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🔊 “Regarde mon histoire” au Hangar, Photo Art Center, Bruxelles – Belgique, du 21 mai au 17 juillet 2021

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“Regarde mon histoire“

au Hangar, Photo Art Center, Bruxelles – Belgique

du 21 mai au 17 juillet 2021

Hangar

Interview de Delphine Dumont, directrice du Hangar et commissaire de l'exposition, par Anne-Frédérique Fer, enregistrement réalisé par téléphone, entre Paris et Bruxelles, le 25 juin 2021, durée 19’26. © FranceFineArt.

PODCAST –  Interview de Delphine Dumont, directrice du Hangar et commissaire de l’exposition,

par Anne-Frédérique Fer, enregistrement réalisé par téléphone, entre Paris et Bruxelles, le 25 juin 2021, durée 19’26.
© FranceFineArt.

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Anne De Gelas, “Château de cartes”, série INTERMèDE, 2018-2020 © Anne De Gelas.
Anne De Gelas, Château de cartes, série INTERMèDE, 2018-2020 © Anne De Gelas.
Antoine Grenez,“Girls with cigarets” série Saint-Nazaire’s quarantine, 2020 © Antoine Grenez.
Antoine Grenez, Girls with cigarets, série Saint-Nazaire’s quarantine, 2020 © Antoine Grenez.

Extrait du communiqué de presse :





commissariat : Delphine Dumont, directrice du Hangar

 




Après le succès de « The World Within » et un public en quête d’émotion, Hangar s’adapte au contexte perturbé et propose un thème éminemment humain. « Regarde mon histoire / Kijk naar mijn verhaal » est une exposition collective rassemblant dix photographes ayant comme point commun d’avoir été formés dans une école d’art belge.

« Regarde mon histoire / Kijk naar mijn verhaal » s’ancre autour de l’artiste photographe Véronique Ellena. Artiste reconnue de la scène artistique française, elle a fait ses premières armes en Belgique. En effet, après les Beaux-Arts de Nancy et Dijon, Véronique Ellena a poursuivi sa formation à l’atelier photographique de La Cambre (Bruxelles), sous la direction de Gilbert Fastenaekens. « Être étudiante puis jeune artiste en Belgique m’a permis de faire des rencontres importantes qui se prolongent encore aujourd’hui ». Avec Vivre sa vie, l’artiste a créé, pour cette exposition, un parcours rétrospectif et introspectif, au travers d’une dizaine de séries.

Hangar rassemble aux côtés de Véronique Ellena des artistes « made in Belgium » : Vincen Beeckman, Téo Becher & Solal Israel, Elise Corten, Anne De Gelas, France Dubois, Antoine Grenez, Katherine Longly et Hanne Van Assche. Cette exposition collective invite le visiteur à cheminer au travers d’histoires visuelles humaines et intimes et livre à la fois des récits biographiques et autobiographiques.

Elise Corten, “Red Lipstick”, série Warmer than the Sun, 2018-2021 © Elise Corten.
Elise Corten, Red Lipstick, série Warmer than the Sun, 2018-2021 © Elise Corten.

Le mot de la directrice



Miroirs de (nos) vies

Après « The World Within » et le succès de cette exposition profondément humaine (des expériences personnelles et intimes du confinement), Hangar poursuit dans la même veine en présentant des oeuvres empreintes d’histoires de vie.

L’année écoulée nous a propulsés dans un monde sans contact, déshumanisé et dépossédé de son oralité. Le regard n’est le plus souvent que le seul moyen pour capter ce que l’autre a à nous dire. Regarder des oeuvres, n’est-ce pas (tenter d’) entrer en communion avec le propos/l’intention d’un artiste. Au travers des récits de « Regarde mon histoire/Kijk naar mijn verhaal », nous vous invitons à toucher du doigt la spécificité humaine. « L’homme est par nature un animal politique (social) » disait Aristote. Sans liens humains, nous ne sommes rien.

Toutes les histoires à regarder au Hangar illustrent cela. De l’intime, de la complexité de la relation, de la maladie et de notre finitude, de la force d’être ensemble… La palette des sentiments et des émotions s’étire à l’infini. De l’histoire de vie d’une artiste tournée vers les autres, Véronique Ellena, à des histoires intimes, vécues ou observées par Vincen Beeckman, Téo Becher & Solal Israel, Elise Corten, Anne De Gelas, France Dubois, Antoine Grenez, Katherine Longly, Hanne Van Assche, les messages qui nous sont transmis sont forts et parfois des miroirs de (nos) vie(s).

A nous, les « regardants », d’entrer en communion avec ces histoires et, grâce à elles, de retrouver notre énergie vitale, notre besoin de se connecter à l’autre.


Delphine Dumont
, directrice du Hangar

 

France Dubois, série Motherhood, 2019 © France Dubois.
France Dubois, série Motherhood, 2019 © France Dubois.
Hanne Van Assche, série Удачный / Lucky, 2020 © Hanne Van Assche.
Hanne Van Assche, série Удачный / Lucky, 2020 © Hanne Van Assche.
Katherine Longly, série To tell my real intentions, I want to eat only haze like a hermit, 2016 © Katherine Longly.
Katherine Longly, série To tell my real intentions, I want to eat only haze like a hermit, 2016 © Katherine Longly.
Téo Becher & Solal Israel, série Les Fulguré.e.s, 2020 © Téo Becher & Solal Israel.
Téo Becher & Solal Israel, série Les Fulguré.e.s, 2020 © Téo Becher & Solal Israel.
Véronique Ellena, “Boule”, série Le clos des boulistes, 2016 © Véronique Ellena.
Véronique Ellena, Boule, série Le clos des boulistes, 2016 © Véronique Ellena.
Vincen Beeckman, série Claude & Lilly, 2015-2018. © Vincen Beeckman.
Vincen Beeckman, série Claude & Lilly, 2015-2018. © Vincen Beeckman.

Nos (vos, leurs) histoires par Danielle Leenaerts




En des temps où se réunir nous est interdit, l’être ensemble des images permet au moins de recréer des communautés et de réadresser la question de nos rapports au monde. Ce sont dès lors des parcours, des expériences autant que des regards qui sont donnés en partage, en une présentation chorale qui permet également d’apprécier chacune de ces sensibilités, à fleur d’image.

Véronique Ellena fait office de figure tutélaire de cette exposition, dans la mesure où son oeuvre en a inspiré le projet, en particulier deux caractéristiques fondatrices : d’une part, la représentation -même distanciée- du quotidien, d’autre part, un parcours photographique initié par une formation au sein d’une école d’art belge, points également communs aux artistes exposés.

La sélection opérée au sein de son travail déjoue la chronologie, à la faveur d’un dialogue entre oeuvres issues de séries distinctes. Les Supermarchés ouvre celui-ci par un travail de mise en scène dans lequel les couleurs sont restituées dans leur dimension attractive, renvoyant au chatoiement mis en oeuvre par l’art de l’étalage, savamment développé à l’ère de la grande consommation. Si le caractère un peu désuet de ces images estampillées années 1990 n’enlève rien à la contemporanéité de ce sujet, il contient une forme d’ironie qui va progressivement laisser la place à une préoccupation pour la sphère de l’intime, comme en témoignent Les recettes de cuisine.

Les couleurs saturées qui caractérisent ces premières séries marquent encore les photographies réalisées à la fin des années 1990, qui portent leur attention respectivement aux occupations du dimanche, aux adolescents dans leur cadre de vie ou encore aux « grands moments de la vie ». Ces thèmes renvoient à des universaux dans lesquels le spectateur peut se projeter autant que se retrouver, s’avouant l’aspect aussi exceptionnel que trivial que ces moments auront pu représenter, une fois (re)considérés a posteriori. Aussi, ce qui est ténu ou commun dans nos existences se trouve valorisé par le regard de l’artiste et la considération authentique qu’elle porte à ses modèles, parfois dans des contextes inattendus ou avec une forme d’humour qui n’est jamais dénuée de bienveillance.

L’observation fine de ces contextes quotidiens va ensuite porter Véronique Ellena à s’intéresser davantage à l’introspection et à la spiritualité, comme en témoigne la série Ceux qui ont la foi. Le décès d’êtres proches conduisent alors la photographe à aborder la question de la métaphysique, par le biais de la mort. Ces images en creux, disant l’absence dans les pièces délabrées ou les objets usuels désormais inutilisés, font ressentir à la fois la douleur de l’absence, mais aussi le mystère de la transcendance.

Entre ces deux dimensions, relevant de l’ordinaire comme de l’extraordinaire de nos vies humaines, les paysages photographiés apportent une suspension indéterminée qui permet de prendre du recul, dans la pure contemplation. Mais à nouveau, sans se détacher trop longtemps de notre condition. Car, face à l’incommensurable de la nature, Ellena nous rappelle à notre finitude, par ses natures mortes qui s’appréhendent dès lors comme des vanités.

Si la métaphore traverse donc son oeuvre, elle ne doit pas faire oublier le plaisir esthétique induit par l’art photographique, en particulier celui de la couleur. Il s’avère central aux Clairs-obscurs, qui révèlent le pouvoir de déréalisation et donc de création de la photographie à l’égard de son référent. La lumière est aussi convoquée comme maté riau même de la photographie –photo graphein-, écriture par la lumière. Notamment à la faveur d’une commande pour la cathédrale de Strasbourg, pour laquelle la photographe a saisi l’occasion de conjuguer sa pratique à celle du maître verrier Pierre-Alain Parot. S’ouvre alors dans son travail une dimension exploratoire supplémentaire, augurant la poursuite fructueuse de son cheminement artistique.

Omniprésente dans les images de Véronique Ellena, la couleur l’est aussi dans les images de deux photographes que l’on pourrait rapprocher par le thème abordé : la relation maternelle. Elise Corten le traite par le vis-à-vis entre autoportraits et portraits de sa propre mère. Les échos de couleur aussi bien que d’ombre et de lumière, dessinent une relation toute en nuances et reconstituent les identités respectives, dans leur intimité. La couleur devient d’encre lorsqu’il s’agit pour France Dubois d’aborder cette thématique de la maternité, telle une énigme, à travers une figure de femme inscrite dans le paysage marin. Émergée, parfois submergée, elle rappelle autant la figure d’Ophélie que celle, embryonnaire, qui se love dans les entrailles féminines. L’artiste met de la sorte le spectateur aux prises avec une double sensation de vertige face aux remous et de protection devant les alvéoles des roches qui permettent de s’en abriter.

Si cette thématique aurait pu aussi être déclinée par l’oeuvre d’Anne De Gelas, dès lors qu’elle y occupe une place centrale, les aléas de l’existence et des épreuves qu’elle peut infliger en auront voulu autrement. Victime victorieuse d’un cancer du sein, elle a choisi de lui faire une place, au même titre que les autres expériences vécues qui ont toujours alimenté son travail artistique. Elle témoigne, dans sa chair, de l’atteinte par une maladie qui touche près d’une femme sur dix au cours de son existence. Par l’intégration de reproductions d’oeuvres liées à la souffrance, mais aussi de fragments de textes -certains de sa plume- c’est aussi tout un champ de références accompagnant la traversée de la maladie qu’elle compose et livre en partage.

La maladie s’invite aussi dans la série réalisée par Vincen Beeckman, venant mettre un terme à une passion amoureuse qui a lié Claude et Lilly pendant 23 ans. Sans le moindre artifice, le photographe s’est fait le témoin d’un amour intense entre ces deux individus, transparaissant dans chaque image, reflétant la qualité d’attention exceptionnelle qui qualifie la pratique photographique de Vincen Beeckman. La photographie constitue en effet un moyen de porter de l’attention à des êtres, des lieux ou des objets spécifiques. Ce que nous rappellent aussi les photographies de Katherine Longly, révélant une diversité de vécus associés à l’alimentation au Japon, entre attraction et répulsion. Sujet abordé par cette artiste avec toute l’acuité de sa formation d’anthropologue.

La notion de communauté s’avère enfin centrale pour plusieurs artistes. Celle des survivants au foudroiement pour Téo Becher et Solal Israel, qui par leur choix du diaporama expriment la brièveté autant que l’apparente immatérialité du phénomène. Celle constituée par les habitants de la petite ville minière d’Udachny, auxquels Hanne Van Assche rend une forme d’hommage, ou encore celle des Chanoirs, joyeusement exilés dans la Drôme pour y traverser la quarantaine, loin des conventions.

En guise de conclusion, on rappellera la thèse centrale à l’ouvrage de Paul Ricoeur, Temps et récit, à savoir que le temps humain n’est autre que le temps raconté. Inscrivant précisément la temporalité dans sa nature même d’empreinte, la photographie nous renvoie à cette nécessité humaine de raconter pour se figurer le temps. Celui de sa propre vie, comme celui de la vie des autres et qui nous permet de nous retrouver, ensemble.




Danielle Leenaerts
est chargée de cours en Histoire et théorie de la photographie à l’Université libre de Bruxelles et directrice adjointe de l’ESA Saint-Luc Bruxelles.