensemble des conditions naturelles et sociales, visibles et invisibles qui influencent nos vies, en tant qu’individu ou communauté. Photographier quotidiennement pendant plus de vingt ans la vie d’un village voué à disparaître sous les eaux d’un barrage au Japon (Tazuko Masuyama), représenter métaphoriquement les transformations constantes de l’environnement et les flux qui nous constituent (Yukihisa Isobe), construire une cabane hybride née de la rencontre entre deux géographies et leurs premières formes d’expression (Sara Ouhaddou) ou redonner vie à un être cher par la mise en mouvement d’archives et de fragments d’existence dans une installation vidéo (Amie Barouh) sont autant de gestes agencés par les artistes dans cette exposition. Tour à tour territoires d’habitation ou matrices existentielles, leurs Êtres Lieux mobilisent des manières de vivre et de faire, où s’improvisent des moyens de résistance, où se construisent des modes de création, où s’inventent d’autres formes d’ancrage et de coexistence. Le Japon est également l’un des personnages principaux de l’exposition, à partir duquel les oeuvres ici conviées entrent en résonance.




Mot de la commissaire 

Des écosystèmes qui se font et se défont, un village-montagne vivant au rythme des saisons, des cabanes du bout du monde, l’espace-temps tourbillonnant d’une famille sont certains des lieux, des plus vastes aux plus intimes, habités, travaillés ou imaginés par les artistes réuni.e.s dans cette exposition. Lorsqu’ils ne sont pas limités à un décor ou perçus à distance comme un paysage, de quelles manières ces lieux agissent-ils dans leurs pratiques artistiques ? De quelles influences ou de quelles mémoires sont-ils vecteurs ? 

« Jamais je n’aurais cru qu’un lieu pouvait avoir cette puissance, cette force-là. » (1) 

En peu de mots, Marguerite Duras souligne la capacité d’un lieu, sa maison en l’occurrence, à libérer des forces et des récits en lui conférant une épaisseur spatiale et temporelle, une plasticité. Les artistes de l’exposition ont aussi en commun de puiser dans l’épaisseur des lieux, d’animer et de raviver les liens qui nous y attachent, qu’ils soient familiaux ou mémoriels, affectifs ou écologiques. Ils nous enjoignent modestement à prendre pleinement conscience de notre appartenance à un écosystème constellé d’agents visibles et invisibles, humains et non humains; à « un savoir être attentif aux relations que l’on tisse, et à la présence d’autres êtres dans un mouvement partagé » (2). 

Mais il ne s’agit pas, à l’heure de la crise écologique et de la récupération souvent trop hâtive des questions environnementales à des fins politiques ou économiques, de réduire l’humain à la nature, ou de faire de ces questions un sujet, un motif, l’objet d’une représentation. L’aspiration de cette exposition est ailleurs, tentant d’interroger ce que la prise en compte des milieux de vie fait intrinsèquement aux pratiques artistiques, de leurs contextes d’apparition à leurs composantes formelles. Quelles interactions véritables relient ces pratiques, qu’elles soient d’observation ou d’étude, d’attention ou d’imagination, à leurs milieux? Sont-elles en mesure de re-dessiner de « nouvelles parentés et lignées de connexions inventives » (3) dans un contexte globalisé, qui à plus d’un égard tend à l’hégémonisation d’un monde aux dépens de tous les autres ? 

Elodie Royer


1. Marguerite Duras et Michelle Porte, Les Lieux de Marguerite Duras, Paris: Les Éditions de minuit, 1977, page 12. 
2. Val Plumwood, Réanimer la nature, Paris, Presses Universitaires de France, 2020, page 88. 
3. Donna J. Haraway, Vivre avec le trouble, Les Éditions des mondes à faire, 2020, page 7.