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“FĂŒssli“ entre rĂȘve et fantastique

au Musée Jacquemart-André, Paris

du 16 septembre 2022 au 23 janvier 2023

Musée Jacquemart-André


Interview de Andreas Beyer, titulaire de la chaire d’Histoire de l’art 
des dĂ©buts de la pĂ©riode moderne Ă  l’UniversitĂ© de BĂąle, et co-commissaire de l'exposition, par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă  Paris, le 15 septembre 2022, durĂ©e 17'51". © FranceFineArt.

PODCAST –  Interview de Andreas Beyer, titulaire de la chaire d’Histoire de l’art des dĂ©buts de la pĂ©riode moderne Ă  l’UniversitĂ© de BĂąle, et co-commissaire de l’exposition,


par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă  Paris, le 15 septembre 2022, durĂ©e 17’51.
© FranceFineArt.

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©Anne-Fréderique Fer, présentation presse, le 15 septembre 2022.

Johann Heinrich FĂŒssli (1741 – 1825), Lady Macbeth somnambule, vers 1784. Huile sur toile, 221 x 160 cm, MusĂ©e du Louvre, DĂ©partement des peintures, Paris, photo. © RMN-Grand Palais (musĂ©e du Louvre) / HervĂ© Lewandowski.
Johann Heinrich FĂŒssli (1741 – 1825), Lady Macbeth somnambule, vers 1784. Huile sur toile, 221 x 160 cm, MusĂ©e du Louvre, DĂ©partement des peintures, Paris, photo. © RMN-Grand Palais (musĂ©e du Louvre) / HervĂ© Lewandowski.
Johann Heinrich FĂŒssli (1741 – 1825), RomĂ©o et Juliette, 1809, huile sur toile, 143 x 112 cm. Collection particuliĂšre (en dĂ©pĂŽt au Kunstmuseum Ă  BĂąle), photo : Kunstmuseum Basel, Martin P. BĂŒhler.
Johann Heinrich FĂŒssli (1741 – 1825), RomĂ©o et Juliette, 1809, huile sur toile, 143 x 112 cm. Collection particuliĂšre (en dĂ©pĂŽt au Kunstmuseum Ă  BĂąle), photo : Kunstmuseum Basel, Martin P. BĂŒhler.
Johann Heinrich FĂŒssli (1741 – 1825), Le Cauchemar, aprĂšs 1782. Huile sur toile, 31,5 x 23 cm, The Frances Lehman Loeb, Art Center, Vassar College, Poughkeepsie, New York, photo : Frances Lehman Loeb Art Center, Vassar, Poughkeepsie, NY / Art Resource, NY.
Johann Heinrich FĂŒssli (1741 – 1825), Le Cauchemar, aprĂšs 1782. Huile sur toile, 31,5 x 23 cm, The Frances Lehman Loeb, Art Center, Vassar College, Poughkeepsie, New York, photo : Frances Lehman Loeb Art Center, Vassar, Poughkeepsie, NY / Art Resource, NY.

Extrait du communiqué de presse :



Johann Heinrich FĂŒssli (1741 – 1825), Les trois sorciĂšres, aprĂšs 1783. Huile sur toile, 75 x 90 cm, The Royal Shakespeare Theatre, Stratfordupon-Avon, photo: Royal Shakespeare Company Theatre Collection.
Johann Heinrich FĂŒssli (1741 – 1825), Les trois sorciĂšres, aprĂšs 1783. Huile sur toile, 75 x 90 cm, The Royal Shakespeare Theatre, Stratfordupon-Avon, photo: Royal Shakespeare Company Theatre Collection.
Johann Heinrich FĂŒssli (1741 – 1825), La sorciĂšre de la nuit rendant visite aux sorciĂšres de Laponie, 1796. H,uile sur toile, 101,6 x 126,4 cm, Metropolitan Museum of Art, New York, photo © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais / image of the MMA.
Johann Heinrich FĂŒssli (1741 – 1825), La sorciĂšre de la nuit rendant visite aux sorciĂšres de Laponie, 1796. H,uile sur toile, 101,6 x 126,4 cm, Metropolitan Museum of Art, New York, photo © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais / image of the MMA.
Johann Heinrich FĂŒssli (1741 – 1825), Le rĂȘve de la reine Catherine, 1781. Huile sur toile, 151 x 212,1 cm, Lytham St Annes Art Collection of Fylde Council © Heritage Images / Fine Art Images / akg-images.
Johann Heinrich FĂŒssli (1741 – 1825), Le rĂȘve de la reine Catherine, 1781. Huile sur toile, 151 x 212,1 cm, Lytham St Annes Art Collection of Fylde Council © Heritage Images / Fine Art Images / akg-images.

Commissariat :

Christopher Baker, directeur des dĂ©partements d’art europĂ©en et Ă©cossais et des portraits aux National Galleries d’Écosse

Andreas Beyer, titulaire de la chaire d’Histoire de l’art des dĂ©buts de la pĂ©riode moderne Ă  l’UniversitĂ© de BĂąle

Pierre Curie, conservateur général du patrimoine, conservateur du musée Jacquemart-André





Le MusĂ©e Jacquemart-AndrĂ© prĂ©sente, Ă  l’automne 2022, l’oeuvre du peintre britannique d’origine suisse, Johann Heinrich FĂŒssli (1741-1825). À travers une soixantaine d’oeuvres issues de collections publiques et privĂ©es, le parcours illustrera les thĂšmes les plus emblĂ©matiques de l’oeuvre de FĂŒssli, artiste de l’imaginaire et du sublime. Des sujets shakespeariens aux reprĂ©sentations du rĂȘve, du cauchemar et des apparitions, en passant par les illustrations mythologiques et bibliques, FĂŒssli dĂ©veloppe une nouvelle esthĂ©tique qui oscille entre rĂȘve et fantastique.

Fils d’un pĂšre peintre et historien de l’art, Johann Heinrich FĂŒssli fut un temps pasteur et commença une carriĂšre artistique assez tardivement, lors d’un premier voyage Ă  Londres, sous l’influence de Sir Joshua Reynolds, prĂ©sident de la Royal Academy. AprĂšs un long sĂ©jour en Italie, au cours duquel il est fascinĂ© notamment par la puissance des compositions de Michel-Ange, il revient s’installer Ă  Londres Ă  la fin des annĂ©es 1770. Artiste atypique et intellectuel, FĂŒssli puise son inspiration dans les sources littĂ©raires qu’il passe au filtre de son imagination. Il dĂ©veloppe dans sa peinture un langage onirique et dramatique, oĂč se cĂŽtoient sans cesse le merveilleux et le fantastique, le sublime et le grotesque.

OrganisĂ©e thĂ©matiquement, l’exposition explore l’ensemble de l’oeuvre de FĂŒssli Ă  laquelle aucune exposition monographique n’avait Ă©tĂ© consacrĂ©e Ă  Paris depuis 1975. Elle s’ouvrira sur la reprĂ©sentation du théùtre shakespearien, en particulier de Macbeth, puis elle s’attachera aux rĂ©cits mythologiques et bibliques avant de se pencher sur la figure fĂ©minine dans son Ɠuvre graphique. Se succĂšderont enfin les thĂšmes du cauchemar, vĂ©ritable crĂ©ation fĂŒsslienne, puis du rĂȘve et des apparitions.

FĂŒssli dĂ©veloppe une veine fantastique relativement marginale pour l’époque car elle contourne les rĂšgles acadĂ©miques. C’est en 1782 qu’il prĂ©sente sa premiĂšre version du Cauchemar, Ɠuvre emblĂ©matique de son imaginaire qui assoit vĂ©ritablement sa carriĂšre de peintre. Élu membre associĂ© de la Royal Academy en 1788, puis acadĂ©micien en 1790, FĂŒssli, tout en travaillant de maniĂšre sĂ©rielle, incarne une recherche du sublime qui s’impose Ă  l’Angleterre de son Ă©poque.

L’exposition du MusĂ©e Jacquemart-AndrĂ© permettra de redĂ©couvrir l’oeuvre saisissante de cet artiste rare dans les collections françaises, peintre trĂšs original qui dĂ©veloppe une oeuvre paradoxale, alimentĂ©e par une imagination oĂč terreur et horreur se marient, Ă  l’origine esthĂ©tique du romantisme noir.

Johann Heinrich FĂŒssli (1741 – 1825), Achille saisit l’ombre de Patrocle, vers 1810, mine de plomb, craie et aquarelle sur papier, 34 x 60 cm, Kunsthaus, Zurich, Collection of Prints and Drawings, 1916, photo : Kunsthaus ZĂŒrich, Collection d’arts graphiques.
Johann Heinrich FĂŒssli (1741 – 1825), Achille saisit l’ombre de Patrocle, vers 1810, mine de plomb, craie et aquarelle sur papier, 34 x 60 cm, Kunsthaus, Zurich, Collection of Prints and Drawings, 1916, photo : Kunsthaus ZĂŒrich, Collection d’arts graphiques.
Johann Heinrich FĂŒssli (1741 – 1825), Lycidas, 1796-1799. Huile sur toile, 111 x 87,5 cm, collection particuliĂšre © Studio SĂ©bert Photographes.
Johann Heinrich FĂŒssli (1741 – 1825), Lycidas, 1796-1799. Huile sur toile, 111 x 87,5 cm, collection particuliĂšre © Studio SĂ©bert Photographes.

Parcours de l’exposition




Introduction
Peintre de l’étrange, Johann Heinrich FĂŒssli, d’origine suisse mais londonien d’adoption, laisse derriĂšre lui une oeuvre saisissante conjuguant le sublime, le mystĂšre et le fantastique. Initialement destinĂ© Ă  ĂȘtre pasteur, FĂŒssli rĂȘve pourtant d’une carriĂšre littĂ©raire ou artistique. EncouragĂ© par Joshua Reynolds, prĂ©sident de la Royal Academy, il dĂ©cide rapidement de s’orienter vers le dessin et la peinture. FĂŒssli puise son inspiration dans des sources littĂ©raires variĂ©es, qu’il interprĂšte avec sa propre imagination. PersonnalitĂ© complexe et fascinante, il se forme en autodidacte et dĂ©veloppe une esthĂ©tique trĂšs atypique pour l’époque. Bien qu’il ait Ă©tĂ© Ă©lu acadĂ©micien, puis professeur de peinture de la Royal Academy, FĂŒssli s’éloigne des rĂšgles acadĂ©miques et introduit dans son oeuvre un imaginaire onirique trĂšs personnel. PeuplĂ©e de crĂ©atures hybrides, de personnages terrifiants et mystĂ©rieux, sa peinture, qui marque une rupture entre le classicisme et le romantisme, est aussi spectaculaire qu’inquiĂ©tante. FĂŒssli crĂ©e des tableaux en clair-obscur avec un goĂ»t prononcĂ© pour le drame. Amateur de théùtre, il s’inspire des jeux d’acteur et des mises en scĂšne de l’époque, et rĂ©ussit Ă  donner Ă  son oeuvre une dimension dramatique et une intensitĂ© Ă©motionnelle inĂ©galĂ©es. Les portraits de lui peints par ses contemporains font apparaĂźtre une personnalitĂ© contrastĂ©e et Ă©nergique. Son Autoportrait, au regard profond et pĂ©nĂ©trant, rĂ©vĂšle aussi bien le gĂ©nie crĂ©ateur que l’inventivitĂ© du personnage. Artiste Ă©rudit et Ă©clectique, il cherche aussi Ă  intĂ©grer Ă  sa peinture l’idĂ©e du sublime, tel que dĂ©veloppĂ© par le philosophe Edmund Burke (1729-1797), pour qui terreur et horreur peuvent ĂȘtre aussi sources de dĂ©lices. TantĂŽt dĂ©criĂ©e, tantĂŽt admirĂ©e, l’oeuvre de FĂŒssli dit aussi bien sa folie que son gĂ©nie et exercera une influence dĂ©cisive sur toute une gĂ©nĂ©ration d’artistes.

Fascination et appropriation des tragédies shakespeariennes
FĂŒssli s’intĂ©resse dĂšs son plus jeune Ăąge Ă  la dramaturgie anglaise, et en particulier Ă  certains auteurs comme Shakespeare et Marlowe. DĂšs son arrivĂ©e Ă  Londres en 1764, il frĂ©quente assidĂ»ment les théùtres, non seulement pour perfectionner sa diction anglaise, mais aussi par intĂ©rĂȘt pour l’expression des passions. Les nouveaux effets de la scĂšne théùtrale britannique de l’époque l’inspirent, tant par les jeux de lumiĂšre, les costumes que par les mises en scĂšne elles-mĂȘmes. Le jeu d’acteur le fascine, et c’est au Théùtre Royal de Drury Lane – seul théùtre officiel Ă  l’époque avec celui de Covent Garden – qu’il dĂ©couvre le cĂ©lĂšbre acteur et metteur en scĂšne David Garrick (1717-1779). Ce dernier, dont les performances artistiques inspireront d’autres peintres comme William Hogarth, John Hamilton Mortimer ou Johann Zoffany, construit sa renommĂ©e sur un jeu moderne, passionnĂ© et vibrant qui enthousiasme FĂŒssli. À cette Ă©poque, Shakespeare, dont les oeuvres ne sont pas censurĂ©es par le Licensing Act de 1737, est trĂšs rĂ©guliĂšrement jouĂ© sur la scĂšne londonienne. Ces nombreuses reprĂ©sentations – les piĂšces de Shakespeare constituent prĂšs d’un quart du rĂ©pertoire des théùtres londoniens – ont une incidence directe sur le dĂ©veloppement des mises en images de ces piĂšces. FĂŒssli, qui sera considĂ©rĂ© comme l’interprĂšte de Shakespeare en peinture, emprunte au dramaturge la puissance expressive de ses textes pour construire des images Ă  la forte singularitĂ© et en faire un genre théùtral en soi. Dans une quĂȘte constante de l’effet dramatique, il compose ses tableaux, en s’inspirant toujours de la gestuelle, de la force Ă©motionnelle et de la mise en lumiĂšre du jeu des comĂ©diens, comme David Garrick, Sarah Siddons (1775-1831) ou Hanna Pritchard (1711-1768), les plus cĂ©lĂšbres de l’époque.

Macbeth
Dans la deuxiĂšme moitiĂ© du XVIIIe siĂšcle, Macbeth devient l’une des piĂšces de Shakespeare les plus populaires et les plus reprĂ©sentĂ©es en Angleterre. FĂŒssli, qui s’était familiarisĂ© trĂšs tĂŽt avec les textes du dramaturge, avait mĂȘme entrepris une traduction de Macbeth en allemand lorsqu’il vivait encore en Suisse, mais celle-ci ne fut cependant jamais publiĂ©e. Cette piĂšce illustre la fulgurante ascension d’un rĂ©gicide : aprĂšs que trois sorciĂšres prĂ©disent Ă  Macbeth qu’il deviendra roi d’Écosse, celui-ci, encouragĂ© par son Ă©pouse Lady Macbeth, Ă©labore un plan diabolique pour s’emparer du trĂŽne. Leur sentiment de culpabilitĂ© et la paranoĂŻa plongeront alors les deux protagonistes dans la folie. FĂŒssli s’intĂ©resse Ă  diffĂ©rentes scĂšnes de la piĂšce. Travaillant de maniĂšre sĂ©rielle, il exĂ©cute plusieurs reprĂ©sentations de ses thĂšmes, comme pour Lady Macbeth saisissant les poignards, dont il rĂ©alise diffĂ©rentes compositions Ă  quelques dĂ©cennies d’intervalle. De nouveau, la puissance Ă©motionnelle qui se dĂ©gage de ses oeuvres repose Ă  la fois sur leur mise en scĂšne et sur l’expressivitĂ© des acteurs. FĂŒssli reprĂ©sente ceux-ci directement en train de jouer, comme dans David Garrick et Hanna Pritchard dans les rĂŽles de Macbeth et Lady Macbeth. Vraisemblablement contemporaine du tableau de Zoffany reprĂ©sentant la mĂȘme scĂšne, l’oeuvre Ă©voque le mouvement et l’urgence de la situation dans un effet d’immĂ©diatetĂ© saisissant.

Les mythes antiques
Homme de lettres et fin connaisseur des textes de la littĂ©rature classique, FĂŒssli s’inspire Ă©galement de la mythologie grecque et romaine. Il s’intĂ©resse particuliĂšrement Ă  l’Ɠuvre d’HomĂšre que son mentor Joahnn Jakob Bodmer lui a fait dĂ©couvrir. Ayant appris le grec et le latin lors de ses Ă©tudes de thĂ©ologie, il contribue d’ailleurs Ă  une traduction d’HomĂšre Ă©ditĂ©e par William Cowper. L’influence littĂ©raire se retrouve dans sa maniĂšre de penser et de crĂ©er. C’est essentiellement dans ses dessins que FĂŒssli parvient Ă  restituer toute leur puissance aux rĂ©cits mythologiques, comme l’extraordinaire Achille saisit l’ombre de Patrocle, un thĂšme qu’il dĂ©clinera en plusieurs versions. La puissante carrure de ses personnages reflĂšte sa connaissance de la sculpture antique et des oeuvres de Michel-Ange, qu’il avait Ă©tudiĂ©es attentivement pendant son sĂ©jour romain entre 1770 et 1778. Les fresques de la chapelle Sixtine, notamment, le fascinent, et c’est Ă  Rome qu’il approfondit sa connaissance de l’anatomie. En puisant son inspiration Ă  la fois dans les mythes antiques et dans l’art de Michel-Ange, il poursuit un idĂ©al susceptible d’élever son oeuvre et le goĂ»t de ses admirateurs, tout en Ă©chappant Ă  la culture contemporaine dont il souhaite se dĂ©tacher. Il dĂ©veloppe ainsi un style excessif et expressif, qui l’éloigne des courants dominants du nĂ©oclassicisme europĂ©en. En dĂ©pit de ses rĂ©fĂ©rences Ă  la statuaire antique – notamment le visage et le nez romains – la reprĂ©sentation du corps humain chez FĂŒssli se fait extravagante, les corps gesticulent et se contorsionnent.

L’imagerie biblique et les lĂ©gendes nordiques
Les connaissances religieuses acquises lors de sa formation de pasteur imprĂšgneront FĂŒssli toute sa vie. Devenu peintre, FĂŒssli trouve dans la Bible des thĂšmes qu’il tire vers l’imaginaire et un fantastique traversĂ© d’apparitions surnaturelles de la DivinitĂ©. FĂŒssli manifeste Ă©galement un rĂ©el engouement pour le poĂšme Ă©pique du Paradis perdu du poĂšte anglais John Milton (1608-1674). Il projette de rĂ©aliser une Milton Gallery, sur le modĂšle de la Shakespeare Gallery créée par Boydell quelques annĂ©es plus tĂŽt. Cette entreprise d’importance regroupe 47 peintures dont la plupart illustre Le paradis perdu. MalgrĂ© un Ă©chec commercial, la Milton Gallery est reconnue par ses pairs, et elle est aujourd’hui considĂ©rĂ©e comme l’une des Ă©tapes majeures du mouvement romantique anglais. FĂŒssli, toujours curieux et dĂ©sireux de trouver des sources d’inspirations variĂ©es, explore aussi une littĂ©rature plus contemporaine, comme l’Oberon de Christoph Martin Weiland qui lui fournit des thĂšmes d’aventure et de romance exotiques habitĂ©s d’une forte composante dramatique. Ses interprĂ©tations d’une extrĂȘme inventivitĂ© lui permettent de nouveau de mĂȘler surnaturel, sensualitĂ© et romantisme.

La femme au coeur de l’oeuvre
La femme occupe une place trĂšs importante dans la vie et l’oeuvre de FĂŒssli. TantĂŽt amante, modĂšle ou conquĂȘte, elle est pour lui un sujet de prĂ©dilection. Dans ses dessins, ses hĂ©roĂŻnes sont imposantes, souvent dominatrices et fantasmatiques. FĂŒssli aime reprĂ©senter l’omnipotence de la femme face Ă  l’homme soumis. FĂŒssli Ă©prouve Ă©galement une grande fascination pour les chevelures et les coiffures Ă©laborĂ©es, qu’il reprĂ©sente Ă  de multiples reprises et sous toutes leurs formes. La coiffure devient un signe de puissance, tandis que des tenues extravagantes complĂštent la mise en scĂšne dans ses dessins. L’artiste entretient d’ailleurs des relations passionnĂ©es avec ses modĂšles, comme Sophia Rawlings (1770-1832), qu’il Ă©pousera en 1788. La femme de lettres et philosophe fĂ©ministe Mary Wollstonecraft (1759-1797), dont il a peint le portrait, s’entiche de lui et lui propose de partir Ă  Paris suivre les Ă©vĂ©nements de la RĂ©volution Française. Toutefois, son Ă©pouse s’opposera Ă  cette aventureuse expĂ©dition. FĂŒssli a créé plus de huit cents dessins et croquis ; la sĂ©lection rassemblĂ©e ici comme dans un boudoir reflĂšte les fantasmes du peintre qui reprĂ©sente la femme dans des rĂŽles diffĂ©rents, de la femme dominatrice dans une composition Ă©rotique, Ă  la femme mĂšre, domestique et protectrice de son enfant.

Cauchemar et sorcelleries
Tout en continuant de s’inspirer de sources littĂ©raires variĂ©es, FĂŒssli crĂ©e des personnages hybrides, des crĂ©atures monstrueuses, grotesques et terrifiantes. Cette dĂ©marche atypique pour l’époque repose Ă  la fois sur son penchant pour le fantastique et le surnaturel, mais aussi sur son dĂ©sir de provoquer ses contemporains. Quand il rentre de Rome en 1780, FĂŒssli cherche en effet Ă  se faire remarquer et Ă  devenir un personnage Ă©minent de la scĂšne artistique londonienne. Il y parvient avec brio quand il prĂ©sente en 1781 son cĂ©lĂšbre Cauchemar, qui assoit immĂ©diatement sa renommĂ©e et dont il rĂ©alisera plusieurs versions. Pour la premiĂšre fois, le sujet est une crĂ©ation pure et non tirĂ©e de la littĂ©rature. On a interprĂ©tĂ© Le Cauchemar de nombreuses façons sans pour autant trouver sa signification, ce qui, encore aujourd’hui, participe de sa force troublante. La composante Ă©rotique du tableau, par l’irruption d’un incube sur le ventre de la jeune femme vĂȘtue d’une robe blanche – soulignant sa puretĂ© et son innocence –, par la tĂȘte de cheval pĂ©nĂ©trant dans l’entrebĂąillement du rideau – et qui selon un jeu de mot en anglais « night mare » (« jument nocturne ») fait allusion au titre du tableau, et par la posture alanguie de la jeune femme suggĂ©rant un Ă©tat post-coĂŻtal, dĂ©range et fascine le public de l’époque. L’ambiguĂŻtĂ© du tableau repose Ă©galement sur l’identification de celui qui rĂȘve : la jeune femme, le peintre ou le spectateur ? Cette oeuvre, qui a fascinĂ© Freud, a inspirĂ© nombre d’artistes, de son contemporain Nicolai Abraham Abildgaard (1743 – 1809) qui en peint sa propre version, Ă  Ken Russell qui en donnera un Ă©cho visuel dans son film Gothic (1986). Dans le sillage du succĂšs du Cauchemar, FĂŒssli dĂ©veloppe des sujets provoquants et terrifiants. Il introduit le thĂšme de la sorcellerie et du féérique dans une veine trĂšs fantastique. Rites sacrificiels, crĂ©atures dĂ©moniaques et mystĂ©rieuses : l’imaginaire de FĂŒssli se situe entre folie et gĂ©nie, entre horreur, dĂ©lice, terreur et sublime.

RĂȘves, visions et apparitions
Les domaines de la superstition, du rĂȘve et du surnaturel exercent un profond attrait sur FĂŒssli. À une Ă©poque oĂč les Hommes cherchent Ă  expliquer toute expĂ©rience et tout phĂ©nomĂšne, le monde du sommeil et des rĂȘves fascine par son insondable complexitĂ©. L’exploration de l’inconscient par FĂŒssli a suscitĂ© l’engouement des surrĂ©alistes au dĂ©but du XXe siĂšcle pour son oeuvre. Le rĂȘve chez FĂŒssli provoque l’apparition d’ĂȘtres surnaturels et féériques, comme dans Le rĂȘve de la reine Catherine, oĂč il est synonyme de bonheur et de bĂ©atitude. Les fairies, bientĂŽt Ă  la mode, plaisent au public de FĂŒssli qui a Ă©tĂ© l’un des premiers Ă  les Ă©voquer. On retrouve ici l’inspiration des rĂ©cits shakespeariens avec notamment la prĂ©sence des fĂ©es dans Le songe d’une nuit d’étĂ©. Dans Le songe du berger, l’oeuvre la plus importante de la Milton Gallery, FĂŒssli dĂ©peint une ronde de personnages surnaturels. Ses crĂ©atures fantastiques et ses apparitions sont soit reprĂ©sentĂ©es de maniĂšre explicite, notamment Ă  travers le prisme du sommeil, soit suggĂ©rĂ©es, laissant au public sa propre interprĂ©tation. L’univers pictural de FĂŒssli, Ă  travers ses crĂ©atures hybrides, ses monstres, ses fĂ©es et ses apparitions, impose une nouvelle esthĂ©tique, atypique et Ă©trange pour l’époque, qui oscille entre fantasmagorie,