“Réseaux-Mondes“ Mutations / Créations 5
au Centre Pompidou, Paris
du 23 février au 25 avril 2022

PODCAST – Interview de Marie-Ange Brayer, Cheffe du service design et prospective industrielle, MusĂ©e national d’art moderne, Centre de crĂ©ation industrielle, et de Olivier Zeitoun, attachĂ© de conservation, service design et prospective industrielle, MusĂ©e national d’art moderne, Centre de crĂ©ation industrielle, et commissaires de l’exposition,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 22 fĂ©vrier 2022, durĂ©e 29’57.
© FranceFineArt.

Extrait du communiqué de presse :




Commissaires :
Marie-Ange Brayer, Cheffe du service design et prospective industrielle, Musée national d’art moderne, Centre de création industrielle
Olivier Zeitoun, attaché de conservation, service design et prospective industrielle, Musée national d’art moderne, Centre de création industrielle
Exposition collective, « Réseaux-Mondes » réunit une soixantaine d’artistes, architectes et designers qui interrogent la place du réseau dans nos sociétés innervées par les réseaux sociaux et la dématérialisation même du réseau. Plus que jamais, à l’ère d’Internet, le réseau est au coeur des mutations technologiques et des enjeux sociétaux : surveillance, atomisation de l’individu, acteur-réseau, réseau du vivant.
Tout est-il aujourd’hui devenu rĂ©seau ? De la naissance de la sociĂ©tĂ© de l’information, dans l’après-guerre, jusqu’à l’omniprĂ©sence du rĂ©seau planĂ©taire, avec l’Internet, le rĂ©seau tisse partout sa toile, dans l’espace et le temps. Au coeur des enjeux sociĂ©taux et des mutations artistiques, celui-ci ne cesse de se dĂ©multiplier. A l’heure de la crise environnementale, le premier rĂ©seau est aussi celui du vivant, oĂą l’humain se donne dans une coexistence avec les autres espèces. Une centaine d’oeuvres, des annĂ©es 1940 Ă aujourd’hui, sont ici exposĂ©es, dont plusieurs conçues spĂ©cialement pour l’exposition : certaines rĂ©activent des rĂ©seaux disparus, tel que le minitel, alors que d’autres sont connectĂ©es en temps rĂ©el au rĂ©seau Internet, aux rĂ©seaux de cryptomonnaies, ainsi qu’à des plateformes de rĂ©seaux sociaux, comme Twitter.
Cette exposition dĂ©bute avec les utopies architecturales de l’après-guerre. La notion de « rĂ©seau global » se retrouve alors dans les pratiques artistiques autour de la cybernĂ©tique, en mĂŞme temps que surgit la sociĂ©tĂ© de l’information. Dans les annĂ©es 1980, le rĂ©seau informatique est devenu le mĂ©dium artistique avec l’art tĂ©lĂ©matique puis le Net.art, dix ans plus tard : les pratiques artistiques se dĂ©veloppent en rĂ©seau, dans une dimension politique et ubiquitaire. Après l’utopie Ă©mancipatrice du rĂ©seau, les artistes questionnent de manière critique ses effets liĂ©s Ă une sociĂ©tĂ© de surveillance, Ă l’omniprĂ©sence des rĂ©seaux sociaux et Ă l’émergence des blockchains, dans une dimension invisible, voire occulte, du rĂ©seau. Un retour Ă l’étymologie mĂŞme du mot rĂ©seau, Ă savoir le filet et le noeud, sera explorĂ©, dĂ©clinant le rĂ´le des entrelacs et rĂ©ticulations dans l’art, le design, l’architecture. Enfin, le premier rĂ©seau est le vivant, caractĂ©risĂ© par l’auto-organisation. Face Ă la crise environnementale, l’histoire entremĂŞlĂ©e du vivant ouvre sur de nouvelles Ă©cologies artistiques, post-anthropocĂ©niques, qui intègrent des principes d’interdĂ©pendance et de continuitĂ© entre les formes du vivant.

Parcours de l’exposition
1. Réseau global
Dans les annĂ©es 1950 Ă©mergent les premières expressions artistiques d’un rĂ©seau global avec, entre autres, l’artiste Constant et l’architecte ingĂ©nieur Richard Buckminster Fuller. Selon l’expression de Marshall McLuhan, le monde est devenu un « village global », qui fonctionne en rĂ©seau, appuyĂ© par les nouvelles thĂ©ories de l’information. Les villes utopiques des annĂ©es 1960 sont conçues comme une infrastructure de rĂ©seaux, des mĂ©gastructures imaginĂ©es de manière modulaire dans une extension sans limite, Ă laquelle viennent se greffer des cellules d’habitation. Les artistes s’emparent du monde connectĂ© de la cybernĂ©tique, du traitement automatique de l’information et du rĂ©seau comme système d’organisation gĂ©nĂ©rale. En 1969, Allan Kaprow rĂ©alise Hello, une des premières oeuvres interactives fonctionnant en rĂ©seau, aux connexions Ă la fois virtuelles et physiques. Dans les annĂ©es 1980, le rĂ©seau informatique devient mĂ©dium artistique. Ă€ l’heure de l’art tĂ©lĂ©matique et des rĂ©seaux de tĂ©lĂ©communications planĂ©taires, les donnĂ©es de l’information constituent le sujet mĂŞme de l’oeuvre.
2. Critique des réseaux
Les artistes du Net.art, comme JODI ou Heath Bunting, sont les premiers à interroger de manière critique et pirate la dimension politique et esthétique de l’Internet. Ils élaborent un art en réseau, issu des mouvances hackers et nourri des pratiques de programmation collaborative à code ouvert. Les réseaux numériques qui émergent au 21e siècle, laisseront deviner la censure, la société de surveillance, et se révèlent au coeur de systèmes ubiquitaires, invisibles et mercantiles. Alors que les individus dépendent aujourd’hui entièrement des plateformes technologiques, de nouvelles infrastructures de contrôle observent les corps et leur intimité. Elles vont jusqu’à prédire des états émotionnels collectifs en traçant minutieusement les sentiments exprimés sur les réseaux sociaux, à l’instar de l’oeuvre inédite Human Synth de Mika Tajima. Les médias sociaux sont au coeur des enjeux actuels et les échanges de données permis par les technologies de blockchain ont généré un monde de « multi-utilisateurs » qui pose la question de l’auteur et de l’unicité de l’oeuvre. Des satires sociales et politiques, comme celles des artistes Simon Denny ou Neïl Beloufa, font aussi la critique d’un réseau totalisateur et vertical, à la dimension addictive et dépressive, loin de l’utopie émancipatrice du réseau au début de l’ère numérique.
3. Noeuds et réticulations
Le mot « réseau » apparaît pour la première fois au 12e siècle (retis) pour nommer le filet ou le noeud. Dans le récit Le Rêve de D’Alembert (1769), Diderot met en avant la notion de reticulum, « ce qui relie ». Au milieu du 19e siècle, l’architecte et historien Gottfried Semper voit dans le tissage – forme manuelle de réseau tridimensionnel – l’origine textile de l’architecture. Le noeud n’est pas seulement récurrent dans la philosophie, l’histoire des idées, des religions, les mathématiques et l’urbanisme, il « connecte » aussi l’histoire de l’art au design et à l’architecture. Pour le philosophe Michel Serres, le réseau présente « de multiples « entrées » et entrecroisements : tapisserie, tissage, broderie ou dentelle ». Plusieurs oeuvres élaborées à partir de matériaux textiles sont présentées dans cette section, explorant les métamorphoses du noeud, des enchevêtrements, de Robert Smithson à Sheila Hicks, en passant par Alan Saret, jusqu’à Richard Vijgen ou Julien Prévieux.
4. Le réseau du vivant
La viralité numérique s’est doublée de la prise de conscience de notre interaction avec le non-humain, de notre coexistence « en réseau » avec les autres espèces au sein d’une diversité infinie d’écosystèmes. Une nouvelle écologie artistique intègre ce principe d’interdépendance et de continuité de toutes les formes du vivant, reliées entre elles, à l’image de Flylight du studio DRIFT. L’oeuvre peut prendre la forme d’une enquête pluridisciplinaire comme dans Cambio des designers Formafantasma, où l’analyse transversale historique, politique, économique et sociale des activités humaines dévoile l’interconnexion entre toutes les formes de productions et de connaissances. Les technologies sont explorées comme outil de communications inter-espèces, aspirant à connecter des mondes aux limites de la perception humaine. Les spécificités du Physarum polycephalum – organisme unicellulaire « intelligent » – sont explorées par les artistes et les architectes pour mettre en oeuvre de nouveaux protocoles de communication et d’action, fondés sur la biologie et l’intelligence artificielle. Au coeur de cette « pensée écologique », le réseau est devenu « maillage », vecteur de « l’interconnectivité entre toutes les choses vivantes et non-vivantes » selon les mots de Timothy Morton.
Les artistes de l’expositionÂ
Marie-Sarah Adenis; Alice Anderson; Archigram; NeĂŻl Beloufa; Andrea Branzi; Heath Bunting; Constant (Constant Nieuwenhuys); Simon Denny; Diller Scofidio + Renfro; Elizabeth Diller (Diller Scofidio + Renfro), Laura Kurgan (Columbia Center for Spatial Research) & Robert Gerard Pietrusko (Warning Office); GĂĽnther Domenig & Eilfried Huth; Louise Drulhe; Uta Eisenreich; David-Georges Emmerich; EcoLogicStudio (Claudia Pasquero & Marco Poletto); Lars Fredrikson; Yona Friedman; Gjertrud Hals; Sheila Hicks; Isidore Isou; JODI (Joan Heemskerk & Dirk Paesmans); Hella Jongerius; Allan Kaprow; Ugo La Pietra; František Lesak; Mark Lombardi; Giulia Lorusso avec Benjamin LĂ©vy (Ircam); Jill Magid; Leonardo Mosso; Serge Mouille; MVRDV; Trevor Paglen; PAMAL_Group; Julien PrĂ©vieux; RYBN.ORG; TomĂ s Saraceno; Alan Saret; Nicolas Schöffer; Robert Smithson ; DRIFT (Lonneke Gordijn & Ralph Nauta); Studio Formafantasma (Andrea Trimarchi & Simone Farresin); Jenna Sutela; Mika Tajima; Team X; Samuel Tomatis; Katja Trinkwalder & Pia-Marie Stute; Thewrong.org; Richard Vijgen; Addie Wagenknecht; Marcel Wanders; Daniel Widrig; Ulla Wiggen. Avec la participation de David Chavalarias & l’Institut des Systèmes complexes, Paris-ĂŽle de France.