“Naissance et Renaissance du dessin italien” à la Fondation Custodia, du 12 octobre 2024 au 12 janvier 2025
“Naissance et Renaissance du dessin italien”
La Collection du Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam
à la Fondation Custodia, Paris
du 12 octobre 2024 au 12 janvier 2025
Fondation Custodia
Texte Sylvain Silleran
Annibale Carracci, dit Carrache (1560-1609), Étude d’un homme nu assis, vers 1595-1600. Pierre noire, rehauts de blanc, sur papier bleu. – 336 x 221 mm. Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam. Prêt de la Stichting Museum Boijmans Van Beuningen (ancienne collection Koenigs), inv. I 183.
Antonio Allegri, dit Il Coreggio ou Le Corrège, (1489-1534), Étude pour le Couronnement de la Vierge, vers 1520-1522. Sanguine, plume, pinceau et encre brune. – 196 x 203 mm Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam. Prêt de la Stichting Museum Boijmans Van Beuningen (ancienne collection Koenigs), inv. I 381.
Girolamo Francesco Maria Mazzola, dit Il Parmigianino ou Le Parmesan (1503-1540), Portrait de Valerio Belli de profil, montage de Giorgio Vasari ou de son atelier, vers 1520-1525. Sanguine (montage : plume et encre brune, lavis brun). – 158 x 127 mm (portrait) ; 273 x 246 mm (montage). Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam. Prêt de la Stichting Museum Boijmans Van Beuningen (ancienne collection Koenigs), inv. I 392 et I 392 di.
Jacopo Pontormo (1494-1557), Étude de deux garçons assis, vers 1525. Sanguine. – 277 x 379 mm. Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam. Prêt de la Stichting Museum Boijmans Van Beuningen (ancienne collection Koenigs), inv. I 117.
Raffaello Sanzio, dit Raphaël (1483-1520), Étude pour le petit saint Jean-Baptiste agenouillé, vers 1509-1511. Pointe de métal sur papier préparé de couleur crème. – 115 x 104 mm. Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam. Prêt de la Stichting Museum Boijmans Van Beuningen (ancienne collection Koenigs), inv. I 110.
Naissance et renaissance du dessin italien – La collection du museum Boijmans Van Beuningen Rotterdam
fondation Custodia
Une étude de cerfs a des accents encore médiévaux, un reste de l’ancien monde qui est déjà en train de renaître, d’inventer la modernité. D’inspiration antique donc furieusement avant-gardiste, sur une même page figurent une étude de pied, une sandale, un dieu des vents et une tête de lion. Pisanello signe, sous une annonciation, quatre études de femme nue, des corps d’athlètes, le geste gracieux de danseuses peinant à retenir leurs imposantes chevelures trop libres. Comment mieux évoquer cette Renaissance italienne à l’inventivité indomptable? Du début du XVème à la fin du XVIème siècle, ce n’est pas une mais bien plusieurs Renaissances qui bouleversent l’Europe et définiront jusqu’à aujourd’hui comment nous dessinons et peignons.
Un album de modèles sorti de l’atelier de Benozzo di Lese est ouvert sur une double page bleue d’études de pieds, des pieds imposants de héros grec. Cosmè Tura dessine un Hercule et le lion de Némée, un colosse à la musculature aussi imposante que finement tracée, des sinuosités roulant telles des vagues dans un terrible combat. La sensualité douce et silencieuse de la Marie Madeleine de Pordenone aux cheveux se confondant dans un drapé de cascade, la musculature virile de l’homme à la partition de musique par le Parmesan ondulant en boucles orageuses ont tous deux la même grâce. Des dessin peuvent être aboutis comme des petits tableaux tels la Judith et sa servante avec la tête d’Holopherne de l’atelier d’Andrea Mantegna. Mieux, L’épaisseur des étoffes, le drapé évoquant les veines apparentes d’un corps tendu à se rompre, la lame du sabre qui s’avance, menaçante, vers nous, tout participe à en faire une sculpture jaillissant hors de son cadre.
Un Saint Luc évangéliste peint une figure, dans son godet, l’encre est un petit point rouge qui explose comme une tache sur le dessin bleu, l’audace graphique d’une jeunesse rebelle. Ce renouveau éblouissant trouve sa magnifique illustration dans le dessin préparatoire à la sanguine pour une Vierge à l’enfant de Michel-Ange, majestueuse malgré ses quelques centimètres à peine et sa rapidité d’exécution. Que dire de la douceur chérubinesque désarmante du petit saint Jean agenouillé de Raphaël? Une petite Léda et son cygne à la pierre noire et plume de Léonard de Vinci nous montre avec un égal ravissement comment du geste parfait nait la vie. La chair pulpeuse modelée comme la glaise originelle, des boucles d’herbes comme un nid de chevelure, quelle folle liberté!
Un ballet de personnages apparait sur une page d’écriture, les personnages de Véronèse se fondent dans les mots. Le dessin d’étude possède une énergie propre. Fra Bartolomeo, esquissant une Marie, en a dessiné plusieurs mains, cherchant la bonne posture, lui offrant ainsi un mouvement, un petit pas de danse. Un Saint Georges combattant le dragon est un enchevêtrement chaotique de traits de pierre noire, les gris bleutés s’assombrissent, précisent les formes que des rehauts de blancs viennent modeler. Le dragon bat furieusement des ailes blanches, un battements de plumes ébouriffées claquant dans un dernier sursaut.
Il y a dans ces esquisses, ces études pour transfert une urgence. Le trait réduit à l’essentiel trahit de précieuses émotions, le caractère d’un artiste s’y imprime avec désinvolture. Paolo Farinati dans une étude destinée à la mise au carreau pour les compagnes de Proserpine met en scène une formidable danse, sensuelle, aérienne, libre. Chez Tintoret, l’esquisse est tellement rapide, si épurée d’éléments que ses hommes brandissant épées ou montant à cheval se réduisent à quelques volutes de fumée s’envolant en un instant. Pourtant tout y est, le geste, la volonté, la musculature tendue dans un effort vital. Sur une feuille d’Alessandro Maganza, le geste est une pelote de fil se déroulant pour arrêter ici et là silhouettes, personnages, les faire jouer une scène de théâtre. Sur cette scène d’Ascension, on peut voir le cheminement de la pensée de l’artiste directement traduit par sa main courant sur le papier. Un enregistrement d’idées qui surgissent, prennent forme, s’assemblent, voluptueuses tels des nuages dodus.
Une anatomie d’homme est sculptée dans une lumière contrastée, la lumière crue ne laissant rien échapper de ce qui fait un corps, de la vie qui s’incarne dans ces muscles, ces tendons, ces nerfs et le sang circulant dans les veines. Tout est là dans cet homme debout en noir et blanc, si puissant, si homme qu’il en semble immortel. D’autres pages sont hantées par des spectres, tel ce portrait d’homme de Giovanni Antonio Sogliani laissant sous sa barbe se deviner le dessin d’un personnage abandonné. Ailleurs, deux anges ont perdu leurs ailes juste esquissées d’un fin tracé, ils s’élèvent dans un gris de métal, un froissement de ferraille s’éclairant peu à peu jusqu’à devenir doux et soyeux.
Un petit enfant de cœur par Francesco Bassano vu de dos est si intemporel qu’il pourrait avoir été dessiné dimanche dernier, non pas à Venise mais dans l’église du coin de notre rue. Un étonnant dessin issu de l’atelier de Filippino Lippi est un tracé blanc sur fond gris. La lumière définit les arêtes des visages, les plis du drapé dans un exercice de style minimaliste. Le pied semble celui d’un squelette apparaissant aux rayons X, un effet de comics de super-héros.
Une femme immortalisée par un anonyme lombard ou vénitien nous regarde par dessus son épaule dénudée, un bras blanc plein, doucement galbé. Cette modèle posant il y a cinq siècles nous ressemble tant, pourtant elle a été dessinée telle qu’elle était. Nous la regardons s’éloigner et la reconnaissons comme une sœur. Tout à l’heure nous la recroiserons sans doute sur un trottoir parisien, avec sa grâce immortelle.
Sylvain Silleran
Michelangelo Buonarroti, dit Michelangelo (1475-1564), Buste d’homme portant un casque à plumes et étude d’une tête, vers 1504-1506. Plume et encre brune. – 140 x 115 mm. Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam. Prêt de la Stichting Museum Boijmans Van Beuningen (ancienne collection Koenigs), inv. I 185.
Leonardo da Vinci, dit Léonard de Vinci (1452-1519), Léda et le cygne, vers 1505-1507. Pierre noire, plume et encre brune. – 128 x 109 mm. Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam. Prêt de la Stichting Museum Boijmans Van Beuningen (ancienne collection Koenigs), inv. I 466.
Vittore Carpaccio (vers 1460/1465-1525/1526), Étude d’une tête d’homme barbu, vers 1497-1498. Pierre noire, pinceau et encre brune, rehauts de blanc, sur papier chamois. – 128 x 123 mm. Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam. Prêt de la Stichting Museum Boijmans Van Beuningen (ancienne collection Koenigs), inv. MB 1940/T 8.
Extrait du communiqué de presse :
Commissariat :
Maud Guichané, conservatrice, chargée des collections Fondation Bemberg
Rosie Razzall, Curator of Drawings, Museum Boijmans Van Beuningen in Rotterdam, The Netherlands
Parmi le s collections d’une grande diversité conservées par le Museum Boijmans Van Beuningen se trouve un des plus remarquables fonds de dessins anciens au monde. Désireuse de faire découvrir au public parisien cette collection prestigieuse, la Fondation Custodia est fière de présenter une sélection de 120 des plus belles feuilles italiennes des XVe et XVIe siècles qui la composent.
Pisanello, Léonard de Vinci, Raphaël, Michel-Ange, Véronèse, Corrège… Les plus fameux dessins de la collection néerlandaise, exécutés par les grands maîtres de la Renaissance italienne, ont été régulièrement publiés et présentés. Mais de nombreuses œuvres restent encore méconnues, si ce n’est inédites. Grâce à un travail de recherche mené au Museum Boijmans Van Beuningen, en collaboration avec des experts internationaux et la Fondation Custodia, des découvertes importantes ont pu être réalisées au sujet de ces feuilles et certaines ont pu être réattribuées à des artistes de premier plan tels que Pontormo, Federico Zuccari, Aurelio Lomi, ou Pellegrino Tibaldi. Le catalogue qui accompagne l’exposition est le reflet de ces avancées et sa publication constitue une étape fondamentale de la connaissance de cette collection.
À la Fondation Custodia, l’exposition propose de découvrir, à travers le prisme de la collection du Museum Boijmans Van Beuningen, ces dessinateurs talentueux qui conduisirent les développements artistiques de la Renaissance italienne. Inexorablement, la sélection des oeuvres reflète le profil de cette collection. Celui-ci est le résultat de son histoire et des personnes qui la constituèrent. Deux moments pivots marquèrent sa formation : la fondation du musée par la ville de Rotterdam au moment de la donation de la collection de F. J. O. Boijmans en 1847 (dont les feuilles italiennes disparurent pour la plus grande partie dans un tragique incendie en 1864), puis le prêt à long terme de la collection du banquier d’origine allemande Franz Koenigs et qui correspond aujourd’hui à la provenance la plus courante des dessins italiens de ce fonds.
Les dessins des précurseurs de la Renaissance italienne, au début du XVe siècle, aujourd’hui rares, constituent un des points forts de la collection du Museum Boijmans Van Beuningen, comme le rappelle le titre de l’exposition. Plusieurs études de Pisanello, Parri Spinelli, ou Benozzo Gozzoli introduisent admirablement l’exposition. Dès lors, on observe la prééminence de Florence et de Venise. Principaux foyers de la création artistique à cette époque, ces écoles dominent aussi dans la collection de Rotterdam. Cette dernière est également mondialement réputée pour son fonds exceptionnel de dessins de Fra Bartolomeo : treize feuilles parmi les 400 que conserve l’institution seront présentées à Paris, comme le coeur de la production florentine. Venise n’est pas en reste, et l’exposition rassemble ses plus grands représentants : Vittore Carpaccio, Gentile Bellini, Véronèse, Tintoret et leurs ateliers, ainsi que celui des Bassano.
Des dessins des trois grands maîtres de la Renaissance – Léonard de Vinci, Raphaël et Michel-Ange – constituent le point d’orgue de l’exposition et mènent aux oeuvres des artistes romains (Jules Romain, Sebastiano del Piombo), émiliens (Parmesan, Corrège) et d’autres écoles, qui assimilèrent et s’approprièrent l’influence de ces artistes. Comme une ouverture, l’exposition s’achève autour de la génération des dessinateurs actifs à la fin du XVIe siècle et au tournant des années 1600. Parmi eux, le Baroche, les Zuccari, le Cavalier d’Arpin, les Carrache…
Cette collaboration n’est pas la première entre la Fondation Custodia et le Museum Boijmans Van Beuningen. De nombreux projets d’exposition dans le domaine des dessins et des peintures de maîtres anciens ont réuni les deux institutions depuis les années 1960. Plus récemment, une exposition a été organisée à Paris autour des meilleures feuilles néerlandaises des XVe et XVIe siècles de la collection de Rotterdam (De Bosch à Bloemaert, 2014).
Cette exposition célèbre également la conclusion d’un travail de recherche, financé par la Getty Foundation, pour établir le catalogue raisonné des dessins italiens de la Renaissance du Museum Boijmans Van Beuningen (en ligne). Le projet de cette exposition a été conduit par Maud Guichané et Rosie Razzall, respectivement conservatrices à la Collection Frits Lugt, Fondation Custodia et au Museum Boijmans Van Beuningen. Dans le catalogue qui l’accompagne, publié par Paul Holberton, deux essais introductifs sur l’histoire de la collection de Rotterdam et sur la pratique du dessin en Italie entre 1400 et 1600 sont suivis d’une centaine de notices, fournies et amplement illustrées, rédigées par treize auteurs.
Cette exposition est rendue possible grâce au prêt généreux du Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam.
Catalogue de l’exposition « Italian Renaissance Drawings from Museum Boijmans Van Beuningen » Sous la direction de Maud Guichané et Rosie Razzall. Londres, Paul Holberton Publishing, 2024.