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“Sophie Kuijken” à la Galerie Nathalie Obadia – Bourg-Tibourg, Paris, du 24 avril au 26 juin 2021

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“Sophie Kuijken”

à la Galerie Nathalie Obadia – Bourg-Tibourg, Paris

du 24 avril au 26 juin 2021


Galerie Nathalie Obadia


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Sophie Kuijken
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© Anne-Frédérique Fer, visite de l’exposition, le 22 avril 2021.

Sophie KUIJKEN, A.B.X., 2021. Huile et acrylique sur toile fixée sur panneau de bois contreplaqué, 200 x 100,5 x 5 cm. ID40547. © Sophie Kuijken, Courtesy de l’artiste et de la Galerie Nathalie Obadia Paris / Bruxelles.
Sophie KUIJKEN, A.B.X., 2021. Huile et acrylique sur toile fixée sur panneau de bois contreplaqué, 200 x 100,5 x 5 cm. ID40547. © Sophie Kuijken, Courtesy de l’artiste et de la Galerie Nathalie Obadia Paris / Bruxelles.
Sophie KUIJKEN, D.Z., 2021. Huile et acrylique sur toile, 150 x 270 x 4,5 cm. ID40551. © Sophie Kuijken. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Nathalie Obadia Paris / Bruxelles.
Sophie KUIJKEN, D.Z., 2021. Huile et acrylique sur toile, 150 x 270 x 4,5 cm. ID40551. © Sophie Kuijken. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Nathalie Obadia Paris / Bruxelles.
Sophie KUIJKEN, Z.V., 2021. Huile et acrylique sur toile, Oil and acrylic on canvas, 90 x 160 x 4,5 cm. ID40555. © Sophie Kuijken. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Nathalie Obadia Paris / Bruxelles.
Sophie KUIJKEN, Z.V., 2021. Huile et acrylique sur toile, Oil and acrylic on canvas, 90 x 160 x 4,5 cm. ID40555. © Sophie Kuijken. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Nathalie Obadia Paris / Bruxelles.
Sophie KUIJKEN, E.Y.O, 2021. Huile et acrylique sur panneau de bois aggloméré, Oil and acrylic on chipboard panel, 122 x 103 x 1,8 cm. ID40556. © Sophie Kuijken, Courtesy de l’artiste et de la Galerie Nathalie Obadia Paris / Bruxelles.
Sophie KUIJKEN, E.Y.O, 2021. Huile et acrylique sur panneau de bois aggloméré, Oil and acrylic on chipboard panel, 122 x 103 x 1,8 cm. ID40556. © Sophie Kuijken, Courtesy de l’artiste et de la Galerie Nathalie Obadia Paris / Bruxelles.

Interview de Sophie Kuijken par FranceFineArt

FranceFineArt :
Dans une approche réaliste, voire photographique où l’on dit de votre peinture qu’il s’y dégage un sentiment “d’inquiétante étrangeté”, vous avez dédié votre œuvre picturale à l’art du portrait. Des portraits où vos modèles se matérialisent toujours sur un fond monochrome, généralement foncé, où seul leur regard, leur attitude sont des indices sur leur personnalité. Avant de découvrir votre univers, et pour évoquer l’origine de votre pratique, comment le portrait est-il devenu le seul motif de votre œuvre ? Comment le modèle est-il devenu le seul sujet de vos peintures ?

Sophie Kuijken : 
Quand j’étais enfant, feuilletant des livres d’art ou visitant des expositions, c’était toujours les portraits qui me fascinaient le plus. J’ai également vécu la même chose lors de ma formation. Je ne peux pas expliquer pourquoi peindre un visage, et surtout les yeux, est tellement plus intense pour moi qu’autre chose. Après mes études, j’ai d’abord essayé de supprimer cette obsession du portrait. J’étais encore jeune et je sentais que je devais me développer plus largement et prendre en compte de ce qui se passait sur la scène des arts visuels. C’était à la fin des années 1980 et le portrait peint semblait un genre désespérément dépassé. Mais pour moi, cela s’est vite avéré incontournable. Dans la mesure où la question de savoir s’il avait encore sa place dans l’art contemporain n’avait plus d’importance. J’ai donc décidé de m’y consacrer. Les détails qui n’avaient rien à voir avec le personnage disparaissaient de plus en plus. Jusqu’à ce que seul l’homme reste.

FFA : Pour continuer d’évoquer l’origine de votre œuvre picturale, vous êtes néeà Bruges (Belgique) en 1965 et vous vous êtes formée à la peinture à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Gand (K.A.S.K), dont vous sortez diplômée en 1988. Quand, on regarde votre peinture, généralement à l’huile et sur bois, on sent l’influence de vos origines, celle de l’histoire de la peinture flamande. Comment cette histoire a-t-elle guidé, influencé votre écriture plastique ? Comment êtes-vous réappropriée les techniques, les codes esthétiques de la peinture flamande ?

SK : La formation au KASK était très progressive à l’époque. J’ai appris beaucoup sur les mouvements et les théories de l’art contemporain. Mais, sur le plan purement technique, j’avais quasiment pas de bagages. Quand j’ai fermé les portes de l’académie derrière moi et lorsque je me suis de plus en plus immergée dans le portrait, j’ai vite remarqué les lacunes. J’ai parcouru beaucoup de littérature professionnelle et essayé toutes sortes de techniques sur de petits panneaux de test jusqu’à ce que j’en trouve une qui me convienne. Ce n’est pas une copie exacte de l’ancienne technique de peinture flamande, mais c’est basé sur le même principe, une construction de plusieurs couches opaques et transparentes. Outre la possibilité de peindre des détails très fins et la profondeur de couleur offerte par les glacis, c’est la méthode de travail très lente qui me séduit avant tout.  La technique m’oblige à passer des heures, des jours, des semaines et même des mois avec mon modèle, ce qui en fait une expérience visuelle très intense.

FFA : Pour revenir à la réalisation de vos portraits, dans cette dimension où votre modèle est le seul et l’unique sujet de vos peintures, comment la personnalité de vos modèles participe-t-elle à cette inquiétante étrangeté ? Le dialogue ou le non-dialogue entre le modèle et vous-même est-il un facteur déterminant dans la réalisation du portrait ? 

SK : La personnalité de mes modèles n’est pas sans ambiguïté, car elle est composée de parties de plusieurs personnages. Il s’agit souvent de fragments de types qui diffèrent complètement, en termes d’âge, de sexe ou d’expression faciale, ainsi qu’en termes de race, de lieu ou d’époque dans lesquels ils ont vécu. L’amalgame de ces contradictions contribue probablement à l’effet aliénant.

Le regard prolongé pendant que je peins provoque souvent en moi une sensation étrange, difficile à décrire. D’abord, les lignes semblent s’estomper et le personnage prend une dimension plus abstraite, puis je le sens très proche et c’est presque comme si je deviens moi-même l’image. Il se peut que cette expérience s’infiltre également dans la peinture.

FFA : Pour continuer d’évoquer cette inquiétante étrangeté, vos portraits sont seuls sur la surface picturale où l’absence d’arrière-plan prive les personnages de tout ancrage historique et de contexte. Vos portraits étant issus de montage où en glanant vos documents via internet, vos modèles sont des personnages fictifs, imaginaires, où comme des chimères, ils sont l’assemblage de vos recherches, le reflet, le miroir du temps de la création. Si les images issues d’internet sont photographiques, comment la photographie, puis internet ont-elles fait évoluer votre pratique picturale ? Pour vous, pourquoi le modèle vivant n’est-il pas essentiel à votre création ? Les images récoltées sur internet sont elles comme des esquisses, comme un carnet de croquis ?

SK : Je ne supporte pas très bien la présence des gens quand je peins. Donc un modèle vivant dans mon studio n’a jamais été une option. Lorsque j’ai eu un ordinateur avec une connexion internet au milieu des années 90, un nouveau monde s’est ouvert à moi. Avant cela, je m’appuyais généralement sur ma mémoire et des photos de magazines pour créer mes modèles. Mais soudain, j’avais à ma disposition une masse d’images de personnes sur lesquelles je n’avais aucune information. J’avais seulement l’aspect visuel sur lequel me concentrer, et le mystère, le rien savoir, à chérir.

Je n’appellerai pas les images récoltées des esquisses. Ce sont plutôt des ingrédients bruts que je dois ensuite disséquer, éditer et réassembler en une première conception numérique.

FFA : Comme nous l’avons évoqué précédemment, si vos portraits sont seuls sur la surface picturale où l’absence d’arrière-plan prive les personnages de tout ancrage historique et de contexte, dans certaines de vos peintures on y découvre une autre présence, celle, de l’animal. Dans le cadre de l’exposition à la galerie Obadia Paris, cette présence animale se matérialise par un oiseau et un petit rongeur. Dans votre désir où vos œuvres n’impliquent pas une narration explicite, directe, quel est le symbole de la présence animale ? Comment ces animaux viennent-ils dialoguer avec vos personnages ? Comment ceux-ci permettent-ils une narration possible, un début d’histoire ? Cette présence animale est-elle, comme le totem, l’aura du personnage ?

SK : L’expérience de peindre des animaux est aussi intense pour moi que de peindre des humains. Ce n’est pas surprenant, car ce sont des êtres vivants qui ne sont pas très différents de nous. Et donc, de temps en temps ils accompagnent mes personnages. La nature de leur liaison n’est pas toujours la même. Dans le cas de l’oiseau, cela semble une rencontre agréable. Il y a des tableaux où c’est plutôt une confrontation. Je rassemble souvent des humains et des animaux en raison de propriétés similaires ou contrastées. Parfois, ils semblent avoir un lien fort les uns avec les autres, parfois ils vivent chacun dans leur propre monde. Dans la peinture avec le rongeur (qui comprend également un fragment de cerf), j’ai voulu exposer la relation très ambiguë entre les humains et les animaux.

FFA : Pour continuer d’évoquer les personnages de vos œuvres, généralement ils sont solitaires sur la surface de la toile, seul l’accrochage de l’exposition permet de faire dialoguer leur regard, hors pour le tableau D.Z. de 2021, les personnages sont au nombre de trois où par leur corps allongés, ils forment comme une ronde. Où la posture de leur corps impulse un mouvement, une action à la toile. Si généralement vos personnages sont solitaires, dans la construction et la composition de vos peintures, comment faites-vous le choix d’un portrait à plusieurs personnages ? Pour vous, est-ce une façon de les ancrer dans une histoire, dans une action ? Pour l’œuvre D.Z. de 2021, quelle est l’histoire de ces 3 personnages, de cette femme et de ces deux hommes ?

SK : Je suis particulièrement fascinée par la tension entre l’individu et le groupe. Lorsque les gens forment une alliance ou sont liés par des circonstances, ils semblent former un organisme. Dans mes tableaux à personnages multiples, comme le tableau D.Z., ce ne sont donc pas tant les individus que je peins, mais surtout le groupe en tant qu’entité, dans laquelle la tension sous-jacente est toujours tangible.

FFA : Dans cette dimension fictive, peut-on s’attarder sur les noms de vos œuvres qui s’articulent sous la forme d’initiale, ou peut-être s’agit-il d’un code ou d’une abréviation. Si vos personnages sont des chimères, des êtres issus de plusieurs corps, les titres sont-ils des indices sur l’origine des images, sur le nombre d’images pour la composition de vos modèles ? Dans cette inquiétante étrangeté, comment avez-vous établi cette nomenclature, comment est-elle devenue la structure de vos titres ?

SK : Je veux garder l’expérience du public purement visuelle et je préfère donc de ne pas associer de langage à mes œuvres ou à mes expositions. Mais d’un point de vue pratique, dans une conversation ou une correspondance, il est bien sûr utile d’avoir un titre pour les tableaux. Je peux alors les nommer avec quelques lettres et je n’ai pas besoin de donner toute une description. C’est pourquoi je leur donne à tous une sorte de titre provisoire ou un surnom. Cela peut faire référence à des images utilisées, mais c’est tout aussi bien la première chose qui me vient à l’esprit, peut être quelque chose de drôle ou simplement quelques mots descriptifs. Tant que c’est quelque chose que je n’oublierai pas facilement. Les lettres sont une référence à cela. Mais mis à part leur utilisation pratique, ils n’ont absolument aucune importance.

Extrait du communiqué de presse :

La Galerie Nathalie Obadia présente la cinquième exposition de l’artiste belge Sophie Kuijken, après sa dernière en 2020 à Bruxelles. Maintenue à l’abri des regards pendant près de 20 ans et dévoilée pour la première fois en 2011 au Musée Dhondt-Dhaenens, sur les encouragements de son directeur Joost Declerq, l’oeuvre picturale de Sophie Kuijken constitue un apport d’une grande singularité à l’art du portrait.

Héritière de la peinture flamande, l’oeuvre de Sophie Kuijken perturbe de l’intérieur les codes traditionnels du genre par une approche contemporaine qui trouble en profondeur. Dans un entre-deux-mondes atypique, ses portraits font advenir une présence paradoxale, à la fois silencieuse et scrutante, humaine et spectrale, brouillant les contours de notre humanité.

L’exposition présente dix nouvelles oeuvres sur panneau de bois et, pour la première fois, sur toile, suscitant plus que jamais ce sentiment « d’inquiétante étrangeté » dont Sophie Kuijken a le secret.

Les oeuvres de Sophie Kuijken se présentent à première vue comme des portraits de facture classique, se détachant d’un fond sombre emprunté aux Primitifs flamands. Fidèle à une longue tradition picturale issue de l’invention de la peinture à l’huile, l’artiste opère un travail patient d’application d’enduits, de couches et de glacis à la surface de son support, qu’il soit en bois ou en toile. Si l’acrylique permet de poser les contrastes, c’est le travail à l’huile qui assure les effets picturaux dont la subtilité est approfondie par les couches de glacis et de vernis : ombres, textures des tissus et des velours, nuances des peaux, des tons…

Plus largement, l’histoire de l’art traverse cette peinture par le biais de certains détails, certaines postures, rémanences plus inconscientes qu’intentionnelles : ainsi, les silhouettes étirées et chairs aux tons crus rappellent le maniérisme, les corps allongés de l’oeuvre D.Z. évoquent des descentes de croix, une figure féminine marque un écho aux célèbres odalisques, un portrait en pied de ¾ apparaît comme l’étrange miroir du Saint Sébastien d’Antonello Da Messina, tandis que la main qui capte la lumière du portrait L.M.T. pourrait bien être une citation de celles, si expressives, d’Egon Schiele.

Ces influences souterraines entrent en résonance avec une démarche active et systématique de collecte sur Internet. L’artiste passe en revue des centaines d’images et glane dans cette vaste base de données tous les éléments qui, assemblés selon le sentiment que leur confrontation génère, formeront ses sujets. Ces êtres artificiellement recréés marquent ainsi un contrepoint original à l’histoire du portrait, intrinsèquement liée au modèle vivant. Cette multiplication des sources, cette dispersion originelle du sujet instaure un mystère diffus, celui d’une figure mi-familière mi-chimérique, flirtant avec le bizarre. L’apparence surannée de ces portraits renforce ce sentiment « d’inquiétante étrangeté », tandis que les objets, accessoires ou détails que l’artiste adjoint à ses personnages rendent d’autant plus consistante cette teneur freudienne. Sophie Kuijken détourne avec une grande liberté la convention historique d’associer au modèle un certain nombre d’attributs, révélateurs de son statut social, de son éthos. Ponctuant avec un savoureux art du décalage chacune de ces compositions, figurent ainsi un tournesol en guise de pied, un merle lunaire niché dans les hauteurs du tableau ou la gueule d’un animal, qui dialogue avec la semi-nudité d’un personnage au genre indéterminé. Ces associations incongrues mettent en scène une tension entre deux contraires, à l’image d’une peinture dont la force est de se contredire, de faire écart. Mais contre toute attente, elles s’imposent de manière impassible et naturelle au sein de chaque oeuvre, sous l’apparence d’affinités mystérieuses qui en déterminent l’univers.

Car l’ambiguïté de ces portraits tient aussi à cette pure présence, que rien n’ébranle, dans le champ pictural. L’absence d’arrière-plan prive les personnages de tout ancrage historique ou contextuel, accentuant leur caractère fantomatique et hors du temps : les corps sont en lévitation dans un espace nocturne qui les accueille en douceur. La lumière irradie des peaux diaphanes, dans un effet de transparence qui contraste avec l’obscurité des fonds et l’opacité des tons, chauds et sombres, subtilement nuancés.

Les multiples couches de peinture et de glacis constituent autant d’étapes dans l’avènement, hors des ténèbres, de ces figures semi-réelles. Cette étrange communauté semble avoir été toujours là, dans cette attente qui impose en retour le temps de la contemplation.

Avec une grande maîtrise technique, l’artiste agit sur les phénomènes de mémoire et de reconnaissance, convoquant autant la grande histoire de l’art que les ressources communes, aléatoires et impersonnelles du numérique.

Sous ses allures classiques, la peinture de Sophie Kuijken contient une profonde marginalité qui conforte autant qu’elle dérange, et dans laquelle chacun est libre de se reconnaître.