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🔊 “Et nos morts ?” à la Maison de la Photographie Robert Doisneau, du 22 septembre 2023 au 18 février 2024

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“Et nos morts ?”
La photographie post mortem aujourd’hui en Europe

Ă  la Maison de la Photographie Robert Doisneau, Gentilly

du 22 septembre 2023 au 18 février 2024

Maison de la Photographie Robert Doisneau


Interview de Camille Lebossé, collaboratrice de Michaël Houlette, directeur de la Maison Doisneau et commissaire de l'exposition, par Anne-Frédérique Fer, à Gentilly, le 21 septembre 2023, durée 11’49, © FranceFineArt.

PODCAST –  Interview de Camille LebossĂ©, collaboratrice de MichaĂ«l Houlette, directeur de la Maison Doisneau et commissaire de l’exposition,


par Anne-Frédérique Fer, à Gentilly, le 21 septembre 2023, durée 11’50,
© FranceFineArt.


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Et nos morts ?
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©Anne-FrĂ©derique Fer, vernissage presse de l’exposition, le 21 septembre 2023.

Extrait du communiqué de presse :

© Odhràn Dunne, A great send off, diaporama sonore, 2019.

© Odhràn Dunne, A great send off, diaporama sonore, 2019.

© Eric Dexheimer / Signatures. In Fine. Tirages jet d’encre réalisés pour l’exposition, 2011.

© Eric Dexheimer / Signatures. In Fine. Tirages jet d’encre réalisés pour l’exposition, 2011.

© Christine Delory-Momberger / Agence révélateur. Le revenant. Tirage argentique réalisé pour l’exposition, 2004.

© Christine Delory-Momberger / Agence révélateur. Le revenant. Tirage argentique réalisé pour l’exposition, 2004.

© Irène Jonas / Agence révélateur. Série photographique sans titre. Tirages sur papier baryté réalisés en 2012 et réhaussés de peinture en 2022.

© Irène Jonas / Agence révélateur. Série photographique sans titre. Tirages sur papier baryté réalisés en 2012 et réhaussés de peinture en 2022.

Commissariat :

Michaël Houlette, Directeur de la Maison Doisneau / Lavoir Numérique assisté de Camille Lebossé





Exposition collective rassemblant 20 auteurs et autrices, accompagnée d’une publication, éditée par la Maison Doisneau

Laure Albin Guillot, Philippe Bazin, Goran Bertok, Patrik Budenz, Christine Delory-Momberger, Eric Dexheimer, Robert Doisneau, Odhràn Dunne, Laurence Geai, Steeve Iuncker, Irène Jonas, Beate Lakotta et Walter Schels, Franck Landron, Jacques Henri Lartigue, Frédéric Pauwels, Bruno Réquillart, Rudolf Schäfer, Raymond Voinquel et Sophie Zénon





Pourquoi un tel projet ?
– Edito par MichaĂ«l Houlette – Directeur de la Maison Doisneau / Lavoir NumĂ©rique



L’initiative de ce projet visant à montrer des photographies de corps morts puise ses origines dans le cahier des charges de la Maison Doisneau consacré à la photographie dite « humaniste » dont le projet est de questionner l’Homme, son histoire moderne et contemporaine mais aussi les conditions de son existence. Il était donc temps, plus de vingt années après son inauguration, que la Maison Doisneau aborde enfin un chapitre consacré aux morts.


L’objet ici n’est pas la mort dans un absolu. Il n’est pas question de s’interroger sur les diverses façons dont la photographie peut, de manière plus ou moins réaliste ou métaphorique, s’emparer de la mort en tant que notion ou abstraction. Car ce sont bien les morts eux-mêmes et l’image de leurs dépouilles en Europe (en France en particulier) qui font l’objet de notre réflexion.


Les morts et la photographie partagent de longue date un espace visuel commun, à la fois intime, institutionnel et médiatique : dans les ateliers de portraits jusqu’au milieu du 20
ème siècle mais aussi dans la presse, les archives familiales ou encore les archives scientifiques ou médico-légales. Le portrait post mortem réalisé par des auteurs ou autrices a longtemps répondu à des contraintes techniques (éclairage, angle de prise de vue d’un corps le plus souvent allongé ou semi couché) et des codes funéraires immuables. On ne distingue que peu de variantes dans les portraits et les mises en scènes et aucune autre finalité que la présentation du corps à un entourage plus ou moins proche. Il faut donc attendre les années 1970, lorsque la photographie fait clairement reconnaître sa qualité de medium artistique, pour voir apparaître quelques oeuvres revendiquées comme telles s’intéressant aux visages et aux corps des morts.


Afin de dresser notre panorama de la photographie
post mortem aujourd’hui en Europe, nous avons privilégié des oeuvres récentes et, pour la plupart, peu connues, en les introduisant toutefois par une sélection d’images réalisées au milieu du 20ème siècle (Jacques Henri Lartigue, Laure Albin Guillot, Robert Doisneau, Raymond Voinquel). Ces oeuvres et images sont celles d’autrices et d’auteurs : reporters, illustratrices et illustrateurs, plasticiennes et plasticiens. Ainsi nous observons le cadre programmatique de la Maison Doisneau qui est essentiellement dédiée aux photographes utilisant le médium dans une volonté d’expression ou de création. En rassemblant des démarches relativement homogènes nous facilitons par ailleurs les comparaisons et les analyses : bien que résultantes d’intentions précises, ces oeuvres traduisent aussi des comportements vis-à-vis des morts propres à des époques et des contextes.

© Sophie Zénon, Capucin (le 9), épreuve issue du cycle In Case We Die – Momies de Palerme. Tirage argentique de 120 x 80 cm, 2008.

© Sophie Zénon, Capucin (le 9), épreuve issue du cycle In Case We Die – Momies de Palerme. Tirage argentique de 120 x 80 cm, 2008.

© Fréderic Pauwels / Collectif Huma. Entre les rives du Styx, Tirages jet d’encre réalisés pour l’exposition, 2016-2017.

© Fréderic Pauwels / Collectif Huma. Entre les rives du Styx, Tirages jet d’encre réalisés pour l’exposition, 2016-2017.

© Fréderic Pauwels / Collectif Huma. Entre les rives du Styx, Tirages jet d’encre réalisés pour l’exposition, 2016-2017.

© Fréderic Pauwels / Collectif Huma. Entre les rives du Styx, Tirages jet d’encre réalisés pour l’exposition, 2016-2017.


L’EXPOSITION

Photographier nos morts

Les morts dont il s’agit ici sont les morts individuels mais aussi, comme nous l’avons hélas éprouvé lors de la pandémie de COVID-19, les morts multiples. Ce sont nos propres morts qui, vivants, ont partagé notre contemporanéité, ceux que nous avons côtoyés et dont la disparation nous affecte ou nous concerne. Ce sont les morts du « quotidien », celles et ceux qui meurent « dans leurs lits de morts » et qui représentent la majorité des décédés dans nos sociétés en paix (selon le site Santé Publique France, entre 1993 et 2008 en France, 57% des décès sont survenus à l’hôpital, 27% à domicile, 11% en maison de retraite et 5% dans d’autres lieux).

Mais justement, où sont nos morts ? Les pays de l’Europe occidentale ont connu une histoire des pratiques funéraires et liée la représentation de la mort sensiblement similaires et présentent aujourd’hui la particularité de ne pas montrer leurs morts ni leurs images. Ce qui relevait du visible et d’une certaine tradition, au moins jusqu’au milieu du 20ème siècle, a de toute évidence évolué ou semble désormais révolu. Les morts européens ont par exemple disparu de la sphère médiatique. Quotidiens et magazines imprimés, journaux télévisés ou sites internet d’informations ne diffusent par exemple plus les portraits post mortem de nos célébrités trépassées comme cela se faisait jusque dans les années 1960. Et ils ne montrent qu’en d’exceptionnelles occasions les corps morts de nos concitoyens.

La photographie, qui a presque deux siècles d’existence, est un indicateur riche d’enseignements sur nos sociétés, sur ce qui les caractérise. L’essayiste Susan Sontag a écrit que les photographies diffusées ou montrées nous indiquent ce que nous pouvons voir, ce que nous devons voir et, par défaut, ce qui nous est socialement interdit. Les images véhiculées par la presse mais aussi par les médias sociaux européens sont soumises au droit mais aussi à un certain nombre de règles et de censures plus ou moins établies. Les photographies post mortem que nous réalisons de nos proches ne sortent généralement pas de la sphère intime. Les images montrant des corps occidentaux trépassés, ne paraissent quasiment pas dans les médias. Quant aux photographies réalisées à des fins de documentation ou d’expression quelquefois montrées dans des lieux dédiés (musées, centres d’arts ou festivals), celles-ci font systématiquement débat.

Avons-nous donc à faire à un tabou lorsqu’il s’agit de photographier nos défunts ou de montrer un portrait post mortem ? Pouvons-nous parler d’une nouvelle forme de pornographie comme l’avait envisagé, dès le début des années 1950, l’anthropologue Geoffrey Gorer (Pornography of Death, publié en 1955) à propos de la mort et des morts ? Est-il vrai comme l’avait affirmé l’historien français Philippe Ariès dans

son sillage que nos enfants sont très tôt initiés à la physiologie de l’amour mais qu’ils ne savent pas comment mourir et si peu à propos de la mort ? De notre point de vue, l’invisibilité des photographies post mortem dans notre espace médiatique parle d’elle-même et reflète tout simplement notre rapport à la mort : ces photographies « n’existent pas» aujourd’hui (en France en tous cas) dans le sens où elles ne sont pas diffusées pour des questions d’ordre légales mais aussi morales, faisant l’objet d’autocensures, de suppressions ou de bannissements quand elles ne sont pas, pour ce qui concerne les médias sociaux, soumises aux filtres des modérations technologiques et humaines.

La photographie post mortem se confronte à notre sensibilité contemporaine. Dans un contexte où l’espérance de vie est élevée (en moyenne 80 ans par exemple en France, en Belgique et en Allemagne), où l’accès aux soins est théoriquement assuré et où les individus ont accès à une certaine qualité de vie, la confrontation avec la mort peut rester épisodique jusqu’à un âge avancé ; le deuil ne s’affichant plus au grand jour, la perte d’un proche peut d’ailleurs paraître totalement inaperçu. La mort est aujourd’hui perçue comme un intolérable terme à une vie qui se doit d’être riche et remplie. Le devoir de bonheur vécu comme une valeur positive dans nos sociétés de consommation aurait d’ailleurs tendance à brider les émotions supposées négatives comme le chagrin lié au deuil, la peur ou l’angoisse de la mort.

Le rapport que nous entretenons avec nos morts, le traitement que nous réservons aux dépouilles de nos défunts, décrivent nos sociétés et notre manière de nous penser. Or que devons-nous penser d’une société qui dissimule ses morts ? Aussi le but de notre exposition et de la présente publication, de ce bref séjour parmi les morts, est offrir une visibilité à ce qui, aujourd’hui, ne se voit pas. C’est offrir, le temps d’une visite ou d’une lecture, un espace au flux de pensées et d’émotions (peur, sidération, répulsion, fascination, chagrin, empathie, etc.) qui accompagne la vision du corps mort. C’est peut-être aussi ressusciter, pour un instant, la tradition baroque des vanités qui visaient à rappeler la fugacité du temps qui passe et la fragilité de notre existence.

Le parcours de l’exposition, respectent une sorte de chronologie des morts. Après un préambule consacré aux rituels photographiques qui prévalaient jusqu’au milieu du 20ème siècle nous abordons successivement le trépas, puis la gestion et, enfin, l’éloignement physique des corps trépassés. Après décès, les morts sont en effet soumis à un protocole ritualisé mais aussi réglementaire et technique de soins puis d’obsèques. S’ensuit une manipulation ultime du corps pour la crémation ou l’inhumation. Les photographies réunies ici illustrent ces différentes étapes de « la vie des morts » interrogeant à chaque fois ce qui est à portée de regard des vivants et ce qui demeure habituellement invisible, ce qui est permit de voir ou ce qui est interdit mais aussi ce qui de l’ordre de la fracture ou de la réconciliation avec les morts.