âPicasso – Rodinâ
au Musée national Picasso-Paris et au Musée Rodin, Paris
jusquâau 2 janvier 2022 (prolongĂ©e jusqu’au 6 mars 2022)
Musée Rodin
Musée Picasso Paris

PODCAST – Interview de VĂ©ronique Mattiussi, Cheffe du service de la recherche et responsable scientifique du fonds historique – MusĂ©e Rodin, et co-commissaire de lâexposition,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 10 juin 2021, durĂ©e 16â00.© FranceFineArt.


Extrait du communiqué de presse :
Commissariat :
Catherine Chevillot, Conservateur général du patrimoine Directrice du Musée Rodin
Virginie Perdrisot-Cassan, Conservateur du patrimoine, responsable des sculptures, des céramiques et du mobilier Giacometti, Musée national Picasso-Paris
Véronique Mattiussi, Cheffe du service de la recherche et responsable scientifique du fonds historique, Musée Rodin
Pour la premiĂšre fois, le MusĂ©e Rodin et le MusĂ©e national Picasso-Paris sâunissent afin de prĂ©senter lâexposition-Ă©vĂ©nement « Picasso-Rodin ».
Ce partenariat exceptionnel entre deux grands musĂ©es monographiques offre un regard inĂ©dit sur ces artistes de gĂ©nie qui ont ouvert la voie Ă la modernitĂ© dans lâart. Leurs chefs-dâoeuvre sont prĂ©sentĂ©s simultanĂ©ment au sein des deux monuments historiques qui abritent ces musĂ©es nationaux.
Lâexposition invite Ă une relecture croisĂ©e des oeuvres de Rodin (1840-1917) et Picasso (1881-1973), ces deux grands artistes ayant durablement bouleversĂ© les pratiques artistiques de leur temps pour les gĂ©nĂ©rations Ă venir. Il ne sâagit pas de montrer ce que Picasso a empruntĂ© Ă Rodin, mais plutĂŽt dâexaminer les convergences signifiantes qui apparaissent entre lâoeuvre de Rodin et plusieurs pĂ©riodes de la production de Picasso.
Cette relecture croisĂ©e de leurs oeuvres se dĂ©cline en diffĂ©rents chapitres sur les deux lieux, au MusĂ©e Rodin dâune part Ă travers la crise de la reprĂ©sentation du dĂ©but du XXe siĂšcle, et au MusĂ©e Picasso dâautre part dans les processus crĂ©atifs mis en oeuvre par les deux artistes. Ă des Ă©poques et dans des contextes diffĂ©rents, Rodin et Picasso participent Ă une articulation dĂ©cisive de lâhistoire et sans doute est-ce lĂ une des clĂ©s de leurs similitudes. Ă leur façon, ils inventent un nouveau mode de reprĂ©sentation, expressionniste chez Rodin, cubiste chez Picasso.
Pour Rodin, comme pour Picasso, lâatelier est un espace privilĂ©giĂ© dâexpĂ©rimentation sur les formes et les matĂ©riaux. Travail en sĂ©rie, fragmentation, assemblage, dĂ©tournement sont autant dâapproches singuliĂšres et novatrices. Le travail de lâartiste en perpĂ©tuel mouvement, explore un motif en constante mĂ©tamorphose.
Ă travers un dialogue systĂ©matique, cette exposition riche de plus de 500 oeuvres, peintures, sculptures, cĂ©ramiques, dessins, documents dâarchives, photographies invite le visiteur Ă une relecture inĂ©dite de leur parcours artistique foisonnant et innovant.
Pour accompagner lâexposition, un catalogue est disponible aux Ă©ditions Gallimard.
Parcours de lâexposition au MusĂ©e Rodin
Le devant de la scĂšne, avec sa grande rĂ©trospective au pavillon de lâAlma. Il est alors une rĂ©fĂ©rence pour le jeune Pablo Picasso qui vient dâarriver Ă Paris et dont les premiĂšres sculptures sont « rodiniennes ». Mais surtout, les deux artistes sont confrontĂ©s Ă de grands bouleversements mondiaux. Il sâagit pour eux dâinventer dans lâart une nouvelle cohĂ©rence visuelle, un nouveau mode de reprĂ©sentation de leur « monde contemporain » si fluctuant.
Le rapport Ă la nature
Vaste domaine dâĂ©tude et de plĂ©nitude, la nature sous toutes ses formes, constitue un dĂ©nominateur commun Ă Rodin et Picasso. Les deux artistes y prĂ©lĂšvent des fragments dâĂ©lĂ©ments naturels. Branches, galets ou coquillages sont les spĂ©cimens choisis et susceptibles de donner forme Ă leurs rĂȘves. Leur dĂ©marche est intuitive et pour eux la nature se fait matiĂšre, palette ou argile. Elle stimule leur sens de lâobservation, attise leur curiositĂ© et intĂšgre rapidement leur processus crĂ©atif. Les empreintes et moulages de feuilles de platane conservent la mĂ©moire dâune beautĂ© Ă©phĂ©mĂšre et Ă lâexĂ©cution parfaite. Quâelle soit Ă©lue au rang de culte ou dĂ©tournĂ©e de son sens premier, la nature est pour les deux artistes, propice aux dĂ©couvertes, favorable Ă lâĂ©merveillement et source de renouvellement.
Un nouveau rapport au réel
Rodin remet en cause le naturalisme et la notion dâimitation, inventant Ă partir des annĂ©es 1880 un langage expressionniste qui fait largement dĂ©bat, voire polĂ©mique. Picasso rompt avec les codes de la reprĂ©sentation et cherche une maniĂšre de rendre compte de la vie en respectant les deux dimensions de la toile. Dans leurs univers respectifs, ils contribuent Ă dĂ©passer les acquis considĂ©rĂ©s comme immuables, et trouvent des formes nouvelles adaptĂ©es au monde nouveau qui Ă©merge. Pourtant, lâun et lâautre restent toujours attachĂ©s Ă la reprĂ©sentation : il leur faut faire tenir ensemble les fragments dâun monde qui semble voler en Ă©clats, rendre compte dâun nouvel univers que, « voyants », ils sentent sourdre et que les anciens modes de reprĂ©sentation sont impuissants Ă exprimer.
Détour par le primitif
ArchaĂŻque, primitif ou premier : Rodin comme Picasso interrogent ce quâil est convenu de nommer lâart des origines. FormĂ©s Ă la culture grĂ©co-romaine, ils remontent le temps pour explorer lâantique, prĂ©cĂšdent le classique, lâart de la GrĂšce archaĂŻque et de lâĂgypte, auxquels sâajoutent pour Rodin lâart de lâAsie, pour Picasso lâart ibĂ©rique et africain. Dans un mĂȘme rejet des acadĂ©mismes, ils abolissent la notion de temps, reliant le passĂ© et sa cohorte dâartistes Ă leur propre crĂ©ation. Vers 1900, ils sâorientent sur cette voie comme, parmi tant dâautres, Maillol, Bourdelle, Matisse, Derain⊠Ces modĂšles sont pour eux comme des leviers pour briser les conventions et dĂ©couvrir de nouvelles formes.
La Porte de lâEnfer â Guernica
La Porte de lâEnfer et Guernica sont deux oeuvres hors normes, par leur taille (6,35 mĂštres de haut, 7,76 mĂštres de long) comme par leur portĂ©e. Dans lâenfer de Rodin comme dans le bombardement de la ville de Guernica de Picasso, terreur et cruautĂ© habitent la vision. Certaines sources leurs sont communes. Le vocabulaire est charnel : on y voit des corps pris dans les flammes, des visages aux expressions dâĂ©pouvante, des figures qui chancĂšlent, des Ă©treintes lugubres. Le thĂšme commun des femmes pleurant forme un leitmotiv. La Porte de lâEnfer et Guernica sont chacune prĂ©sentĂ©e pour la premiĂšre fois Ă lâoccasion dâune exposition internationale en 1900 et 1937. Dans les deux cas, la genĂšse en parait suffisamment singuliĂšre Ă leurs contemporains pour les photographier Ă divers stades de crĂ©ation ou en faire des films. Elles sont devenues deux monuments, deux visions de la destinĂ©e humaine.
Corps et mouvement
Pour donner Ă voir le corps, sa vie, son Ă©nergie, Picasso et Rodin usent de tous les mĂ©diums et de toutes les techniques, dans une succession de recherches et de solutions plastiques. Le corps, au repos ou en tension, est traitĂ© sous des angles de vues inattendus, parfois difficiles Ă comprendre, prĂ©textes Ă des mĂ©taphores comme celle de la femme-vase. Chaque reprĂ©sentation est un moyen dâapprĂ©hender lâespace autrement et librement. De savants dĂ©sĂ©quilibres suggĂšrent le mouvement, crĂ©ent la dynamique, projettent les figures en apesanteur et soufflent une Ă©nergie rĂ©elle, propre Ă chacun mais qui rĂ©sonne dâĂ©chos profonds. LâinventivitĂ© des recherches souligne lâĂ©lan et donne parfois lieu Ă des assemblages surprenants dans lesquels les sculptures suspendues dĂ©fient les lois de la gravitĂ©.
Ăros et mĂ©tamorphose des corps
Une irrĂ©sistible odor di femina accompagne le parcours des deux crĂ©ateurs. Idole ou fĂ©tiche, la figure fĂ©minine dĂ©ploie progressivement les pulsions dans lâexpression du dĂ©sir et jusquâĂ lâextase la moins convenue. Le pouvoir magnĂ©tique des reprĂ©sentations du corps fĂ©minin en gĂ©nĂ©ral et de lâĂ©treinte en particulier habitent les deux artistes avec obsession. Les rapprochements les plus audacieux quâils opĂšrent par leurs figures qui se convulsent, se renversent, sâentremĂȘlent ou se heurtent rĂ©pondent autant Ă une recherche formelle quâĂ un dĂ©sir physique. La femme inspire Ă Rodin un Ă©loge du dĂ©sir ou une exploration de la jubilation et se manifeste chez Picasso, par un geste de plus en plus rageur, une lecture le plus souvent Ă©rotisĂ©e du monde et une reprĂ©sentation toujours plus exacerbĂ©e de la sexualitĂ©.




Parcours de lâexposition au MusĂ©e national Picasso-Paris
Lâexposition « Rodin » au pavillon de lâAlma
En marge de lâExposition universelle de 1900, Auguste Rodin organise sa premiĂšre rĂ©trospective au pavillon de lâAlma. Construit pour lâoccasion Ă quelques mĂštres des bĂątiments officiels, ce lieu abrite une incroyable concentration de sculptures. Tel un chef dâorchestre, lâartiste a lui-mĂȘme mis en scĂšne ses oeuvres : certaines sont installĂ©es sur des colonnes de plĂątre, dâautres rĂ©pondent aux tableaux, photographies et dessins disposĂ©s Ă touche-touche. La mĂȘme annĂ©e, Pablo Picasso arrive Ă Paris et visite trĂšs certainement cette audacieuse manifestation. Sur un dessin, il rĂ©alise le portrait du sculpteur accompagnĂ© de deux figures ressemblant Ă des phoques. Celles-ci renvoient explicitement Ă la caricature du Balzac de Rodin, Un pas en avant, sculptĂ©e par Hans Lerche.
La période rodinienne de Picasso
Au tournant du siĂšcle, lâinfluence dâAuguste Rodin sur la nouvelle gĂ©nĂ©ration dâartistes est incontestable. La production des premiĂšres annĂ©es parisiennes de Pablo Picasso permet lâĂ©mergence de formes puissamment modelĂ©es et de postures privilĂ©giant lâĂ©motion. Elle rĂ©vĂšle des rapprochements formels avec lâoeuvre de son aĂźnĂ©, au point que lâhistorien de lâart Werner Spies qualifie cette pĂ©riode de « rodinienne ». Signe de cette reconnaissance, Picasso dĂ©coupe une reproduction du Penseur dans un journal et lâaccroche au mur de son atelier de Barcelone. Sa premiĂšre sculpture connue, Femme assise (1902), modelĂ©e dans la terre, rappelle les femmes accroupies de Rodin, tandis que lâexpressionnisme irradie de nombreux dessins et sculptures marquĂ©s par la douleur et la dĂ©formation physique.
Lâatelier comme laboratoire de formes
Pour Auguste Rodin, comme pour Pablo Picasso, lâatelier est un espace privilĂ©giĂ© dâexpĂ©rimentation, de dĂ©tournement des formes et des matĂ©riaux. Ces deux artistes agissent en alchimistes, mĂ©tamorphosant les sujets et matiĂšres en outils de crĂ©ation. Ă travers une approche novatrice du fragment devenu oeuvre dâart, ils font du corps humain, quâils dĂ©construisent et recomposent, un motif plastique par excellence, se prĂȘtant aux assemblages et variations architectoniques. Aux squelettes issus de la collection personnelle de Rodin et aux abattis, piĂšces miniatures dâune anatomie virtuelle façonnĂ©es par le sculpteur, rĂ©pondent les sĂ©ries graphiques de Picasso, Anatomies ou Crucifixions. Les papiers dĂ©coupĂ©s constituent un autre volet de lâoeuvre fragmentaire, dont la fragilitĂ© et la poĂ©sie composent un nouveau vocabulaire.
Rodin Ă Meudon
En 1895, Auguste Rodin achĂšte le domaine de Meudon quâil agrandit et embellit pour y installer son atelier. Les antiques de sa collection cĂŽtoient ses Ćuvres dissĂ©minĂ©es dans les allĂ©es, jardins et dĂ©pendances. Entre refuge et temple de la crĂ©ation, le lieu est Ă©levĂ© au rang de mythe jusquâĂ symboliser lâidentitĂ© de lâartiste. Il est un catalyseur de crĂ©ativitĂ© propice Ă la fusion de lâart et de la nature. Dans ce laboratoire oĂč rĂšgnent lumiĂšre, blancheur et transparence, la terre et le plĂątre deviennent des matĂ©riaux privilĂ©giĂ©s. GrĂące aux assemblages, moulages et empreintes, une esthĂ©tique de lâapparition naĂźt, comme en tĂ©moignent La Cariatide tombĂ©e portant sa pierre ou Torse de la Centauresse et Ă©tude pour Iris. Rodin passe une grande partie de son existence au sein de cet Ă©crin de verdure et y sera enterrĂ©.
Picasso au Boisgeloup
à « lâarmĂ©e de plĂątres » Ă©voquĂ©e par le poĂšte Rainer Maria Rilke dans une lettre Ă son Ă©pouse pour dĂ©signer les statues dâAuguste Rodin Ă Meudon rĂ©pond « le peuple de sculptures », dont BrassaĂŻ parle Ă propos des crĂ©ations de Pablo Picasso dans lâatelier de Boisgeloup. DĂ©sireux dâun espace suffisamment Ă lâĂ©cart de la capitale, lâartiste acquiert ce domaine normand situĂ© prĂšs de Gisors, en juin 1930, et sây Ă©tablit jusquâen 1936. Au cours de cette parenthĂšse enchantĂ©e, Picasso privilĂ©gie Ă son tour le plĂątre pour modeler ses Bustes et TĂȘtes de femme. Il dĂ©veloppe un langage proche de celui de Rodin, oĂč la blancheur et la lumiĂšre sont essentielles. Dans ce lieu dâexpĂ©rimentation protĂ©iforme, lâartiste cĂ©lĂšbre la nature, dont les formes et matĂ©riaux viennent nourrir ses oeuvres.
Empreinte, inachĂšvement et non finito
« Terminer une oeuvre ? [âŠ] Quelle bĂȘtise ! Terminer veut dire en finir avec un objet, le tuer, lui enlever son Ăąme. » (Picasso, citĂ© par Jaime SabartĂ©s dans Picasso : portraits et souvenirs, 1946.) Pour Pablo Picasso, aussi bien que pour Auguste Rodin, « lâĂąme » dâune oeuvre est portĂ©e par la puissance expressive de la matiĂšre, exaltĂ©e grĂące Ă la technique de lâempreinte qui met Ă nu les aspĂ©ritĂ©s de la surface, la trace des outils et les accidents de crĂ©ation. HĂ©ritiers du non finito de Michel-Ange, les deux artistes tirent parti des potentialitĂ©s plastiques des matĂ©riaux pour jouer sur les contrastes entre les blocs laissĂ©s bruts et les modelĂ©s lisses, comme dans Adam et Ăve de Rodin et Buste de femme de Picasso.
La série comme forme
« On ne peut vraiment suivre lâacte crĂ©ateur quâĂ travers la sĂ©rie de toutes les variations. » (Picasso, citĂ© par BrassaĂŻ dans Conversations avec Picasso, 1964.) Chez Auguste Rodin et Pablo Picasso, le travail en sĂ©rie place la question de la genĂšse de lâoeuvre au cĆur du processus crĂ©atif. Pourtant, les visĂ©es sont diffĂ©rentes. Dans la sĂ©rie des bustes de Clemenceau ou les dessins de Nus de dos de Rodin, lâartiste traite dâun mĂȘme sujet Ă plusieurs reprises afin de capter la forme juste dans une quĂȘte insatiable de vĂ©ritĂ©. Câest moins la ressemblance physique que la saisie de lâĂąme qui lui importe. Travaillant Ă©galement en sĂ©rie, Picasso dĂ©cline Ă lâenvi la composition des Femmes dâAlger, dâaprĂšs EugĂšne Delacroix, pour mieux en percevoir lâessence. Lâart de la sĂ©rie devient le vecteur privilĂ©giĂ© dâune pensĂ©e en perpĂ©tuel mouvement, explorant les possibilitĂ©s dâun motif en constante mĂ©tamorphose.
Balzac
Aux yeux de Pablo Picasso et Auguste Rodin, HonorĂ© de Balzac incarne la figure du gĂ©nie en quĂȘte dâune insaisissable perfection. FascinĂ©s par lâhomme et la force de ses Ă©crits, lâun et lâautre se sont essayĂ©s Ă le portraiturer et Ă illustrer ses oeuvres. Ă la suite dâun travail mĂ©ticuleux de prĂ©paration semblable Ă celui de lâĂ©crivain et dont tĂ©moignent de nombreuses Ă©tudes, Rodin livre dans son Monument Ă Balzac, conspuĂ© lors de sa rĂ©ception, une Ă©vocation Ă©loquente de la force crĂ©atrice de lâesprit visionnaire du romancier. Picasso, ayant trĂšs probablement vu lâoeuvre de son aĂźnĂ©, se saisit Ă sa suite de cette figure majeure de la littĂ©rature en illustrant plusieurs romans de La omĂ©die humaine avec des dessins et lithographies. Le Chef-dâoeuvre inconnu et Le PĂšre Goriot sont deux exemples.
La pratique de la collection
Bien quâelle diffĂšre dans la mĂ©thode, la pratique de la collection tisse, pour Pablo Picasso et Auguste Rodin, des liens Ă©troits avec la crĂ©ation. Tandis que Rodin achĂšte de maniĂšre plĂ©thorique et systĂ©matique, Picasso aime sâentourer dâoeuvres glanĂ©es au grĂ© des amitiĂ©s artistiques et opportunitĂ©s marchandes. Les collections mĂ©langent antiques, arts extra-occidentaux, peintures, arts graphiques et curiositĂ©s. Elles constituent un vĂ©ritable musĂ©e imaginaire, sans frontiĂšres entre art du passĂ© et production contemporaine. Est Ă©voquĂ© ici lâesprit de la « vitrine-musĂ©e » de lâappartement des Grands-Augustins, photographiĂ©e par BrassaĂŻ, dans laquelle Picasso mĂȘlait ses oeuvres Ă sa collection personnelle.
Biomorphisme
La tendance au biomorphisme â des oeuvres non figuratives dont les formes sont inspirĂ©es de la vie â est forte dans les oeuvres de Pablo Picasso et dâAuguste Rodin, la nature Ă©tant une source dâinspiration majeure. Plus encore, le processus de gĂ©nĂ©ration propre au vivant constitue le modĂšle Ă suivre dans lâacte de crĂ©ation. En vĂ©ritable dĂ©miurge, Rodin donne ainsi naissance Ă des ĂȘtres animĂ©s et puissants, Ă lâimage dâIris ou de La MĂ©ditation intĂ©rieure, vibrantes dâĂ©nergie. La Nageuse illustre le langage quâadopte Picasso : la ligne courbe irrĂ©guliĂšre et la mĂ©tamorphose de son corps en mouvement, exaltations de la nature crĂ©atrice, sont reines. Cette dĂ©fĂ©rence envers la vitalitĂ© de la nature, Ă lâorigine dâune puissance expressive sans Ă©gale, met en exergue le gĂ©nie des deux artistes.
Assemblage(s)
Lâassociation dâĂ©lĂ©ments prĂ©existants â objets, matĂ©riaux ou sculptures â est au centre de la pratique artistique de Pablo Picasso et Auguste Rodin. Issu de collectes et dâagencements inattendus, lâassemblage tĂ©moigne dâun intense travail dâatelier au cours duquel les deux artistes puisent dans leurs collections et rĂ©pertoires respectifs. Avec une dĂ©marche artisanale assumĂ©e, ils sâĂ©mancipent de toutes les conventions artistiques et renouvellent la crĂ©ation grĂące Ă dâaudacieuses mĂ©thodes combinatoires qui mĂ©tamorphosent les formes. Quâil sâagisse dâassemblages composites rĂ©alisĂ©s Ă partir dâĂ©lĂ©ments rĂ©cupĂ©rĂ©s, de collages ou de constructions, les Ćuvres individuelles se dĂ©clinent en multiples, telles les variations de Rodin, Ă partir de la figure de PolyphĂšme, ou le Pierrot assis de Picasso, dont le visage reprend un masque sculptĂ© par lâartiste en tĂŽle pliĂ©e et peinte.
Le rapport Ă lâespace
Pour Auguste Rodin comme pour Pablo Picasso, lâespace est une dimension plastique de lâoeuvre. En ce sens, le rapport que ces deux artistes instaurent entre la sculpture et son environnement est novateur. Outrepassant les codes du monument public, ils proposent de puissants hommages qui sâexposent aux refus et scandales : câest notamment le cas des deux Monument Ă Balzac et Monument Ă Apollinaire. LâHomme au mouton de Picasso, inaugurĂ© Ă Vallauris en 1950, rĂ©pond Ă la force mythique du Saint Jean-Baptiste de Rodin, dont la posture fend lâespace. Cette attitude visionnaire se retrouve dans le traitement des socles, envisagĂ©s dans lâun et lâautre cas comme de vĂ©ritables prolongements des oeuvres. Voulant traduire le mouvement dans lâespace, les deux artistes anticipent les effets optiques de lâart cinĂ©tique et parviennent Ă animer leurs sculptures : Rodin grĂące Ă la dĂ©multiplication dans Les Ombres, Picasso grĂące Ă la combinaison des points de vue dans ses sculptures.