🔊 “Gaudí” au Musée d’Orsay, Paris, du 12 avril au 17 juillet 2022
“Gaudí“
au Musée d’Orsay, Paris
du 12 avril au 17 juillet 2022
PODCAST – Interview de Elise Dubreuil, conservatrice chargée des collections d’art décoratif au musée d’Orsay
et de Isabelle Morin Loutrel, conservatrice générale du patrimoine, chargée des monuments historiques à la Direction régionale des affaires culturelles d’Ile-de-France, et commissaires de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 11 avril 2022, durée 17’44.
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :
Commissaire général : Dr Juan José Lahuerta, professeur d’histoire de l’art et d’architecture à l’Escola Tècnica Superior d’Arquitectura de Barcelona (ETSAB), Universitat Politècnica de Catalunya et directeur de la Chaire Gaudi à l’ETSAB
Commissariat :
Elise Dubreuil, conservatrice chargée des collections d’art décoratif au musée d’Orsay
Isabelle Morin Loutrel, conservatrice générale du patrimoine, chargée des monuments historiques à la Direction régionale des affaires culturelles d’Ile-de-France
Antoni Gaudí (1852-1926) reste un architecte singulier et génial qui continue de marquer la Catalogne mais aussi la période dévolue à l’Art Nouveau en Europe. Il n’est pourtant pas le génie isolé que nous a donné à comprendre une grande partie de sa bibliographie, souvent hagiographique, son oeuvre s’étant en fait développée dans le cadre d’un environnement politique, social et artistique très spécifique. Proche de milieux de la haute bourgeoisie catalane, comme celle de la famille Güell, à la fois traditionnelle, catholique et artiste, Gaudi fut néanmoins amené à entrer en conflit avec ses clients et ainsi, avec la société dans laquelle il vivait. Il est évident que l’oeuvre de Gaudí constitue le moment le plus important de la production artistique et intellectuelle de la Catalogne de son époque et qu’elle s’est constituée au milieu d’une effervescence artistique, liée à la transformation de la ville de Barcelone dont l’industrie florissante a ouvert des possibilités financières très importantes à la création architecturale.
La supériorité de Gaudí sur son temps vient de la capacité qu’il a eu de reporter le faste économique et industriel de Barcelone sur ses oeuvres. L’oeuvre de Gaudí a transcendé l’époque dans laquelle il a vécu parce qu’il a su interpréter cette période et proposer les images les plus fortes pour la symboliser. Si nous voulons comprendre son oeuvre dans toute son intensité profonde, dans tout son drame aussi (temporel, au travers de sa famille, et spirituel, dans le cadre de sa foi catholique), nous ne pouvons pas ignorer son époque ni la façon dont ses constructions se sont réalisées dans le cadre de stratégies politiques et idéologiques de son temps, c’est-à-dire à travers les désirs et les besoins de ses puissants clients.
Antoni Gaudí est né à Reus, alors deuxième ville de Catalogne, le 25 juin 1852, dans une famille de chaudronniers. Cette origine sera toujours revendiquée par lui et ses hagiographes. Tous les clichés qui servent encore aujourd’hui à expliquer son mythe – son prétendu anti-intellectualisme, son approche intuitive de l’architecture et l’absence supposée de projet, de réflexion abstraite dans son oeuvre, résultat de l’action directe des mains et des outils sur les matériaux – ont leur origine dans cette revendication.
Après ses études primaires à Reus, Gaudí s’est installé à Barcelone pour étudier à l’École provinciale d’architecture, où il a obtenu son diplôme en 1878. Une fois ses études terminées, Gaudí ne conserve plus aucun lien avec l’Ecole. Contrairement à ses contemporains les plus éminents, tels que Doménech i Montaner et Josep Vilaseca, Gaudí n’était pas originaire de Barcelone et n’appartenait pas à une riche famille. Ses premières années, loin des préoccupations théoriques des architectes mentionnées, furent des expériences pratiques de réalisations architecturales. C’est ainsi qu’il commence à travailler dans le bureau d’autres architectes comme Josep Fonseré, pour lequel il a réalisé quelques éléments dans le Parc de la Citadelle (vers 1876-78), ou Francesc de Paul del Villar, avec lequel il a collaboré au projet du Camarín de la Virgen de Montserrat (vers 1876). Mais la plus grande chance de Gaudí dans ces premières années fut d’entrer dans le cercle de Joan Martorell, sans doute l’architecte qui connaissait le mieux les innovations à l’étranger et le plus brillant de Barcelone à son époque. Au-delà de la connaissance de Viollet-le Duc, Martorell travaillait à partir d’un vaste répertoire tiré de nombreux exemples étrangers et devient, aux yeux des jeunes, un modèle de nouveauté. Gaudí a travaillé pour Martorell sur certains projets à Barcelone, comme l’église des Salesas (1882-85) et la façade de la cathédrale (1882).
Par l’intermédiaire de Joan Martorell, Gaudí entre en contact avec le marquis de Comillas et avec Eusebi Güell, qui sera son principal client tout au long de sa vie. Ces deux familles sont des fortunes issues du commerce colonial, investies plus tard en Catalogne, dans des entrepris
es financières ou dans l’industrie textile. Leur besoin de reconnaissance et de légitimité dans la nouvelle Barcelone trouve sa manifestation dans les oeuvres que Gaudí leur construit, en parfait accord avec leur goût aristocratique autour de l’idée de palais, de parc et de temple.
Trois des premières oeuvres importantes réalisées par Gaudí – la Casa Vicens (1883-1888), la Finca Güell (1884-1887) à Barcelone, et la villa El Capricho à Comillas (1883-1885) – sont des commandes de ces familles, Güell et Comillas. Elles font appel à des influences ou à des références orientalisantes (mudéjar) et néo-gothiques (historicistes).
A la fin du XIXe siècle, Gaudí a réalisé une série de projets de grande envergure : le palais épiscopal à Astorga (1887-1893), la Casa de los Botines à León (1891-1894), le projet des Missions franciscaines à Tanger (1892-1893) et l’École de les Teresianas à Barcelone (1888-1890). Mais la réalisation la plus importante de cette période est sans aucun doute le Palais Güell de Barcelone (1886-1889). Gaudí y donne une réponse complète au désir de représentation aristocratique d’Eusebi Güell : d’une part, par l’extraordinaire richesse des matériaux utilisés et la variété et la nouveauté des solutions et des détails et, d’autre part, par la configuration même du bâtiment, qui se développe autour d’un volume central vertical, sur un petit terrain presque carré.
Au début du XXe siècle, Gaudí construit le Park Güell (1900-1914) sur une colline ouverte sur Barcelone. En interprétant les idées politiques d’Eusebi Güell, le projet donne forme à une terre catalane imaginaire. Des galeries souterraines, des viaducs surmontés de palmiers pétrifiés, des allusions à la montagne, aux paysages et aux monuments catalans, constituent ces parcours qui devaient aboutir à une chapelle en forme de rose, qui ne fut jamais construite. Ainsi, une terre maternelle qui doit être considérée comme le symbole de la Catalogne idéalisée que la mythologie catalaniste a inventé. Au milieu de ce paysage essentiel se dresse une colonnade dorique à laquelle on accède par un double escalier d’où coule, sous le dragon et le trépied, une fontaine, et sur laquelle s’étend une grande esplanade que les contemporains appelaient le Théâtre grec.
Gaudí et Eusebi Güell sont également réunis dans une autre oeuvre, la Colonia Güell à Santa Coloma de Cervelló (1898-1915), une colonie industrielle que Güell avait fondé à quelques kilomètres de Barcelone. Il isola une usine textile et ses ouvriers en créant une commune autosuffisante dans laquelle toutes les activités (travail, loisirs, enseignement, religion, logement) étaient sous le contrôle de l’entreprise. Dans ce projet, Gaudí reçoit la commande la plus importante : la construction de l’église, dont seule la crypte (1908-1914) sera construite, au milieu d’une forêt de pins.
Pour la construction, il utilise des déchets – briques brûlées, pierre non polie, céramique brisée ou aiguilles des machines à filer et les dispose presque sans aucun appareil, avec une maladresse recherchée. À l’intérieur de la crypte, quatre grandes colonnes monolithiques, en basalte et plomb, soutiennent les voûtes. Dans leur forme épurée, un sens solennel du travail est exprimé. De l’église, Gaudí n’en a construit que l’extraordinaire maquette que nous connaissons aujourd’hui grâce aux photographies. À partir d’une planche sur laquelle son plan avait été dessiné, Gaudí laissait pendre des fils avec des sachets de graines représentant les poids et les tensions de l’oeuvre. Les fils prenaient directement la forme des arcs de la construction finale, de manière inversée.
Gaudí travaille parallèlement sur des oeuvres aux thèmes variés comme la Torre Bellesguard, à Barcelone (1900-1905) ou la restauration de la cathédrale de Palma de Majorque (1903-1914). Il construit aussi des casas dans le quartier de l’Eixample telles que la maison Calvet (1898-1900), la maison Batlló (1904-1906) et la maison Milà, dit La Pedrera (1905-1910).
La Sagrada Familia à Barcelone (1883-1926) est une oeuvre qui se dresse comme une montagne gigantesque au milieu d’une ville encore vide. À partir de 1910, et définitivement à partir de 1918, année de la mort d’Eusebi Güell, l’architecte s’enferme dans son atelier, refusant d’accepter de nouvelles commandes, considérées comme des tentations mondaines, des déviations de son oeuvre, qui est unique et ultime : la nouvelle cathédrale, la cathédrale des pauvres, la couronne de la ville. Dans les derniers mois de sa vie, il déménage sa résidence dans l’atelier du temple pour vivre parmi les maquettes, les moulages en plâtre, les esquisses, les photographies, les épreuves et les modèles, qui en font un formidable intérieur rempli d’ex-votos.
Pour présenter ce discours au public, l’exposition contiendra des oeuvres très variées allant de la photographie à du mobilier en passant par des moulages et des dessins d’architecture. Des maquettes permettront aussi de comprendre la recherche du volume et de l’organisation spatiale chez Gaudi.
#ExpoGaudi – Publication : Catalogue de l’exposition, coédition musée d’Orsay – Hazan, sous la direction de Juan José Lahuerta
Cette exposition est organisée par les musées d’Orsay et de l’Orangerie, Paris et le Museu Nacional d’art de Catalunya, Barcelone, où elle a été présentée du 21 novembre 2021 au 6 mars 2022.
L’exposition comprend une introduction, 5 sections et un épilogue. Un peu plus de 200 oeuvres, objets et pièces de mobilier, plans, dessins, photographies, vitraux, maquettes ainsi qu’une reconstitution du « dispositif aux miroirs » sont exposés.