🔊 “Barbara Crane” au Centre Pompidou, galerie de photographies, du 11 septembre 2024 au 6 janvier 2025
“Barbara Crane”
au Centre Pompidou, galerie de photographies, Paris
du 11 septembre 2024 au 6 janvier 2025
Centre Pompidou
PODCAST – Entretien avec Julie Jones, conservatrice – cabinet de la photographie, MusĂ©e national d’art moderne – Centre Pompidou, et commissaire de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 9 septembre 2024, durée 19’10,
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :
Barbara Crane, Private Views, 1980-1984. Polaroid Polacolor type 59, 10.6 x 13.2 cm. Collection Barbara B. Crane Trust. © Barbara B. Crane Trust. © Centre Pompidou, Audrey Laurans.
Barbara Crane, Private Views, 1980-1984. Polaroid Polacolor type 59, 10.6 x 13.2 cm. Collection Barbara B. Crane Trust. © Barbara B. Crane Trust. © Centre Pompidou, Audrey Laurans.
Barbara Crane, Baxter Labs : Bicentennial Polka, 1975. Épreuve gélatino-argentique, 50 x 40 cm. Collection Jerad and Megan Harbaugh. © Barbara B. Crane Trust. © Centre Pompidou, Janeth Rodriguez- Garcia.
Commissariat : Julie Jones, conservatrice, Musée national d’art moderne, Centre Pompidou
Le Centre Pompidou prĂ©sente la première monographie d’envergure consacrĂ©e en Europe Ă Barbara Crane (nĂ©e Ă Chicago, 1928 – 2019), photographe amĂ©ricaine de renommĂ©e internationale dont la carrière s’étend sur plus de soixante ans. L’exposition rĂ©unit plus de 200 oeuvres, dont une partie rĂ©cemment entrĂ©e dans la collection du MusĂ©e national d’art moderne. RĂ©alisĂ©e en partenariat avec le Barbara B. Crane Trust, elle se centre sur les 25 premières annĂ©es de sa carrière, rĂ©unissant certaines de ses oeuvres majeures, dont plusieurs inĂ©dites. Auteure d’une oeuvre plurielle, Barbara Crane n’a cessĂ© d’explorer les formes et les techniques photographiques (Ă©preuves gĂ©latino-argentiques et numĂ©riques, tirages instantanĂ©s – Polaroid –, transferts photographiques, tirages au platine-palladium, couleur, noir et blanc…), comme le montre la sĂ©lection de l’exposition.
Formée à la photographie ainsi qu’à l’histoire de l’art au Mills College (Californie) et à la New York University, Barbara Crane devient photographe professionnelle, spécialisée en portraits. Elle continue sa formation auprès d’Aaron Siskind, à l’Institute of Design de Chicago dans les années 1960 puis enseigne la photographie à l’Art Institute de Chicago de 1967 à 1995.
Son oeuvre est remarquable par la synthèse qu’elle opère entre la tradition de la straight photography américaine et une sensibilité plus expérimentale, héritée des avant-gardes européennes, typique des enseignements de l’école de Chicago. Elle associe ainsi une liberté totale envers le médium à un perfectionnisme technique qui la démarque de ses contemporains. Son approche photographique de la ville, Chicago en premier lieu, et de ses habitants anonymes en devient particulièrement singulière. Le contexte artistique dans lequel elle évolue, marqué par le structuralisme, l’art conceptuel, comme ses influences multiples – de John Cage, Henri Matisse, en passant par Merce Cunningham et le cinéma expérimental, influent sur sa pratique dominée par l’idée de séquence et de série, d’accidents et de discipline.
Présente dans de nombreuses collections publiques et privées américaines, l’oeuvre de Barbara Crane est encore largement méconnue en France. Une importante rétrospective lui a été consacrée en 2009, présentée au Chicago Cultural Center, à l’Amon Carter Museum, Texas et au Griffin Museum of Photography, Massachussetts.
#Catalogue de l’exposition – Barbara Crane sous la direction de Julie Jones, coĂ©dition Editions du Centre Pompidou / Atelier EXB. Textes de Paul Bernard-Jabel, Lynne Brown, Agathe Cancellieri, Barbara Crane, Philippe De Jonckheere, Julie Jones, Françoise Paviot
Barbara Crane, People of the North Portal (Doors), 1970-1971. Épreuve gélatino-argentique, 40 x 30 cm. Collection Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle, Centre Pompidou, Paris. © Barbara B. Crane Trust. © Centre Pompidou, Joseph Bandere.
Barbara Crane, Loop Series, 1976-1978. Épreuve gélatino-argentique, 13 x 18 cm. Collection Phaedra Harbaugh and Boris Sepesi. © Barbara B. Crane Trust. © Centre Pompidou, Joseph Banderet.
Barbara Crane, Neon Series, 1969. Épreuves gélatino-argentiques, 24 x 18 cm. Collection Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle, Centre Pompidou, Paris. © Barbara B. Crane Trust. © Centre Pompidou, Joseph Banderet.
L’exposition
Human Forms, 1964 – 1968
Réalisée avec une chambre photographique 4 x 5 pouces, dans le cadre de son diplôme à l’Institute of Design de Chicago, la série Human Forms témoigne des premières recherches de Barbara Crane sur la lumière, le volume et la ligne. Faute de pouvoir sortir car elle doit garder ses enfants, l’artiste décide de les photographier. Sans jamais montrer leurs visages, elle s’attarde sur les contours de leurs corps anonymes, réduits à de pures formes lumineuses. Crane déclare chercher ici à « produire quelque chose comme une esquisse cernée par de nettes lignes noires ». Son approche expérimentale du médium photographique, au coeur des enseignements dispensés à l’ID, devient centrale et demeurera la matrice de son oeuvre.
Neon series, 1969
Lors d’un séjour à Las Vegas en 1969, l’artiste photographie à la chambre 4 x 5 pouces chargée d’un film Polaroid, les enseignes lumineuses de la ville. En exposant à deux reprises le même film dans son appareil, Crane produit de troublantes associations de motifs et de lettres. Enthousiasmée par ces résultats – dus à une grande maitrise technique autant qu’à une part de chance – l’artiste reproduit un procédé identique à Chicago quelques mois plus tard. Cette fois, elle superpose aux motifs lumineux des portraits d’individus en plan resserré réalisés à la sortie d’un grand magasin. Visages pris sur le vif et formes graphiques se mêlent dans ces compositions semi-abstraites qui semblent déjà annoncer les deux pôles autour desquels oscillera toujours l’oeuvre de Crane, entre ambition documentaire et expérimentation formelle.
People of the North Portal, 1970 – 1971
Deux ensembles composent cette série : Doors [portes] et Heads [têtes]. Les images du premier ensemble sont réalisées avec une chambre photographique Deardorff 4 x 5 (convertible 5 x 7) que Barbara Crane positionne face à l’entrée nord du Musée des sciences et de l’industrie de Chicago. Selon un protocole strict, elle saisit le passage des personnes qui entrent et sortent du bâtiment. Le second ensemble est constitué de plans très rapprochés de ces passants, obtenus grâce à un appareil 35 mm alors que Crane passe elle-même par les portes du musée. Vaste inventaire d’expressions, de postures et de gestes qui compte plus de 2000 clichés, People of the North Portal dessine un portrait vivant de Chicago. La série s’inscrit dans la tradition de la photographie de rue américaine qui interroge la place du photographe dans l’espace urbain.
Beaches and Parks, 1972 – 1978
À partir de 1972, Barbara Crane entame un projet d’envergure sur les plages et dans les parcs de Chicago les jours de beau temps. Munie d’un apparei Super Speed Graphic tenu à la main, elle photographie des groupes d’amis et des familles. L’artiste se montre sensible à la dimension chorégraphique des corps, bronzant, sautant ou dansant. Elle affectionne les cadrages surprenants, parfois à hauteur du bassin des individus. Ces clichés prennent à rebours les codes de la photographie de rue : à la place de la rue, la plage et le parc deviennent ici le théâtre de l’exaltation collective. La spontanéité et l’ironie qui se dégagent des prises de vue reflètent le sentiment de liberté auquel sont généralement associées les années 1970.
Whole Roll, 1974 – 1978
La série des Whole Roll témoigne des aller-retours constants de l’artiste entre la prise de vue en extérieur et l’expérimentation dans la chambre noire. Elle travaille ici avec l’intégralité d’une pellicule 35 mm exposée (parfois deux), qu’elle dispose en bandes découpées donnant forme à un nouveau récit visuel. L’usage traditionnel de la planche contact est subverti : au lieu de simple document de travail, elle devient une oeuvre à part entière. Comme souvent dans le travail de Crane, l’oeuvre ne prend sens qu’à travers une rigoureuse opération de répétition, de démultiplication, de mise en forme séquentielle. Qu’elle pointe son objectif vers un groupe d’hommes ou sur des débris de petite taille, l’artiste assemble une surabondance de motifs dans des compositions aux allures de mosaïques énigmatiques.
Baxter Labs, 1974 – 1976
En parallèle de son activité d’enseignante à la School of the Art Institue of Chicago (SAIC), Barbara Crane bénéficie de commandes institutionnelles qui viennent nourrir ses recherches. Après avoir réalisé une vingtaine d’oeuvres murales très grand format pour les laboratoires pharmaceutiques Baxter / Travenol, (Illinois), Crane poursuit ce travail dans des oeuvres aux formats plus réduits. La série Baxter Labs témoigne de l’attrait de Crane pour la démultiplication des motifs et leur réagencement en un nouvel ensemble cohérent. De la combinaison des négatifs dans l’agrandisseur naissent de nouvelles formes graphiques abstraites qui se déploient généralement autour d’un élément central mis en exergue. Par ce geste photographique radical, Barbara Crane joue avec ironie sur les jeux optiques nés du travail dans la chambre noire.
Loop Series, 1976 – 1978
Dans le cadre d’une commande de la commission des monuments historiques et architecturaux de Chicago, Barbara Crane photographie les bâtiments de la ville entre 1972 et 1979. À cette occasion, elle se familiarise avec la photographie d’architecture et l’intègre dans ses travaux personnels. Avec sa lourde chambre photographique 5 x 7 pouces installée sur un sac de golf à grandes roues, Crane scrute le quartier historique du Loop. Soucieuse de dépasser le simple relevé architectural, elle porte une attention très particulière à la cohabitation de l’ancien et du moderne, à la manière dont la lumière anime les façades aux différentes heures de la journée, et au cadrage. Elle réalise des compositions à la frontière de l’abstraction : « J’étais fascinée par les couches aléatoires de textures, de tons et de plans se mêlant les uns aux autres pour former une explosion d’excitation visuelle », dit-elle.
Chicago Epic, 1976
Née d’une commande de la Chicago Bank of Commerce, la première version de cette oeuvre est un tirage long de près de sept mètres. L’artiste en réalise ensuite d’autres versions plus réduites, mais qui restent monumentales. Crane combine ici de très nombreux motifs par surimpression et tirages contacts : vues architecturales, portraits de passants, pigeons s’envolant et autoportraits dissimulés. L’attrait de l’artiste pour l’association de motifs hétérogènes transparait dans ce photomontage aux perspectives infinies et aux multiples jeux de transparence. Ce « chaos contrôlé », selon l’expression de Crane, est emblématique de la pratique de l’artiste qui s’efforce de traduire l’effervescence de Chicago dans une oeuvre exceptionnelle et radicale par son format et par son caractère total.
On The Fence, 1979 – 1980
Fin 1979, Barbara Crane s’installe à Tucson, en Arizona, après l’obtention d’une bourse de la fondation Guggenheim. Elle bénéficie alors d’un partenariat avec l’entreprise Polaroid dans le cadre de l’Artist Support Program. Cet accord, qui consiste en l’envoi régulier de matériel Polaroid en échange de tirages, marque un tournant dans son oeuvre : le procédé automatique en couleur occupe dès lors une place de premier plan. Dans l’arrière-cour de son appartement, Barbara Crane dispose sur un grillage toutes sortes d’objets qui l’entourent au quotidien et les photographie. Ces arrangements précaires, éloges du banal, fonctionnent comme des ready-mades photographiques. Ils rendent compte d’une vision très personnelle de l’imaginaire de l’Ouest américain, où cactus, plumes et veste en cuir côtoient, non sans humour, carrousel de diapositives et sous-vêtements.
Maricopa County Fair, 1979 – 1980
Private Views, 1980 – 1984
En 1979, Barbara Crane photographie les visiteurs de la foire du comté de Maricopa (Arizona). Elle multiplie les prises de vue de cette population anonyme au moyen d’une pellicule Polacolor type 668 qu’elle utilise avec un appareil Polaroid (ou une chambre 4 × 5 munie d’un dos pour film Polaroid). De retour à Chicago, elle perfectionne la réalisation de ce type d’images dans des festivals en plein air, utilisant un appareil 4 x 5 pouces Speed Graphic, muni d’un dos pour film Polaroïd. Private Views rend compte du regard empathique de Crane, qui fait jaillir de l’obscurité gestes de tendresse et autres marques de complicité. Elle déclare : « La seule chose que je voulais montrer, c’était ce geste qui en disait tant. Je m’approchai, physiquement, de plus en plus de mes sujets. Quand j’ai commencé à les photographier, je me situais à trois mètres des gens. À la fin, je n’étais plus qu’à quelques centimètres. »
Objet Trouvé, 1982 – 1983
Sortis de leur contexte, ces objets photographiés prennent de nouvelles formes que l’on peine à identifier. Un entremêlement de matières dessine de mystérieux ustensiles protéiformes. Ces arrangements aux accents surréalistes portent en eux la beauté de l’inutile et frappent par la délicatesse de leur élaboration. Barbara Crane réalise des tirages contact au platine et au palladium, sur un papier teinté, réalisé de manière artisanale. Elle explique : « Une boîte de conserve usée ou une brosse à cheveux d’enfant jetée, aplatie et déformée avec le temps, une fois observée et absorbée, devient étrangement familière et emblématique des cycles de la vie urbaine. Dans leur transformation, ces objets acquièrent une beauté formelle hantée par l’éphémère. »
Repeats, 1974 – 1975
Les Repeats fonctionnent comme des variations rythmiques autour d’un même motif visuel. L’artiste combine ses négatifs en les plaçant dans des sens contraires ou en miroir pour créer de véritables paysages graphiques. Des tirages hypnotiques horizontaux, souvent proches de l’abstraction, naissent de cette opération de répétition obsessionnelle qui reflète, selon ses mots, « l’idée de jeu, de transformation, d’infini ». La musique classique a toute son importance dans le processus de création de cette série. Lors de concerts symphoniques, la photographe relève, sur un carnet, les rythmes qu’elle entend « sous forme de diagrammes visuels des crescendos, legatos et staccatos afin d’élargir son expérience visuelle » avant d’en effectuer la transcription au moyen de l’expérimentation photographique.
Monster Series, 1982 – 1983
Monster Series témoigne du fort attrait de Barbara Crane pour l’étrange à partir des années 1980. L’artiste pose son regard sur les ports de Chicago et photographie les bassins de radoub, où sont réparés les bateaux. Décontextualisés par le cadrage en plan très rapproché, et saisis dans l’obscurité, morceaux de bois et bouts de cordes évoquent des monstres silencieux. Ces curieuses formes aux airs surréalistes envahissent le cadre au point de troubler le spectateur. Par l’attention minutieuse que Crane porte à ces éléments nautiques, elle donne vie à l’inanimé. Les effets de matière – d’effritement ou d’usure – deviennent d’inquiétants motifs organiques et géométriques.
Wipe Outs, 1986
Les wipe outs – littéralement « effacements » – désignent une série mais également un mode opératoire auquel Barbara Crane a recours à de multiples reprises dans les années 1980. L’artiste tire des diapositives couleur (Polachrome 35 mm) surexposées sur un film positif/négatif noir et blanc (Polaroid type 55) grâce à un copieur de diapositives (Polaprinter), afin d’obtenir un support à partir duquel elle tire ensuite une épreuve argentique. Les interactions complices des individus photographiés à bout portant se teintent ici d’une étrangeté due aux tonalités des épreuves. Par l’usage d’un objectif grand angle et du flash, les visages jaillissent de l’obscurité et s’effacent pour ne demeurer qu’à l’état de silhouettes brutalement anonymisées. De son propre aveu, Barbara Crane cherche ainsi à « construire une tension inquiétante pour atteindre et perturber le spectateur ».