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“Baselitz“ La rĂ©trospective

au Centre Pompidou, Paris

du 20 octobre 2021 au 7 mars 2022

Centre Pompidou


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©Anne-Fréderique Fer, présentation presse, le 18 octobre 2021.

Interview de Bernard BlistĂšne, ancien directeur du musĂ©e national d’art moderne et commissaire de l'exposition, par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă  Paris, le 18 octobre 2021, durĂ©e 23'26. © FranceFineArt.

PODCAST –  Interview de Bernard BlistĂšne, ancien directeur du musĂ©e national d’art moderne et commissaire de l’exposition,

par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă  Paris, le 18 octobre 2021, durĂ©e 23’26.
© FranceFineArt.

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Georg Baselitz dans son atelier, 2021. Photo Christoph Schaller.
Georg Baselitz dans son atelier, 2021. Photo Christoph Schaller.
Georg Baselitz dans son atelier au chĂąteau de Derneburg 1984. Photo Benjamin Katz.
Georg Baselitz dans son atelier au chĂąteau de Derneburg, 1984. Photo Benjamin Katz.

Texte de Sylvain Silleran :


Georg Baselitz, Anxiety I (Korzhev), 1999. Huile et fusain sur toile, 250 × 200 cm. Collection particuliĂšre. © Georg Baselitz, 2021. Photo Jochen Littkemann, Berlin.
Georg Baselitz, Anxiety I (Korzhev), 1999. Huile et fusain sur toile, 250 × 200 cm. Collection particuliĂšre. © Georg Baselitz, 2021. Photo Jochen Littkemann, Berlin.
Georg Baselitz, B fĂŒr Larry [B pour Larry], 1967. Huile sur toile, 250 × 190 cm. Collection particuliĂšre. © Georg Baselitz, 2021. Photo Jon Etter.
Georg Baselitz, B fĂŒr Larry [B pour Larry], 1967. Huile sur toile, 250 × 190 cm. Collection particuliĂšre. © Georg Baselitz, 2021. Photo Jon Etter.
Georg Baselitz, B.j.M.C. – Bonjour Monsieur Courbet, 1965. Huile sur toile, 162 × 130 cm. Collection Thaddaeus Ropac, Londres ‱ Paris ‱ Salzbourg ‱ SĂ©oul, Georg Baselitz, 2021. Photo Ulrich Ghezzi. Courtesy Collection Thaddaeus Ropac London ‱ Paris ‱ Salzburg ‱ Seoul.
Georg Baselitz, B.j.M.C. – Bonjour Monsieur Courbet, 1965. Huile sur toile, 162 × 130 cm. Collection Thaddaeus Ropac, Londres ‱ Paris ‱ Salzbourg ‱ SĂ©oul, Georg Baselitz, 2021. Photo Ulrich Ghezzi. Courtesy Collection Thaddaeus Ropac London ‱ Paris ‱ Salzburg ‱ Seoul.

Des pieds sanglants posĂ©s comme sur un Ă©talage de boucher, la chair est mutilĂ©e, tumĂ©fiĂ©e mais bien vivante, turgescente de son dĂ©sir d’ĂȘtre. Les corps dont s’Ă©chappent les viscĂšres refusent de mourir sur les ruines de l’Allemagne. Les petits garçons bandent encore, pervers et provocants comme le hĂ©ros au tambour de GĂŒnter Grass. Baselitz se saisit tout de suite de cette chair humaine, une viande rose et grise de la poussiĂšre des gravats et de l’hĂ©ritage du Greco. Il faut la peindre vite, avant qu’elle ne pourrisse.



Le poĂšte bras en croix est pris dans une immense toile d’araignĂ©e, crucifiĂ© sur un vitrail de cathĂ©drale. Des ouvriers forestiers sont tronçonnĂ©s comme les sapins qu’ils dĂ©coupent, finissant clouĂ©s sur les arbres. Tout se fragmente dans des couleurs soldatesques Ă  la LĂŒpertz : les troncs et les chiens Ă  l’air fĂ©roce et policier. L’homme au long manteau, alter ego de l’artiste vagabondant dans la forĂȘt est dĂ©coupĂ© et recomposĂ© en homme-arbre. BientĂŽt Baselitz renverse ses toiles : ses portraits d’hommes en blouse ou en salopette peuvent s’Ă©loigner du rĂ©alisme socialiste, ses Ă©tonnants  paysages industriels tenter de se dissimuler derriĂšre rochers et bouleaux. La nature est exaltĂ©e, un faucon sur une branche de genĂ©vrier, un aigle en plein vol, tout est mouvement, fureur. Contre les dogmes totalitaires comme ceux qui rĂ©volutionnĂšrent les arts dans les annĂ©es 70 en pensant enterrer la peinture, Baselitz peint, le geste plus rapide encore, plus enragĂ©, il tente la peinture au doigt, un corps Ă  corps avec la toile.



Un bouleau automnal Ă  la feuille rougissante se perd en silhouettes bleues de cobalt, noires. Au fond l’hiver arrive, gris. L’homme boit, courbĂ©, bossu, il dort, il se lĂšve lourdement pour aller Ă  la fenĂȘtre contempler le vide de la nuit noire. Le buveur orange Ă  l’Ɠil hagard, hallucinĂ©, le buveur jaune, ont la justesse caricaturale, le minimalisme ironique qui raconte tout d’un Reiser. Un nu fĂ©minin allongĂ© gris et noir est tranchĂ© d’un trait rouge, des formes abstraites qu’il faut scruter attentivement pour les voir. Deux filles font du vĂ©lo Ă  Olmo. La palette est rĂ©duite Ă  quelques couleurs, jaune, bleu, rouge, les corps s’affaissent, hirsutes. La vie est un cirque grotesque, les hommes font des tours de piste et nous fixent de leurs yeux ronds, deux points comme des yeux de volaille.



C’est du brutal. Une peinture tord-boyaux. Une femme est allongĂ©e sur la plage comme un soldat au garde Ă  vous, le visage Ă©crevisse au bord de l’apoplexie. Les couleurs entrent en collision, Ă  force de prendre des coups de brosse, elles se salissent, pĂąlissent. Des personnages grimaçants se retrouvent nus, rĂ©duits Ă  la vĂ©ritĂ© de leur squelette, de leur graisse, rouges de colĂšre, de sang. Sang que le Peintre moderne Ă©clabousse partout comme son prochain langage pictural. Un chien s’est assis sur une chaise dont les pieds et le dossier forment une terrible swastika. La mĂ©moire de ce qui ne s’oublie pas.



La peinture se fait plus fluide, elle jaillit comme un flot incontrĂŽlable, du dripping un chaotique. Elle recouvre un portrait d’Elke d’un Ă©pais voile blanc ou bien trace le portrait du couple en volutes lĂ©gĂšres et sinueuses, de la cuisine. Le corps vieillit, s’essouffle, commence lentement Ă  disparaitre, silhouette dorĂ©e sur fond noir. Il reste une impression violette comme une image de rayons X, une lumiĂšre dans l’obscuritĂ© du nĂ©ant, presque un souvenir, mais pas encore. Baselitz n’est pas mort.


Sylvain Silleran

Georg Baselitz, Die große Nacht im Eimer [La Grande Nuit foutue], 1962-1963. Huile sur toile, 250 × 180 cm, Museum Ludwig, Cologne. Don de la collection Ludwig, 1976. © Georg Baselitz, 2021. Photo Jochen Littkemann, Berlin.
Georg Baselitz, Die große Nacht im Eimer [La Grande Nuit foutue], 1962-1963. Huile sur toile, 250 × 180 cm, Museum Ludwig, Cologne. Don de la collection Ludwig, 1976. © Georg Baselitz, 2021. Photo Jochen Littkemann, Berlin.
Georg Baselitz, Die MĂ€dchen von Olmo II [Les Filles d’Olmo II], 1981. Huile sur toile, 250 × 249 cm, MusĂ©e national d’art moderne, Centre Pompidou, Paris. © Georg Baselitz, 2021. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI / Bertrand PrĂ©vost / Dist. RMN-GP.
Georg Baselitz, Die MĂ€dchen von Olmo II [Les Filles d’Olmo II], 1981. Huile sur toile, 250 × 249 cm, MusĂ©e national d’art moderne, Centre Pompidou, Paris. © Georg Baselitz, 2021. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI / Bertrand PrĂ©vost / Dist. RMN-GP.
Georg Baselitz, Fingermalerei – Adler, [Peinture au doigt – Aigle], 1972. Huile sur toile, 250 × 180 cm. Bayerische Staatsgemalde-sammlungen, Pinakothek der Moderne, Wittelsbacher Ausgleichsfonds, Munich. PrĂȘt du Wittelsbacher Ausgleichsfonds. ‚© Georg Baselitz, 2021. Photo BPK, Berlin, Dist. RMN-GP/ [image BPK].
Georg Baselitz, Fingermalerei – Adler, [Peinture au doigt – Aigle], 1972. Huile sur toile, 250 × 180 cm. Bayerische Staatsgemalde-sammlungen, Pinakothek der Moderne, Wittelsbacher Ausgleichsfonds, Munich. PrĂȘt du Wittelsbacher Ausgleichsfonds. © Georg Baselitz, 2021. Photo BPK, Berlin, Dist. RMN-GP/ [image BPK].

Extrait du communiqué de presse :



Georg Baselitz, G.- Kopf [TĂȘte - G], 1960-1961. Huile sur toile, 135 × 100 cm. Collection particuliĂšre. © Georg Baselitz, 2021. Photo Jochen Littkemann, Berlin.
Georg Baselitz, G.- Kopf [TĂȘte – G], 1960-1961. Huile sur toile, 135 × 100 cm. Collection particuliĂšre. © Georg Baselitz, 2021. Photo Jochen Littkemann, Berlin.
Georg Baselitz, In der Tasse gelesen, das heitere Gelb [Lu dans la tasse, le jaune enjouĂ©], 2010. Huile sur toile, 270 × 207 cm, Collection particuliĂšre, Hong Kong. © Georg Baselitz, 2021. Photo Jochen Littkemann, Berlin.
Georg Baselitz, In der Tasse gelesen, das heitere Gelb [Lu dans la tasse, le jaune enjouĂ©], 2010. Huile sur toile, 270 × 207 cm, Collection particuliĂšre, Hong Kong. © Georg Baselitz, 2021. Photo Jochen Littkemann, Berlin.
Georg Baselitz, Oberon (1. Orthodoxer Salon 64 – E. Neijsvestnij) [Oberon (1er salon orthodoxe 64 – E. Neïzvestny)], 1963-1964. Huile sur toile, 250 × 200 cm , Städel Museum, Francfort-sur-le-Main, Acquis en 2010 grĂące à un don de Dorette Hildebrand-Staab. © Georg Baselitz, 2021. Photo © Städel Museum – ARTOTHEK.
Georg Baselitz, Oberon (1. Orthodoxer Salon 64 – E. Neijsvestnij) [Oberon (1er salon orthodoxe 64 – E. Neïzvestny)], 1963-1964. Huile sur toile, 250 × 200 cm , Städel Museum, Francfort-sur-le-Main, Acquis en 2010 grĂące à un don de Dorette Hildebrand-Staab. © Georg Baselitz, 2021. Photo © Städel Museum – ARTOTHEK.
Georg Baselitz, Pauls Hund (Remix) [Le Chien de Paul (Remix)], 2008. Huile sur toile, 300 × 250 cm. Bayerische Staatsgemalde-sammlungen, Pinakothek der Moderne Wittelsbacher Ausgleichsfonds, Munich. Acquis avec le soutien de PIN. Freunde der Pinakothek der Moderne fur die Sammlung Moderne Kunst, 2013. © Georg Baselitz, 2021. Photo BPK, Berlin, Dist. RMN-GP/ [image BPK].
Georg Baselitz, Pauls Hund (Remix) [Le Chien de Paul (Remix)], 2008. Huile sur toile, 300 × 250 cm. Bayerische Staatsgemalde-sammlungen, Pinakothek der Moderne Wittelsbacher Ausgleichsfonds, Munich. Acquis avec le soutien de PIN. Freunde der Pinakothek der Moderne fur die Sammlung Moderne Kunst, 2013. © Georg Baselitz, 2021. Photo BPK, Berlin, Dist. RMN-GP/ [image BPK].

Commissariat Bernard BlistĂšne avec la collaboration de Pamela Sticht, chargĂ©e de la coordination scientifique du MusĂ©e national d’art moderne




Avec « Baselitz – La rĂ©trospective » , le Centre Pompidou prĂ©sente en Galerie 1 la premiĂšre exposition exhaustive de l’artiste allemand, nĂ© en 1938, conduite par Bernard BlistĂšne, en complicitĂ© avec l’artiste. Quelques six dĂ©cennies de crĂ©ation sont abordĂ©es selon un parcours chronologique qui met en valeur les pĂ©riodes les plus marquantes du travail de l’artiste. De ses premiĂšres peintures au manifeste PandĂ©monium du dĂ©but des annĂ©es 1960 Ă  la sĂ©rie des HĂ©ros, des Tableaux fracturĂ©s aux motifs renversĂ©s dĂšs 1969, l’exposition aborde Ă©galement les ensembles successifs d’oeuvres pour lesquelles Baselitz expĂ©rimente de nouvelles techniques picturales. Se dĂ©ploient alors des esthĂ©tiques variĂ©es, nourries de rĂ©fĂ©rences Ă  l’histoire de l’art et de sa connaissance intime de l’oeuvre de nombreux artistes tels Edvard Munch, Otto Dix ou Willem de Kooning, jusqu’aux tableaux russes et aux crĂ©ations autorĂ©flexives Remix et Time

Inclassable, oscillant entre figuration, abstraction et approche conceptuelle, Georg Baselitz dit peindre des images qui n’ont pas encore existĂ©, et exhumer ce qui a Ă©tĂ© rejetĂ© dans le passĂ© : « Je suis nĂ© au milieu d’un ordre dĂ©truit, d’un paysage en ruine, d’un peuple en ruine, d’une sociĂ©tĂ© en ruine. Et je ne voulais pas introduire un nouvel ordre. J’avais vu plus qu’assez des soi-disant ordres. J’étais obligĂ© de tout remettre en question, je devais ĂȘtre « naĂŻf » Ă  nouveau, recommencer. Je n’ai ni la sensibilitĂ© ni l’éducation ou la philosophie des maniĂ©ristes italiens. Mais je suis un maniĂ©riste dans le sens oĂč je dĂ©forme les choses. Je suis brutal, naĂŻf et gothique.(1) Â»

Intiment liĂ©e au vĂ©cu et Ă  l’imaginaire de l’artiste, l’oeuvre puissante de Georg Baselitz rĂ©vĂšle son interrogation, sans cesse rejouĂ©e, concernant les possibilitĂ©s de la reprĂ©sentation de ses souvenirs, des variations des techniques et motifs traditionnels en peinture, des formes esthĂ©tiques Ă©tablies au fil de l’histoire de l’art, ainsi que des formalismes dictĂ©s et vĂ©hiculĂ©s au sein des diffĂ©rents rĂ©gimes politiques et esthĂ©tiques des 20e et 21e siĂšcles, dĂ©montrant la complexitĂ© d’ĂȘtre artiste peintre dans l’Allemagne d’aprĂšs-guerre.

NĂ© en 1938, Georg Baselitz, de son vrai nom Hans-Georg Kern, est marquĂ© par son enfance en Saxe pendant la pĂ©riode nazie et par l’observation des atrocitĂ©s de la guerre. IIl est nĂ© dans le village de Großbaselitz (renommĂ© Deutschbaselitz en 1948) d’oĂč il tire son pseudonyme dĂšs 1961. À partir de 1949, il grandit sous le rĂ©gime autoritaire de la RĂ©publique dĂ©mocratique allemande qui interdit de rĂ©aliser des peintures abstraites qui seraient l’expression du « dĂ©clin capitaliste.(2) »

En 1956, le jeune Baselitz est admis Ă  la Hochschule fĂŒr bildende und angewandte Kunst Ă  Weissensee Ă  Berlin-Est et commence Ă  Ă©tudier la peinture avec le professeur Walter Womacka (1925-2010) qui sera considĂ©rĂ© comme l’un des reprĂ©sentants les plus importants du socialisme rĂ©aliste en RDA. Quand Baselitz commence Ă  s’inspirer de l’oeuvre de Picasso pour des peintures rĂ©alisĂ©es Ă  l’école, il en sera exclu pour avoir manquĂ©, selon ses professeurs, de « maturitĂ© socioculturelle ». Il dĂ©cide alors de franchir la frontiĂšre pour poursuivre ses Ă©tudes Ă  la Staatliche Hochschule fĂŒr bildende KĂŒnste Ă  Berlin-Ouest, oĂč il dĂ©couvre, dans la classe internationale de Hann Trier, les mouvements artistiques adoptĂ©s par les artistes ouest-allemands en pleine guerre froide, tels que l’art informel venu de France ou l’expressionnisme abstrait amĂ©ricain.

DĂ©cidĂ© Ă  ne pas se plier aux idĂ©ologies ambiantes et Ă  trouver un moyen d’exprimer sa colĂšre gĂ©nĂ©rĂ©e par la situation politique dans son pays divisĂ©, Baselitz s’intĂ©resse alors davantage aux artistes au destin non conformiste, tels Edvard Munch, Antonin Artaud, LautrĂ©amont, MikhaĂŻl Aleksandrovitch Vroubel, ainsi qu’aux oeuvres d’artistes atteints de maladie mentale, notamment celles Ă©tudiĂ©es par le mĂ©decin et thĂ©oricien Hans Prinzhorn dont la collection avait Ă©tĂ© incluse par les nazis dans l’exposition d’art dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© en 1937. C’est dans l’ouvrage publiĂ© par Prinzhorn, Expressions de la folie, publiĂ© en 1922, que Baselitz dĂ©couvre un dessin qui lui inspire son autoportrait G.- Kopf [TĂȘte G.] (1960-1961), prĂ©sentĂ© Ă  l’entrĂ©e de l’exposition, Ă  cĂŽtĂ© de l’oeuvre G. Antonin (1962) peinte en hommage Ă  Artaud.

En octobre 1961, ces lectures et dĂ©couvertes incitent l’artiste enragĂ© Ă  Ă©crire, avec son ami Eugen Schönebeck, le Manifeste pandĂ©monique [PandĂ€monisches Manifest] dont le titre renvoie au palais de Satan nommĂ© PandĂŠmonium Ă©voquĂ© par John Milton dans son poĂšme Ă©pique, Paradise Lost [Le Paradis perdu, 1667], lieu imaginaire choisi pour faire Ă©cho Ă  l’aspect post-apocalyptique de l’Allemagne en 1945. S’ensuit un premier ensemble de peintures qui fera scandale lors de sa premiĂšre exposition Ă  la galerie Werner & Katz Ă  Berlin-Ouest, en 1963, oĂč il prĂ©sente les tableaux Die große Nacht im Eimer [La Grande Nuit foutue] (1962-1963) et Der nackte Mann [L’Homme nu] (1962), tous les deux confisquĂ©s pour « leur caractĂšre pornographique » par les autoritĂ©s de Berlin-Ouest.



Toujours dans des tonalitĂ©s sombres et Ă©voquant des dessins prĂ©paratoires rĂ©alisĂ©s par ThĂ©odore GĂ©ricault pour Le Radeau de la MĂ©duse (1818-1819), Baselitz peint le groupe des P. D.- FĂŒĂŸe [P.D. Pieds] entre 1960 et 1963, des vues fragmentaires de pieds brutalisĂ©s, aux plaies bĂ©antes, brossĂ©es Ă  la matiĂšre Ă©paisse et pĂąteuse. La peinture Oberon (1. Orthodoxer Salon 64 – E. Neijsvestnij) [Oberon (1er salon orthodoxe 64 – E. NeĂŻzvestny)] (1963-1964) est une sorte d’autoportrait hallucinĂ© en Roi des elfes dont les multiples tĂȘtes rappellent celle du Cri d’Edvard Munch (1893), motif repris ensuite dans la premiĂšre sĂ©rie de vernis mous de l’artiste, prĂ©sentĂ©e dans l’exposition Ă  cĂŽtĂ© d’une sĂ©lection d’aquarelles et de dessins Ă  l’encre et au crayon.

Bien que le pop art et le dĂ©veloppement de nouveaux courants critiques dominent la scĂšne artistique en Allemagne de l’Ouest et suite Ă  une rĂ©sidence Ă  Florence, Baselitz ambitionne de crĂ©er une nouvelle peinture allemande et continue Ă  travailler, jusqu’au milieu de l’annĂ©e 1966, sur un cycle intitulĂ© non sans provocation Ein neuer Typ [Un nouveau type] et Ă©galement Helden [HĂ©ros]. Partisans, peintres ou poĂštes, survivants et blessĂ©s de retour de la guerre y composent une galerie de personnages dont les corps, d’une grandeur disproportionnĂ©e, se caractĂ©risent aussi par leurs distorsions maniĂ©ristes. Tous sont dotĂ©s d’attributs particuliers alimentant des rĂ©cits, dans la tradition picturale mĂ©diĂ©vale. Chacune de ces oeuvres peut ĂȘtre vue Ă  la fois comme un autoportrait et comme une rĂ©flexion picturale sur un Ă©vĂ©nement, un personnage historique ou un peintre, comme l’hommage Ă  Gustave Courbet avec le tableau B.j.M.C. – Bonjour Monsieur Courbet (1965). La sĂ©rie trouve son aboutissement dans le tableau-manifeste de grand format intitulĂ© Die großen Freunde [Les grands amis] (1965), qui exprime toute la tragĂ©die de l’Allemagne Ă  travers deux survivants blessĂ©s incapables de se tendre la main, debout dans un dĂ©cor de ruines, un drapeau rouge rafistolĂ© gisant Ă  terre.

Par la suite, les images des personnages se segmentent davantage et permettent l’intrusion d’autres motifs – des personnages, des chiens, des arbres – avec la sĂ©rie intitulĂ©e les Images fracturĂ©es (Frakturbilder). Dans B fĂŒr Larry [B pour Larry] (1967), l’arbre, symbole du mythe de la transcendance de l’ñme allemande semble faire voler en Ă©clats le corps du personnage Ă©voquantles canons de l’art antique remis Ă  l’honneur par le rĂ©gime nazi. Ces nouvelles recherches picturales mĂšnent Baselitz Ă  la crĂ©ation de Der Mann am Baum [L’Homme Ă  l’arbre] oĂč le motif est partiellement inversĂ©.

Les motifs inversĂ©s deviennent ensuite la marque de l’artiste, lui permettant de se concentrer davantage sur la peinture et de crĂ©er de nouvelles images en relĂ©guant le motif au second plan : « Quand on veut cesser de passer son temps Ă  inventer de nouveaux motifs et continuer malgrĂ© tout de peindre des tableaux, le retournement du motif est la solution la plus plausible. Cette hiĂ©rarchie dans laquelle le ciel se trouve en haut et la terre en bas n’est de toute façon qu’une convention Ă  laquelle on est certes habituĂ©, mais qu’on n’est pas du tout tenu de croire.(3) »

Ce qui prĂ©vaut est l’expĂ©rimentation de la matiĂšre et des motifs emblĂ©matiques, tel que celui de l’aigle, Fingermalerei – Adler [Peinture au doigt – Aigle], peint en 1972, renvoyant aussi bien Ă  l’animal qu’il a observĂ© enfant Ă  la campagne en Saxe-Anhalt qu’au blason de l’Allemagne. S’ensuivent des peintures dialoguant avec l’univers d’Edvard Munch, ou avec celui d’Emil Nolde, Ă  l’exemple de Die MĂ€dchen von Olmo II [Les Filles d’Olmo II] (1981), comme une maniĂšre de renouer avec la tradition artistique nordique d’avant le rĂ©gime national-socialiste.

ParallĂšlement Ă  la peinture, Georg Baselitz rĂ©alise des gravures, tout en expĂ©rimentant les diffĂ©rentes techniques et en variant les motifs. À partir des annĂ©es 1977, il commence Ă  collectionner des sculptures africaines, ce qui l’amĂšne Ă  la rĂ©alisation de sa premiĂšre sculpture pour le pavillon allemand de la Biennale de Venise en 1980, intitulĂ©e Modell fĂŒr eine Skulptur [ModĂšle pour une sculpture] (1979-1980). Le titre fait rĂ©fĂ©rence Ă  son aspect volontairement inachevĂ© et le geste des figures ancestrales du peuple Lobi levant le bras vers le ciel, paume de main vers le haut, est nĂ©anmoins immĂ©diatement associĂ© par la presse et le public allemands au salut hitlĂ©rien, crĂ©ant encore une fois un scandale en Allemagne et confortant l’image de provocateur et d’« enfant terrible » de Baselitz. Peu aprĂšs la chute du mur de Berlin, Georg Baselitz replonge dans ses souvenirs de la guerre, notamment avec la sĂ©rie de sculptures Dresdner Frauen [Femmes de Dresde] (1989-1990), rendant ainsi hommage aux « TrĂŒmmerfrauen », ces femmes qui avaient aidĂ© Ă  reconstruire les villes allemandes, dĂšs 1945.

En 1991, il commence la sĂ©rie « BildĂŒbereins » (Tableau-sur-un-autre) dans laquelle il superpose des motifs de plus en plus abstraits et joue avec le principe de l’ornementation, tout en gardant les traces de certaines figures qui l’obsĂšdent. Ceux-ci « superposent un dĂ©doublement qui n’est jamais le mĂȘme et toujours le mĂȘme. Ils ont cette dimension de mĂ©moire et d’écoute souterraine.(4) »

Entre 1998 et 2005, Georg Baselitz revisite des images de sa jeunesse est-allemande dans une sĂ©rie intitulĂ©e « Tableaux russes » (Russenbilder). Il y rĂ©interprĂšte notamment l’oeuvre Anxiety [Angoisse] (1986) de Gueli Korjev [1925-2012], peintre emblĂ©matique du rĂ©alisme socialiste russe, avec la peinture Anxiety I (Kozhev) (1999) Ă  la technique volontairement nĂ©gligĂ©e, les deux tĂȘtes des personnages dĂ©centrĂ©es et dĂ©placĂ©es vers l’horizontale oĂč elles flottent dĂ©sormais au milieu de deux Ă©normes taches rouges.

À partir de 2005, Georg Baselitz dĂ©bute le cycle « Remix », Ă  travers lequel il noue, de maniĂšre encore plus explicite, un dialogue pictural avec des artistes qui l’ont inspirĂ©, ou bien avec ses propres oeuvres, en commençant par Die große Nacht im Eimer (Remix) [La Grande Nuit foutue (Remix)] (2005), dans laquelle un portrait d’Adolf Hitler devient reconnaissable, ou encore Die MĂ€dchen von Olmo (Remix) [Les Filles d’Olmo (Remix)] (2006) : « Quand on regarde l’histoire, que voit-on ? Beaucoup d’artistes ont peint eux aussi des remix de leurs oeuvres, Munch je ne sais combien de fois, Picasso dans sa derniĂšre pĂ©riode, Warhol alors qu’il Ă©tait encore jeune. Pourquoi pas moi ?(5) »

En 2014, il crĂ©e une nouvelle sĂ©rie de peintures qui va marquer une nouvelle Ă©tape importante dans sa maniĂšre de travailler : les grands autoportraits intitulĂ©s non sans provocation Avignon, en rĂ©fĂ©rence Ă  l’oeuvre tardive de Picasso exposĂ©e successivement en 1970 et 1973 au Palais des papes en Avignon et alors vivement critiquĂ©e. Depuis, Ă  travers des autoportraits ou des doubles portraits avec sa femme, Georg Baselitz s’engage dans une rĂ©flexion picturale quasi mĂ©ditative sur l’impermanence et le changement physique liĂ©s Ă  l’ñge, sur la reprĂ©sentation du temps et des souvenirs : « Le champ thĂ©matique de mon travail s’est fortement rĂ©duit au cours des derniĂšres annĂ©es. L’important est que je me suis de plus en plus isolĂ© dans ma peinture. Je me suis de plus en plus replongĂ© en moi-mĂȘme pour en tirer tout ce que je fais. Je vis avec d’anciens catalogues, avec de vieilles photos et ne fais rien d’autre. Je peins entre moi et moi-mĂȘme et sur nous deux. VoilĂ . Et de temps en temps, quelqu’un comme Otto Dix, que j’estime beaucoup, vient se joindre Ă  nous.(6) »

À travers des dessins créés dĂšs 2001 et prĂ©sentĂ©s dans l’exposition, Georg Baselitz s’intĂ©resse Ă  l’idĂ©ologie vĂ©hiculĂ©e jusqu’à aujourd’hui par Marcel Duchamp

et Frida Kahlo. Également prĂ©sentĂ©e, la sĂ©rie de dessins au crayon et Ă  l’encre intitulĂ©e Devotion [DĂ©votion] (2018) oĂč Georg Baselitz travaille d’aprĂšs des autoportraits d’artistes et rend hommage Ă  Henri Rousseau, Arnold Schönberg, Karl Schmidt-Rottluff, Franz Marc ou son ami Ralf Winkler alias A.R. Penck.

À travers de nombreux Ă©crits publiĂ©s et des confĂ©rences artistiques tout au long de sa carriĂšre, Georg Baselitz rĂ©invente Ă©galement l’écriture de manifestes en art, fournissant des tĂ©moignages prĂ©cieux sur ses inspirations et intentions, participant ainsi Ă  la crĂ©ation de son propre mythe.

Les oeuvres de Georg Baselitz ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es dans de nombreuses rĂ©trospectives internationales. Il a par ailleurs reçu les prix les plus prestigieux tels que le Kaiserring (1986), le prix international Julio GonzĂĄlez (2001) et le Praemium Imperiale du Japon (2004). NommĂ© en 2002 Chevalier Commandeur des arts et des lettres par le gouvernement français, Georg Baselitz est Ă©lu en octobre 2019, membre associĂ© Ă©tranger Ă  l’AcadĂ©mie des beaux-arts, fauteuil prĂ©cĂ©demment occupĂ© par le cinĂ©aste polonais Andrzej Wajda (1926-2016).

Dans le cadre de cette nomination et de la rĂ©trospective organisĂ©e au Centre Pompidou sera installĂ©e, devant l’AcadĂ©mie française, la sculpture monumentale Zero Dom [ZĂ©ro dĂŽme] (2015).

A l’occasion de « Baselitz – La rĂ©trospective » seront publiĂ©s aux Ă©ditions du centre Pompidou un catalogue et un album. Le nouveau film documentaire de Heinz Peter Schwerfel Moi, Georg Baselitz (2020) sera prĂ©sentĂ© au Centre Pompidou le 12 octobre 2021 (produit par Anne Schuchman-Kuhne, co-production Schuch Productions – Centre Pompidou, avec la participation de France TĂ©lĂ©visions).




1. G. Baselitz, entretien avec D. Kuspit, « Goth to Dance », repris en français dans G. Baselitz, Danse gothique. Écrits et entretiens, 1961-2019, Ă©dition Ă©tablie par Detlev Gretenkort, trad. par RĂ©gis Quatresous, Strasbourg, L’Atelier contemporain, 2020, p. 191-192.


2. Suite Ă  la dĂ©cision du comitĂ© gĂ©nĂ©ral du parti de la SED le 17 mars 1951 « pour le combat contre le formalisme dans la littĂ©rature et dans l’art pour une culture allemande progressive », le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du comitĂ© central du parti SED, Walter Ulbricht, dĂ©clare devant la chambre du peuple (Volkskammer), le 31 octobre 1951 : « Nous ne voulons plus voir d’images abstraites dans nos Ă©coles d’art. (…) La peinture gris en gris, expression du dĂ©clin capitaliste, est en contradiction flagrante avec la vie actuelle en RDA. »

3. G. Baselitz, « Georg Baselitz im GesprÀch  mit Heinz Peter Schwerfel », dans « Georg Baselitz », Kunst Heute, n° 2, Cologne, Verlag Kiepenheuer & Witsch, 1989, p. 24 ; repris en français : « Entretien avec Heinz Peter Schwerfel », dans G. Baselitz, Danse gothique, op. cit., p. 132

4. Cit. Éric Darragon, dans « Baselitz, Charabia et basta – Entretiens avec Éric Darragon », Ă©d. L’Arche,1996, p.178.

5. Cit. de G. Baselitz dans l’entretien avec Philippe Dagen, « L’oeuvre de Georg Baselitz envahit les musĂ©es de Baden-Baden », publiĂ© le 21 novembre 2009 dans le journal Le Monde.

6. Cit. G. Baselitz dans le communiquĂ© de presse de la Galerie Thaddaeus Ropac, Ă  l’occasion de son exposition « Descente», en 2017.