âBoldiniâ Les plaisirs et les jours
au Petit Palais, Paris
du 29 mars au 24 juillet 2022

PODCAST –Â Interview de Servane Dargnies-de Vitry, conservatrice des peintures du XIXe siĂšcle au Petit Palaisi et co-commissaire de lâexposition,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 28 mars 2022, durĂ©e 20â13.
© FranceFineArt.

Extrait du communiqué de presse :


Commissariat :
Servane Dargnies-de Vitry, conservatrice des peintures du XIXe siĂšcle au Petit Palais
Barbara Guidi, directrice des musées de la ville de Bassano del Grappa
Le Petit Palais consacre une grande exposition Ă lâartiste italien Giovanni Boldini (1842-1931), dont la derniĂšre rĂ©trospective en France remonte Ă plus de soixante ans. Pourtant, le portraitiste virtuose fut lâune des plus grandes gloires du Paris au tournant des XIXe et XXe siĂšcles, en observateur attentif de la haute sociĂ©tĂ© quâil admirait et frĂ©quentait. Une scĂ©nographie Ă©vocatrice et immersive accompagne un parcours riche de 150 Ćuvres mĂȘlant peintures, dessins, gravures, costumes et accessoires de mode prĂȘtĂ©s par des musĂ©es internationaux comme le musĂ©e Giovanni Boldini Ă Ferrare, le Museo di Capodimonte Ă Naples, la National Portrait Gallery de Londres, le musĂ©e dâOrsay, le Palais Galliera, le MAD parmi tant dâautres, et de nombreuses collections particuliĂšres. Ă travers lâoeuvre de Boldini, lâexposition invite le public Ă revivre les plaisirs de la Belle Ăpoque et lâeffervescence dâune capitale Ă la pointe de la modernitĂ©.
NĂ© en Italie Ă Ferrare en 1842, Boldini passe la majeure partie de sa vie dans la Ville LumiĂšre. Il est vite introduit dans les milieux artistiques et devient proche de Degas. ProtĂ©gĂ© du marchand Adolphe Goupil, il se fait remarquer par le choix de ses sujets qui Ă©voquent la modernitĂ© et le bouillonnement de la vie parisienne. Boldini profite des loisirs quâoffre la capitale et sort tous les soirs au théùtre, au restaurant en emportant toujours avec lui ses crayons. Les lumiĂšres nocturnes créées par le nouvel Ă©clairage Ă©lectrique le fascinent ainsi que les mouvements incessants de cette ville qui ne sâarrĂȘte jamais. Les tableaux quâil tire de ses croquis comme ScĂšne de fĂȘte au Moulin Rouge tĂ©moignent de lâeffervescence qui sâempare alors de la ville. Lâartiste se lie Ă©galement dâamitiĂ© avec le caricaturiste Sem et le peintre Paul Helleu et tous les trois deviennent insĂ©parables.
Mais au-delĂ de ces scĂšnes de genre, ce sont ses portraits qui vont lui apporter le succĂšs. Boldini saisit dâune maniĂšre trĂšs moderne mais Ă contre-courant des avant-gardes tout ce que la capitale compte dâhĂ©ritiĂšres, de princesses, de dandys, dâartistes et dâĂ©crivains. Ses portraits qui vont fixer Ă jamais le tout-Paris de la Belle Ăpoque sont comme les Ă©quivalents picturaux des personnages dâĂ la Recherche du temps perdu de Proust, lâun de ses plus grands admirateurs. Avec ces tableaux, le peintre tĂ©moigne Ă©galement de son goĂ»t prononcĂ© pour la mode. Il brosse Ă grands traits les plus belles tenues des couturiers Worth, Paul Poiret, Jacques Doucet et bien dâautres et dĂ©veloppe, au fil de ces commandes, un style unique qui sera sa signature : une touche rapide, une attention Ă la pose du modĂšle, une mise en valeur de la ligne serpentine des corps. Ă travers les oeuvres prĂ©sentĂ©es, lâexposition livre un tĂ©moignage captivant et Ă©mouvant de ce Paris perdu.
Parcours de lâexposition :
Prologue
Reconnu comme lâun des grands portraitistes de son temps, Giovanni Boldini capture la vitalitĂ© et lâeffervescence de toute une Ă©poque, avec une extraordinaire virtuositĂ© technique. Quâil reprĂ©sente la Toscane des annĂ©es 1860, le Paris de la TroisiĂšme RĂ©publique ou le milieu mondain et frivole de la Belle Ăpoque, il est le peintre dâune pĂ©riode foisonnante. Ă lâinstar de Marcel Proust en littĂ©rature, il se mĂȘle Ă la sociĂ©tĂ© quâil peint et livre ainsi un ample tĂ©moignage sur ses personnages, ses goĂ»ts, ses moeurs et ses plaisirs. Mais Boldini fut victime de son succĂšs. Trop exubĂ©rant pour les uns, trop mondain pour lâavant-garde, trop facile ou trop chic pour les autres : on lui a reprochĂ© de rĂ©pĂ©ter la mĂȘme formule et dâen tirer des avantages personnels et Ă©conomiques, loin de lâimage dâĂpinal de lâartiste bohĂšme. En rĂ©alitĂ©, Boldini ne se conforme Ă aucune rĂšgle. Innovateur infatigable, il a su se montrer sensible aux maĂźtres du passĂ© tout en restituant la frĂ©nĂ©sie de la modernitĂ©, grĂące Ă son coup de pinceau virevoltant. Par ce choix dâun art individuel et indĂ©pendant, il a conservĂ© tout au long de sa carriĂšre une originalitĂ© absolue. GrĂące Ă lâengagement exceptionnel du Museo Boldini de Ferrare, le Petit Palais prĂ©sente lâartiste italien sous toutes ses facettes, de ses dĂ©buts Ă Florence Ă sa longue carriĂšre parisienne, de ses tableaux de genre Ă ses portraits mondains, en passant par toute une production plus intime, jalousement gardĂ©e dans son atelier de son vivant. Lâexposition rend hommage au peintre des Ă©lĂ©gances, mais invite aussi Ă dĂ©couvrir un artiste plus secret.
Section 1 â Boldini avant Boldini (1864-1871)
En 1864, Boldini sâinstalle Ă Florence, qui est alors le centre de la vie culturelle et artistique en Italie. Deux peintres, Michele Gordigiani et Cristiano Banti, le prennent rapidement sous leur aile, lâintroduisant dans les cercles artistiques et auprĂšs dâune sociĂ©tĂ© mondaine qui lui procure des commandes. Pendant un temps, Boldini frĂ©quente aussi les Macchiaioli, groupe dâinitiateurs de la peinture moderne italienne. Il rĂ©alise plusieurs portraits des membres de ce groupe. Sa maniĂšre innovante de traiter les arriĂšre-plans, en reprĂ©sentant les murs de son atelier plutĂŽt que de faire ressortir ses figures sur des fonds neutres, frappe ses contemporains. Boldini commence Ă ĂȘtre remarquĂ© par la critique. Une richissime anglaise, Isabella Robinson Falconer, convaincue de son talent exceptionnel, le prĂ©sente aux grandes familles italiennes et Ă©trangĂšres qui vivent Ă Florence ou qui rĂ©sident lâhiver sur la CĂŽte dâAzur. Cette familiaritĂ© avec la bourgeoisie et lâaristocratie lui vaut un succĂšs toujours grandissant et davantage de commandes. La prĂ©dilection de Boldini pour les portraits en intĂ©rieur lâĂ©loigne des Macchiaioli, qui prĂ©fĂšrent la peinture de paysage et les scĂšnes dâextĂ©rieur. Ă lâinverse de ses compatriotes Giuseppe De Nittis et Federico Zandomeneghi qui tenteront, Ă Paris, de se rapprocher des peintres impressionnistes, Boldini choisira une voie tout autre.
Section 2 â Les dĂ©buts parisiens de Boldini (1871-1880)
Le 23 octobre 1871, Boldini arrive Ă Paris pour un bref sĂ©jour. La capitale française vient tout juste de retrouver lâapaisement aprĂšs la guerre francoprussienne et la Commune. Alors quâil a prĂ©vu de retourner Ă Londres oĂč il sâest installĂ© depuis le mois de mai, le peintre se laisse happer par la promesse dâune vie parisienne palpitante et dâune grande carriĂšre artistique. Ainsi commence lâaventure française de Boldini, qui durera prĂšs de soixante ans. Par stratĂ©gie commerciale, il se rapproche notamment du marchand Adolphe Goupil et met de cĂŽtĂ© sa vocation de portraitiste pour se consacrer « Ă lâart Ă la mode », Ă la maniĂšre dâErnest Meissonier et de Mariano Fortuny. Ce style se caractĂ©rise par des peintures de genre de petites dimensions, avec des personnages en costume du XVIIIe siĂšcle, aptes Ă sĂ©duire la nouvelle bourgeoisie entrepreneuriale. La jeune compagne et muse de Boldini, Berthe, avec son visage doux et son innocence mĂȘlĂ©e de sensualitĂ©, devient la protagoniste de dizaines de scĂšnes. Dans ses paysages, Boldini se montre particuliĂšrement attirĂ© par les lieux que frĂ©quente la haute sociĂ©tĂ©, tels quâĂtretat, qui allait bientĂŽt devenir une ville balnĂ©aire Ă la mode. Si lâexĂ©cution en plein air lui permet de capturer des impressions visuelles fugitives, il retravaille nĂ©anmoins longuement ses peintures en atelier pour parvenir Ă la composition idĂ©ale. Le succĂšs ne se fait pas attendre : Boldini est trĂšs vite reconnu en tant que paysagiste et peintre de genre, en France comme Ă lâĂ©tranger. Ses tableaux nourrissent, dans lâimaginaire collectif, lâimage dâune sociĂ©tĂ© française pacifiĂ©e, heureuse et harmonieuse, loin des souvenirs de la Commune.
Section 3 â Le rythme de la ville
Vers la fin du XIXe siĂšcle, Paris devient lâimage mĂȘme de la mĂ©tropole moderne avec ses grands axes de circulation, sa compagnie gĂ©nĂ©rale dâomnibus et lâĂ©clairage Ă©lectrique qui lui vaut le surnom de « Ville LumiĂšre ». Boldini, en pleine synergie avec le monde qui lâentoure, sâinspire de la ville et de ses plaisirs qui fascinent tant les Ă©trangers. CafĂ©s, théùtres, places fourmillantes et rues traversĂ©es par des voitures Ă cheval deviennent les sujets de prĂ©dilection du peintre, formant une chronique parisienne pleine dâoriginalitĂ©. Pour restituer la vitesse et le rythme de la ville, le peintre met en oeuvre de savantes compositions marquĂ©es par des points de vue inhabituels, des cadrages audacieux et des points de fuite multiples qui anticipent le regard cinĂ©matographique. Admirateur de Meissonier, de Degas et des expĂ©riences dâEdward Muybridge sur la chronophotographie, il se consacre Ă lâĂ©tude de la reprĂ©sentation des chevaux, qui, alors, « [lâ] intĂ©ressent plus que les femmes », comme il lâĂ©crit Ă son ami Banti. Boldini est aussi un mĂ©lomane averti. Comme ses contemporains, il se passionne pour la vie parisienne nocturne et mondaine, dont il restitue plusieurs facettes. Au fil de ses tableaux, on assiste aux soirĂ©es improvisĂ©es autour du piano de son atelier avec ses amis musiciens ou dilettantes, on rencontre des danseuses de lâopĂ©ra, des compositeurs et des chefs dâorchestre, et on sâencanaille dans les cafĂ©s-concerts. La ScĂšne de fĂȘte au Moulin Rouge dĂ©peint un lieu Ă peine inaugurĂ© et dĂ©jĂ mythique grĂące au cancan, symbole Ă lui tout seul de la Belle Ăpoque.
Section 4 â Portraits intimes et officiels (1880-1890)
Ă partir des annĂ©es 1880, les tableaux dits « Ă la Goupil », du nom du marchand Ă la mode, sont en perte de vitesse. Boldini, qui nâa rien de lâartiste bohĂšme, est sensible aux fluctuations du marchĂ©, si bien quâil fait progressivement disparaĂźtre les tableaux de genre de son catalogue. Il revient Ă sa vocation la plus personnelle : le portrait. GrĂące Ă lâaide de la comtesse Gabrielle de Rasty, qui lâintroduit dans les cercles de la haute sociĂ©tĂ© parisienne, le nombre de ses commandes augmente rapidement. Il conçoit pour la comtesse, qui devient sa muse, son amante et sa protectrice, une vive passion. Boldini sâintĂ©resse de plus en plus Ă lâart ancien, qui lĂ©gitime son aspiration Ă la « grande » peinture. Il admire son confrĂšre amĂ©ricain John Singer Sargent dont les portraits conjuguent lâinfluence du Greco, de Van Dyck et de VelĂĄzquez. Les oeuvres du peintre Frans Hals, dĂ©couvertes lors dâun voyage en Hollande, le convainquent dâoser lâusage des noirs sur des fonds sombres, avec des blancs trĂšs forts. Boldini devient un vĂ©ritable « coloriste du noir ». Ă la fin des annĂ©es 1880, son Ă©volution stylistique est achevĂ©e. Il obtient un grand succĂšs lors de lâExposition universelle de 1889, oĂč il prĂ©sente douze tableaux, dont le portrait dâEmiliana Concha de Ossa dit Le Pastel blanc. Il est dĂ©sormais officiellement reconnu en tant que grand portraitiste, au mĂȘme titre que Sargent, Whistler ou Zorn.Toutefois, Boldini conserve une forme dâoriginalitĂ© absolue, par le choix dâun art individuel, personnel et indĂ©pendant.
Section 5 â Le laboratoire de lâartiste
Ă Paris, Boldini a successivement habitĂ© trois ateliers. Le premier au 12, avenue Frochot, Ă proximitĂ© de la place Pigalle, le second sur cette mĂȘme place, et le dernier au 41, boulevard Berthier, dans le quartier de la Plaine Monceau. Lâatelier du peintre est dâabord un lieu de vie, de crĂ©ation et de sociabilitĂ©, peuplĂ© du bric-Ă brac de lâartiste, de ses oeuvres en cours dâachĂšvement, des meubles et des objets dont il aime sâentourer. Lâatelier est aussi le lieu oĂč se cristallise la maniĂšre unique des portraits « Ă la Boldini » : le peintre demande presque toujours Ă ses modĂšles de poser dans son atelier, oĂč il rĂ©pĂšte inlassablement les mĂȘmes mises en scĂšne. Les figures, isolĂ©es dans un espace fermĂ©, avec leurs postures en dĂ©sĂ©quilibre et leur allongement parfois artificiel, rappellent la ligne « serpentine » des peintres maniĂ©ristes du XVIe siĂšcle, ou encore certaines exagĂ©rations des portraits dâIngres. DerriĂšre elles, quelques touches rapides suffisent pour suggĂ©rer lâespace de lâatelier, qui est gĂ©nĂ©ralement Ă©voquĂ© par un simple dĂ©tail â un divan, une bergĂšre, une chaise, une boiserie ou un encadrement de porte. Dans son laboratoire, le peintre, tel un alchimiste, met au point son langage exubĂ©rant, sa touche toujours plus impĂ©tueuse qui sâallĂšge et se dĂ©ploie sur la surface de la toile, comme un feu dâartifice. Sâil se tient Ă©loignĂ© des avant-gardes du dĂ©but du XXIe siĂšcle, Boldini est sensible Ă la modernitĂ© qui lâenvironne, en particulier aux effets de la vitesse et de lâillumination Ă©lectrique. Certaines de ses oeuvres parmi les plus expĂ©rimentales cherchent Ă traduire le dĂ©ploiement de lâaction dans le temps.
Section 6 â Une cour artistique et littĂ©raire (1890-1900)
AprĂšs lâExposition universelle de 1889, Boldini cultive son succĂšs en choisissant de peindre les personnages de premier plan de son Ă©poque. Sous son pinceau naĂźt ainsi une extraordinaire galerie de portraits, qui permet dâadmirer les protagonistes de la haute sociĂ©tĂ© parisienne, cosmopolite, frivole et dĂ©cadente, celle-lĂ mĂȘme que dĂ©crit Marcel Proust dans Les Plaisirs et les Jours en 1896 et, plus tard, dans Ă la recherche du temps perdu. Cette sociĂ©tĂ© se presse dans les soirĂ©es parisiennes ou Ă Versailles, lors de fĂȘtes inspirĂ©es du rĂšgne de Louis XIV. Sây croisent des Ă©crivains et des dandys comme le comte Robert de Montesquiou et le marquis Boni de Castellane, mais aussi de riches hĂ©ritiĂšres et des aristocrates comme la comtesse Greffulhe, cĂ©lĂšbre modĂšle de Proust pour son personnage de la duchesse de Guermantes. On y rencontre Ă©galement des artistes, le compositeur Reynaldo Hahn, la danseuse ClĂ©o de MĂ©rode ou encore Madeleine Lemaire, illustratrice et salonniĂšre. GrĂące Ă ses qualitĂ©s mondaines, Boldini se mĂȘle Ă cette sociĂ©tĂ© fin de siĂšcle, qui porte aux nues le culte de lâindividu. Selon lâesthĂ©tique de Proust, « câest en descendant en profondeur dans une individualitĂ© » que lâon peut comprendre lâĂąme humaine. Ă lâinstar de lâĂ©crivain, câest lâindividu singulier, dont il cherche Ă saisir lâessence, qui intĂ©resse Boldini dans ses portraits. Ainsi, si la plupart des noms de ses modĂšles sont oubliĂ©s aujourdâhui, ils Ă©voquent ce « temps perdu » cher Ă Proust, ces « plaisirs » et ces « jours » dâune Ă©poque si singuliĂšre.
Section 7 – Helleu, Sem et Boldini
AprĂšs une formation dâillustrateur entre PĂ©rigueux, Bordeaux et Marseille, Georges Goursat, dit Sem, arrive Ă Paris en 1900. Il conquiert rapidement le public parisien avec la publication de lâalbum Le Turf, portrait du monde des courses, et ses dessins corrosifs dans Le Rire et La Revue Blanche. Avec ses silhouettes du Tout-Paris, lâobjectif de Sem nâest pas tant de faire rire que de crĂ©er des types. La ressemblance de ses figures ne vient pas dâune somme de dĂ©tails mais plutĂŽt de sa comprĂ©hension de la rĂ©alitĂ© plus profonde des individus, quâil exprime dâun trait Ă©lĂ©gant. TrĂšs vite, Sem devient proche de Boldini et du peintre Paul-CĂ©sar Helleu, qui inspirera Ă Proust le personnage dâElstir. Ces deux portraitistes mondains, qui sâĂ©taient rencontrĂ©s en 1894,Ă©taient dĂ©jĂ liĂ©s par une profonde amitiĂ©. Sem ne les quittera plus. De nombreuses photographies de lâĂ©poque montrent les trois hommes en observateurs irrĂ©vĂ©rencieux de la vie mondaine parisienne : dans les rues de Paris, au cafĂ© ou encore aux courses Ă Longchamp. Dans son style immĂ©diatement reconnaissable avec ses figures bidimensionnelles et sans ombre, Sem exĂ©cute de nombreuses caricatures de ses deux amis. Boldini y apparaĂźt, petit et disgracieux, aux cĂŽtĂ©s de Helleu ou de figures filiformes et Ă©lĂ©gantes qui semblent tout droit sorties de leurs toiles. De mĂȘme, le peintre ferrarais fixera plusieurs fois, et de façon magistrale, lâimage de ses deux acolytes et de leurs proches.
Section 8 – « Jâai peint tous les genres »
Ă partir de 1890, Boldini dĂ©cide de ne plus montrer au public que ses portraits mondains. Le reste de sa production demeure cachĂ© dans son atelier. LĂ , lâattention du peintre se concentre sur les intĂ©rieurs, quâil aime particuliĂšrement et qui apparaissent comme des lieux propices Ă lâintrospection et au rĂȘve. Dans ces oeuvres, souvent de petit format, la couleur se rĂ©vĂšle un instrument essentiel pour faire surgir lâĂ©motion. Dans les annĂ©es qui prĂ©cĂšdent la PremiĂšre Guerre mondiale, le style de Boldini gagne en Ă©nergie. Sa palette sâillumine, sa touche vĂ©hĂ©mente se fait toujours plus fougueuse, et, dans les oeuvres quâil garde pour lui-mĂȘme, presque agressive. Tout lâinspire et se prĂȘte Ă lâexpĂ©rimentation picturale : visages de femmes, bouquets de fleurs, natures mortes, nus et paysages virevoltent dans une Ă©trange fantaisie de lignes et de couleurs. Certains tableaux, presque abstraits, prennent pour sujet des fragments de rĂ©alitĂ© qui ne semblent plus que des prĂ©textes pour des morceaux de peinture pure. Mais cette Ă©tonnante frĂ©nĂ©sie de vie et de mouvement sâaccompagne dâun frĂ©missement mĂ©lancolique, trĂšs sensible dans les paysages crĂ©pusculaires de Venise, marquĂ©s par la dĂ©cadence et le passage irrĂ©versible du temps. Toute cette production intime concentre ainsi parfaitement lâambiguĂŻtĂ© de Boldini, si manifeste dĂ©jĂ dans ses grands portraits mondains, entre agitation et mĂ©lancolie.
Section 9 â Le temps de lâĂ©lĂ©gance et de la modernitĂ©
Ă la fin du XIXe siĂšcle, Paris devient la rĂ©fĂ©rence mondiale de lâĂ©lĂ©gance et de la mode Boldini est consacrĂ© « peintre de la femme » par le premier numĂ©ro de la revue Les Modes en janvier 1901. Il choisit directement dans la garde-robe de ses modĂšles les crĂ©ations prestigieuses quâelles portent dans ses portraits : des robes signĂ©es Worth, LaferriĂšre, Poiret, Doucet ou encore Callot. Sous le pinceau de Boldini, on retrouve aussi bien le grand monde des princesses et des comtesses que le demi-monde des comĂ©diennes et des danseuses. La mode nâest plus lâapanage des aristocrates. Loin dâĂȘtre simplement un peintre Ă la mode, Boldini est avant-gardiste ; câest lui qui dicte la mode. Les figures les plus cĂ©lĂšbres de la Belle Ăpoque dĂ©filent dans son atelier : Lina Cavalieri, Luisa Casati, Marthe RĂ©gnier, GeneviĂšve Lantelme, et bien dâautres encore. Avec leurs grands yeux frivoles, leurs corps aux lignes serpentines, leurs coiffures relevĂ©es et leurs visages maquillĂ©s, les femmes cĂ©lĂ©brĂ©es par Boldini deviennent un archĂ©type, si bien que certaines se mettent Ă sâhabiller « Ă la Boldini » ou Ă se soumettre Ă des cures amaigrissantes pour ressembler Ă cet idĂ©al. Cependant, loin de la complaisance quâon lui prĂȘte parfois, la cĂ©lĂ©bration boldinienne de la femme ne va pas sans cruautĂ©. Le peintre savoure son rĂŽle de dĂ©miurge en imposant son propre regard, parfois fĂ©roce, sur ses crĂ©atures. Des critiques comme ArsĂšne Alexandre et Camille Mauclair ont vu en lui lâun des rares artistes Ă avoir exprimĂ© la vanitĂ©, la coquetterie dâĂąme, la nĂ©vrose de ces temps dĂ©cadents, « tout ce qui nâest pas la vie essentielle ». Câest prĂ©cisĂ©ment en cela que Boldini a Ă©tĂ© le vrai peintre de son Ă©poque.