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🔊 “L’invention de la Renaissance” L’humanisme, le prince et l’artiste, Ă  la BnF I Richelieu, du 20 fĂ©vrier au 16 juin 2024

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“L’invention de la Renaissance”
L’humanisme, le prince et l’artiste

Ă  la BnF I Richelieu, Paris

du 20 février au 16 juin 2024

BnF


Interview de Gennaro Toscano, conseiller scientifique pour le MusĂ©e de la BnF, la recherche et la valorisation des collections, et co-commissaire de l'exposition, par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă  Paris, le 19 fĂ©vrier 2024, durĂ©e 18’02, © FranceFineArt.
(photo © Gilles Kraemer pour Le Curieux des Arts)

PODCAST –  Interview de Gennaro Toscano, conseiller scientifique pour le MusĂ©e de la BnF, la recherche et la valorisation des collections, et co-commissaire de l’exposition


par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă  Paris, le 19 fĂ©vrier 2024, durĂ©e 18’03,
© FranceFineArt.
(photo © Gilles Kraemer pour Le Curieux des Arts)


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LÕinvention de la Renaissance
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©Anne-Fréderique Fer, présentation presse, le 19 février 2024.

Extrait du communiqué de presse :

Commissariat :
Jean-Marc Chatelain, directeur de la RĂ©serve des livres rares, BnF
Gennaro Toscano, conseiller scientifique pour le Musée de la BnF, la recherche et la valorisation des collections


Du XIVe au XVIe siĂšcle, l’Europe a Ă©tĂ© le thĂ©Ăątre d’une effervescence intellectuelle, artistique et scientifique nouvelle, que la postĂ©ritĂ© a consacrĂ©e sous le nom de Renaissance. L’humanisme en constitue le coeur : nĂ© dans l’Italie du XIVe siĂšcle et caractĂ©risĂ© par le retour aux textes antiques et la restauration des valeurs de civilisation dont ils Ă©taient porteurs, le mouvement humaniste a produit en Occident un modĂšle de culture nouveau, qui a modifiĂ© en profondeur les formes de la pensĂ©e comme celles de l’art. Les princes et les puissants s’en sont bientĂŽt emparĂ©s pour fonder sur lui une image renouvelĂ©e d’eux-mĂȘmes, comme l’attestent tout particuliĂšrement les grandes et magnifiques bibliothĂšques qu’ils ont rĂ©unies.

La BnF consacre une exposition Ă  cette Ă©popĂ©e culturelle et Ă  ce moment dĂ©cisif dans l’avĂšnement de notre modernitĂ©, oĂč littĂ©rature et art occupent une place maĂźtresse.

La prĂ©sentation de plus de 200 oeuvres comprenant des manuscrits, des livres imprimĂ©s, des estampes, des dessins, des peintures, des sculptures et objets d’art, des monnaies et mĂ©dailles issues des collections de la BnF et de prĂȘts extĂ©rieurs de grandes collections parisiennes (musĂ©e du Louvre, musĂ©e Jacquemart-AndrĂ©) plonge le visiteur dans l’univers de pensĂ©e et le monde des humanistes de la Renaissance.

Le parcours de l’exposition conduit du cabinet de travail privĂ© du lettrĂ© s’entourant de ses livres dans son studiolo jusqu’à l’espace ouvert au public des grandes biblio­thĂšques princiĂšres. Entre ces deux moments qui disent l’importance capitale des livres et de leur collecte, le visiteur est invitĂ© Ă  explorer les aspects majeurs de la culture humaniste de la Renaissance : le rĂŽle fondateur jouĂ© au XIVe siĂšcle par PĂ©trarque et sa bibliothĂšque ; la redĂ©couverte des textes antiques et la tĂąche de leur diffusion par la copie manuscrite, le travail d’édition, la traduction ; l’évolution du goĂ»t et des formes artistiques qu’entraĂźne une connaissance toujours plus Ă©tendue du legs de l’AntiquitĂ© ; la promotion nouvelle de la dignitĂ© de l’ĂȘtre humain et des valeurs propres Ă  sa puissance d’action et de crĂ©ation, telles que le programme humaniste de cĂ©lĂ©bration des hommes illustres les exalte.

Albrecht DĂŒrer (1471 - 1528), Erasme de Rotterdam, 1526. Gravure. © BnF, dĂ©partement des Estampes et de la photographie.

Albrecht DĂŒrer (1471 – 1528), Erasme de Rotterdam, 1526. Gravure. © BnF, dĂ©partement des Estampes et de la photographie.

Jacopo Bellini (1396 - 1470), Allégorie de la république de Venise, dans Jacopo Antonio Marcello, Passio Mauritii et sotiorum ejus Venise, 1453. Tempera sur parchemin. © BnF, Arsenal.

Jacopo Bellini (1396 – 1470), AllĂ©gorie de la rĂ©publique de Venise, dans Jacopo Antonio Marcello, Passio Mauritii et sotiorum ejus Venise, 1453. Tempera sur parchemin. © BnF, Arsenal.

Pisanello (vers 1395 – vers 1455), Alphonse V d’Aragon en armure, vu en buste, de profil vers la gauche, entre une couronne royale et un casque aux armes d’Aragon Naples, 1448. © Paris, musĂ©e du Louvre.

Pisanello (vers 1395 – vers 1455), Alphonse V d’Aragon en armure, vu en buste, de profil vers la gauche, entre une couronne royale et un casque aux armes d’Aragon Naples, 1448. © Paris, musĂ©e du Louvre.

Tout au long du parcours, manuscrits magnifiquement calligraphiĂ©s et enluminĂ©s et livres imprimĂ©s Ă  la mise en page et l’illustration renouvelĂ©es par des modĂšles empruntĂ©s Ă  l’AntiquitĂ© sont replacĂ©s dans le dialogue que l’art du livre de la Renaissance ne cesse d’entretenir avec l’ensemble des arts plastiques et visuels du temps : peinture et sculpture, art de la mĂ©daille et de la reliure, gravure et dessin.

La culture des lettres promue par les humanistes est ainsi rĂ©unie au culte de la beautĂ© par lequel ils entendaient crĂ©er les conditions propices Ă  l’établissement d’un rapport neuf et toujours plus Ă©troit avec la culture de l’AntiquitĂ© : un rapport qui ne faisait pas seulement de la civilisation antique une matiĂšre d’étude mais aussi l’objet d’une vĂ©ritable « renaissance », qui n’envisageait pas seulement cette civilisation comme un monde de connaissances historiques mais aussi comme un monde de valeurs toujours actuelles, de maniĂšre Ă  accomplir la promesse d’humanitĂ© contenue dans le mot mĂȘme d’humanisme.

Une scĂ©nographie sobre, au service des oeuvres et de leur mise en relation, met Ă  profit les volumes de la galerie Mansart de la BnF Richelieu, pour enchaĂźner dans l’unitĂ© d’un rĂ©cit les cinq grands chapitres de l’exposition. Ils conduisent du XIVe au milieu du XVIe siĂšcle, tout en suivant l’ordre thĂ©matique que leurs titres indiquent : « Le studiolo » ; « PĂ©trarque et la naissance de l’humanisme » ; « De l’étude de l’AntiquitĂ© au goĂ»t de l’antique » ; « Le savoir et la gloire » ; « De la bibliothĂšque humaniste Ă  la bibliothĂšque princiĂšre ».

Des cartes, des chronologies ainsi que des dispositifs audiovisuels de mĂ©diation fournissent au public le plus large les repĂšres principaux qui permettent de mieux pĂ©nĂ©trer dans le cours d’une histoire qui a changĂ© le destin culturel de l’Occident.

Jacopo Bellini (1396 - 1470), Portrait de Jacopo Antonio Marcello, dans Passio Mauritii et sotiorum ejus, Venise, 1453. © BnF, Arsenal.

Jacopo Bellini (1396 – 1470), Portrait de Jacopo Antonio Marcello, dans Passio Mauritii et sotiorum ejus, Venise, 1453. © BnF, Arsenal.

Pérugin (1445 ?-1523), Apollon et Daphnis, Vers 1490. Huile sur bois. © Musée du Louvre.

Pérugin (1445 ?-1523), Apollon et Daphnis, Vers 1490. Huile sur bois. © Musée du Louvre.

Juste de Gand et Pedro Berruguete, Portrait de Platon, Urbino, vers 1472-1478. Huile sur bois. © Paris, musée du Louvre.

Juste de Gand et Pedro Berruguete, Portrait de Platon, Urbino, vers 1472-1478. Huile sur bois. © Paris, musée du Louvre.


Parcours de l’exposition

Introduction

Dans l’Italie de la fin du Moyen Âge, un nouveau modĂšle de culture s’invente, qui s’étend bientĂŽt Ă  la pĂ©ninsule tout entiĂšre avant de gagner le reste de l’Europe au XVIe siĂšcle. DĂ©signĂ© plus tard du nom d’humanisme, il repose sur un effort de rassemblement sans prĂ©cĂ©dent du patrimoine littĂ©raire, intellectuel et artistique de l’AntiquitĂ©. Avec un mĂȘme enthousiasme, on recherche activement les manuscrits les plus anciens des textes des auteurs classiques, on exhume et collectionne les vestiges archĂ©ologiques, on se livre Ă  l’imitation des formes littĂ©raires et artistiques lĂ©guĂ©es par ce passĂ© prestigieux.

NĂ© d’abord de l’amour des livres et de la frĂ©quentation des textes, comme la figure tutĂ©laire de PĂ©trarque (1304-1374) en donne l’exemple, l’humanisme n’est toutefois pas une pure Ă©rudition de cabinet enfermĂ©e dans la contemplation d’un Ăąge rĂ©volu. De la familiaritĂ© retrouvĂ©e avec les oeuvres de l’AntiquitĂ© paĂŻenne, de l’admiration pour ses hĂ©ros, naĂźt une vision neuve de l’homme. Plus optimiste, elle n’en fait plus une crĂ©ature Ă©crasĂ©e sous le poids du pĂ©chĂ© originel mais cĂ©lĂšbre sa dignitĂ© et sa libertĂ© : on reconnaĂźt sa capacitĂ© de crĂ©ation et sa puissance d’action. Porteur de valeurs nouvelles autant que de connaissances du passĂ©, l’humanisme dĂ©borde l’espace Ă©troit de l’étude du lettrĂ© : il ne s’étend pas seulement gĂ©ographiquement mais gagne aussi les plus hautes sphĂšres de la sociĂ©tĂ©. Princes et seigneurs s’emparent de cette culture pour affirmer mieux la lĂ©gitimitĂ© de leur pouvoir. Les grandes bibliothĂšques qui se constituent alors sous leur Ă©gide en sont la manifestation Ă©clatante : en elles se rĂ©sume l’esprit de la civilisation de la Renaissance.



PARTIE 1 – Le studiolo du lettrĂ©

À partir des images que l’on en connaĂźt, cette premiĂšre partie s’attache Ă  reconstituer ce que pouvait ĂȘtre le studiolo d’un lettrĂ© ou d’un prince humaniste de la Renaissance, de maniĂšre Ă  plonger le visiteur dans l’espace de travail et de lecture Ă  cette Ă©poque : des livres touchant Ă  des disciplines diverses, des objets de savoir tels que des globes et des objets scientifiques, des portraits d’hommes illustres notamment ceux du studiolo d’Urbino par Juste de Gand et Pedro Berruguete conservĂ©s au musĂ©e du Louvre. Quelques scĂšnes reprĂ©sentant le lettrĂ© dans son Ă©tude telles qu’on peut les trouver dans des manuscrits enluminĂ©s de la Renaissance ou dans des portraits gravĂ©s complĂštent cette premiĂšre partie. HĂ©ritĂ© de la vie monastique du Moyen Âge, le studiolo est par excellence le lieu de la lecture et de la mĂ©ditation des textes. Le mot, sous la forme latine studium (« l’étude »), apparaĂźt au XIVe siĂšcle Ă  la cour pontificale d’Avignon puis Ă  la cour de France sous Charles V, roi de 1364 Ă  1380. Ce qui chez PĂ©trarque, dans sa maison d’ArquĂ  prĂšs de Padoue, Ă©tait une piĂšce intime rĂ©servĂ©e Ă  la lecture et au travail solitaire de l’écrivain, devient alors un espace oĂč les livres cĂŽtoient tableaux et objets prĂ©cieux, pour ĂȘtre parfois montrĂ©s Ă  un public choisi mais surtout pour la dĂ©lectation privĂ©e. C’est ce modĂšle que les humanistes adoptent. Entre la fin du XIVe et le dĂ©but du XVe siĂšcle, le studiolo se rĂ©pand dans les maisons de la bourgeoisie marchande et dans les palais des princes et princesses d’Italie : ceux de CĂŽme l’Ancien puis de son fils Piero au palais MĂ©dicis Ă  Florence, de Lionello d’Este Ă  Ferrare, de FrĂ©deric de Montefeltro Ă  Urbino, d’Ippolita Maria Sforza Ă  Naples ou encore d’Isabelle d’Este Ă  Mantoue. Ce lieu du loisir lettrĂ© s’enrichit d’un dĂ©cor adaptĂ© Ă  sa fonction : boiseries en marqueterie Ă©voquant les arts et les sciences, figures des Muses, portraits d’hommes illustres avec lesquels l’homme de la Renaissance entre dans un dialogue idĂ©al.



PARTIE 2 – PĂ©trarque et la naissance de l’humanisme

Ce second volet du parcours met en Ă©vidence la nouveautĂ© que reprĂ©sente PĂ©trarque (1304-1374) dans le monde de la culture et des arts. Fils d’un notaire pontifical rĂ©fugiĂ© Ă  la cour d’Avignon, PĂ©trarque Ă©tudie Ă  Carpentras et Ă  Montpellier puis achĂšve ses Ă©tudes de droit Ă  Bologne, tout en se plongeant avec dĂ©lices dans la lecture de CicĂ©ron, de Virgile et des autres grands auteurs latins. LettrĂ© d’un genre nouveau, dĂ©tachĂ© des appartenances traditionnelles des clercs aux ordres religieux comme aux hiĂ©rarchies universitaires, il inaugure un nouveau rapport au savoir en donnant Ă  l’étude des textes de l’AntiquitĂ© une place centrale dans la tĂąche rĂ©flexive de l’homme. Les lettres antiques deviennent l’instrument par excellence de ce que CicĂ©ron appelait la « culture de l’ñme ». Entre 1326 et 1329, de retour en Avignon, PĂ©trarque entreprend de rĂ©unir les fragments jusqu’alors dispersĂ©s de l’Histoire romaine de Tite-Live puis, en 1333, un voyage en Europe du Nord lui donne l’occasion de retrouver dans de grandes bibliothĂšques monastiques des manuscrits oubliĂ©s d’oeuvres d’écrivains latins. Il annonce ainsi la figure du philologue humaniste, attachĂ© Ă  donner une vie nouvelle Ă  l’hĂ©ritage de l’AntiquitĂ© classique. Par cet effort en mĂȘme temps que par l’étendue sans prĂ©cĂ©dent de la bibliothĂšque de textes anciens qu’il parvient Ă  rĂ©unir, appelĂ©e Ă  devenir un modĂšle pour les gĂ©nĂ©rations Ă  venir, PĂ©trarque fait figure de hĂ©ros fondateur dans cette nouvelle Ă©poque de la culture qu’est l’humanisme.


L’oeuvre littĂ©raire de PĂ©trarque
De remediis utriusque fortunae (1354-1366)

Reprenant un lieu commun littĂ©raire, et par un certain attachement Ă  l’éthique stoĂŻcienne, PĂ©trarque a stigmatisĂ© la possession matĂ©rielle des livres dans sa plus grande oeuvre, le De remediis utriusque fortunae, composĂ© Ă  Milan dans les annĂ©es 1360. La rage de collectionner y est prĂ©sentĂ©e comme une vaine recherche si elle ne permet pas d’accĂ©der Ă  la substantifique moelle des livres et se limite Ă  une connaissance superficielle de leur teneur, voire Ă  celle de leurs titres seulement. Dans la premiĂšre partie du dialogue sur l’abondance des livres (De librorum copia), Ratio, personnification de la vertu, s’oppose Ă  Gaudium et la met en garde contre une accumulation inutile, qui ne se soucie ni de connaĂźtre ni d’assimiler le contenu des livres. À la suite de SĂ©nĂšque, PĂ©trarque se moque de ceux qui possĂšdent de nombreux livres mais se contentent d’en regarder les dos sur les Ă©tagĂšres. Il estime aussi que des livres en grand nombre sont un fardeau pour l’homme d’étude. Le ton est ici Ă  la satire, et la cible pourrait ĂȘtre l’autre grand bibliophile de son Ă©poque, ce Richard de Bury qu’il n’avait peut-ĂȘtre fait qu’entrapercevoir Ă  Avignon en 1329.



PARTIE 3 – De l’étude de l’AntiquitĂ© au goĂ»t de l’Antique

En reconstituant l’Histoire romaine de Tite-Live et en exhumant des manuscrits oubliĂ©s ou nĂ©gligĂ©s, PĂ©trarque a ouvert la voie Ă  un vaste mouvement de chasse aux textes d’auteurs classiques. DĂ©bordant la figure du seul PĂ©trarque, le propos de l’exposition s’élargit ici pour montrer comment l’humanisme devient Ă  sa suite la tĂąche collective de gĂ©nĂ©rations successives de lettrĂ©s qui partagent l’idĂ©al de savoir et de sagesse en direction duquel il avait ouvert un chemin. Il s’agira donc de reconstituer cette tĂąche en montrant de maniĂšre concrĂšte en quoi elle consiste : travail de collecte des manuscrits d’auteurs classiques, travail de copie magnifiant les textes et imposant par cette magnificence un nouveau canon des auteurs de rĂ©fĂ©rence, travail sur les textes eux-mĂȘmes en vue d’en restituer la version la plus authentique.


La « redécouverte » des classiques : la chasse aux manuscrits et leur copie

PĂ©trarque fut le premier grand chasseur de manuscrits, le premier Ă  se lancer, en sollicitant au besoin son vaste rĂ©seau de correspondants, dans cette activitĂ© de recherche si caractĂ©ristique de l’humanisme de la premiĂšre Renaissance. Il le fait d’abord pour la bibliothĂšque pontificale d’Avignon, puis pour lui-mĂȘme. De la dĂ©couverte d’oeuvres de CicĂ©ron lors de son voyage en 1333 Ă  la collation des divers manuscrits de Tite-Live rassemblĂ©s avec l’aide de Landolfo Colonna, en passant par le rĂ©cit oĂč il se reprĂ©sente gravissant le mont Ventoux en tenant sous le bras un exemplaire des Confessions de saint Augustin, la quĂȘte du savoir s’accompagne toujours chez PĂ©trarque d’un rapport concret Ă  la lecture et aux livres, auxquels elle doit s’arrimer fermement. La crĂ©ation d’une grande bibliothĂšque privĂ©e, la plus grande de son temps, dĂ©coulait donc naturellement de cet amour du savoir. L’exemple de PĂ©trarque et la notoriĂ©tĂ© qui s’est rapidement attachĂ©e Ă  sa personne et Ă  sa bibliothĂšque ont changĂ© le statut de la quĂȘte des manuscrits d’oeuvres antiques : ce qui Ă©tait l’intĂ©rĂȘt particulier de quelques-uns pour quelques auteurs est devenu la tĂąche collective des lettrĂ©s que le dessein de faire revivre les antiques studia humanitatis et celui de restaurer le plus vaste corpus qu’elles pouvaient embrasser rĂ©unissaient dans unecommunautĂ© idĂ©ale, bientĂŽt dĂ©signĂ©e du nom de « rĂ©publique des lettres » (respublica litteraria). De fait, c’est, sous la plume de Francesco Barbaro, dans une lettre Ă©crite en 1417 Ă  l’humaniste italien Poggio Bracciolini (1380-1459) pour le remercier de ses dĂ©couvertes de manuscrits en Allemagne, qu’apparaĂźt pour la premiĂšre fois l’expression Respublica literaria. Dans cette Ă©popĂ©e culturelle, les chasseurs de manuscrits apparaissent comme l’avant-garde d’une armĂ©e dont les mouvements se dĂ©ploient sur plusieurs fronts Ă  la fois et dont les acteurs peuvent ĂȘtre d’ailleurs les mĂȘmes personnes. Le premier de ces fronts est celui de la copie manuscrite : elle garantit la diffusion des textes retrouvĂ©s avant que l’imprimerie ne s’en charge Ă  son tour, Ă  plus grande Ă©chelle, mais elle permet aussi Ă  la culture nouvelle de l’AntiquitĂ©, par la rĂ©alisation de copies de luxe, de gagner les positions dominantes et stratĂ©giques que sont les grandes bibliothĂšques princiĂšres. ParallĂšlement se dĂ©veloppe la critique textuelle, qui vise Ă  restaurer les oeuvres dans des versions plus fiables. Dans l’Italie du XVe siĂšcle, les deux plus Ă©minents condottieres de la critique textuelle sont Lorenzo Valla (1407-1457) et Ange Politien (1454-1494). Mais le prestige de quelques trĂšs grands noms ne doit pas cacher l’existence du travail menĂ© par beaucoup d’autres, connus ou moins connus, notamment par tous les praticiens de la critique textuelle que sont les correcteurs qui interviennent dans l’édition des livres issus des presses des grands ateliers typographiques humanistes, comme celui d’Alde Manuce Ă  Venise au tournant des XVe et XVIe siĂšcles ou, Ă  la mĂȘme Ă©poque, ceux de Johann Froben Ă  BĂąle et de Josse Bade Ă  Paris. Enfin on ne saurait oublier, sur un troisiĂšme front, le rĂŽle jouĂ© par les traductions, tant du grec au latin que du latin dans les langues vulgaires.


L’apparat du livre et ses modùles antiques

Sous l’impulsion des humanistes, la ville de Florence fut au dĂ©but du XVe siĂšcle le thĂ©Ăątre d’un grand renouvellement de la mise en page du livre manuscrit, de sa dĂ©coration et de son Ă©criture. Au siĂšcle prĂ©cĂ©dent, PĂ©trarque avait Ă©tĂ© l’un des premiers Ă  critiquer l’écriture gothique. Dans une lettre adressĂ©e Ă  Boccace le 28 octobre 1366, il affirme apprĂ©cier l’écriture de Giovanni Malpaghini, qui Ă©tait venu s’installer chez lui en 1364 pour l’aider Ă  transcrire nombre de ses oeuvres et surtout ses lettres familiĂšres. Vers 1400, sous l’instigation de Coluccio Salutati, chancelier de la RĂ©publique de Florence, les humanistes Poggio Bracciolini et NiccolĂČ Niccoli commencent Ă  utiliser une Ă©criture proche de la minuscule caroline appelĂ©e littera antiqua. Cette nouvelle Ă©criture claire, rĂ©guliĂšre et dĂ©sormais dĂ©barrassĂ©e des redondances du gothique fut accompagnĂ©e par un nouveau type de dĂ©cor dit Ă  bianchi girari, formĂ© de rinceaux vĂ©gĂ©taux rĂ©servĂ©s en blanc sur un champs de couleur bleu, rouge, rose ou vert. Cette dĂ©coration connut une large diffusion dans l’Italie du Quattrocento.


Le décor à
bianchi girari

L’un des artistes les plus prolifiques de la Florence des MĂ©dicis fut sans doute l’enlumineur Francesco di Antonio del Chierico qui travailla lui aussi pour les plus importants bibliophiles du Quattrocento. Le dĂ©cor Ă  bianchi girari fut non seulement apprĂ©ciĂ© mais Ă©galement imitĂ© dans les plus importants centres de productions de manuscrits de la pĂ©ninsule – notamment Ă  Rome et Ă  Naples grĂące Ă  l’activitĂ© de Gioacchino des Gigantibus – et trouva des Ă©mules parmi les artistes locaux. Cette dĂ©coration si prisĂ©e servit Ă©galement Ă  enrichir les livres imprimĂ©s et, pour rompre la monotonie des bianchi girari, les artistes du livre ont assez vite Ă©gayĂ© les rinceaux vĂ©gĂ©taux d’animaux fantastiques et de putti (angelot nu et ailĂ©). Dans ces manuscrits, l’écriture humanistique intĂšgre parfaitement les espaces de la page et Ă©pouse avec grande Ă©lĂ©gance le vocabulaire dĂ©coratif issu de la tradition classique.


Humanistes et antiquaires

De Padoue Ă  Venise, puis Ă  Florence, cette esthĂ©tique du livre renaissant se diffusera largement dans la Rome des papes et des cardinaux ainsi qu’à la cour des rois aragonais de Naples grĂące Ă  l’activitĂ© de Bartolomeo Sanvito, de Gaspare de Padoue et du MaĂźtre du Pline de Londres. Ces nouveautĂ©s furent aussi intrinsĂšquement liĂ©es au monde des « antiquaires », ces hommes qui, au sens propre du terme, Ă©taient versĂ©s dans l’étude, la recherche et la collecte des vestiges de l’AntiquitĂ©. DĂšs le haut Moyen Âge, les inscriptions latines furent recensĂ©es comme tĂ©moins d’une grandeur passĂ©e. Proche de PĂ©trarque, l’homme d’État et grand lecteur des auteurs classiques, Cola di Renzo (1313-1354), qui souhaitait rĂ©tablir une rĂ©publique fondĂ©e sur la mĂ©moire de la RomanitĂ©, passa beaucoup de temps Ă  Ă©tudier les anciennes inscriptions latines, vestiges d’une grandeur passĂ©e. En 1346, il dĂ©couvrit une plaque de bronze, remployĂ©e depuis des siĂšcles dans l’autel de la basilique du Latran, dans laquelle avait Ă©tĂ© gravĂ©e la loi accordant les pouvoirs impĂ©riaux Ă  Vespasien. Marchand et voyageur, Ciriaco d’Ancona rassembla le tĂ©moignage de tous les sites archĂ©ologiques du pourtour mĂ©diterranĂ©en qu’il visita : pour lui, les vestiges matĂ©riels Ă©taient les tĂ©moins les plus fidĂšles de la civilisation antique. Futur chancelier de la RĂ©publique de Florence, proche du pape, Poggio Bracciolini (1380-1459) rassembla quant Ă  lui les premiers recueils Ă©pigraphiques de l’Époque moderne. C’est Ă  lui que l’on doit le perfectionnement de la littera antiqua. On pourrait en citer d’autres, comme Flavio Biondo († 1463), Guilio Pomponio Leto (1428-1497) ou Bernardo Rucellai (1448-1514).


Le travail Ă©ditorial : de l’établissement du texte Ă  sa diffusion imprimĂ©e

La diffusion imprimĂ©e des productions des humanistes (Ă©ditions de textes classiques, production savante ou pĂ©dagogique) devient un enjeu majeur pour toute une catĂ©gorie d’éditeurs-libraires. Pour conquĂ©rir ce champ de l’édition humaniste, les imprimeurs-libraires entreprennent de livrer des productions qui rivalisent de maĂźtrise technique, tout en promouvant une forme d’éthique appliquĂ©e Ă  l’exercice de leur mĂ©tier et actualisĂ©e dans le rapport aux auteurs, l’exactitude de la restitution des textes et la rĂ©gulation d’une concurrence inĂ©vitable et fĂ©roce entre officines. L’activitĂ© de ces ateliers rĂ©pond aux objectifs humanistes que s’assigne la jeune « RĂ©publique des lettres », rĂ©seau international de savants qui, affranchis des tutelles universitaires et ecclĂ©siastiques, convergent vers leurs presses, aux premiers rangs desquelles figurent, au tournant des XVe et XVIe siĂšcles, celles d’Alde Manuce. La formation et l’entourage humaniste de ce dernier et sa vocation de pĂ©dagogue et d’érudit qui prĂ©cĂšdent sa carriĂšre d’imprimeur-libraire sont au fondement de la constitution de cet atelier en un vĂ©ritable foyer intellectuel : ainsi Marcus Musurus, Demetrios Doucas, Janus Lascaris collaborent-ils Ă©troitement avec Alde Manuce pour la publication des volumes en grec, tandis que Pietro Bembo travaille Ă  l’avĂšnement d’une langue nationale en publiant Dante et PĂ©trarque ou qu’Andrea Navagero, avant de prendre la tĂȘte de la Biblioteca Marciana, participe aux Ă©ditions latines d’Ovide et de LucrĂšce. La publication de Bibles multilingues conjugue les avancĂ©es de l’imprimĂ© aux nouvelles mĂ©thodes philologiques et illustre de façon spectaculaire l’étroit lien qu’entretient le milieu humaniste avec les ateliers d’imprimeurs. Ainsi, les liens Ă©troits qu’entretiennent les imprimeurs-libraires avec le milieu humaniste dont ils sont parfois issus, redĂ©finissent progressivement le champ littĂ©raire, Ă©largissent Ă  proportion de la diffusion des textes les contours d’une communautĂ© savante qui dialogue, dispute, s’affronte par livres interposĂ©s.


La diffusion par la traduction

À une Ă©poque oĂč le mouvement humaniste a produit une transformation culturelle dans l’approche de l’AntiquitĂ© et la façon de penser l’idĂ©e de tradition, le phĂ©nomĂšne des « vulgarisations », c’est-Ă -dire celui de la traduction des textes du latin ou, moins souvent, du grec dans les diverses langues vernaculaires, a incontestablement jouĂ© un rĂŽle important. Étroitement liĂ© Ă  une profonde aspiration sociale Ă  construire une nouvelle identitĂ© linguistique et culturelle, ce phĂ©nomĂšne, en rendant plus accessible l’hĂ©ritage classique, a acquis avec l’humanisme une Ă©paisseur thĂ©orique, une dignitĂ© littĂ©raire ainsi qu’une valeur socioculturelle voire politique jusqu’alors inconnues. La traduction s’affranchit progressivement de son ancienne fonction instrumentale et de sa position de subordination Ă  l’oeuvre originale : moyen d’acquĂ©rir et de transmettre des contenus, elle devient une activitĂ© pĂ©dagogique et rhĂ©torique de mĂ©diation et de transcodage culturel de premiĂšre importance. PortĂ©e par la dynamique idĂ©ologique qui la caractĂ©rise, l’activitĂ© de traduction s’est consolidĂ©e Ă  l’apogĂ©e de l’humanisme en tant que pratique non seulement sociale, mais aussi rhĂ©torique et politique : elle poursuivait le double objectif de former l’individu comme le citoyen et de promouvoir et soutenir un pouvoir politique.



PARTIE 4 – La savoir et la gloire

L’humanisme de la Renaissance est une rĂ©forme intellectuelle et morale : il est Ă  la fois un mouvement de restauration de l’hĂ©ritage de l’AntiquitĂ© et une aspiration Ă  reconnaĂźtre Ă  l’homme, dans sa libertĂ© d’agir et de crĂ©er, une dignitĂ© nouvelle. Mais celle-ci est Ă  conquĂ©rir : elle est obtenue au prix d’un effort de formation et de perfectionnement moral, qui doit lui permettre de trouver le chemin de la gloire. L’étude des auteurs classiques vient ainsi nourrir une pĂ©dagogie que rĂ©sume l’expression de studia humanitatis (« Ă©tudes d’humanitĂ© »), reprise de CicĂ©ron. Y participe aussi le culte des hommes illustres qui se dĂ©veloppe alors. PĂ©trarque en avait fourni l’exemple avec son recueil de biographies de hĂ©ros romains (De viris illustribus), qui sont autant de modĂšles proposĂ©s Ă  l’admiration et Ă  l’imitation de l’homme moderne. L’iconographie de la gloire humaine se rĂ©pand dans les arts plastiques et visuels, oĂč elle emprunte des formes diverses : cycles de fresques ou de tableaux, portraits isolĂ©s, mĂ©dailles, etc. Comme dans les portraits en buste de profil ou dans les reprĂ©sentations de triomphes Ă  l’antique, la figure de l’homme illustre s’entoure de la grandeur que confĂšre l’adoption de formules codifiĂ©es et solennelles, reprises au rĂ©pertoire de l’AntiquitĂ©.


Le portrait humaniste

Le portrait n’est une pas une invention de la Renaissance mais c’est Ă  la Renaissance qu’il devient l’expression tangible du rĂŽle que les humanistes ont accordĂ© Ă  l’homme dans la sociĂ©tĂ©. Depuis l’origine de notre civilisation, les artistes ont essayĂ© d’immortaliser les traits des ĂȘtres humains. À partir du XIIIe siĂšcle, le portrait stĂ©rĂ©otypĂ© cĂšde la place au portrait individualisĂ© et on assiste Ă  la multiplication des portraits des vivants. Papes, empereurs et monarques sont ainsi immortalisĂ©s par les plus importants artistes et ces derniers commencent Ă  se reprĂ©senter Ă  cĂŽtĂ© de personnages illustres. Le portrait a de multiples fonctions. Il permet d’avoir une idĂ©e du visage des Ă©poux dans les mariages par procuration ; il est envoyĂ© Ă  d’autres princes pour prĂ©parer des alliances politiques ; il rend actuelle la Historia peinte ou sculptĂ©e. Dans la Florence du dĂ©but du Quattrocento, des personnages contemporains pris sur le vif peuplent les grands cycles de fresques peints dans les plus importantes Ă©glises de la ville. Le portrait de Jean Le Bon, roi de France de 1350 Ă  1364, est considĂ©rĂ© comme le premier portrait autonome de la peinture europĂ©enne (Paris, dĂ©partement des peintures, musĂ©e du Louvre).


Le portrait en médaille

Dans un contexte de rĂ©surgence du portrait et de mise Ă  l’honneur du bronze, les monnaies et mĂ©daillons antiques interpellĂšrent les humanistes et les artistes de la Renaissance. La ville de Ferrare s’affirma comme un foyer de la mĂ©daille pendant les annĂ©es 1440 : Leonello d’Este, marquis de Ferrare, s’attacha les services de Pisanello, qui exĂ©cuta pour lui une douzaine de mĂ©dailles. Il est significatif que la mĂ©daille se dĂ©veloppe dans l’une de ces citĂ©s du Nord de l’Italie, qui avaient Ă  leur tĂȘte ces princes humanistes qui partageaient leur rĂšgne entre les combats et les lectures Ă©rudites. Cet art permettait en effet de cĂ©lĂ©brer leur gouvernement, par l’affirmation de leur puissance militaire mais aussi, Ă  travers des rĂ©fĂ©rences subtiles, leurs qualitĂ©s dans l’exercice du pouvoir. La mĂ©daille de Jean VIII PalĂ©ologue, dont la date d’exĂ©cution est encore discutĂ©e, est gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ©e comme la premiĂšre mĂ©daille de la Renaissance. Selon l’hypothĂšse majoritairement admise, elle aurait Ă©tĂ© produite lors du sĂ©jour en Italie de l’empereur byzantin, qui se rendit en 1438 au concile de Ferrare. La mĂ©daille aurait donc eu pour objectif de commĂ©morer cette visite historique d’un empereur hĂ©ritier de Rome, en s’inspirant d’objets issus de l’AntiquitĂ©.



PARTIE 5 – De la bibliothĂšque humaniste Ă  la bibliothĂšque princiĂšre

Le dernier moment du parcours Ă©voque le triomphe de l’idĂ©al culturel initiĂ© au XIVe siĂšcle par PĂ©trarque en montrant comment celui-ci en est arrivĂ© Ă  constituer le modĂšle moderne de la bibliothĂšque princiĂšre des XVe et XVIe siĂšcles, dans un Ă©change entre savoir et pouvoir qui se nourrit du souvenir hĂ©roĂŻque des grandes bibliothĂšques hellĂ©nistiques de l’AntiquitĂ© (Alexandrie et Pergame) et fait de la bibliothĂšque l’expression de la puissance politique. La rĂ©cupĂ©ration du modĂšle humaniste de la bibliothĂšque par les princes de la Renaissance sera prĂ©sentĂ©e Ă  partir des trois exemples emblĂ©matiques que sont, par ordre chronologique, la bibliothĂšque des ducs de Milan Ă  Pavie, celle des rois aragonais de Naples et celle du roi de France Ă  Fontainebleau. Les livres rassemblĂ©s par PĂ©trarque au long de sa vie et rĂ©unis pour finir dans sa maison d’ArquĂ , prĂšs de Padoue, annoncent un nouveau modĂšle de bibliothĂšque qui se prĂ©cise et se diffuse au cours du XVe siĂšcle : celle oĂč les oeuvres des auteurs classiques latins et grecs occupent, Ă  part Ă©gale avec les PĂšres de l’Église, une place centrale. Ces oeuvres nourrissent la rĂ©flexion sur l’homme, tandis que la comparaison de leurs diffĂ©rents manuscrits permet de restaurer chacune dans sa version la plus fiable. Les princes et grands de ce monde s’emparent Ă  leur tour de ce modĂšle humaniste, sur lequel ils fondent de nouvelles bibliothĂšques de cour. Celles-ci deviennent un symbole de puissance, de magnificence et de gloire. Apparu d’abord en Italie, comme Ă  Pavie Ă  la cour des Visconti sous l’impulsion de PĂ©trarque lui-mĂȘme et Ă  Naples par la volontĂ© du roi Alphonse V d’Aragon dit le Magnanime, le modĂšle de la bibliothĂšque humaniste et princiĂšre gagne le reste de l’Europe au tournant des XVe et XVIe siĂšcles : d’abord Ă  Budapest Ă  la cour du roi de Hongrie Matthias Corvin, puis bientĂŽt en France. À Amboise sous Charles VIII puis Ă  Blois sous Louis XII et Ă  Fontainebleau Ă  la fin du rĂšgne de François Ier,, la bibliothĂšque des rois de France s’affirme comme l’une des plus riches de son temps, comparable uniquement Ă  celle que les papes avaient constituĂ©e Ă  Rome depuis leur retour d’Avignon.


La bibliothÚque comme monument héroïque

C’était au XIVe siĂšcle un privilĂšge que de pĂ©nĂ©trer dans la bibliothĂšque de PĂ©trarque : il n’en autorisait l’accĂšs que comme une grĂące accordĂ©e Ă  quelques amis ou un honneur rĂ©servĂ© Ă  de trĂšs hauts personnages. L’étude oĂč Ă©taient conservĂ©s ses livres demeurait une chambre privĂ©e et retirĂ©e, espace intime de l’écrivain. C’est pourtant Ă  PĂ©trarque qu’on doit, en 1362, l’idĂ©e neuve de lĂ©guer ses livres Ă  la citĂ© de Venise comme un bien commun Ă  mettre Ă  la disposition de tous les lettrĂ©s, sans condition d‘appartenance Ă  une communautĂ© institutionnalisĂ©e telle qu’une communautĂ© religieuse ou une universitĂ©.


BibliothÚque et « utilité publique »

Une suite de pĂ©ripĂ©ties amena PĂ©trarque Ă  renoncer en 1368 Ă  son intention. Mais la volontĂ© qu’il avait d’abord exprimĂ©e devait rapidement servir d’exemple Ă  nombre d’humanistes des gĂ©nĂ©rations suivantes et exercer ainsi une influence dĂ©cisive sur le destin des bibliothĂšques occidentales. Une vingtaine d’annĂ©es seulement aprĂšs sa mort, Coluccio Salutati, dans un passage de son traitĂ© Du destin et de la fortune (De fato et fortuna, II, 6), appelait Ă  la constitution de bibliothĂšques publiques, c’est-Ă -dire ouvertes Ă  l’ensemble des lettrĂ©s pour que s’y effectue, par la collation des manuscrits qui s’y trouveraient rassemblĂ©s en grand nombre, le travail de critique textuelle qui incombait aux humanistes.


Le modĂšle humaniste de la bibliothĂšque au service de la gloire des princes

Du nord au sud de la pĂ©ninsule italienne, le modĂšle de bibliothĂšque promu par les humanistes fut adoptĂ© par de nombreux princes et seigneurs. Du XIVe au XVe siĂšcle, de nombreuses bibliothĂšques de cour virent ainsi le jour. Citons celle fondĂ©e par les Visconti Ă  Pavie, les Carrara Ă  Padoue, les Gonzague Ă  Mantoue, les Este Ă  Ferrare, les MĂ©dicis Ă  Florence, les Malatesta Ă  Cesena, les rois d’Aragon Ă  Naples et Federico de Montefeltro Ă  Urbino. DestinĂ©es Ă  accroĂźtre la renommĂ©e du prince, elles Ă©taient ouvertes aux savants et aux membres de la cour.


De Pavie Ă  Blois : la bibliothĂšque des Visconti-Sforza

La cĂ©lĂšbre bibliothĂšque des Visconti avait Ă©tĂ© fondĂ©e au chĂąteau de Pavie par GalĂ©as II Ă  partir des annĂ©es 1360. PĂ©trarque qui sĂ©journait Ă  l’époque Ă  la cour des Visconti aurait jouĂ© un rĂŽle important dans la constitution de cette librairie. Elle fut enrichie ensuite par Jean GalĂšas Visconti, seigneur de Milan Ă  partir de 1385 et duc de 1395 Ă  1402. Si ce duc commanda peu de manuscrits, il rĂ©ussit en revanche Ă  s’approprier d’importantes collections d’illustres personnages telles celles du mĂ©decin Pasquino Capelli, ami de Coluccio Salutati, et de Francesco PĂ©trarque. À l’occasion de la seconde guerre d’Italie, environ 400 manuscrits furent transfĂ©rĂ©s par Louis XI au chĂąteau de Blois.


De Naples à Amboise : les livres des rois d’Aragon

Si pour la bibliothĂšque des Visconti nous disposons d’inventaires qui s’échelonnent tout au long du XVe siĂšcle, pour celle fondĂ©e par Alphonse V d’Aragon, roi de Naples de 1442 Ă  1458, et enrichie par ses successeurs jusqu’à la fin du siĂšcle, nous ne possĂ©dons aucune liste ou catalogue gĂ©nĂ©ral anciens. Seules des listes partielles et des documents attestant des achats ou des paiements aux scribes, aux enlumineurs et aux relieurs tĂ©moignent de son organisation tout au long de la seconde moitiĂ© du Quattrocento. Bien que bibliophile depuis sa jeunesse qu’il passa dans les territoires ibĂ©riques de la couronne d’Aragon, le roi Alphonse eut l’idĂ©e d’organiser une grande bibliothĂšque, emblĂšme de son pouvoir et de son humanitas, lors de son aventure italienne. CapturĂ© par les GĂ©nois au large de l’üle Ponza (5 aoĂ»t 1435), il fut envoyĂ© Ă  Milan comme prisonnier de guerre. Filippo Maria Visconti le reçut alors comme un prince et non pas comme un prisonnier. C’est Ă  cette occasion qu’Alphonse eut l’occasion d’admirer la riche bibliothĂšque du chĂąteau de Pavie qui devint le vĂ©ritable modĂšle pour celle qu’il allait fonder dans son royaume de Naples dĂšs sa libĂ©ration. Si les collections de livres des Visconti au chĂąteau de Pavie s’étaient imposĂ©es comme modĂšle au moment de sa fondation, la librairie royale qu’Alphonse installa au Castel Nuovo de Naples avait bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un nouveau modĂšle, celui de la grande bibliothĂšque vaticane organisĂ©e Ă  Rome par le pape humaniste Nicolas V. Agrandie par son fils Ferdinand Ier, roi de Naples de 1458 Ă  1494, puis par son petit-fils Alphonse duc de Calabre futur roi Alphonse II, la bibliothĂšque royale de Naples devint l’une des plus riches collections de manuscrits et d’imprimĂ©s de l’époque.


L’exemple français

L’acte fondateur de l’installation d’une bibliothĂšque Ă  Fontainebleau est la dĂ©cision prise par François Ier d’y faire transfĂ©rer au printemps 1544 les collections royales jusqu’alors conservĂ©es au chĂąteau de Blois, oĂč Louis XII (1498-1515) avait, en novembre 1501, rĂ©uni Ă  ses collections celles hĂ©ritĂ©es de son prĂ©dĂ©cesseur, Charles VIII (1483-1498), auparavant au chĂąteau d’Amboise, posant ainsi le premier jalon d’une conception plus institutionnelle de la bibliothĂšque royale, non plus attachĂ©e Ă  la personne d’un souverain mais Ă  sa fonction. L’inventaire dressĂ© lors du dĂ©mĂ©nagement de 1544 dĂ©nombre 1696 ouvrages, soit Ă  peine 300 de plus que lors du premier inventaire rĂ©alisĂ© en 1518, qui en recensait 1626, sachant que les enrichissements du rĂšgne de François Ier sont majoritairement dispersĂ©s en plusieurs lieux ou suivent le roi dans ses dĂ©placements, Ă  une Ă©poque oĂč la cour est encore itinĂ©rante. Lorsque Fontainebleau devient sa rĂ©sidence favorite en ce dĂ©but des annĂ©es 1540, François Ier y assemble aussi peu Ă  peu ses collections personnelles, y compris probablement sa « bibliothĂšque italienne », sobrement reliĂ©e en veau brun Ă  ses armes, composĂ©e d’un petit groupe d’imprimĂ©s italiens reflĂ©tant son goĂ»t pour l’histoire et la poĂ©sie. Cet ensemble trĂšs disparate est rejoint, probablement au printemps 1545, par une importante collection de textes savants, constituĂ©e depuis la fin des annĂ©es 1530 aux frais du roi par des campagnes d’achats menĂ©es principalement en Italie et en premier lieu Ă  Venise, alors le plus grand marchĂ© europĂ©en de manuscrits grecs, pour constituer la bibliothĂšque d’un collĂšge royal qui devait occuper, face au Louvre, l’ancien hĂŽtel de Nesle. Il s’agissait par lĂ  de rĂ©pondre Ă  la mobilisation continue des Ă©rudits et humanistes, tel Guillaume BudĂ© (1467-1540), pour promouvoir l’enseignement des langues anciennes et surtout du grec, comme d’attacher Ă  un bĂątiment les chaires spĂ©cialisĂ©es de « lecteurs royaux » crĂ©Ă©es depuis 1529. C’est prĂ©cisĂ©ment l’abandon de ce projet architectural, ruinĂ© par son coĂ»t et la reprise de la guerre contre l’Empire en 1542, qui dĂ©tourne de sa destination premiĂšre une collection qui, riche Ă  la fin des annĂ©es 1560 de plus de 900 livres, prend finalement le statut de bibliothĂšque d’apparat. Elle devient en effet dĂšs lors indissociable de l’environnement artistique du chĂąteau de Fontainebleau.