🔊 “Picasso poète” au Musée national Picasso, Paris, du 21 juillet 2020 au 3 janvier 2021
“Picasso poète”
au Musée national Picasso, Paris
du 21 juillet 2020 au 3 janvier 2021
PODCAST – Interview de Androula Michael, historienne de l’art et co-commissaire de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 21 juillet 2020, durée 17’24, © FranceFineArt.
© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 21 juillet 2020.
Extrait du communiqué de presse :
commissaires :
Marie-Laure Bernadac, conservatrice générale honoraire du Patrimoine
Androula Michael, historienne de l’art
Johan Popelard, conservateur en charge des peintures (1895-1921) et des arts graphiques au Musée national Picasso-Paris.
« Après tout, les arts ne font qu’un. On peut écrire une peinture en mots tout comme on peut peindre des sensations dans un poème ».
« Si j’étais chinois je ne serais pas peintre mais écrivain, j’écrirai mes peintures»
L’exposition « Picasso poète » montre l’importance de l’écriture poétique dans la démarche créatrice de Pablo Picasso. Entre 1935 et 1959, l’artiste produit plus de trois cent quarante poèmes. La présentation de ces manuscrits d’une grande beauté graphique permet de voir les liens étroits qui existent entre l’écriture et la peinture, et de mesurer combien, chez Picasso, la complexité du travail mené sur le texte (collage, répétions, variations) fait écho au processus pictural. Le contenu autobiographique de ces écrits – véritable « journal intime à la fois sensoriel et sentimental» – évoque le contexte historique et révèle la riche personnalité de l’artiste. L’exposition explore les sources et la genèse du rapport qu’à entretenu Picasso à l’écriture poétique, les correspondances thématiques entre ses textes et ses tableaux ainsi que son extraordinaire inventivité qui a façonné cette pâte verbale avec autant de liberté que les autres médiums.
Parcours de l’exposition
1. Jeunesse et genèse de l’écriture
La propension de Picasso pour l’écriture et la littérature remonte à l’enfance. Dans ses carnets de dessins de jeunesse, tel le « Carnet Catalan » (1906), l’artiste consigne son amour pour des écrivains comme Alfred de Vigny et Joan Maragall. Aux alentours de 1912, mots et lettres entrent dans ses compositions cubistes à la fois comme des « textures optiques », pour reprendre la formule de Michel Butor, mais aussi pour leur sens pluriel. Le fragment syllabique «jou» pourrait alors signifier « journal », « jour » ou encore « jouer ». La dimension calligraphique de son écriture poétique s’annonce déjà dans des expérimentations entre le visible et le lisible : dans « Il neige au soleil » (10 janvier 1934), l’artiste fait varier une même phrase sur des feuilles de papier d’Arches, déployant l’écriture linéaire pour la transformer en figure.
2. Amitiés poétiques
Poètes et Ă©crivains ont accompagnĂ© Picasso tout au long de sa vie, depuis les espagnols qu’il admirait, Miguel de Cervantès Saavedra, Luis de GĂłngora y Argote ou Joan Maragall, jusqu’aux auteurs français qu’il dĂ©couvrait dans leur langue originale : Blaise Pascal, Alfred Jarry ou StĂ©phane MallarmĂ©. Ami intime de Guillaume Apollinaire et de Max Jacob, mais aussi d’AndrĂ© Breton et de Paul Eluard, l’artiste a souvent illustrĂ© les recueils de ces poètes. Sans ĂŞtre vĂ©ritablement collectionneur, il possĂ©dait certains manuscrits dont L’ImmaculĂ©e Conception (1930) de Breton et Eluard ou « Le Mousse de la PirrouĂŻte » (1906-1907) de Jarry. Lui-mĂŞme directeur artistique de la revue littĂ©raire Arte Joven, qu’il crĂ©e avec Franciso de AsĂs Soler en 1901, Picasso a mis son oeuvre sous le signe de la poĂ©sie. « Au fond, disait-il, les arts ne font qu’un ».
3. 1936. Poèmes, dessins, tableaux
Entre avril et mai 1936, lors d’un séjour à Juan-les-Pins, Picasso réalise presque chaque jour des dessins accompagnés de manuscrits sur des feuilles de papier d’Arches pliées en deux. Ces dessins-poèmes donnent naissance à des tableaux (Portrait de jeune fille, 3 avril 1936, Femme au buffet, 9 avril 1936, Dormeuse aux persiennes, 25 avril 1936, Le Chapeau de paille au feuillage bleu, 1er mai 1936). L’artiste multiplie les études de têtes de sa compagne Marie-Thérèse Walter, opposant sur la même feuille un profil réaliste et la réduction schématique d’une tête en fil de fer. Parfois, c’est le tableau qui donne naissance à un texte. Femme à la montre, du 30 avril 1936, est ainsi décrit dans le poème du 6 octobre 1936. Dans l’oeuvre de l’artiste les images et les mots sont étroitement liés, comme en témoigne Le crayon qui parle, un dessin du 11 mars 1936.
4. 1935. Le laboratoire de l’écriture
Picasso se met véritablement à écrire des poèmes à partir de 1935. S’il écrit son premier long poème du 18 avril 1935 dans sa langue maternelle, il ne cessera ensuite de passer du français à l’espagnol et vice versa. Dans ses écrits, il investit différents supports : petits carnets, papier à dessin d’Arches, feuilles volantes, enveloppes, et même papier hygiénique. De son laboratoire d’écriture naissent des textes d’une grande variété : poèmes-fleuves ou poèmes en boucle, séries et variations, poèmes en rimes et en strophes ou encore poèmes rhizomatiques, qui prolifèrent au fur et à mesure des ajouts. Le poème labyrinthique lengua de fuego écrit entre le 24 novembre et le 24 décembre 1935, esquissé d’abord dans un petit carnet bleu, se déploie en dix-huit états successifs. Publié dans Cahiers d’art en 1936, il accompagne l’article d’André Breton « Picasso poète » qui le consacre comme un écrivain à part entière.
5. Des mots et des images
Comme le remarque André Breton, la poésie de Picasso fait résonner le timbre de sa voix intérieure et met à nu son être le plus profond. Les thèmes principaux de ses textes sont les mêmes que ceux de sa peinture : l’amour, l’érotisme, la tauromachie, la nourriture, la crucifixion, le sacrifice – souvent étroitement imbriqués les uns dans les autres. Picasso, en écrivant ou en dessinant, mêle la grandeur du mythe avec la trivialité du quotidien. Il se représente en Minotaure déménageant avec Marie-Thérèse et Maya à Juan-les-Pins, ou bien en faune barbu s’attendrissant devant les pleurs d’une petite fille dans son berceau. Les mots et les images se répondent : « on peut écrire une peinture en mots, tout comme on peut peindre des sensations dans un poème » dit ainsi Picasso à Roland Penrose.
6. 1937-1945. Les années sordides
Les textes de l’année 1937 sont hantés par les désastres de la guerre d’Espagne. Picasso exécute, en janvier puis en juin, deux versions de Songe et mensonge de Franco pour dénoncer les atrocités du franquisme. Le poème qui accompagne les gravures est plein de bruit et de fureur. En septembre de la même année, Portrait de la Marquise au cul chrétien qui jette un douro aux soldats maures défenseurs de la Vierge dont le titre-poème sarcastique est peint sur la toile, dénonce le lien entre l’église et l’armée de Franco. Dans ses textes comme dans ses dessins, Dora Maar apparaît sous les traits de la Femme qui pleure, le visage métamorphosé en masque de douleur. Les carnets de cette période rassemblent des dessins torturés de Dora Maar et des textes d’effroi. Les personnages du Désir attrapé par la queue, pièce écrite en pleine Occupation et dont l’action se déroule au « Sordid’s Hotel », exorcisent leur peur en chantant l’amour, la faim et le froid.
7. 1947-1959. Théâtre et poèmes gravés
Au sortir de la guerre, Picasso fait se rejoindre son travail de poète et son intense activité de graveur et de lithographe. Dans Poèmes et lithographies (1949), l’artiste recopie en lettres capitales des poèmes de 1941 accompagnés d’une suite d’images représentant des visages, des volatiles et des natures mortes. Le manuscrit de la pièce Les quatre petites filles (1947-1948), écrit au crayon de couleur rouge, fait écho aux signes écarlates qui enluminent Le Chant des morts de Pierre Reverdy. Si les quatre petites filles de la pièce homonyme s’amusent à jouer à des rituels doux et cruels, des accents plus tragiques émanent du dernier texte de Picasso : L’Enterrement du comte d’Orgaz (1957-1959). Avec cette pièce atypique qui transgresse les genres littéraires, l’artiste revient à sa langue maternelle en un hommage ultime à l’héritage de son pays natal.