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🔊 “Les choses” Une histoire de la nature morte, au Louvre – Hall Napoléon, Paris, du 12 octobre 2022 au 23 janvier 2023

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“Les choses“
Une histoire de la nature morte

au Louvre – Hall Napoléon, Paris

du 12 octobre 2022 au 23 janvier 2023

Louvre


Interview de Laurence Bertrand Dorléac, historienne de l’art et commissaire de l'exposition, par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 11 octobre 2022, durée 14’49. © FranceFineArt.

PODCAST –  Interview de Laurence Bertrand Dorléac, historienne de l’art et commissaire de l’exposition, par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 11 octobre 2022, durée 14’49. © FranceFineArt.


par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 10 octobre 2022, durée 14’49.
© FranceFineArt.

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Les choses; Une histoire de la nature morte
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©Anne-Fréderique Fer, présentation presse, le 11 octobre 2022.
Jacques Linard, Les Cinq Sens et les Quatre Éléments (avec objets aux armes de la famille de Richelieu), 1627. Huile sur toile, H. 105 x L. 153 cm. Paris, musée du Louvre, département des Peintures. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau.
Jacques Linard, Les Cinq Sens et les Quatre Éléments (avec objets aux armes de la famille de Richelieu), 1627. Huile sur toile, H. 105 x L. 153 cm. Paris, musée du Louvre, département des Peintures. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau.
Adriaen S. Coorte, Six coquillages sur une table de pierre, 1696. Huile sur papier collé sur Bois H. 15 x L. 22 cm. Paris, musée du Louvre, département des Peintures. © RMN - Grand Palais (Musée du Louvre) / Michel Urtado.
Adriaen S. Coorte, Six coquillages sur une table de pierre, 1696. Huile sur papier collé sur Bois H. 15 x L. 22 cm. Paris, musée du Louvre, département des Peintures. © RMN – Grand Palais (Musée du Louvre) / Michel Urtado.

Extrait du communiqué de presse :

 

Édouard Manet, Le Citron, 1880. Huile sur toile, H. 14 x L. 22 cm. Paris, musée d’Orsay. © Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.
Édouard Manet, Le Citron, 1880. Huile sur toile, H. 14 x L. 22 cm. Paris, musée d’Orsay. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.
Francisco José de Goya y Lucientes, Nature morte à la tête de mouton, 1808-1812. Huile sur toile, H. 45 x L. 62 cm. Paris, musée du Louvre département des Peintures. © RMN - Grand Palais (Musée du Louvre) / Thierry Ollivier.
Francisco José de Goya y Lucientes, Nature morte à la tête de mouton, 1808-1812. Huile sur toile, H. 45 x L. 62 cm. Paris, musée du Louvre département des Peintures. © RMN – Grand Palais (Musée du Louvre) / Thierry Ollivier.
Balthasar van der Ast, Fruits et coquillages, 1623. Huile sur bois, H. 37 x L. 65 cm. Lille, palais des Beaux-Arts. © RMN-Grand Palais / René-Gabriel Ojeda.
Balthasar van der Ast, Fruits et coquillages, 1623. Huile sur bois, H. 37 x L. 65 cm. Lille, palais des Beaux-Arts. © RMN-Grand Palais / René-Gabriel Ojeda.
Jean-Baptiste Chardin, Pipes et vases à boire, dit aussi La Tabagie, vers 1737. Huile sur toile, H. 32,5 x L. 40 cm. Paris, musée du Louvre, département des Peintures. © RMN - Grand Palais (Musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle.
Jean-Baptiste Chardin, Pipes et vases à boire, dit aussi La Tabagie, vers 1737. Huile sur toile, H. 32,5 x L. 40 cm. Paris, musée du Louvre, département des Peintures. © RMN – Grand Palais (Musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle.
Jean-Antoine Houdon, La grive morte. Bas-relief, marbre, H. 36 x L. 28 cm. Collection privée. © Musée du Louvre/Alain Cornu.
Jean-Antoine Houdon, La grive morte. Bas-relief, marbre, H. 36 x L. 28 cm. Collection privée. © Musée du Louvre/Alain Cornu.
Joel-Peter Witkin, Harvest, Philadelphia, 1983. Photographie argentique, H. 37,2 x 36,8 cm. Paris, Galerie baudoin lebon. © Joel-Peter Witkin, courtesy baudoin lebon.
Joel-Peter Witkin, Harvest, Philadelphia, 1983. Photographie argentique, H. 37,2 x 36,8 cm. Paris, Galerie baudoin lebon. © Joel-Peter Witkin, courtesy baudoin lebon.

Commissaire de l’exposition :  Laurence Bertrand Dorléac, historienne de l’art, avec la collaboration de Thibault Boulvain et Dimitri Salmon.





La nature morte retrouve enfin les honneurs d’une grande exposition parisienne, 70 ans après la dernière rétrospective à l’Orangerie en 1952.


Conçue par Laurence Bertrand Dorléac, cette exposition d’auteure propose une vision nouvelle de ce genre longtemps considéré comme mineur et dont l’intitulé français, né tardivement au XVIIe siècle, n’a jamais satisfait personne. L’expression « nature morte » rend mal compte d’un genre très vivant, qui est, au fond, un agencement de choses en un certain ordre assemblées par l’artiste.


Cette carte blanche réunit près de 170 oeuvres, prêtées par plus de 70 institutions et collections privées parmi les plus prestigieuses. Dans une promenade en quinze séquences chronologiques et thématiques, les oeuvres, représentant tous les médias (de la peinture à la vidéo, en passant par la sculpture, la photographie et le cinéma), dialoguent entre elles, au-delà du temps et de la géographie, jusqu’à l’époque contemporaine. Comme un prélude à l’exposition, l’oeuvre monumentale de l’artiste camerounais Barthélémy Toguo, Le Pilier des migrants disparus, se déploie sous la Pyramide.


La représentation des choses, dont on retrouve des témoignages dès la Préhistoire, offre une formidable plongée dans l’histoire. Les artistes ont, en effet, été les premiers à prendre les choses au sérieux. Ils ont reconnu leur présence, les ont rendues vivantes et intéressantes en exaltant leur forme, leur signification, leur pouvoir, leur charme, ont saisi leur faculté à donner forme à nos peurs, à nos croyances, à nos doutes, à nos rêves, à nos désirs, à nos folies.


L’exposition entend rétablir un dialogue entre ce genre perçu comme suranné et le public : la nature morte est l’une des évocations artistiques puissantes de la vie sensible. Parce que les êtres humains vivent avec les choses et y sont attachés, parce que les choses occupent une place déterminante dans les vies et les imaginaires, la nature morte dit beaucoup de nous et a beaucoup à nous dire. Elle raconte notre relation avec les biens matériels, qui ne sont pas réductibles à leur matérialité mais qui sont chargés de signification.


La dernière grande manifestation autour de la nature morte, La nature morte de l’Antiquité au XXe siècle, fut organisée en 1952 à Paris par Charles Sterling, conservateur au Louvre. La présente exposition rend hommage à ce grand historien de l’art ; il ne s’agit pourtant pas d’un remake, mais de repartir de nos savoirs et de notre mentalité contemporaine. Le point de vue intègre tout ce qui a renouvelé les techniques de représentation et les perspectives, tant en histoire de l’art ancien et contemporain, qu’en littérature, poésie, philosophie, archéologie, anthropologie, science ou écologie.


Elargissant les frontières chronologiques et géographiques, l’exposition ouvre des fenêtres sur d’autres cultures qui ont représenté les choses en majesté, y compris quand elles n’étaient plus montrées pour elles-mêmes dans l’Occident chrétien – du VIe au XVIe siècle. Elle revisite le genre de la nature morte, dans la perspective de l’éternel dialogue entre les artistes du présent et ceux du passé, dans un renouvellement permanent du regard : des haches préhistoriques au readymade de Duchamp, en passant par les agencements étonnants d’Arcimboldo, de Clara Peeters, Louise Moillon, Zurbarán, Chardin, Anne Vallayer-Coster, Manet, De Chirico, Miró, Nan Goldin, Ron Mueck et bien d’autres. La représentation des choses par les artistes s’imprègne d’une grande variété de pratiques et d’idées, de croyances et de sentiments, qui inspirent les mouvements de la société autant qu’elles ne s’en font l’écho. À l’intérieur d’un code reconnu voire rebattu, la simplicité des choses invite les artistes à des libertés formelles inouïes.


Le genre de la nature morte doit également être reconsidéré à la faveur de l’attachement contemporain aux choses ainsi qu’aux relations nouvelles qui s’établissent entre le vivant et le non-vivant. Cette exposition contient forcément les préoccupations d’aujourd’hui : les défis écologiques, les nouveaux droits des animaux et des choses (des forêts en particulier), tandis que certaines persistances, comme celle du thème de la Vanité, révèlent des vérités anthropologiques profondes.


La structure diachronique choisie pour le parcours de l’exposition a l’avantage de mettre en évidence les tournants dans l’histoire des représentations. Elle ménage aussi les rapprochements indispensables entre les oeuvres d’époques différentes. Trois périodes sont particulièrement propices à l’abondance des choses représentées : l’Antiquité, les XVIe-XVIIe siècles et les XXe-XXIe siècles.




#ExpoLesChoses – Catalogue sous la direction de Laurence Bertrand Dorléac. Coédition Liénart / musée du Louvre éditions

Ecole allemande, Nature morte aux bouteilles et aux livres vers 1530 ?. Huile sur bois (chêne) 106,2 x 82,4 x 1,5 cm (sans cadre) ; 118 x 94 x 4 cm (avec cadre) Colmar, Musée Unterlinden. © Musée d’Unterlinden, Dist. RMN-Grand Palais / image Société Schongauer.
Ecole allemande, Nature morte aux bouteilles et aux livres, vers 1530 ?. Huile sur bois (chêne) 106,2 x 82,4 x 1,5 cm (sans cadre) ; 118 x 94 x 4 cm (avec cadre) Colmar, Musée Unterlinden. © Musée d’Unterlinden, Dist. RMN-Grand Palais / image Société Schongauer.
Luis Egidio Meléndez, Nature morte avec pastèques et pommes dans un paysage, 1771. Huile sur toile, H. 62 x L. 84 cm. Madrid, Museo Nacional del Prado. © Photographic Archive Museo Nacional del Prado.
Luis Egidio Meléndez, Nature morte avec pastèques et pommes dans un paysage, 1771. Huile sur toile, H. 62 x L. 84 cm. Madrid, Museo Nacional del Prado. © Photographic Archive Museo Nacional del Prado.

Parcours de l’exposition – texte des panneaux didactiques de l’exposition



Préambule
Dans notre monde bavard, les artistes nous invitent à prêter attention à tout ce qui est silencieux et minuscule. En donnant une forme aux choses de la vie et de la mort, ils parlent de nous, de notre histoire depuis toujours : de nos attachements, de nos peurs, de nos espoirs, de nos caprices, de nos folies. Cette exposition est dédiée à leurs représentations. Elle ouvre sur le dialogue entre les oeuvres du présent et celles du passé, entre nos mentalités d’aujourd’hui et celles de nos ancêtres.

Introduction 
Cette exposition nous invite à une plongée au cœur des choses représentées depuis les débuts de l’humanité. Les artistes ont été les premiers à prendre les choses au sérieux. Ils ont reconnu leur présence, leur existence. Ils les ont rendues vivantes et intéressantes en exaltant leur forme, leur signification, leur pouvoir, leur charme. Ils ont saisi leur faculté à nous faire imaginer, penser, croire, douter, rêver, agir. Ces choses nous font ainsi réfléchir à l’état de notre monde où tout se tient : objets, animaux et humains. Leurs représentations posent la question de la frontière de plus en plus floue entre ce qui est chose et ce qui ne l’est pas, entre le vivant et le non-vivant. Elles parlent d’abondance et de rareté, de matérialisme et de croyance. Les peintres, les sculpteurs, les photographes, les cinéastes ou les vidéastes nous font entrer dans l’univers singulier de ces choses qui ont été tour à tour, au cours de l’histoire, méprisées, admirées, craintes. Dans cette promenade en quinze séquences, les oeuvres dialoguent entre elles, au-delà du temps et de la géographie, jusqu’à notre époque où les artistes contemporains regardent encore les œuvres anciennes pour nous parler de nous. Si l’on a communément parlé de nature morte pour désigner leurs représentations, nous verrons que les choses sont avant tout vivantes. Nous agissons sur elles et elles agissent sur nous, elles influencent notre vie matérielle et sensible. Dans une atmosphère aujourd’hui dramatisée par les défis de l’écologie et de la robotisation, toutes ces représentations de choses nous touchent en prenant forcément un sens nouveau.

Ce qui reste
Les choses sont les petits restes de l’histoire individuelle et collective. Avant même que les textes n’en parlent sous l’Antiquité, elles étaient représentées par des hommes, des femmes, peut-être des enfants dont on ne connaît même plus le nom. Ces représentations sont la preuve de l’attention qu’elles suscitent depuis les débuts de l’humanité. Elles sont présentes dans bien des cultures. Dans les grandes sociétés mésopotamienne ou égyptienne, par exemple, elles symbolisent la puissance et le sacré, la vie après la mort, mais aussi l’existence quotidienne, le travail ou l’amour. Elles sont parfois montrées en majesté comme si leur forme intéressante attirait déjà l’attention des artistes. Ainsi, cette série de haches dans la sépulture préhistorique de Gavrinis, datée de 3 500 ans avant notre ère, qui peut être considérée comme une première nature morte. Aujourd’hui encore, les artistes s’intéressent au plus haut point à une multitude de signes anciens qu’ils rassemblent, recyclent et représentent. Ils peuplent ainsi notre monde actuel des traces de ce qui est passé mais toujours vivant.

L’art des choses ordinaires
C’est l’Antiquité qui nous laisse le plus de traces d’un art des choses représentées. Pline l’Ancien, Pausanias ou Philostrate l’Ancien les nomment et les décrivent dans leurs textes. Comme leurs contemporains, ils peuvent les trouver triviales mais aussi plaisantes. Perpétuel défi à la virtuosité des écrivains et des peintres, elles semblent, en trompe-l’oeil, aussi vraies que dans la réalité. Dans son Histoire naturelle (77 avant notre ère), Pline l’Ancien raconte qu’un peintre fut fameux pour ses représentations de sujets ordinaires. Il se nommait Piraeicus et il eut beau peindre des choses « viles », ses tableautins se vendirent bien plus cher que les grands tableaux de beaucoup d’autres artistes. À cette époque, les choses servent à donner une forme à la vie et à la mort, au vivant et au non-vivant. Leur représentation illusionniste s’impose alors avec ses codes et son langage propres. Avec ces objets ordinaires qui circulent comme dons d’hospitalité (xenia) ou biens de marché, nous sommes apparemment dans un monde sans drame. Mais dans une maison de Pompéi, l’image d’un crâne en mosaïque rappelle pourtant la fin inéluctable qui nous attend tous et toutes à égalité. Datée du Ier siècle avant notre ère, elle est la première Vanité d’un genre qui est encore pratiqué par les artistes de notre temps.

Les objets de la croyance
On évoque généralement une « éclipse » de 1000 ans des choses représentées pour elles-mêmes, entre la chute de l’Empire romain au VIe siècle et le XVIe siècle en Europe. Durant ce long moment, elles ne disparaissent pas : elles sont mises entièrement au service du récit religieux chrétien qui domine la vie en Occident. Elles servent de symboles pour que chacun puisse se familiariser avec les personnages sacrés. Elles deviennent comme des accessoires dans le tissu du monde divin. Malgré tout, les choses d’une apparence simple comme le livre, le pain, le vin, les outils ou les armes du Christ, sont représentées avec attention et elles tiennent parfois une place importante. Si l’on déplace le regard vers d’autres zones géographiques et culturelles du monde, hors de l’Occident, on trouve aussi des choses qui, bien que pénétrées de croyance, sont représentées comme autonomes. Il en est ainsi de la sandale du Prophète dans le monde musulman, sans doute à partir des XIIe-XIIIe siècles. Dans l’univers bouddhiste, au XIVe siècle, une fleur d’oeillet est représentée en majesté.

Émancipation
À partir du début du XVIe siècle, après leur éclipse de près de 1000 ans, les représentations de choses en majesté se multiplient à nouveau en Europe. Des artistes et des artisans leur donnent une forme dans les domaines de la marqueterie, des objets d’art ou de la peinture. Ce retour de l’intérêt pour le monde matériel et quotidien s’ancre dans l’héritage de l’Antiquité gréco-romaine mais doit aussi aux pensées nouvelles, à l’évolution du christianisme et au développement du marché qui leur confèrent de nouvelles significations. Tout contribue à l’observation de la variété des choses, à leur prise en considération, à leur indépendance, à nouveau. Ainsi, pour cette armoire aux bouteilles et aux livres du début du XVIe siècle, véritable trompe l’œil composé des simples objets d’un médecin, qui prouve que l’art de représenter les choses ne s’était pas perdu.

Accumulation, échange, marché, pillage
À partir de la seconde moitié du XVIe siècle en Europe, les artistes représentent de plus en plus les choses qui s’accumulent, s’échangent et s’achètent dans un monde marchand ouvert aux transferts de biens et de monnaie. Ces choses contiennent silencieusement toutes les envies, les rêveries et la violence du monde. Elles contribuent à dévoiler les vies, les états, les croyances, les sentiments. Elles se mêlent désormais aux figures humaines mais aussi religieuses au point de rivaliser avec celles-ci : des artistes renvoient le récit chrétien au second plan, en miniature. De même, les paysans passent derrière les fruits et les légumes qu’ils récoltent comme dans cette grande Nature morte aux légumes de Snyders de 1610, où le couple de paysans disparaît derrière une accumulation de choux et de carottes en gros plan. Un nouveau statut en majesté s’impose pour les choses ordinaires qui contribuent à définir et à ordonner l’espace social. Elles assurent les rapports de pouvoir entre les riches et les pauvres, les hommes et les femmes, les humains et les animaux. En peinture aussi, dans le triomphe naissant de la marchandise se confondent le marché et ses marchands, la production maraîchère et les femmes, l’objet à vendre et la chair, les choses et les êtres.

Sélectionner, collectionner, classer
À partir du XVIIe siècle et encore de nos jours, dans un monde qui tend à se peupler de choses au marché comme dans l’intimité des intérieurs, les artistes s’affairent à sélectionner, collectionner, classer. Ils gardent le plus intéressant à leurs yeux, ou à ceux de leurs commanditaires, par la forme, la couleur, la rareté, la préciosité ou le symbole. Les arrangements valorisent les motifs étonnants, les monstruosités naturelles, les curiosités. Les cabinets se multiplient pour conserver les abrégés de l’univers. Ils sont habités de la fascination devant la variété du monde mais ils abritent aussi les fruits du pillage colonial des peuples et des territoires. Alors que s’impose le genre pictural de « la nature morte » en Europe, la discussion est minée par l’idée que l’on se fait de la hiérarchie des genres : il y aurait des sujets plus difficiles ou plus nobles que d’autres. Et si les femmes ont la réputation de savoir peindre des choses, c’est que, dans le nouveau partage des Beaux-Arts où dominent les valeurs masculines, ce genre-là demeure encore au bas de l’échelle.

Tout reclasser
Au XVIe siècle, Arcimboldo brouille les frontières entre les espèces et les règnes. Il mélange les fleurs, les légumes, les fruits, les animaux et les humains. Il impose le carnaval des choses en peinture mais il n’est pas le seul à revendiquer pour elles une place de choix dans un univers peuplé où tout circule et se vaut. Pour montrer que le genre des choses est aussi noble qu’un autre, des artistes plantent des natures mortes en gros plan sur des paysages qui ne servent plus que de décor. Les choses s’imposent en maîtres du jeu comme de véritables personnages de l’histoire. Le genre de l’art des choses gagne ainsi encore en autorité même s’il faut attendre le XVIIIe siècle pour le voir définitivement triompher. On prête à Chardin d’avoir si finement rendu la vie des choses que le genre en est à nouveau bouleversé. Devant ses toiles, Diderot dit qu’il admire sa manière originale d’éclairer les minuscules objets de l’intérieur. Le marché de l’art en est aussi friand et les artistes s’y réfèrent jusqu’à aujourd’hui.

Vanité
Si la première vanité européenne retrouvée est une mosaïque au crâne du Ier siècle avant notre ère, cette figure de la mort reprise jusqu’à nos jours rappelle inlassablement le sort qui nous attend. Les choses signifient l’abondance ou la rareté des richesses matérielles, la variété du monde et sa joliesse mais depuis le début, elles préviennent aussi de la vanité humaine, de la corruption par le pourrissement d’un fruit et de la fin inévitable que symbolise un crâne. À partir du XVIe siècle, dans un contexte encore largement religieux, la vanité a souvent la forme d’un crâne seul ou installé près d’objets symboliques comme une bougie ou un sablier qui signifient le temps qui passe inexorablement. Alors qu’à partir du XVIIe siècle se développe un marché de l’art « bourgeois », certains artistes montrent jusqu’à la vanité de la peinture et du tableau qui se vend désormais de plus en plus pour décorer les intérieurs bourgeois. Cette crise de conscience sera de nouveau d’actualité trois siècles plus tard en Europe et aux États-Unis sur fond de révolte contre la société de consommation.

La bête humaine
Le motif peint de l’animal mort est ancien. En Occident, tout particulièrement à partir du XVIIe siècle, il évoque la condition humaine dans sa fragilité. La position des animaux pendus, écartelés, les membres liés, accentue l’humanité qu’on leur prête. Ces images peuvent choquer, nous le savons. Elles ne sont ni complaisance, ni exaltation. Cette figure désespérante de l’animal semble nous avertir du sort qui pourrait bien nous attendre. La puissance de la représentation est d’autant plus frappante à notre époque justement sensible à la condition animale. Au début des années 1800, Géricault et Goya signent des oeuvres qui opèrent une véritable révolution dans la foulée des guerres napoléoniennes : ils peignent des membres de cadavres humains et une tête et carcasse de mouton comme des choses. Ils nous font dès lors entrer dans une autre époque. Dans les œuvres contemporaines, les victimes du boucher ne suscitent plus seulement la compassion, contemporaines nous accusent, elles nous fixent, elles nous ont à l’oeil !

La vie simple
Dans la lignée de Chardin qu’il admire, Édouard Manet peint la vie simple avec des fleurs, des fruits, des légumes ou des poissons morts qu’il magnifie. Il dit vouloir être le « Saint-François de la nature morte ». Quoi de mieux que ces petites choses sans qualité pour ridiculiser la grandiloquence de la peinture académique encore à la mode dans la seconde partie du XIXe siècle ? Il n’est pas le seul à établir un régime d’égalité entre les choses ordinaires et les êtres. D’autres artistes recherchent aussi le naturel tout comme les impressionnistes et un certain nombre de photographes qui traquent le charme de la vie telle qu’elle est. Le déferlement de choses banales semble répondre à l’évolution industrielle de la société alors que les citadins s’éloignent de la campagne dont ils gardent la nostalgie. Cézanne a voulu lui aussi le dépouillement dans l’attention aux choses élémentaires, comme Van Gogh, Gauguin, ou plus tard Matisse ou Nolde. Pour eux, la nature morte est une façon de revenir à l’essentiel de la vie.

Dans leur solitude
Dans les temps anciens, les choses réunies renvoyaient surtout à une forme d’harmonie. À partir du XXe siècle, le manque de relations entre elles, leur mise en scène frontale et crue témoigne de la coupure des humains avec leur milieu rendu plus abstrait et plus inquiétant à force de mécanisation. Si les choses étaient depuis longtemps affranchies de celles et ceux qui les produisaient et les consommaient, elles sont de plus en plus isolées dans un monde où leur solitude renvoie à celle de leurs maîtres. Ainsi, les souliers ensablés de Sophie Ristelhueber sur un champ de guerre. En 1913, Giorgio de Chirico pose ainsi une nature morte d’artichauts en gros plan sur un fond industriel déserté de toute figure humaine. Cette Mélancolie d’un après-midi ouvre une série de choses célibataires qui avouent le trouble des humains.

Choses humaines
Le pouvoir des poupées est très ancien et le sujet sert aux artistes à révéler le peu de frontières entre l’être et la chose, le maître et son joujou. La marionnette, le pantin, l’automate, la poupée sont autant d’objets chargés de significations magiques, sexuelles, ironiques, poétiques. Ils renvoient à des pulsions secrètes, au fétichisme mais aussi à la perte, à l’hygiénisme, à la déshumanisation robotique, à la condition féminine. Le malaise grandit quand un artiste s’en prend au corps humain pour le chosifier. Ainsi, quand Robert Gober fait surgir d’un mur une jambe coupée surmontée d’une bougie, il n’est pas seulement question d’un homme qui a disparu dans sa totalité, c’est toute l’espèce humaine qui semble rassemblée dans cette partie séparée du tout. Les choses représentées sont là aussi pour annoncer le péril de la déshumanisation qui nous menace.

Les temps modernes
En 1914, Marcel Duchamp présente ironiquement un ready-made trouvé tel quel dans le monde industriel qui s’apprête à nourrir la machine de la plus grande guerre depuis les débuts de l’humanité. Il signe son porte-bouteilles comme une oeuvre en le sauvant de sa reproduction technique anonyme mais il impose du même coup le symbole iconoclaste de l’industrie dans le champ de l’art. Les codes de représentation du réel éclatent. Les objets familiers sont observés en tous sens, sous plusieurs angles et simultanément. Le lien avec le monde n’est plus rendu par sa représentation fidèle, mais par l’intrusion du journal, de tissus, du plastique ou de déchets. Les artistes donnent une forme à la série, au bruit, à la vitesse, au chaos de la société moderne où, plus que jamais se confondent les êtres et les marchandises. Dans les représentations, les femmes fusionnent avec leurs appareils ménagers dans leur univers domestique. L’individu doit survivre comme un rouage et s’adapter à la chose plutôt que la soumettre. Les artistes n’en finiront jamais plus de chercher à donner une forme à ce grand Ballet mécanique de la vie moderne filmé par Fernand Léger dès 1924.

Objets poétiques
En réaction à la rationalisation et à la mécanisation, des artistes insistent sur l’étrangeté du monde par la rencontre de choses qu’ils recyclent pour qu’elles ne servent plus à rien. Réunis de façon inhabituelle et poétique, les objets sont conçus pour amuser, agacer, désorienter, intriguer, écrit Man Ray dans un esprit dada-surréaliste. Comme ses amis, il trouve de quoi rêver dans les brocantes, les marchés aux puces et les décharges. Il croit au pouvoir magique des choses, à leur vertu même quand elles sont abîmées ou n’existent qu’en rêve. En 1969, quand Meret Oppenheim veut représenter poétiquement un écureuil : elle colle une queue sur un verre de bière et le tour est joué.

Métamorphoses
Tout devient de plus en plus incertain dans les représentations contemporaines. Des froids pastiches d’objets dans le monde postindustriel à la mise en scène de choses banales chargées de significations historiques, éthiques, politiques, tout s’inscrit dans une longue tradition qui a délégué aux choses la vertu de parler des affaires humaines. Elles traduisent encore la joie du monde mais surtout ce qui dérange : la mort, la solitude, la maladie, la pauvreté, les réfugiés, l’intolérance, le dérèglement climatique… Vivant à l’heure de l’hybridation des êtres et des choses, il nous faut revenir aux Métamorphoses d’Ovide, ce long poème de l’exil achevé en l’an I de notre ère : l’auteur avait osé prôner la licence contre l’ordre moral d’Auguste. Il invente le mot même de « métamorphose » pour désigner la permanente instabilité du monde depuis sa création.