À propos

Pierre Normann Granier, artiste photographe

Encore plus que l’honnêteté, il y a dans la photographie une nécessité de vérité, cela est dû au fait que pour beaucoup de photographes de ma génération l’essence de la photographie est le reportage. Nous avons été instruits par les images de Paris Match qui couvrait les guerres d’Indochine, d’Algérie, Mai 68, le printemps de Prague.
Notre pratique photographique et artistique devint alors une démarche politique – prêtons à cette conception, avec une certaine indulgence, un romantisme d’enfant assurément révolu qui peut s’apparenter aux combats des chevaliers d’un moyen-âge idéalisé -. Et même si personnellement j’ai toujours été fasciné par le spectacle et la représentation de cette violence, il ne m’a heureusement pas été indispensable de rechercher les zones de conflit armé. Cette révélation de la vérité, la représentation de la réalité, est possible quel que soit le genre choisi, paysage, portrait, allégorie, reportage…

La représentation photographique est une écriture, elle permettra au spectateur de connaître par la lecture de l’image ce qu’il y avait à connaître. D’autant plus qu’il s’agit ici d’un choix et d’une mise en ordre du réel par le photographe. Ce réel qui est par essence un chaos indescriptible, le photographe avec ses outils l’organise pour le rendre lisible.

On peut difficilement contester que l’ensemble des artifices de notre pratique a autorisé de multiples tricheries. Malgré cela, dès son origine le public a considéré la photographie comme la réalité. Plus qu’un simple reflet même exact de cette réalité, c’est une relation semblable à la fonction de l’image pieuse qui s’établit. Des premières expériences photographiées de spiritisme de Florence Cook ou d’Eva Carrière à l’inéluctable album de famille –With my Family– du hollandais Hans Eijkelboom, toute l’histoire de la photographie semble s’apparenter à cette même logique d’une image qui surpasse la réalité. Ainsi, pareillement à la calligraphie d’un idéogramme qui a plus d’importance que l’objet qu’elle signifie, la photographie peut détenir la même implication.

Il ne faut pas occulter la dimension subjective de la propre interprétation du photographe face à cette “réalité”. D’autant que c’est exactement cette même subjectivité associée à l’altération contingente et parfois aléatoire de l’image, par les caractéristiques optiques de l’objectif et par le développement de l’émulsion photosensible, qui crée la personnalité du photographe, contribue à bâtir et enrichir son univers artistique.

Par le cadrage, le choix de l’instant, peut-être l’utilisation de plusieurs images, la photographie quelle que soit la conception qu’en aura son auteur, utilise la réalité, la dissèque en multiples morceaux pour raconter l’histoire telle qu’elle est réellement. Par cette déconstruction – dans le sens où l’on décompose la structure – la photographie devient plus forte, plus réelle que le discernement commun de la réalité, ce commun admis qui ne nécessite plus jamais d’être pensé. C’est bien par ces circonstances que la photographie possède plus d’importance que l’objet qu’elle décrit.

Si le dessin est la probité de l’art, la photographie devrait l’être de « l’homopoliticus ». Néanmoins la photographie n’a pas à être l’esclave des engagements éthiques et idéologiques du journalisme. La subjectivité humaine et les aléas de la technique transcendent l’image obtenue et lui donnent les spécificités de l’immortalité que ne possède pas, a priori, l’exercice journalistique. Presque innombrables, ce sont eux, les Henri Cartier-Bresson, les Robert Capa ou les Gilles Caron, ces grands reporters dont le travail a largement distancé cet exercice et qui ont nourri notre imaginaire d’enfant.