🔊 “Antoine Renard” Amnesia, à la Galerie Nathalie Obadia – Bourg-Tibourg, Paris, du 3 février au 10 avril 2021
“Antoine Renard” Amnesia
à la Galerie Nathalie Obadia – Bourg-Tibourg, Paris
du 3 février au 10 avril 2021
PODCAST – Interview de Antoine Renard,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 5 février 2021, durée 19’10, © FranceFineArt.
© Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, visite de l’exposition avec Antoine Renard, le 5 fĂ©vrier 2021.
Extrait du communiqué de presse :
La Galerie Nathalie Obadia présente pour la première fois l’oeuvre de l’artiste Antoine Renard, que l’on a pu découvrir lors de l’exposition Futur, Ancien, Fugitif. Une scène française au Palais de Tokyo (2019). Diplômé de l’ENSA de Dijon, lauréat du Prix Occitanie de la Villa Médicis, d’une bourse de soutien du CNAP, du programme doctoral SACRe 2020 de l’université PSL et des Beaux Arts de Paris, l’artiste se consacre en parallèle de sa pratique à une thèse sur l’olfaction comme champ étendu de la sculpture. Il bénéficiera par ailleurs, en 2021, d’une exposition personnelle au CRAC de Sète.
Essentiellement sculpturale, l’oeuvre d’Antoine Renard se situe là où « culture, science et politique peuvent se chevaucher et générer un dialogue ». A travers des environnements narratifs nourris de nombreuses recherches, Antoine Renard soulève des problématiques techno-politiques actuelles, conséquences d’un monde néolibéral dont il évoque, notamment, les manifestations et dérives dans la sphère du digital.
L’exposition AMNESIA réunit un ensemble de 27 sculptures olfactives, dans le prolongement de celles proposées en 2019 au Palais de Tokyo. Réalisées en céramique avec une imprimante 3D et directement inspirées de la petite danseuse de Degas, oeuvre iconique et sulfureuse de l’art moderne, elles posent la question du corps objet comme condition proprement contemporaine.
Antoine Renard s’intéresse à la mémoire, à la fois corporelle, historique et olfactive. Opérant couche par couche à partir d’une modélisation numérique, l’impression 3D fonctionne elle-même comme un processus mémoriel qui, à la manière d’une longue sédimentation, donne corps à une projection virtuelle. Différentes temporalités semblent se côtoyer dans ces oeuvres : là où l’impression 3D signe une esthétique contemporaine quelque peu surréelle, certaines aspérités et imperfections créent l’illusion d’une matière érodée, antique, et semblent incarner les stigmates d’une vie passée. La céramique ainsi stratifiée figure ce long processus historique qui a permis de lever le voile sur l’existence occultée de la jeune Marie Van Goethem, modèle de Degas, petit rat de l’Opéra aux conditions de vie misérables, soumise à la concupiscence des abonnés et au jugement intraitable de ses contemporains.
La dimension olfactive des oeuvres s’inscrit pleinement dans ce travail autour de la mémoire, et la manière dont elle façonne les corps. Antoine Renard, qui a étudié lors de sa résidence à la Villa Médicis les pratiques ritualisées du parfum à Rome et suivi des guérisseurs parfumeros au Pérou, confectionne lui même chaque senteur à partir de plantes qu’il fait macérer ou de molécules de synthèse. La propension du parfum à susciter des souvenirs approfondit ce rapport à la vérité du modèle, à qui l’artiste redonne ainsi une présence, une identité. Ce travail sur les odeurs témoigne aussi du parti pris de la nuance et rend hommage à l’infinie complexité d’une personne, réduite, de son temps, à la caricature et au silence.
Avec les outils propres à son époque, Antoine Renard transpose l’histoire et l’attitude de cette jeune danseuse dans notre société, marquée par l’emprise du marché, des lobbies consuméristes et par la toute puissance des algorithmes. Mais il révèle surtout la pertinence de cette posture à la fois captive, rebelle et désireuse à l’heure où l’attention est devenue valeur monnayable, où tout individu est un potentiel consommateur. Vaste plateforme immatérielle qui concentre et décuple ces enjeux, le digital occupe une place cruciale dans l’oeuvre de l’artiste. D’un point de vue formel, l’impression 3D, couplée aux recompositions qu’opère l’artiste, offre un rendu légèrement virtuel, qui n’est pas sans rappeler la silhouette vacillante d’un hologramme. Antoine Renard évoque ainsi la question du corps face au numérique, et plus largement de l’individu dans un système qui cherche constamment à capter l’attention, au prix d’une certaine déperdition de l’être. Visage en l’air, les yeux clos, cette jeune femme incarne un état de vulnérabilité, de réceptivité et de mise en scène de soi caractéristiques de cette forme d’aliénation contemporaine. Si l’industrie du parfum s’associe toujours à un concept phare, une image marketée, ici les multiples fragrances ramènent au contraire à une aura insaisissable et insufflent une plus grande densité dans le rapport à l’autre.
La scénographie conçue par l’artiste souligne par ailleurs l’attitude ambivalente du modèle, qui a contribué à sa postérité légendaire. Comme une armée de clones répartis selon un quadrillage précis et individualisés sur un socle, l’agencement des oeuvres accentue l’affront, met en scène une résistance, à la fois personnelle et massive. En prenant pour sujet cette sculpture dont l’original, en cire, a fait l’objet de nombreuses copies en bronze disséminées dans les musées du monde entier, Antoine Renard démultiplie à nouveau, prolonge et renforce son message. L’ambiguïté de cette oeuvre observe un dualisme aux échos très actuels, oscillant entre des valeurs associées traditionnellement au féminin et au masculin. Ses jeunes danseuses prennent ainsi corps en se détachant progressivement de leur base, tels des hauts-reliefs d’une époque lointaine en voie de prendre leur indépendance – l’évolution de la sculpture étant aussi, de concert, remise en perspective dans cette exposition.