âGisĂšle Freund – Ce Sud si lointainâÂ
Photographies dâAmĂ©rique latine
Ă la Maison de lâAmĂ©rique latine, Paris
du 21 octobre 2022 au 7 janvier 2023

PODCAST – Interview de Juan Ălvarez MĂĄrquez, commissaire de l’exposition, et de Juan Manuel Bonet, conseiller spĂ©cial,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 20 octobre 2022, durĂ©e 31â04.
© FranceFineArt.
(Juan Ălvarez MĂĄrquez)
Extrait du communiqué de presse :










Commissaire : Juan Ălvarez MĂĄrquez
Conseiller spécial : Juan Manuel Bonet
Exposition rĂ©alisĂ©e avec le concours de lâIMEC (Institut MĂ©moires de lâEdition Contemporaine)
Ă partir du 21 octobre 2022 et pendant 2 mois et demi, la Maison de lâAmĂ©rique latine invite le public Ă un voyage sensible en AmĂ©rique latine Ă travers le regard et les photographies de GisĂšle Freund. Sous lâintitulĂ© « Ce Sud si lointain »*, lâexposition met en valeur un patrimoine photographique de 72 images – tirages posthumes -, pour certaines inĂ©dites, rĂ©parties entre portraits de personnalitĂ©s culturelles (majoritairement), puis paysages, scĂšnes de villages et de marchĂ©s, rĂ©alisĂ©es principalement entre 1941 et 1954.
*Lâexposition emprunte son nom Ă un vers du poĂšme de Luis Cernuda intitulĂ© « Jâaimerais ĂȘtre seul dans le sud », inclus dans son livre Un rio, un amor (1929) :
A ce sud si lointain je veux ĂȘtre mĂȘlĂ©.
La pluie lĂ -bas nâest rien quâune rose entrâouverte;
Son brouillard mĂȘme rit, rire blanc dans le vent.
Son ombre, sa lumiĂšre ont dâĂ©gales beautĂ©s.
Lâexposition « Ce Sud si lointain » a pour ambition de rĂ©vĂ©ler la place importante quâa occupĂ© le vaste continent amĂ©ricain dans la trajectoire de la photographe germano-française, renommĂ©e pour ses portraits dâĂ©crivains du XXe siĂšcle devenus iconiques, caractĂ©risĂ©s par un cadrage serrĂ© et lâusage de la couleur dĂšs 1938. Les images ici sĂ©lectionnĂ©es mettent en lumiĂšre la constante capacitĂ© de GisĂšle Freund Ă sâintĂ©resser non seulement Ă lâexpression dâune personne et Ă son visage, – « je nâai jamais cessĂ© de vouloir comprendre ce qui se trouve derriĂšre un visage » -, mais aussi à « lâĂȘtre humain et ce qui lâentoure », Ă son environnement et Ă sa condition.
Câest en 1941 que GisĂšle Freund fuyant lâoccupation nazie dĂ©couvre pour la premiĂšre fois lâAmĂ©rique latine en Ă©migrant Ă Buenos Aires oĂč elle est accueillie par une grande figure argentine des lettres, Victoria Ocampo. Depuis la capitale argentine, elle effectuera plusieurs voyages, en Patagonie, en Uruguay, au Chili, puis de façon intermittente jusquâaux dĂ©but des annĂ©es 1950, elle se rendra au Mexique, en Equateur, en Bolivie, au PĂ©rou, au BrĂ©sil. LâArgentine et le Mexique plus particuliĂšrement, seront sources de vibrantes Ă©motions esthĂ©tiques et humaines, et laisseront une empreinte profonde et durable dans sa vie. Elle rĂ©alisera de nombreux reportages pour Time Magazine et Life, pour les journaux argentins La NaciĂłn et El Hogar, ou encore mexicains comme Novedades. Elle fera partie de lâagence Magnum dĂšs sa fondation en 1947 et jusquâen 1954.
« Ce Sud si lointain » rassemble donc pour la premiĂšre fois un corpus axĂ© principalement sur les figures marquantes du monde culturel quâelle rencontra en AmĂ©rique latine, – et, dans une moindre mesure, en France, dans une pĂ©riode plus proche de nous, – sur les paysages quâelle y dĂ©couvrit, et sur des scĂšnes de marchĂ©s et du monde rural, rarement montrĂ©es auparavant.
Lâexposition permettra dâapprĂ©cier pleinement le triple profil de GisĂšle Freund, Ă la fois photographe, sociologue et journaliste. Celle-ci confiera en 1991 : « Jâai pensĂ© que la photographie Ă©tait un moyen merveilleux pour que les peuples se connaissent entre eux…Jâai cru Ă cette utopie : la connaissance des autres, de leurs diffĂ©rences, comme langage de paix entre les hommes. Ma tĂąche Ă©tait donc, pensais-je, de participer Ă la paix du monde Ă travers la photographie.»
Cette exposition a Ă©tĂ© montrĂ©e une premiĂšre fois en 2021 Ă Grenade, Espagne, au Centre JosĂ© Guerrero sous le titre En el Sur tan distante, GisĂšle Freund, avec le concours de lâIMEC. PrĂ©sentĂ©e sous un format plus rĂ©duit, elle Ă©tait composĂ©e de 52 tirages posthumes. Catalogue En el sur tan distante- In the oh-so-distant south, GisĂšle Freund. Textes Juan Manuel Bonet, Juan Ălvarez MĂĄrquez, La FĂĄbrica, 2021.160 pages.
La prĂ©sentation Ă Paris, Ă la Maison de lâAmĂ©rique latine, est enrichie de 20 images supplĂ©mentaires, dont 14 encore jamais montrĂ©es, tirages posthumes Ă©galement, centrĂ©es autour du Mexique et de lâEquateur.
Le fonds GisĂšle Freund est dĂ©posĂ© Ă lâIMEC, Institut MĂ©moires de lâEdition Contemporaine, qui conserve des milliers de nĂ©gatifs et diapositives. Les tirages sont tous posthumes et numĂ©risĂ©s par la RĂ©union des MusĂ©es Nationaux (RMN).
Pour accompagner lâexposition, un catalogue aux Ă©ditions M/imec et Maison d lâAmĂ©rique latine est disponible.
GisĂšle Freund, de lâexil Ă la dĂ©couverte de lâAmĂ©rique latine
Les liens particuliers de GisĂšle Freund avec lâAmĂ©rique latine commencent Ă se tisser Ă la fin des annĂ©es 1930 dans le Paris dâavant-guerre, lorsquâelle fait la connaissance de plusieurs personnalitĂ©s du monde hispanique et surtout hispanoamĂ©ricain, notamment Victoria Ocampo. MĂ©cĂšne et femme de lettres argentine, grande voyageuse, amie de Rabindranath Tagore et Drieu La Rochelle, Victoria Ocampo a fondĂ© en 1931 avec Waldo Frank, Ă Buenos Aires, la revue Sur, une revue littĂ©raire dâavant-garde et engagĂ©e, qui deviendra trĂšs influente. Cette rencontre jouera un rĂŽle dĂ©terminant dans la destinĂ©e de GisĂšle au seuil de la seconde guerre mondiale. NĂ©e Ă Berlin, GisĂšle Freund (1908-2000) est issue dâune famille aisĂ©e et cultivĂ©e. DĂšs son jeune Ăąge elle voue sa vie Ă lâart, quâelle dĂ©couvre grĂące Ă la collection de tableaux familiale et aux visites de musĂ©es oĂč lâemmĂšne son pĂšre Julius. Devant les oeuvres de Caspar David Friedrich prĂ©sentes Ă la maison, elle pose la question : « Comment peut-on peindre lâair ? ». Puis, pour son baccalaurĂ©at, elle reçoit en cadeau de son pĂšre un nouvel appareil photo â un Leica de poche, qui peut prendre 36 vues dâaffilĂ©e. Elle Ă©tudie la sociologie Ă Francfort puis Ă Fribourg avec Theodor Adorno, Karl Mannheim et Norbert Elias, et parallĂšlement pratique activement la photographie. En 1933, face Ă la montĂ©e du nazisme et craignant les persĂ©cutions, elle dĂ©cide de quitter lâAllemagne pour sâinstaller dĂ©finitivement Ă Paris. Câest dans la capitale française quâelle se lie dâamitiĂ© avec Adrienne Monnier et Sylvia Beach, fondatrices des librairies La maison des Amis des livres et Shakespeare and Company respectivement, hauts lieux de la vie littĂ©raire parisienne. Elle frĂ©quente un grand nombre dâĂ©crivains, philosophes, penseurs de lâĂ©poque – dont elle devient souvent lâamie et quâelle prendra tous en photo : James Joyce, JosĂ© Ortega y Gasset, AndrĂ© Malraux, Henri Michaux, Roger Caillois et tant dâautres⊠Elle cĂŽtoie certains Uruguayens illustres, notamment Jules Supervielle, poĂšte Ă deux patries France et Uruguay, mais aussi Susana Soca, poĂšte et mĂ©cĂšne, Pedro Figari, peintre et Ă©crivain⊠Câest ainsi que lâAmĂ©rique latine sous ses diffĂ©rents « visages » sâinvite peu Ă peu dans sa vie parisienne. Lorsque la guerre Ă©clate en 1940, elle se rĂ©fugie dans la France libre, Ă Saint-Sozy, petit village du Lot. Fin 1941, avec lâaide dâAndrĂ© Malraux et de Victoria Ocampo, elle embarque du port de Bilbao Ă bord dâun navire espagnol au nom prĂ©destinĂ© Cabo de Buena Esperanza. Destination Buenos Aires. Elle aperçoit les cĂŽtes du nouveau monde et sa majestueuse gĂ©ographie. Entre la baie chĂątoyante de Rio de Janeiro – objet de lâune de ses premiĂšres photos â et les villes modernistes et trĂ©pidantes du Rio de la Plata, la promesse de vastes horizons Ă dĂ©couvrir comble sa soif de libertĂ©. Ă Buenos Aires, coeur bouillonnant de la vie culturelle Ă l’Ă©chelle continentale et pas seulement en Argentine, sa camĂ©ra se fixe sur le cercle cosmopolite dâintellectuels et artistes, Argentins ou exilĂ©s, qui gravitent autour de Victoria Ocampo et la revue Sur, rĂ©fĂ©rence absolue dans toute lâAmĂ©rique latine. Sur proposera mĂȘme dâaccueillir en son sein sous forme de supplĂ©ment insĂ©rĂ©, pendant que durera lâOccupation en France, la revue Lettres Françaises lancĂ©e en 1941 par Roger Caillois Ă Buenos Aires. GisĂšle Freund apprivoise ses sujets tels des fauves, en serrant les cadrages couleur ou noir et blanc, au plus prĂšs : Jorge Luis Borges, MarĂa Rosa Oliver, Norah Lange, Norah Borges, Silvina Ocampo, Adolfo Bioy Casares, Pedro HenrĂquez Ureña, Roger Caillois, Enrique Santos DiscĂ©polo…. Mais ce sont aussi les ports de ce lointain Sud, comme Rio de Janeiro, Buenos Aires, et Montevideo, les paysages dĂ©solĂ©s et extrĂȘmes du bout du monde, en Patagonie et Terre de feu, qui la subjuguent ; ou bien la campagne uruguayenne habitĂ©e par « Lâhomme de la pampa », un Supervielle de retour aux pays ; un visage aux aguets comme celui de JoaquĂn Torres GarcĂa (seul portrait couleur de lâartiste) ; ou encore un Rafael Alberti en porte-parole de la poĂ©sie espagnole chassĂ© de la pĂ©ninsule ibĂ©rique, qui sĂ©duisent lâoeil de la fine observatrice. Ce sont encore Pablo Neruda et Vicente Huidobro au Chili oĂč elle se rend pour le tournage dâun film de Jacques RĂ©my, puis au Mexique, lâĂ©trange beautĂ© de Frida Kahlo, les muralistes mexicains Diego Rivera, JosĂ© Clemente Orozco et David Alfaro Siqueiros, vĂ©ritables mythes vivants, et de nombreuses autres figures de la vie intellectuelle et artistique de Mexico qui captiveront toute son attention et dont elle rĂ©alisera de mĂ©morables portraits. La surprise provient dâun ensemble de photographies de paysages, de scĂšnes de la culture populaire, de la vie quotidienne dans les villages et sur les marchĂ©s, en Equateur et au Mexique. Le Mexique sera un Ă©blouissement, un coup de foudre. Il exercera une fascination puissante et durable sur GisĂšle Freund. Son premier voyage a lieu en 1947, puis le second de 1950 Ă 1952. Elle se passionne pour les Mexicains dâabord, les populations indigĂšnes, leurs conditions de vie, pour la nature aussi, les couleurs et les paysages, lâart prĂ©hispanique, le mouvement muraliste, les fĂȘtes, les cĂ©rĂ©monies, les femmes de Tehuantepec, les villes et les villages parmi lesquels Oaxaca, San Cristobal de las Casas, San Juan Chamula⊠Plus tard, Ă Paris, elle prolongera cet attachement pour la culture mexicaine en publiant des reportages sur les grandes expositions dâArt mexicain Ă Paris de 1952 et de 1962, un livre « Mexique prĂ©colombien » (Ă©d. Ides et Calendes) en 1954, et en sây rendant Ă nouveau Ă plusieurs reprises. On sait encore peu de choses sur son sĂ©jour en Equateur. Mais nul doute que la richesse visuelle des photos du marchĂ© dâOtavalo traduisent une fois de plus chez GisĂšle Freund sa sensibilitĂ© sans limite pour le monde indigĂšne, ses traditions, ses modes de vie et ses savoirs. Culture et humanisme-humanitĂ©, sont indĂ©niablement les deux axes qui ont sous-tendu la pensĂ©e et lâoeuvre de GisĂšle Freund.