🔊 “Paris 1910-1937” Promenades dans les collections Albert-Kahn, Ă la CitĂ© de l’architecture & du patrimoine, Paris, du 16 septembre 2020, prolongĂ©e jusqu’au 5 juillet 2021
“Paris 1910-1937” Promenades dans les collections Albert-Kahn
à la Cité de l’architecture & du patrimoine, Paris
du 16 septembre 2020 au 11 janvier 2021 (prolongĂ©e jusqu’au 5 juillet 2021)
CitĂ© de l’architechture & du patrimoine
PODCAST – Interview de Magali MĂ©landri, directrice dĂ©lĂ©guĂ©e Ă la conservation au MusĂ©e dĂ©partemental Albert-Kahn, de David-Sean Thomas, chargĂ© d’exposition au MusĂ©e dĂ©partemental Albert-Kahn, et de Jean-Marc Hofman, adjoint au conservateur de la galerie des moulages au CitĂ© de l’architecture & du patrimoine, commissaires de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 15 septembre 2020, durée 18’02, © FranceFineArt.
© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 15 septembre 2020.
Extrait du communiqué de presse :
Commissariat :
Département des Hauts-de-Seine, Musée départemental Albert-Kahn
Magali Mélandri, directrice déléguée à la conservation
David-Sean Thomas, chargé d’exposition
Cité de l’architecture & du patrimoine
Jean-Marc Hofman, adjoint au conservateur de la galerie des moulages
Banquier mécène et humaniste, Albert Kahn (1860-1940) a consacré sa vie et sa fortune à oeuvrer en faveur de la paix entre les peuples. À l’origine de nombreuses fondations philanthropiques, témoin et acteur majeur de son temps, il entreprend à partir de 1909 un vaste projet documentaire et visuel : les Archives de la Planète.
Équipés des dernières inventions des frères Lumière, l’autochrome – premier procédé industriel de photographie en couleurs – et le cinématographe, une douzaine d’opérateurs sillonnent le monde. Ils ont pour mission « d’établir un dossier de l’humanité prise en pleine vie », à « l’heure critique » de changements aussi profonds qu’inéluctables, pour reprendre les mots mêmes du géographe Jean Brunhes (1869-1930), directeur scientifique du projet.
Durant près de trois décennies, les photographes et cinéastes d’Albert Kahn arpentent aussi les rues de Paris, léguant près de 5 000 autochromes et 90 000 mètres de films. Ce fonds est l’un des plus importants sur la capitale pour le début du XXe siècle. Resté relativement confidentiel, sa présentation aujourd’hui n’en est que plus exceptionnelle.
Cette exposition souligne les liens étroits de la collection avec les grandes questions urbaines qui ont accompagné la transformation de Paris entre 1910 et 1937. Entre Persistances et Mutations, ces images révèlent la double aspiration d’Albert Kahn et Jean Brunhes : promouvoir à la fois la grandeur d’une capitale intemporelle en cours de patrimonialisation – estimant son passé – et sa métamorphose en une métropole moderne, avide de progrès, irrémédiablement tournée vers l’avenir.
Précédant la réouverture du Musée départemental Albert-Kahn en 2021, l’exposition invite à découvrir la richesse de ces images, la multiplicité de regards qu’elles inspirent et le fructueux dialogue qu’elles nouent entre passé et présent. Au prisme de l’autochrome, Paris se livre avec une indéniable étrangeté, comme si la ville avait été privée de sa population, écho vertigineux du confinement vécu le printemps dernier. Avec les films, dans lesquels bât le pouls de la capitale, ces images esquissent, pour le promeneur d’aujourd’hui, un fascinant et troublant portrait de Paris.
Paris sous l’œil d’Albert Kahn
Extrait de l’introduction du catalogue de l’exposition, par Jean-Marc Hofman, Magali MĂ©landri et David-Sean Thomas – coĂ©dition LiĂ©nart/CitĂ© de l’architecture & du patrimoine/MusĂ©e dĂ©partemental Albert-Kahn
Aventure visuelle et documentaire imaginée par Albert Kahn (1860-1940), banquier, mécène et pacifiste, les Archives de la Planète invitent le spectateur d’hier et d’aujourd’hui sur les chemins du monde, à la découverte de sa diversité humaine, de ses beautés géographiques et artistiques.
Animé par la volonté de produire une oeuvre documentaire totale et universaliste, Albert Kahn mobilisa sa fortune en envoyant, entre 1909 et 1931, une douzaine d’opérateurs photographiques et cinématographiques à travers le monde. À partir de 1912, le géographe Jean Brunhes (1869-1930) prit la direction scientifique du projet. Les préconisations de prises de vue qu’il prodigua aux opérateurs lui permirent d’établir un échantillonnage de cultures propice aux réflexions comparatives, aux modélisations et aux enseignements universitaires. Spécialiste de géographie humaine, Jean Brunhes plaçait au coeur de sa démarche l’usage de l’image, de la méthodologie de terrain aux conférences qu’il dispensait à la Sorbonne et au Collège de France où il tenait chaire. Albert Kahn, quant à lui, réservait la diffusion des autochromes et des films aux invités triés sur le volet – l’élite politique, diplomatique, économique et intellectuelle – qu’il accueillait en son domaine de Boulogne-sur-Seine. Visite du merveilleux jardin à scènes paysagères et découverte fascinée des Archives de la Planète furent pour ces personnalités une expérience sensible unique, une autre façon de comprendre l’impérieuse nécessité du dialogue des cultures.
Malgré la banqueroute d’Albert Kahn suite au krach boursier de 1929, une production d’images se maintient jusqu’en 1937, à bien moindre échelle, grâce à Georges Chevalier, l’un des opérateurs les plus prolixes devenu responsable de la collection. Les photographies qu’il réalise lors l’Exposition internationale de 1937 comptent parmi les témoignages les plus marquants de cette nouvelle moisson d’images.
Les Archives de la Planète constituent une matière documentaire protéiforme, à la frontière de plusieurs lectures qui s’entremêlent pour leur donner tous leurs sens. Images de voyage synonymes d’imaginaires et de lointains, elles renseignent également la géographie humaine du monde en montrant les empreintes indélébiles de l’intervention des hommes sur leur milieu. L’anthropocène est déjà ici à l’oeuvre. Et fait oeuvre. L’enregistrement méticuleux des pratiques traditionnelles, des vêtements et costumes, des gestes et rituels nourrit également la vision ethnographique. La captation des grandes et petites actualités de tous horizons fait enfin de cette collection une galerie de l’histoire mondiale et mondialisée. Une somme de regards, disséminés au coeur d’un ensemble de 72 000 autochromes, 4 000 plaques stéréoscopiques et d’une centaine d’heures de films.
Le domaine de Boulogne et les collections sont sauvés de la dispersion, voire de la disparition, par le département de la Seine qui les acquiert en 1936. Le département des Hauts-de-Seine, créé en 1968, a poursuivi la conservation de ce trésor d’images, lui offrant un nouvel écrin architectural qui sera inauguré en 2021.
Célébrées pour ces visions du lointain, les Archives de la Planète constituent aussi une source de premier plan pour la connaissance de contrées plus proches comme Paris, témoignage d’un autre exotisme pour l’œil contemporain : la singulière perception de l’ici vu d’hier. Durant plus de deux décennies, les photographes et cinématographes missionnés par Albert Kahn, ses opérateurs, ont arpenté les rues de la capitale, léguant pour la postérité près de 5 000 autochromes, 90 000 mètres de films, 600 Filmcolor Lumière, 200 plaques stéréoscopiques noir et blanc. Citons leurs auteurs : Georges Chevalier, Fernand Cuville, Roger Dumas, Frédéric Gadmer, Léonard Jules Martial Lachalarde, Auguste Léon, Stéphane Passet et Camille Sauvageot.
Aucune autre destination n’a bénéficié d’une telle couverture, ce qui peut très aisément s’expliquer par la proximité géographique de Paris avec Boulogne-sur-Seine, d’où Albert Kahn et Jean Brunhes pilotent le programme. Paradoxalement, le fonds sur Paris, l’un des plus importants ensembles documentaires sur la métropole pendant le premier tiers du XXe siècle, n’a été que peu étudié. Il a de même été fort peu montré du vivant d’Albert Kahn et après, les images captées offrant peut-être, pour leurs contemporains, une distance trop insuffisante. Seule une plaque autochrome sur cinq représentant Paris a ainsi fait l’objet d’un développement complet en laboratoire, étape indispensable avant leur projection – autrement dit leur divulgation auprès du public. Si de nombreuses zones d’ombre subsistent quant à la raison d’être de certaines d’entre elles, ces images livrent un double visage de la ville : une capitale intemporelle, avec ses monuments emblématiques, d’une part ; en pleine transformation, engagée sur un chemin sans retour, celui de la modernité et du progrès, d’autre part.
En ce sens, la dualité persistances/mutations qui s’exprime dans les autochromes et les films sur Paris répond parfaitement à la philosophie d’ensemble qui a motivé le projet des Archives de la Planète : « établir comme un dossier de l’humanité prise en pleine vie, au commencement du XXe siècle, à l’heure critique de l’une des “mues” économiques, géographiques et historiques les plus complètes qu’on ait jamais pu constater », selon les mots mêmes de Jean Brunhes.
Au vu d’une telle richesse, une exposition sur le Paris d’Albert Kahn s’imposait. Les recherches documentaires conduites au sein du Musée départemental Albert- Kahn par Sophie Couëtoux et poursuivies par Élodie Kuhn en jetaient les fondations solides. La fructueuse collaboration scientifique avec la Cité de l’architecture & du patrimoine devait la concrétiser.
La centaine d’autochromes et la dizaine de films présentés sont le résultat d’un choix cornélien, le fruit d’une réflexion collective pour raconter une histoire continue et plurielle de la capitale sur plus de vingt cinq ans, entre 1910 et 1937. L’année 1910 est celle du premier reportage sur Paris des Archives de la Planète ; l’année 1937 est celle de l’Exposition internationale qui donna naissance, dans le paysage de l’Ouest parisien, au palais de Chaillot, où se déploie aujourd’hui la Cité de l’architecture & du patrimoine.
Scénographiés par l’atelier Maciej Fiszer, les autochromes et les films exposés en vis-à -vis de documents graphiques, maquettes et plans anciens provenant des fonds de la Cité de l’architecture & du patrimoine ainsi que d’autres institutions franciliennes, invitent à une déambulation onirique et poétique, au travers des thématiques majeures qui ont marqué l’histoire sociale, architecturale et urbaine de Paris au début du XXe siècle. Au fil du temps, les Archives de la Planète ont enregistré la métamorphose progressive du coeur historique de la Ville Lumière comme de ses contours. Les opérateurs ont capté la démolition de ses îlots insalubres, le dédale des rues du Vieux Paris, la naissance et l’essor de nouvelles mobilités, ou encore l’éclosion, sur sa couronne, des habitations à bon marché et de la Cité internationale universitaire.
Les images présentées composent un hymne à la couleur, cette couleur primordiale si particulière des autochromes, à la délicatesse diaphane. En 1909, avec la fondation des Archives de la Planète, Albert Kahn a fait figure de pionnier grâce à l’utilisation de ce procédé révolutionnaire inventé par les frères Lumière en 1903 et commercialisé quatre ans plus tard : non seulement il se plaçait à l’avant-garde des techniques photographiques les plus innovantes, mais il était encore le premier à employer celles-ci à si grande échelle. Sur ces premiers clichés en couleurs, Paris se dévoile avec une indéniable étrangeté. Paris monumental, Paris dans ses boulevards s’affirme nu, dans l’épure de ses seules lignes.
La vie y est pour la plupart absente, à l’exception de silhouettes fantomatiques ou de passants réquisitionnés pour la pose afin d’imprimer, le temps requis, leur physionomie sur les plaques photographiques. Les films offrent, à cet effet, un formidable contraste avec les clichés photographiques : eux seuls révèlent le pouls des rues de la ville où se croisent cochers, tramways, premiers autobus Schneider, tireurs de charrette à bras, simples piétons et petits vendeurs. Moins de deux décennies après la création du Cinématographe par les frères Lumière (1895) et la projection du premier film documentaire (1896), la caméra intrigue les badauds qui, fixant l’opérateur dans sa mission d’archiver Paris, gravent simultanément leur propre mémoire sur la pellicule. Aux perspectives urbaines se mêlent ainsi autant de trajectoires individuelles. L’intelligente complémentarité des deux supports est la matrice même de la collection unique que constituent les Archives de la Planète.