🔊 “Le Paris de Dufy” au MusĂ©e de Montmartre, Paris, du printemps Ă septembre 2021 (prolongĂ©e jusqu’au 2 janvier 2022)
“Le Paris de Dufy”Â
au Musée de Montmartre, Paris
du printemps Ă septembre 2021 (prolongĂ©e jusqu’au 2 janvier 2022)
PODCAST – Interview de Saskia Ooms, responsable de la conservation du MusĂ©e de Montmartre et co-commissaire de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 10 mars 2021, durée 18’49, © FranceFineArt.
©Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 10 mars 2021.
Extrait du communiqué de presse :
Commissariat :
Didier Schulmann, Ancien Conservateur au MusĂ©e national d’art moderne/CCI – Centre Pompidou, Paris
Saskia Ooms, Responsable de la conservation du Musée de Montmartre
Scénographie, Atelier Maciej Fiszer
La mémoire collective retient de Raoul Dufy (1877-1953) la dextérité de son trait, l’équilibre de ses compositions, son talent de coloriste, son sens de la synthèse et sa monumentale Fée Electricité ; et sous la plume des critiques, pour caractériser son oeuvre, les mots de charme, distinction, légèreté, élégance, fraîcheur se sont imposés à la sensibilité commune.
L’exposition « Le Paris de Dufy » que présente le Musée de Montmartre a pour ambition de montrer et d’étudier le choix de la thématique de Paris comme motif dans l’oeuvre de l’artiste : un sujet qui, malgré les nombreuses expositions dédiées à Raoul Dufy, n’a jamais été traité jusqu’à aujourd’hui.
OrganisĂ©e avec la participation exceptionnelle du Centre Pompidou, en partenariat avec le Mobilier national et les manufactures des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie, l’exposition rĂ©unit près de deux-cents oeuvres et documents de Raoul Dufy (peintures, dessins, aquarelles, lithographies, cĂ©ramiques, tapisseries, mobilier, objets et photographies), reprĂ©sentatives du Paris qui a inspirĂ© l’artiste : Montmartre, ses ateliers parisiens, ses monuments les plus emblĂ©matiques – la tour Eiffel, le PanthĂ©on, les Invalides, l’OpĂ©ra, les soirĂ©es mondaines, la Seine, les balades en canotage sur la Marne et les promenades au Bois de Boulogne…
Elle se veut aussi être un hommage à celui qui occupa l’un des ateliers du 12 rue Cortot -où se situe aujourd’hui le Musée de Montmartre- et qui à partir de 1911, s’installe au 5 impasse Guelma : lieu qui vit naître un grand nombre de chefs-d’oeuvre dont certains figurent dans l’exposition et qui fut durant toute la vie du peintre son point d’attache.
Les oeuvres exposées, datées de 1898 à 1953, ont été sélectionnées parmi les collections du MNAM, Centre Pompidou et des musées dépositaires -Château-Musée Grimaldi-Cagnes sur mer, Musée d’Art moderne André Malraux – MuMa, Le Havre, Musée National de la Céramique-Sèvres, Musée des Tissus-Lyon, Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, Musée d’Arts de Nantes, Musée des Beaux-Arts Jules Chéret- Nice ; le Musée d’art Moderne de Paris, Palais Galliera, Musée de la Mode de Paris, Musée Calvet-Avignon, le Musée de Grenoble, le Musée Calvet d’Avignon. A celles-ci s’ajoutent, les prêts précieux de mobiliers consentis par Le Mobilier national et les manufactures des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie. Des prêts d’importantes collections privées et de galeries couronnent l’ensemble.
Le catalogue [édité par In Fine éditions d’art] qui réunit les essais des commissaires Didier Schulmann et Saskia Ooms, de Sophie Krebs, conservatrice générale du patrimoine et responsable des collections du Musée d’Art moderne de Paris, de Romy Golan, professeure de l’histoire de l’art du XXème siècle au Graduate Center of the City University of New York ainsi qu’un entretien inédit avec Fanny Guillon-Laffaille, experte de l’oeuvre de Raoul Dufy et auteure du catalogue raisonné, enrichit nos connaissances sur cette thématique, qui rappelons-le, est pour la première fois étudiée.
Raoul Dufy (Le Havre 1877- Forcalquier 1953)
Raoul Dufy est né le 3 juin 1877 au Havre. Il est le deuxième des neuf enfants de Léon-Marius Dufy et de Marie-Eugénie Lemonnier. Son père est comptable, musicien, maître de la chapelle Saint-Joseph. Il transmettra son amour de la musique à plusieurs de ses fils, Raoul jouera du piano et de l’orgue. En 1891, alors âgé de quatorze ans, le jeune Raoul qui dessine déjà beaucoup, est contraint d’aider financièrement sa famille ; il travaille au port du Havre pour une maison d’importation de cafés brésiliens et y passe cinq ans : « J’ai passé ma vie sur le pont des navires : c’est une formation idéale pour un peintre. » confiera-t-il quelques années plus tard.
Octobre 1899, Raoul Dufy quitte le Havre pour Paris
Après avoir obtenu une bourse de la ville du Havre où il a commencé son apprentissage du dessin en suivant les cours du soir de Charles Lhuillier à l’Ecole municipale des Beaux-Arts, Raoul Dufy décide, pour perfectionner sa formation, de quitter sa ville natale pour Paris. Il s’inscrit alors à l’Ecole nationale Supérieure des Beaux-Arts, est admis dans l’atelier de Léon Bonnat où il y retrouve son camarade Émile-Othon Friesz (Le Havre, 1879 – Paris, 1949) qui y travaille déjà depuis deux ans.
Dans la foulée de son arrivée, Dufy loge dans des ateliers successifs, passant très alternativement de la rive droite à la rive gauche : 9, rue Campagne- Première en 1899 puis à Montmartre au 12, rue Cortot avec Othon Friesz ; ensemble, ils vont occuper un atelier situé au premier étage de l’aile droite (actuel emplacement du musée).
Paris captive le jeune havrais qui, crayons et carnet de dessins en poche, passe beaucoup de temps à arpenter ses rues et ses différents quartiers. Pour se rendre à l’Ecole des Beaux-Arts, Raoul emprunte souvent la rue Laffitte où au 16, le marchand Durand-Ruel expose les impressionnistes, un peu plus loin au 37, il découvre Gauguin, Cézanne chez Ambroise Vollard. Il visite les musées, se rend régulièrement au Louvre, observe et se promène dans les jardins, croque les scènes de la vie quotidienne, dessine les monuments emblématiques, des vues de Paris depuis Montmartre ou d’autres points de vue… Peint à la manière impressionniste, il réalise des portraits et autoportraits ainsi que de nombreux paysages. Ce n’est donc pas un hasard si Didier Schulmann choisi l’expression flâneur en lévitation comme titre de son essai publié dans le catalogue de l’exposition.
Paris, au fil des rencontres…
« Mais de Paris ce n’est pas qu’une vision monumentale et urbaine qui le passionne. C’est tout ce milieu parisien unique qui permet à un peintre de rencontrer tous les acteurs de la scène artistique et littéraire »précise Sophie Krebs dans son essai Dufy et Paris La naissance du décoratif.
Assez rapidement, il fait la connaissance de la marchande de tableaux Berthe Weill qui sera la première à lui acheter en 1902 un pastel La rue de Norvins. Elle le convie par la suite à participer à ses expositions collectives dans sa galerie-brocante du 25 avenue Victor-Massé à Montmartre. Et c’est en 1903 que Raoul Dufy participe pour la première fois au Salon des Indépendants où il présente des plages normandes et des vues de Montmartre. Le peintre renouvellera son expérience en 1904 et montrera six peintures dont trois vues de Paris.
En 1905, la visite du Salon des IndĂ©pendants est un choc pour Dufy ! Il y dĂ©couvre l’oeuvre d’Henri Matisse « Luxe, calme et voluptĂ© ». SĂ©duit, il adopte alors radicalement le style fauve. Mais le fauvisme n’est qu’une Ă©tape vers la dĂ©couverte de son style personnel, il s’en dĂ©tachera en 1907… Comme tous les peintres de sa gĂ©nĂ©ration, il est marquĂ© par la grande rĂ©trospective que consacre le Salon d’Automne Ă Paul CĂ©zanne(1839-1906), disparu l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente en 1906. Dufy prend alors conscience de l’importance de la gĂ©omĂ©trie des formes. En 1908, un voyage Ă l’Estaque avec Braque fait Ă©voluer ses recherches picturales : il simplifie alors les formes, structure l’espace et adouci ses couleurs. Assez rapidement, il se dĂ©barrasse des contraintes cubistes pour se laisser aller au plaisir de la libertĂ© du trait, lui permettant ainsi de dĂ©velopper son sens de la courbe, de l’arabesque ainsi que la force de suggestion d’une forme Ă peine esquissĂ©e… Ces deux pĂ©riodes stylistiques ne produisent aucune oeuvre en lien avec les oeuvres parisiennes.
En 1909, Dufy fait la connaissance du célèbre couturier Paul Poiret (1879-1944) et lors d’un diner que ce dernier donne, rencontre Guillaume Apollinaire (1880-1918). A la demande du poète, Raoul Dufy grave trente bois destinés à illustrer le recueil « Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée ». Cette collaboration fructueuse incite Apollinaire à introduire Raoul Dufy dans les cercles littéraires parisiens. Quelques mois après, Paul Poiret, fasciné par les bois gravés de l’artiste, lui propose de transposer ces motifs sur textile. L’intérêt de Dufy pour les arts décoratifs commence à s’affirmer.
Au Salon des Indépendants de 1910, il présente cinq peintures dont trois « Jardins » inspirés de ses visites au Jardin des Plantes. Et c’est en 1911, qu’il s’installe avec sa jeune épouse Eugénie-Émilienne Brisson au 5, impasse Guelma, à Montmartre. Cette même année, il créé avec Paul Poiret, une entreprise d’impression de tissus au 141, boulevard de Clichy, dénommée La petite Usine. Mais c’est surtout à partir de 1912, en signant un contrat avec la firme de soieries lyonnaise Bianchini-Férier, que Raoul Dufy exprime pleinement son talent de créateur de tissus et de décorateur. Il y épanouira à la fois la stylisation ornementale de ses sujets : monuments, fleurs, animaux, personnages, et son penchant pour la couleur.
En août 1914, quelques mois après son retour d’un second voyage en Allemagne où il visite Berlin, Cologne, Düsseldorf et où il rencontre le marchand et publiciste d’art Herwarth Walden, la Première Guerre mondiale est déclarée. Pour avoir déclaré un rhumatisme articulaire aigu, il ne pourra pas être envoyé au Front. Son engagement patriotique se traduit alors à travers la diffusion de gravures de propagande issues de sa propre entreprise, Iconographie Raoul Dufy, créée en 1915. La qualité et la variété des séries qu’il fait sortir des presses d’Épinal lui valent, en janvier 1917, d’être mis à la disposition du musée de la Guerre. En février 1918, Dufy devient le conservateur adjoint, chargé de la bibliothèque. Il a la charge des documents bibliographiques et iconographiques, dont des photographies, comportant des vues aériennes qui, on le suppose, auront une influence sur son travail de peintre.
1919 : Dufy devient subitement Dufy
En 1919, sa peinture acquiert un dynamisme nouveau, il se concentre sur trois domaines : la fluiditĂ©, la couleur et le mouvement. L’originalitĂ© du vĂ©ritable « style Dufy » que l’artiste met en place et auquel il restera fidèle tient dans la dissociation de la forme et de la couleur. La forme, donnĂ©e par le dessin tracĂ© au crayon, Ă l’encre de Chine, au pinceau fin, voire grattĂ©e directement dans un Ă -plat de couleur, structure la scène et lui apporte la vie. La couleur, Ă©talĂ©e tantĂ´t en larges Ă -plats, tantĂ´t en zĂ©brures nerveuses et rapides, dĂ©bordant largement pour crĂ©er une ambiance faite de tons purs et rayonnants. Cette mĂŞme annĂ©e, il signe un premier contrat avec les galeristes Bernheim-Jeune et Vildrac, il y exposera jusqu’en 1932.
Poursuivant inlassablement ses recherches sur la lumière et la couleur, Raoul Dufy effectue, en 1922, un long voyage en Italie où il fait la connaissance du critique Pierre Courthion qui lui consacrera une monographie en 1929. Il rencontre, quelques temps après, le céramiste catalan Josep Llorens i Artigas(1892-1980), qui lui permet d’ouvrir un nouveau champ artistique. Il s’imposera quelque temps plus tard comme un exceptionnel décorateur de céramique.
1923 : Paris et ses monuments inspirent Dufy
Raoul Dufy est sollicité en 1923 pour réaliser une série de cartons de tapisseries sur le thème de Paris et de ses monuments. Ils serviront à des garnitures de sièges, à un paravent et seront exécutés par la manufacture nationale de Beauvais. En 1925, il peint Paris à vol d’oiseau pour une tenture pour Poiret dont il reprend et adapte le concept pour le paravent commandé par l’Etat et réalisé en 1933.
Cette composition inventée par un Dufy en lévitation au-dessus du paysage urbain parisien renoue avec un genre passé de mode : les panoramas. Christian Zervos évoquera cette conception originale dans Sélection. Chronique de la vie artistique « Le voici s’amusant à prendre Paris comme sujet de son oeuvre. Paris est représenté à vol d’oiseau ; des maisons serrées les unes contre les autres comme dans les anciennes représentations des villes qui ornent les relations de voyage. Par endroits se détachent les monuments de la capitale. Pour en donner l’aspect principal, Dufy les a tournés tous vers le spectateur. L’effet en est des plus heureux ».
L’année suivante, en 1926, il réédite en hommage à son ami Guillaume Apollinaire décédé en 1918 Le poète assassiné. Ce sont des monuments emblématiques parisiens comme La Basilique du Sacré Coeur, le Panthéon… qu’il choisit comme décor des 36 lithographies.
En 1934, Marie Cuttoli, célèbre mécène de la tapisserie moderne, qui souhaitait par une collaboration avec des artistes contemporains renouveler la tapisserie d’Aubusson, propose à Raoul Dufy de créer de nouveaux cartons de tapisseries sur le thème de Paris. Les deux tapisseries réalisées respectivement en 1934 et 1937 par les lissiers de l’atelier André Delarbre sont présentes dans l’exposition et pour la première fois réunies !
En 1936, son talent d’artiste décorateur étant largement reconnu, plusieurs commandes de décors lui sont faites. Il exécute La Seine, de Paris à la mer pour parer le mur de l’hémicycle du bar-fumoir du théâtre du Palais de Chaillot. Et c’est en 1937, qu’il réalise pour le pavillon de l’Electricité à l’Exposition internationale des arts et des techniques La Fée Electricité. Cette même année, il est invité à être membre du jury du prix Carnegie, et se rend pour la première fois aux États-Unis, à Pittsburg en Pennsylvanie.
A partir de 1938, la couleur et la lumière occupent une place prĂ©pondĂ©rante dans son oeuvre, sublimant les scènes de cargos, d’ateliers et d’hommages aux musiciens qui caractĂ©risent Ă cette Ă©poque sa production. Comme le dit si bien le cĂ©lèbre critique d’art et fondateur du MusĂ©e national d’Art moderne de Paris Jean Cassou(1897-1986), « Coloriste unique, l’un des plus merveilleux de tous les temps, il sait de ses Ă©tonnants bleus, verts, jaunes et violets, emplir une toile, la saturer, en faire une explosion d’intensitĂ©.«Â
De la lumineuse et juvénile Vue de Paris depuis Montmartre de 1902 (p. suivante) à la crépusculaire pochade de 1952 pour la brochure touristique de Thérèse Bonney (p16), c’est bien un Paris vu d’en haut, et ses monuments vus de face, qui traversent toute l’oeuvre de Dufy, sur quelque support qu’il les inscrive.
Pour accompagner l’exposition, un catalogue coédité par le Musée de Montmartre et les Editions In Finé est publié.