âLe duc dâAumale et Chantillyâ
Photographies du XIXe siĂšcle
au Cabinet dâArts Graphiques du ChĂąteau de Chantilly
du 15 octobre 2022 au 26 février 2023

PODCAST – Interview de Nicole Garnier-Pelle, conservateur gĂ©nĂ©ral du patrimoine honoraire et commissaire de l’exposition,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 12 octobre 2022, durĂ©e 15’28.
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :
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Commissaire : Nicole Garnier-Pelle, conservateur général du patrimoine honoraire.
Dans le cadre du bicentenaire de la naissance du duc dâAumale (1822-1897), donateur de Chantilly Ă lâInstitut de France.
Fils du roi Louis-Philippe, Henri dâOrlĂ©ans, duc dâAumale (1822-1897), hĂ©rite en 1830 Ă lâĂąge de huit ans de son grand-oncle et parrain, Louis-Henri-Joseph, duc de Bourbon, prince de CondĂ© (1756-1830), qui possĂ©dait notamment le Palais Bourbon (aujourdâhui notre AssemblĂ©e nationale) et le chĂąteau de Chantilly. Brillant soldat rendu cĂ©lĂšbre par la prise de la smalah dâAbd el-Kader en 1843 Ă vingt-et-un ans, gĂ©nĂ©ral et gouverneur de lâAlgĂ©rie Ă vingt-cinq, Aumale voit sa carriĂšre brisĂ©e par la rĂ©volution de 1848. ExilĂ© en Angleterre, rĂ©fugiĂ© avec les siens auprĂšs de sa cousine la reine Victoria Ă Claremont, le duc dâAumale achĂšte en 1851 Ă Twickenham sur les bords de la Tamise une belle demeure, Orleans House, puis une rĂ©sidence de chasse Ă Woodnorton, ainsi quâen 1853 un domaine de 6 000 hectares en Sicile, le Zucco.
AgĂ© de dix-sept ans lors de lâapparition de la photographie, militaire ouvert aux techniques nouvelles, Aumale ne peut ignorer le daguerrĂ©otype qui est utilisĂ© en 1842 lors de la pompe funĂ©raire de son frĂšre aĂźnĂ© Ferdinand dâOrlĂ©ans, Prince Royal (Paris, musĂ©e dâOrsay) ; son pĂšre Louis-Philippe sera lâun des premiers souverains Ă poser devant un objectif. Probablement Aumale est-il convaincu de lâintĂ©rĂȘt de la photographie naissante par son ami de jeunesse et ex-condisciple au collĂšge royal Henri-IV, le vicomte Joseph Vigier, qui rĂ©alise dĂšs 1852 les portraits de toute la famille dâOrlĂ©ans en exil. DĂšs avant la rĂ©volution de 1848, Aumale possĂšde un daguerrĂ©otype reprĂ©sentant Chantilly en 1846 par un certain Guerrier, malheureusement disparu aujourdâhui.
Cette exposition se propose de mettre en regard, Ă travers les photographies anciennes, la vie mouvementĂ©e du duc dâAumale et lâambitieuse reconstruction du chĂąteau de Chantilly quâil a entreprise.
LE DUC DâAUMALE EN EXIL (1848-1871)
Le long sĂ©jour de vingt-trois ans en Angleterre dĂ©veloppe les liens avec ses cousins la Reine Victoria et surtout son Ă©poux le Prince Albert, qui sâintĂ©resse activement au dĂ©veloppement de la photographie, patronnant en 1857 lâexposition de Manchester oĂč sont exposĂ©es des Ă©preuves de Le Gray et de la plupart des primitifs de la photographie prĂ©sents dans la collection du duc dâAumale. La reine Victoria se fait photographier en famille avec les siens et offre des tirages Ă ses proches dont Aumale. Le Prince consort convainc sans peine Aumale de laisser photographier ses dessins de RaphaĂ«l en vue dâun monumental catalogue raisonnĂ© : lâamateur dâart comprend trĂšs tĂŽt les possibilitĂ©s immenses quâoffre la photographie pour la connaissance et la reproduction des oeuvres dâart. DĂšs les origines de la photo, le duc dâAumale utilise donc la photographie comme lâoutil privilĂ©giĂ© du collectionneur, notamment dans le domaine de la bibliophilie qui lui est cher. Nous en avons la preuve avec ses premiers agendas conservĂ©s : en octobre 1864, Ă Venise, il sâextasie sur un manuscrit : « Ms. Grimani ; admirables Memling ; 1000 ÂŁ » et en acquiert alors les photos comme le font les historiens dâart aujourdâhui, dans un but dâĂ©tude et de comparaison. Au dĂ©but de lâexil, le duc dâAumale semble privilĂ©gier pour ses portraits les photographes français, comme Claudet en 1848, son ami le vicomte Vigier en 1852, Camille Silvy, Adolphe Beau ou F. Joubert. Aumale ne manque jamais de noter dans son agenda quand il se fait photographier, ainsi le 30 juin 1868 : « SĂ©ance chez le photographe Bondonneau » – encore un français. Le duc dâAumale pose aussi Ă cheval devant des photographes anglais comme W.T. Deane Ă Richmond.
La photographie est souvent liĂ©e Ă la mort et au souvenir des disparus. En 1866, les obsĂšques de la reine Marie- AmĂ©lie donnent lieu Ă dâĂ©mouvantes photographies de la famille dâOrlĂ©ans en deuil. Le duc commande de nombreux exemplaires de photos de ses chers disparus quâil envoie Ă ses proches, ainsi en mars 1867 aprĂšs la disparition de son fils Louis, prince de CondĂ©, dĂ©cĂ©dĂ© en 1866. AprĂšs la mort de son Ă©pouse Ă quarante-sept ans en 1869, le duc diffuse Ă son entourage son portrait officiel par Adolphe Beau.
Ă partir de 1852, le duc dâAumale nâa plus le droit de possĂ©der des biens en France. Ne voulant pas se sĂ©parer de lâhĂ©ritage des CondĂ©, il tourne la difficultĂ© en vendant fictivement Chantilly Ă ses banquiers anglais Antrobus et Marjoribanks, de la banque Coutts. Chantilly est alors louĂ© au colonel anglais Mac Call, comme le montre une photographie du chĂąteau dâEnghien publiĂ©e dans lâalbum Chemin de fer du Nord de Paris Ă CompiĂšgne par Chantilly vers 1865 avec la lĂ©gende.: « ChĂąteau de lâEmbass.r dâAngleterre » – location qui protĂ©geait le chĂąteau. Lâaile principale, ou Grand ChĂąteau, avait Ă©tĂ© rasĂ©e Ă la RĂ©volution : câĂ©tait la partie la plus ancienne du monument Ă©rigĂ© au XIVe siĂšcle par la famille dâOrgemont, transformĂ© par Pierre Chambiges pour les Montmorency au XVIe siĂšcle, puis par les CondĂ© et leurs architectes Jules Hardouin-Mansart au XVIIe siĂšcle, puis Jean Aubert et Jean François Leroy au XVIIIe siĂšcle. Il ne subsistait que lâaile Renaissance Ă©levĂ©e pour Anne de Montmorency par lâarchitecte Jean Bullant. DĂšs 1847, Aumale avait demandĂ© Ă lâarchitecte FĂ©lix Duban de reconstruire lâaile rasĂ©e, mais Louis-Philippe avait dĂ©couragĂ© lâentreprise. Une sĂ©rie de tirages anonymes sur papier salĂ© datant des annĂ©es 1850-1855 rĂ©vĂšle lâĂ©tat de Chantilly pendant lâexil.
LE RETOUR EN FRANCE DU DUC DâAUMALE (1871). CHANTILLY EN 1872
Ă son retour en France en 1871, le duc dâAumale reprend un rĂŽle politique et militaire. Pendant la guerre de 1870, le gĂ©nĂ©ral dâAumale avait demandĂ© sans succĂšs Ă pouvoir combattre pour son pays, avec son frĂšre le prince de Joinville et son neveu le duc de Chartres (seul, ce dernier y parviendra sous le pseudonyme de Robert Le Fort, empruntĂ© symboliquement Ă lâun des premiers souverains capĂ©tiens). Revenu en France, doyen de lâarmĂ©e française, Aumale se voit confier le procĂšs de Bazaine, qui nous est connu par un photomontage.
DĂ©putĂ© de lâOise en 1871, prĂ©sident du Conseil GĂ©nĂ©ral de lâOise il aurait pu briguer de plus hautes fonctions sous la IIIe RĂ©publique, mais il ne franchira jamais le pas. De cette pĂ©riode, nous conservons des portraits du prince en uniforme. Il cite dans son agenda le 27 septembre 1873 le « photographe Appert » qui rĂ©alise sa photographie officielle en uniforme et en kĂ©pi qui sera publiĂ©e dans la Galerie contemporaine littĂ©raire et artistique le 12 juillet 1878.
Quand il prend le commandement du 5e Corps dâarmĂ©e Ă Besançon, il pose devant Boname, le photographe local qui fait les portraits de groupes des diffĂ©rents dĂ©tachements.
Ă peine revenu en France, le duc dâAumale reprend le projet quâil nâavait pu mener Ă bien avant la rĂ©volution de 1848 : reconstruire Chantilly. Avant de commencer les travaux du Grand ChĂąteau, il commande en 1872 des photographies du site au jeune « peintre photographe » auvergnat Claudius Couton (1837-1929), actif Ă Clermont- Ferrand. Claudius Couton rĂ©alise une couverture photographique complĂšte du domaine de Chantilly. La plupart des Ă©preuves se prĂ©sentent dans des encarts ovales, justifiĂ©s sans doute par la nĂ©cessitĂ© technique de fournir une image nette sur lâensemble des vues. Couton se prĂ©sente comme « artiste Peintre Photographe », dĂ©finissant la photographie comme un art. Il ajoute parfois dans ses photographies des dĂ©tails techniques : une chambre et un chĂąssis posĂ©s au premier plan, voire le laboratoire ambulant, et peut-ĂȘtre mĂȘme des portraits de son assistant ou de lui mĂȘme : un personnage rĂ©current, coiffĂ© dâun chapeau melon, donne lâĂ©chelle. Il travaille au collodion humide et le laboratoire ambulant lui est nĂ©cessaire pour prĂ©parer les plaques de verre dans le noir total avant de les exposer, puis pour les dĂ©velopper ensuite rapidement.
LA RECONSTRUCTION DE CHANTILLY (1875-1886) ET LE LEGS DE 1884
Depuis 1847, le duc dâAumale souhaitait reconstruire Ă Chantilly le Grand ChĂąteau, mutilĂ© depuis la RĂ©volution. Lâarchitecte FĂ©lix Duban Ă©tant mort en 1870, câest HonorĂ© Daumet quâil charge de relever Chantilly. Ă son retour en France, Aumale commence par restaurer les appartements historiques des princes de CondĂ© situĂ©s dans lâaile Renaissance, ainsi que les siens et ceux de sa dĂ©funte Ă©pouse, situĂ©s au rez-de-chaussĂ©e du Petit ChĂąteau, pouvant ainsi Ă©crire avec satisfaction en 1876 : « Dormi chez moi ».
Ă partir de 1875, HonorĂ© Daumet reconstruit lâaile absente, en grande partie Ă partir des plans dessinĂ©s en 1847 par FĂ©lix Duban pour le duc dâAumale. NĂ©anmoins, le projet initial du prince avait Ă©tĂ© modifiĂ© dĂšs 1872 par la mort de son dernier fils, François dâOrlĂ©ans, duc de Guise (1845-1872) Ă lâĂąge de dix-huit ans : ce nâest plus un palais quâ.Aumale fait reconstruire, mais un musĂ©e destinĂ© Ă accueillir ses collections. De façon surprenante, on ne connaĂźt pas de photographies du chantier en cours.; on sait pourtant que la pierre de taille provenant des carriĂšres situĂ©es sous la Pelouse Ă©tait amenĂ©e par wagonnets au moyen dâun chemin de fer ceinturant les douves.
En 1884, alors que les travaux sâachĂšvent, le duc dâAumale tombe gravement malade et reste alitĂ© prĂšs de six mois. Il dĂ©cide de lĂ©guer le chĂąteau de Chantilly et ses collections Ă lâInstitut de France dont il est membre depuis 1871, signe son testament le 3 juin 1884, et est Ă©lu Ă lâacadĂ©mie des beaux-arts. Ce testament commence par ces mots : Le legs contient cependant de lourdes contraintes : il interdit de prĂȘter Ă lâextĂ©rieur les collections du duc dâAumale et dâen modifier la prĂ©sentation. Le duc dâAumale va mĂȘme jusquâĂ donner Ă ses exĂ©cuteurs testamentaires le dĂ©tail des amĂ©nagements Ă rĂ©aliser aprĂšs sa mort.
« Voulant conserver Ă la France le domaine de Chantilly dans son intĂ©gritĂ© avec ses bois, ses pelouses, ses eaux, ses Ă©difices et tout ce quâils contiennent, trophĂ©es, tableaux, livres, archives, objets dâart, tout cet ensemble qui forme comme un monument complet et variĂ© de lâart français dans toutes ses branches et de lâhistoire de ma patrie Ă des Ă©poques de gloire, jâai rĂ©solu dâen confier le dĂ©pĂŽt Ă un corps illustre qui mâa fait lâhonneur de mâappeler dans ses rangs Ă un double titre et qui, sans se soustraire aux transformations inĂ©vitables des sociĂ©tĂ©s, Ă©chappe Ă lâesprit de faction, comme aux secousses trop brusques, conservant son indĂ©pendance au milieu des fluctuations politiques. »
La photographie accompagne bien sĂ»r cette premiĂšre phase de la crĂ©ation du musĂ©e CondĂ©. Alors que le duc dâAumale est Ă la tĂȘte du 5e Corps dâArmĂ©e Ă Besançon, il se fait photographier en uniforme dit « petite tenue » par le photographe local Alfred Boname qui fait les portraits de groupes rĂ©gimentaires. Le dimanche 1er avril 1883, Aumale se rend Ă Paris chez le « Photogr(aph)e Chalot, 18 rue Vivienne » selon son agenda. Ce dernier est le successeur de Franck, pour qui Aumale a posĂ© quelques annĂ©es auparavant.
Il existe deux portraits par Chalot du duc en uniforme, lâun en buste avec la grand-croix de la LĂ©gion dâhonneur et lâautre en pied devant une tapisserie. Or le jeune photographe est cantilien dâorigine : en tant quâ « enfant de Chantilly.», Chalot photographie le chĂąteau reconstruit, dĂ©posant en 1885 et 1886 de nombreux clichĂ©s Ă la BibliothĂšque nationale de France, et cherchant mĂȘme Ă obtenir lâexclusivitĂ©. Chalot rĂ©alise une couverture photographique de Chantilly aprĂšs sa reconstruction et rĂ©pondait le 25 octobre 1886 : « Comme enfant de Chantilly et entiĂšrement dĂ©vouĂ© Ă la Famille (comprenons : dâOrlĂ©ans), jâavais Ă coeur de reproduire toutes les merveilles du ChĂąteau et grĂące Ă la bienveillante obligeance de Son Altesse, jâai pu accomplir en partie le programme que je mâĂ©tais tracĂ©. »
Chalot publie les photographies des vitraux de PsychĂ© provenant dâĂcouen. Cependant, le duc dâAumale avait aussi recours au photographe local.: lâ.«.atelier de photographie » de Chantilly. P. Michelon, place de la Machine, avait dĂ©jĂ fourni le 5 novembre 1879 des photos des vitraux de PsychĂ© pour 560 francs.
LE PREMIER AMĂNAGEMENT DU MUSĂE CONDĂ (1880-1886)
SitĂŽt le gros oeuvre construit, le duc dâAumale commence lâinstallation de ses collections en liaison Ă©troite avec son architecte Daumet qui devient Ă©galement architecte dâintĂ©rieur et scĂ©nographe. Les rĂ©unions ont lieu sur place, ne donnant lieu Ă aucun Ă©change Ă©crit entre les deux hommes, et laissent donc peu de traces dans les archives. Pour comprendre lâamĂ©nagement de Chantilly, il faut regarder les oeuvres, essayer de comprendre ce quâelles reprĂ©sentaient pour le duc dâAumale. Il a souhaitĂ© que son accrochage reste inchangĂ©, car pour lui il avait du sens : reflet de lâart et de lâhistoire, il retrace surtout les origines du prince, attachĂ© Ă la mĂ©moire des Montmorency et des CondĂ©. Câest une sorte de gĂ©nĂ©alogie illustrĂ©e, par exemple dans la Galerie de Peinture oĂč les tableaux italiens provenant de sa famille maternelle (sa mĂšre Marie-AmĂ©lie de Bourbon-Siciles, sa cousine germaine et Ă©pouse Marie- Caroline, son oncle le prince de Salerne) font face aux tableaux français illustrant lâhistoire de France et en particulier celle des familles de CondĂ© et dâOrlĂ©ans : outre Gabrielle dâEstrĂ©es, Louis XV et Marie-Antoinette, on y voit les portraits des cardinaux-ministres Richelieu et Mazarin provenant du Palais-Royal, et les tableaux orientalistes Ă©voquant la colonisation de lâAlgĂ©rie sous Louis-Philippe par son frĂšre le Prince Royal et lui-mĂȘme (Vernet, Fromentin) ainsi que lâhistoire militaire rĂ©cente (Meissonier pour le Premier Empire, Alphonse de Neuville pour la guerre de 1870). Cet accrochage est dense comme il est de rĂšgle Ă lâĂ©poque : cadre contre cadre, les tableaux couvrent le mur du haut en bas de la cimaise. Le premier accrochage, conçu aprĂšs lâachĂšvement du chantier, de 1875 Ă 1885, est encore plus chargĂ© quâaujourdâhui, car les salles dites du Logis, construites symboliquement Ă lâemplacement de lâancien appartement du roi au temps des princes de CondĂ© sous lâAncien RĂ©gime, sont alors rĂ©servĂ©es Ă lâappartement de lâhĂ©ritier du trĂŽne, son neveu le comte de Paris.
LES DERNIĂRES ANNĂES DU DUC DâAUMALE (1886-1897). LE SECOND EXIL (1886-1889) ET LA DONATION (1886)
En 1886, Ă lâoccasion du mariage de sa fille la princesse AmĂ©lie, petite-niĂšce du duc dâAumale, avec lâhĂ©ritier du trĂŽne de Portugal, le comte de Paris donne des rĂ©ceptions dâun faste excessif, se comportant en quasi chef dâĂtat. OffusquĂ©e dâune telle arrogance, la IIIe RĂ©publique exile alors les chefs des anciennes maisons rĂ©gnantes, ce qui ne concerne pas directement le duc dâAumale, mais la loi dâexil retire aux princes de ces maisons leur grade militaire : cette mesure injuste atteint le prince qui a servi fidĂšlement la RĂ©publique depuis quinze ans. Il Ă©crit alors au prĂ©sident de la RĂ©publique une trĂšs belle lettre quâil diffuse largement et dans laquelle il lui rappelle que « les grades militaires sont au-dessus de son pouvoir » et quâil « reste le gĂ©nĂ©ral Henri dâOrlĂ©ans, duc dâAumale ». Sans illusion sur les consĂ©quences de son geste, il quitte alors Chantilly, emportant avec lui ses deux petits panneaux de RaphaĂ«l, pour se rĂ©fugier dans sa propriĂ©tĂ© du Nouvion-en-ThiĂ©rache (Aisne) oĂč lâatteint le surlendemain la lettre dâexpulsion : de lĂ , il passe en Belgique chez son neveu le roi des Belges, pensant ne plus jamais pouvoir revenir en France. Craignant la confiscation de ses biens privĂ©s et lâannexion de ses collections aux musĂ©es nationaux, il signe le 25 octobre 1886 une donation immĂ©diate sous rĂ©serve dâusufruit de Chantilly et de ses collections Ă lâInstitut de France. Il dĂ©cide alors de transformer le musĂ©e CondĂ© : son neveu le comte de Paris ne pouvant plus rentrer en France (les OrlĂ©ans devront attendre pour cela le gĂ©nĂ©ral de Gaulle dans la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle), il rĂ©amĂ©nage Ă distance lâaile dite du Logis : cette aile avait Ă©tĂ© initialement construite par Daumet pour abriter les appartements du comte de Paris lĂ oĂč symboliquement se trouvait lâappartement du roi au temps des Montmorency et des CondĂ©. Le duc fait alors amĂ©nager le cabinet de Clouet, la salle Caroline, ainsi nommĂ©e en lâhonneur de sa dĂ©funte Ă©pouse, la salle Isabelle en lâhonneur de sa niĂšce la comtesse de Paris, le salon dâOrlĂ©ans alors dĂ©diĂ© aux portefeuilles de dessins et dâestampes, le cabinet des antiques, la rotonde de la Minerve et enfin la salle de la Smalah oĂč le duc fait disposer par Daumet ses souvenirs militaires dâavant 1848.
Connus par la photographie, ces nouveaux amĂ©nagements resteront en place jusquâĂ ce quâau milieu du XXe siĂšcle les conservateurs du musĂ©e CondĂ©, alarmĂ©s de voir les dessins se dĂ©grader devant les atteintes de la lumiĂšre, ne les dĂ©crochent, remaniant lâaccrochage. En 1889, lâInstitut de France Ă©lit le duc dâAumale Ă lâacadĂ©mie des Sciences morales et politiques afin quâil puisse rentrer en France : il est en effet de rĂšgle quâun nouvel acadĂ©micien aille se prĂ©senter au prĂ©sident de la RĂ©publique. DĂ©sormais revenu chez lui, Aumale procĂšde Ă ses derniĂšres grandes acquisitions : Le Concert champĂȘtre de Corot, puis les 40 Fouquet et le cassone des ScĂšnes de lâhistoire dâEsther par Botticelli et Lippi, amĂ©nageant le Santuario pour les installer.
Dans ses derniĂšres annĂ©es, le duc recourt Ă la photographie documentaire pour la reproduction dâoeuvres dâart. Le 15 mars 1887 Ă Florence, il admire ainsi La Calomnie dâApelle de Botticelli dont il pense possĂ©der le dessin prĂ©paratoire (en fait, une simple copie) et veut en acheter la photographie : « Il [lui] semble que la gravure le rend mal ». Collectionneur moderne, Aumale prĂ©fĂšre la photographie Ă la gravure dâinterprĂ©tation, jusquâalors le mode de diffusion privilĂ©giĂ© des chefs-dâĆuvre.
En 1891 et 1892, le duc se prĂ©occupe de la reproduction photographique de ses collections et prend un premier contact le 30 juillet 1891 : « Visite aux galeries de Braun le photographe ». Les 6 avril et 6 mai 1892, le nom de Braun est associĂ© Ă celui de son ami Gruyer qui lui conseille probablement dâavoir recours Ă cette sociĂ©tĂ© en plein dĂ©veloppement.: «.Gruyer et les photographies Braun », « Gruyer et Braun photographies ». Le 12 septembre 1892, il note seulement : «.Braun photographe » et fait reproduire ses tableaux par le fameux procĂ©dĂ© inaltĂ©rable au charbon.
Les photographies les plus personnelles du duc dâAumale datent de la fin de sa vie. Le duc dâAumale partage dĂ©sormais sa vie entre Chantilly et Paris oĂč il loue un appartement rue Montalivet, se rend au printemps en Sicile dans ses trois rĂ©sidences : le palais dâOrlĂ©ans, les entrepĂŽts de Terrasini et la propriĂ©tĂ© viticole du Zucco. Câest peut-ĂȘtre en Sicile que sont rĂ©alisĂ©es les plus Ă©mouvantes photographies du duc, dans des lieux qui lui sont chers et oĂč il reçoit des personnalitĂ©s comme lâimpĂ©ratrice EugĂ©nie ou son neveu le roi Ferdinand de Bulgarie. Câest au Zucco quâil meurt dâune crise cardiaque le 7 mai 1897 avant dâĂȘtre enseveli Ă Dreux dans la chapelle funĂ©raire des OrlĂ©ans.