“Chaosmos” Atterrir, s’enraciner, au MAIF Social Club, du 8 février au 26 juillet 2025
“Chaosmos” Atterrir, s’enraciner
au MAIF Social Club, Paris
du 8 février au 26 juillet 2025
Texte Sylvain Silleran

Cristina Barroso, Maps Everywhere II, 25×15,5cm. © Cristina Barroso.

Kongo Astronauts (Michel Ekeba et Eléonore Hellio), Waiting for the sun – spacewalker (En attendant le soleil, marcheur de l’espace), 2023. Costume sculptural : Circuits électroniques, tissu, fil de fer, objets trouvés et peinture noire aérosol. © Kongo Astronauts.

Tabita Rezaire, Mère trinité – Mère Soleil, 2020 – 2022. Broderies. © Tabita_Rezaire.

Justine Bougerol, Materia prima (Matière première), 2024. Matériaux mixtes. © Thomas Jean Henry.

Arthur Hoffner, Fugacités, 2024. Sculpture en mouvement : réservoirs, circuit électronique, savon. © Arthur_Hoffner.

Roberto de la Torre, série Microcosmos, 2011 – ∞. Tirages photographiques AquaPaper. © Roberto de la Torre.
Chaosmos
MAIF social club
On n’en finit pas de déconstruire le monde, alors bouleversons tout, un big bang final, dynamitons les dernières traces d’ordre. Vive le chaos! Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait? Ce chaos devient un ordre nouveau, un cosmos déconstruit-reconstruit. Le MAIF social club présente Chaosmos, le cosmos embrassant le chaos dans une fusion prometteuse de renouveau, des propositions d’artistes venus du monde entier. Fini de cloisons, les parcours, à présent tous les questionnements, les œuvres dialoguent dans un grand espace ouvert, laissant le visiteur libre de s’égarer sur cette étrange planète.
Un vrombissement d’abeilles d’abord léger se fait plus présent. 250 petits hauts-parleurs suspendus au plafond comme autant de fleurs inversées tombant du ciel diffusent les enregistrements de ces insectes. Essaim de Félix Blume nous propose d’oublier notre humanité pour nous ouvrir au monde des abeilles et plonger dans leur langage. Ce bourdonnement lancinant est un nouveau mantra.
De grandes photos carrées au format Polaroïd, aujourd’hui format Instagram, il faut bien vivre avec son temps, présentent des hommes en costumes chamaniques. Les corps disparaissent sous les épaisseurs de tissus épais, les franges, la laine, le cuir et des cloches. Les visages couverts par des masques de totems. Ces silhouettes évoquent le folklore de Star Wars, la cape d’Elvis à Las Vegas, le carnaval de Dunkerque. Entre guerriers primitifs de peuplades reculées et science-fiction psychédélique, ce sorcier nouveau, relié aux esprits et à la nature est prêt à nous accompagner vers un avenir radieux, un peu hippie quoique effrayant.
Le scaphandrier noir construit par Kongo Astronauts avance quelque peu titubant sur un sol étranger. Hérissé de composants électroniques, de câbles, c’est toute une quincaillerie de récup’, un bricolage chiné sur une décharge qui menace de tomber en panne à chaque instant. Le déchet comme avenir, l’effondrement annoncé de la civilisation dont il ne subsisterait que du bricolage nous promet un monde rafistolé et sale, un monde sans visage. Sur le mur, l’araignée de Virginie Yasser en roule des yeux effarés. À ses pieds, des reliefs montagneux, des canyons, le terrain de planètes lointaines, un rouge terre de brique qu’il faut contourner. Les briques creuses assemblées qui ont été ainsi arasées en paysage laissent apparaître le quadrillage que leur structure. Le dessin de grille rappelle les images informatiques anciennes, images pionnières du cinéma futuriste des années 80, les premières illusions de 3D. La terre rouge contre le vert des vieux écrans cathodiques, les fantasmes désormais vintage de science-fiction sont modélisés dans le matériau le plus ancien que connaisse l’humanité: la terre.
Une carte du ciel, de ses constellations est agrémentée de dessins primitifs de guerriers, puis de logos de mouvements politiques et militants noirs. Esclaves et victimes de l’apartheid brisent leurs chaînes, puis les pictogrammes reprennent les codes d’une imagerie brutale, voire fascisante, des kalashnikovs, des étoiles promesses du communisme le plus dogmatique, du totalitarisme étouffeur de tout épanouissement, de toute joie créatrice, quand il ne fait pas couler le sang. Formidable!
Heureusement les broderies rondes, le collage textile de Tabita Rezairé, sa Mère Trinité viennent proposer un peu de paix et d’espoir. Des figures féminines, des animaux, les phases de la lune sont dessinés dans des tissus et des fils de couleurs vives, chaleureuses. Une femme-arbre déesse originelle magnifie la féminité comme source d’un jardin nourricier, un nouveau paradis, à moins qu’il soit très ancien. Une mère enfante le monde, mère soleil au milieu des planètes. Pendant qu’une roche blanche dans un coin de mur invite à regarder au fond d’un trou un miroir reflétant un gouffre, la graine d’érable géante tressée en osier, Maple Seed de Porky Hefer tourne sur elle-même, refusant de tomber pour tourner sans fin dans les airs. Fabriquée par une association d’aveugles du Cap, elle tournoie doucement au-dessus d’un cercle de sel de Camargue. La graine source de vie et le sel stérile niant cette possibilité semblent fusionner dans un chaos absurde et inutile.
Un grand tissu de fils de cuivre pend du plafond, une lourde tapisserie de métal. Portail de Masami emmêlé les réseaux électriques, brouille l’information, déconstruit le système nerveux mondial en en faisant une toison brute, animale, une fourrure rousse désordonnée. Pendant ce temps la fontaine d’Arthur Hoffner pond des bulles remplies de fumée blanche qui tombent paresseusement comme des œufs mous et élastiques dans une vasque métallique réfléchissante. Les bulles restent quelques instants sur la surface de miroir avant de céder et d’éclater dans un petit nuage fugace, psshit!
Dans ce chaosmos, la technologie vaincue est réduite à un minimalisme squelettique, quelques rogatons. Il est temps de se reconnecter au cosmos et à ses énergies, à un état primitif. Mais que propose ce retour à la nature et au spirituel? Ce volte-face civilisationnel est-il subversif? Ce réenchantement du monde manque singulièrement de poésie, de grâce, il reste englué dans le pessimisme apocalyptique de notre époque. L’avenir reconstruit ressemble plus à une Zad boueuse qu’à une fête ou on se réinvente. L’avant-garde n’est pas encore là.
Extrait du communiqué de presse :
Commissariat :
Jos Auzende, directrice artistique indépendante et commissaire d’exposition
Artistes : Vincent Mauger / Justine Bougerol / Arthur Hoffner / Tabita Rezaire / Roberto de la Torre / Félix Blume / Virginie Yassef / Porky Hefer / Masami / Nolan Oswald Dennis / Kongo Astronauts / Véronique Béland
Pourquoi évoquer le cosmos, ses galaxies, ses étoiles, ses planètes ou sa matière noire quand on sait l’urgence à mieux habiter le monde ?
Notre époque marque une rupture dans la relation que nous entretenons à nos écosystèmes, interrogeant profondément le sens de notre rapport au monde et notre compréhension de son caractère fini. Face aux nombreuses crises environnementales auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés, il paraît indispensable de reconsidérer collectivement notre représentation de la planète et la manière dont nous évoluons en son sein.
Loin des récits d’aventure spatiale qui laissent aujourd’hui supposer que, pour sauver la Terre, il faut coloniser l’espace, évoquer le cosmos nous rappelle avant tout, qu’à son échelle du temps, l’existence humaine ne correspond qu’à quelques secondes, et qu’à rebours de l’exaltation contemporaine de sa puissance, elle reste éminemment fragile. Renouer avec la fascination qu’exercent les ciels nocturnes, revenir à leur immensité et à l’intensité lumineuse de leurs astres peut ainsi nous conduire à renforcer notre sentiment d’appartenance à une planète unique et à l’ensemble que forme le vivant, toujours composé des mêmes noyaux d’atomes fabriqués au coeur des étoiles.
En s’inscrivant dans une réflexion sur le Chaosmos, mot-valise créé par l’écrivain James Joyce et qui dit à la fois le chaos et le monde ordonné, l’exposition dans laquelle vous vous engagez célèbre le fourmillement de la vie qui fait vaciller nos conceptions figées des choses. Pour réfléchir aux défis de l’univers tel qu’il change et réveiller nos désirs d’utopie, les artistes exposés invoquent, dans un élan positif, des imaginaires régénérants de la vie dans le cosmos qui pourraient indiquer la voie vers une existence terrestre plus harmonieuse, vers le(s) Monde(s) dont nous avons besoin.
Bienvenue dans l’harmonie chaotique de ce monde d’avant-après qui déconstruit pour reconstruire, dans le temps et dans l’espace, la place dans le cosmos que nous nous accordons, notre relation à la Terre que nous habitons, les traces que nous laissons, les liens que nous établissons.