âSur la route des chefferies du CamerounâÂ
Du visible Ă lâinvisible
au musĂ©e du quai Branly â Jacques Chirac, Paris
du 5 avril au 17 juillet 2022

PODCAST – Interview de Cindy Olohou, historienne de lâart, fondatrice de Wasanii Ya Leo et commissaire associĂ©e de lâexposition,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 4 avril 2022, durĂ©e 17â31, durĂ©e 19â14.
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :




Commissariat :
Commissaire général
Sylvain Djache Nzefa, Architecte urbaniste, fondateur et coordonnateur gĂ©nĂ©ral de la Route des ChefferiesÂ
Commissaires associées
Cindy Olohou, Historienne de lâart, fondatrice de Wasanii Ya Leo
Dr Rachel MariembĂ©, Enseignante-chercheur Ă lâInstitut des Beaux-Arts de lâUniversitĂ© de Douala à Nkongsamba, cheffe de DĂ©partement (PI) « Patrimoine et MusĂ©ologie »
Sur la route des chefferies du Cameroun. Du visible Ă lâinvisible prĂ©sente lâart des communautĂ©s Ă©tablies sur les hauts plateaux des Grassfields, Ă lâOuest et au Nord-Ouest du Cameroun. Dans une perspective inĂ©dite portĂ©e par lâassociation La Route des Chefferies, lâexposition aborde la culture des communautĂ©s et la prĂ©servation dâun patrimoine unique, historique et vivant. Architecture monumentale, forge, crĂ©ations perlĂ©es, sculpture sur bois, production textile, danses traditionnelles du 16e siĂšcle à nos jours, constituent un patrimoine prĂ©cieusement conservĂ© par les chefs traditionnels. Investis de pouvoirs quasi-divins, ces derniers en sont les principaux dĂ©positaires, garants Ă la fois de la tradition et du lien entre le monde des ancĂȘtres et celui des vivants.
Dans une dĂ©marche de sauvegarde et de mise en valeur des patrimoines traditionnels, soutenue par lâassociation La Route des Chefferies, lâexposition dĂ©ploie ainsi plus de 270 oeuvres dont 230 conservĂ©es par plusieurs chefs et lignages familiaux. Si lâart ancien du Cameroun a fait lâobjet de nombreuses expositions dans des musĂ©es occidentaux, Sur la route des chefferies du Cameroun aborde la culture des communautĂ©s dans une perspective inĂ©dite et immersive, une dĂ©marche collective de prĂ©servation des patrimoines traditionnels. PonctuĂ©e dâoeuvres dâartistes contemporains camerounais, elle met en valeur lâinfluence culturelle des chefferies sur lâart contemporain et la dimension vivante de ce patrimoine, le long dâun parcours conçu comme une plongĂ©e au coeur de la sociĂ©tĂ© bamilĂ©kĂ©.
Entre la fin du 16e siĂšcle et le 18e siĂšcle sont fondĂ©s de nombreux royaumes dĂ©finis par un territoire, une communautĂ© et son histoire sous lâautoritĂ© dâun chef, assistĂ© de notables rĂ©unis en conseil. Ils assurent jusquâĂ ce jour le lien entre le monde des vivants et celui des ancĂȘtres, veillent au respect des traditions et de la culture bamilĂ©kĂ©. Depuis la fin des annĂ©es 1960, lâĂtat camerounais reconnaĂźt aux chefferies le statut dâauxiliaire administratif. Aujourdâhui, lâassociation La Route des Chefferies sâest donnĂ©e pour mission de protĂ©ger et valoriser ce patrimoine historique et vivant (architecture, crĂ©ations plastiques et arts intangibles).Â
La premiĂšre partie de lâexposition illustre lâorganisation typique dâune chefferie bamilĂ©kĂ© dont les fondements reposent sur un systĂšme dans lequel politique, religion et organisation sociale sont intrinsĂšquement liĂ©es. Lâarchitecture, le rapport Ă la nature, le dialogue de lâhomme avec lâanimal et le culte des ancĂȘtres sous-tendent cet urbanisme cosmogonique. Lâorganisation spatiale dâune chefferie ainsi que les savoir-faire importants de la sociĂ©tĂ© bamilĂ©kĂ©, parmi lesquels lâart de la forge, lâart des calebasses et celui des fresques ouvrent le parcours.
La deuxiĂšme section Ă©claire les rapports entre art et pouvoir, Ă travers la prĂ©sentation du rĂŽle du chef, pilier social, Ă©conomique et politique du royaume, du rĂŽle des femmes, et de celui des multiples sociĂ©tĂ©s secrĂštes qui agissent comme un contre-pouvoir. Pilier social Ă©conomique et politique du royaume dĂšs le 16e siĂšcle, le pouvoir du chef bamilĂ©kĂ© est aujourdâhui dĂ©volu aux affaires traditionnelles (litiges matrimoniaux, hĂ©ritages, sorcellerie) et Ă un rĂŽle de maintien de lâordre public. Cette section comprend plus dâune dizaine de trĂŽnes oĂč quatre chefferies sont mises Ă lâhonneur successivement. DestinĂ©es aux chefs ou aux reines pour orner les objets de grande valeur, les broderies de perles colorĂ©es et de cauris prĂ©sentĂ©es dans lâexposition sont rĂ©alisĂ©es par des femmes de la chefferie. Aujourdâhui, certaines artistes contemporaines sâinspirent des techniques traditionnelles pour leur donner une autre dimension.
La troisiĂšme partie de lâexposition Ă©voque enfin les sociĂ©tĂ©s secrĂštes (confrĂ©ries, corps de mĂ©tiers, associations de classes dâĂąges…). ConsidĂ©rĂ©es comme des contre-pouvoirs, ces congrĂ©gations conseillent, soutiennent ou contrĂŽlent le chef et sont indispensables Ă lâĂ©quilibre de la communautĂ©. Lors des grandes cĂ©rĂ©monies, elles manifestent publiquement leur puissance toujours active. Le parcours se termine sur un espace immersif qui fait dialoguer des images dâarchives et contemporaines de cĂ©rĂ©monies oĂč les costumes, coiffes, masques entrent en action par le biais de danses patrimoniales, rappelant de maniĂšre vibrante la dimension vivante de ce patrimoine.
Lâexposition est ponctuĂ©e dâoeuvres dâartistes contemporains camerounais qui illustrent lâinfluence culturelle des chefferies, autant que le rayonnement de la crĂ©ation africaine sur la scĂšne artistique internationale.
Parcours de lâexposition
25 chefferies représentées Akum, Babungo, Bafou, Baham, Balatchi, Baleveng, Bamendjinda, Bamendjo,Bamendou, Bamougoum, Bana, Bandjoun, Bangang, Bangoua, Bangoulap,Bansoa, Bapa, Batié, Batoufam, Bawock, Bazou, Fondjomekwet, Foto, Foumban,Nkwen.
Pays nichĂ© entre les forĂȘts dâAfrique centrale, la zone soudano-sahĂ©lienne et lâocĂ©an Atlantique, le Cameroun partage ses frontiĂšres avec le Nigeria Ă lâouest, le Tchad et la RĂ©publique centrafricaine au nord, le Congo, le Gabon et la GuinĂ©e Ă©quatoriale dans sa partie australe. ConstituĂ©, jusquâĂ la fin du 19e siĂšcle, de petits royaumes appelĂ©s chefferies â ou lamidats en langue peule, dans la partie septentrionale â, entre lesquels alternaient alliances et guerres de conquĂȘtes, on divise communĂ©ment le Cameroun en quatre espaces qui sâappuient sur des caractĂ©ristiques culturelles et naturelles : lâaire Fang-Beti-Bulu et ses peuples de la forĂȘt dans la partie du centre, du sud et de lâest du pays ; lâaire culturelle des peuples de lâeau, avec notamment les Sawa, les Bassas ou les BakwĂ©ri ; lâaire soudano-sahĂ©lienne dans la partie nord du pays, caractĂ©risĂ©e par la diversitĂ© de son architecture ancestrale en terre ; et les Grassfields, surtout marquĂ©es par leurs chefferies qui sont la base du mode de vie et de pensĂ©e de ce grand espace.
Cosmogonie, homme, nature et croyances
Une chefferie traditionnelle est une entitĂ© politique, sociale et culturelle dĂ©finie par un territoire dĂ©limitĂ©, un peuple avec son histoire, ses rĂ©fĂ©rents, ses coutumes et ses croyances. Ses fondements politiques et religieux sont intrinsĂšquement liĂ©s, dans une vision du monde complexe rĂ©gie par un ĂȘtre suprĂȘme appelĂ© Si, Ndem ou encore Moh-mbi ou Mbi, principe crĂ©ateur de toute force. Au coeur du systĂšme de chefferie, les interactions entre lâhomme, la nature et ce principe crĂ©ateur, jouent un rĂŽle essentiel dans la communication entre le monde du visible et de lâinvisible.Le chef (fo) avec le Conseil des neuf (Mkamvu) ou parfois le Conseil des sept (Mkam Sombuech), constituĂ©s des principaux notables, fondateurs ou descendants des fondateurs de ces chefferies avec lesquels il gouverne, sont les dĂ©positaires du patrimoine matĂ©riel et immatĂ©riel et les garants de ce dialogue avec le sacrĂ©.Ces deux niveaux politique et religieux se confondent selon une organisation spatiale dĂ©finie qui se retrouve dans la majoritĂ© des chefferies traditionnelles des Grassfields.
Implantation spatiale et organisation de la société
Une chefferie sâorganise selon un urbanisme qui reflĂšte lâorganisation de la sociĂ©tĂ© oĂč se cĂŽtoie espace bĂąti et espace sacrĂ©. Lâespace bĂąti regroupe les lieux publics, cultuels et politiques tandis que lâespace sacrĂ© se dĂ©ploie aux confins de la chefferie oĂč seuls les initiĂ©s ont le droit dâentrer. Ces deux espaces se rejoignent Ă travers lâ« axe de la vie », qui traverse le marchĂ©, la cour centrale, le palais du chef et rejoint lâespace sacrĂ©. Les trois forces (ancestrales, humaines et totĂ©miques) qui rythment la cosmogonie des chefferies convergent physiquement et symboliquement vers cet axe de communication entre le visible et lâinvisible. Lâespace bĂąti est organisĂ© le plus souvent autour dâun espace central oĂč est localisĂ© le « palais du peuple » (Nemo) – lieu de rassemblement et de communion du peuple oĂč ont lieu les rites royaux – et dâun amĂ©nagement orthogonal des autres espaces de vies, sacrĂ©s et rĂ©sidentiels qui lâentourent.Certains quartiers sont organisĂ©s selon un plan panoptique, câest-Ă -dire qui permet une surveillance individuelle et collective, dans un esprit de solidaritĂ© et de responsabilitĂ©, jugĂ© indispensable Ă la vie en communautĂ©. Câest notamment le cas du quartier des femmes et des enfants et de celui du chef.
Architecture symbolique, architecture essentielle
Lâarchitecture des chefferies bamilĂ©kĂ© sâappuie sur trois Ă©lĂ©ments : la cosmogonie, la structure familiale et la dialectique des croyances liant lâhomme et la nature. Elle est considĂ©rĂ©e comme un support de savoir poĂ©tique et didactique, de comprĂ©hension de la sociĂ©tĂ© et de ses fondements Ă travers des messages codĂ©s.La cosmogonie se retrouve dans les fresques des façades, les dĂ©cors sculptĂ©s ornant les cadres de porte, les piliers et les cadres de fenĂȘtre.La structure sociale et familiale se retrouve dans lâentrĂ©e contemporaine des chefferies, aux toitures composĂ©es de sept ou neuf pyramides symbolisant le Conseil des sept (Mkam Sombuech) ou le Conseil des neuf (Mkmavu) notables qui gouvernent auprĂšs du roi.Enfin, la nature habite cette architecture par lâutilisation de matĂ©riaux tels que le bambou raphia, le bois et la paille.
La nature au coeur de la chefferie
La nature tient une place essentielle et symbolique dans lâurbanisme de la chefferie, conditionnĂ© par la forĂȘt sacrĂ©e qui se situe au bout de lâ« axe de la vie ».Elle est interdite au commun des mortels : seuls les chefs et les membres des sociĂ©tĂ©s secrĂštes sont autorisĂ©s, sous certaines conditions, Ă sây rendre dans le cadre de leurs fonctions cultuelles.Dans la cosmogonie bamilĂ©kĂ©, si lâhomme occupe une position privilĂ©giĂ©e, la nature est la source de toute force et de toute Ă©nergie, lieu oĂč circule le sacrĂ©. Câest cet Ă©quilibre de force qui rĂ©git le dialogue de lâhomme et de la nature. Cette conception est Ă la base de lâarchitecture, de lâurbanisme et des oeuvres dâart des chefferies.
Le dialogue de lâhomme avec lâanimal : le totĂ©misme
Le totĂ©misme dĂ©signe la croyance en un animal parent considĂ©rĂ© comme un ancĂȘtre, reprĂ©sentant dâun individu ou dâun groupe. Dans les sociĂ©tĂ©s bamilĂ©kĂ©, il relĂšve de la relation fusionnelle entretenue entre lâhomme et lâanimal, lâhomme et le vĂ©gĂ©tal, ou lâhomme et le minĂ©ral. Il confĂšre un pouvoir dâinfluence sur son environnement dont les secrets sont jalousement gardĂ©s par le cercle de commandement, avec Ă sa tĂȘte le fo (chef).Les animaux que les chefs des Grassfields utilisent comme « doublure de compagnie » sont pour la plupart dâimposantes crĂ©atures : lion, panthĂšre, Ă©lĂ©phant, buffle, gorille, python.Un des titres quâon attribue au fo est le terme nomtema, « lâanimal quâon ne chasse pas ». Lors des sorties officielles, des peaux de panthĂšres sont Ă©talĂ©es sur la place du trĂŽne ou posĂ©es sur les Ă©paules du fo pendant quâil danse. Des dĂ©fenses dâĂ©lĂ©phant sont disposĂ©es devant lui et les serviteurs lui servent Ă boire dans des cornes dâanimaux.Les reprĂ©sentations animaliĂšres renvoyant au totĂ©misme se retrouvent sur les entrĂ©es des chefferies et des cases de sociĂ©tĂ©s secrĂštes, les piliers sculptĂ©s et les encadrements de portes et fenĂȘtres.
Le culte des ancĂȘtres
Les peuples des Grassfields croient en lâinteraction entre les vivants et les ancĂȘtres. Ces derniers peuvent intervenir de maniĂšre positive ou nĂ©gative, sur la nature ou directement sur les humains. Le dialogue entre ces deux mondes sâeffectue par lâintermĂ©diaire du culte des ancĂȘtres qui se pratique Ă travers des Ă©lĂ©ments naturels tels que les graines de didum (jujube), la pierre, le baobab, le pfeukang (arbre de la paix). Ce culte des ancĂȘtres peut Ă©galement ĂȘtre exercĂ© avec les crĂąnes dâancĂȘtres. Par les offrandes et les sacrifices, les vivants garantissent Ă leurs ancĂȘtres une belle vie aprĂšs la mort et sâassurent leurs faveurs. La valeur du dĂ©funt sâĂ©value Ă lâampleur de ses funĂ©railles. Chaque annĂ©e, ces manifestations culturelles et rituelles font converger vers les rĂ©gions de lâOuest et du Nord-Ouest du Cameroun plus de cinq millions de personnes.
Art royal, une création au service du pouvoir
Les arts des Grassfields sont dâune extraordinaire richesse, tant au niveau de la typologie des objets que de la variĂ©tĂ© des couleurs et des motifs. Lâart est un instrument au service du pouvoir : trĂŽnes, statues, perlages, bijoux, tenues dâapparat sont des productions dĂ©diĂ©es Ă la reprĂ©sentation matĂ©rielle du pouvoir du fo (chef) et de son entourage fĂ©minin utilisĂ©es lors de cĂ©rĂ©monies, rites et cultes. GrĂące Ă une politique dâacquisition royale qui perdure encore aujourdâhui, ces diverses productions sâinscrivent dans une dynamique crĂ©atrice forte.Lâart royal des Grassfields reflĂšte son identitĂ©, notamment ses systĂšmes de croyance et dâorganisation politique et sociale. Dans ce domaine, la religion constitue une importante source dâinspiration chez les artistes : les objets sont imprĂ©gnĂ©s dâune atmosphĂšre magico-religieuse, condition de leur crĂ©ation et de leur interprĂ©tation. Ils sont les tĂ©moins de lâhistoire dâun peuple et garants de sa transmission.
La figure du chef
Dans la sociĂ©tĂ© bamilĂ©kĂ©, toute lâorganisation et la gestion sociale, Ă©conomique et politique du royaume se structurent autour du fo (chef). Personnage quasi-divin, il est le garant des traditions et reprĂ©sente les ancĂȘtres. Il Ă©tait autrefois maĂźtre de la guerre et de la justice, mais son pouvoir judiciaire est aujourdâhui limitĂ© aux affaires traditionnelles (litiges matrimoniaux, hĂ©ritages, sorcellerieâŠ). AprĂšs la crĂ©ation de lâĂtat du Cameroun en 1961, les chefs sont intĂ©grĂ©s Ă lâadministration centrale et locale ; ils sont chargĂ©s du maintien de lâordre public et du dĂ©veloppement Ă©conomique, social et culturel de leur territoire.Avant sa mort, le fo dĂ©signe, avec lâavis du Conseil des notables (Mkamvu ou Mkam Sombuech), un de ses fils qui prendra sa suite. Son intronisation ne se fait pas directement, il doit passer par une pĂ©riode dâinitiation de neuf semaines (Laâkam). Il acquiert ensuite au moins trois ou quatre trĂŽnes accompagnĂ©s de leurs attributs. Ces siĂšges sont les piĂšces maĂźtresses du trĂ©sor royal, qui prĂ©sentent une esthĂ©tique propre Ă chaque chefferie.
Art et sociétés secrÚtes
Les associations coutumiĂšres ou sociĂ©tĂ©s secrĂštes, dĂ©nommĂ©es mkem, constituent les rouages religieux, politiques, Ă©conomiques et culturels sur lesquels sâappuie le fo (chef) pour diriger. Elles encadrent son pouvoir et sont une tribune qui permet aux individus de sâexprimer et dâĂȘtre partie prenante des affaires de la chefferie. Elles regroupent des notables initiĂ©s qui se rĂ©unissent une Ă plusieurs fois par semaine. Les productions artistiques qui les entourent ne sont pas « libres », elles reposent sur des fondements religieux, donnant Ă voir un art symbolique et collectif. Les masques et les costumes des confrĂ©ries font partie de leur identitĂ©. Ils sont essentiels Ă leur fonctionnement et rendent visible la puissance de ces associations. Celles-ci sont connues, les membres sont parfois identifiĂ©s, mais les pratiques et les rites demeurent secrets. Elles incarnent le dialogue du visible et de lâinvisible Ă travers des danses connues des seuls initiĂ©s, mais rĂ©alisĂ©es lors de grandes cĂ©rĂ©monies devant un vaste public de profanes. Chaque masque ne prend sens que dans cet ensemble : danse, musique, costume, cĂ©rĂ©monie.Â
Des sociétés plurielles
Les sociĂ©tĂ©s secrĂštes ou confrĂ©ries sont dâune grande variĂ©tĂ© dâune chefferie Ă une autre, mais elles concourent toutes au mĂȘme but : la grandeur de la chefferie. Chacune possĂšde sa case de rĂ©union, son costume, son masque et ses coiffes, ainsi que ses danses et ses rites. OrnĂ©s de motifs symboliques, les masques et les coiffes sont les signes caractĂ©ristiques de ces sociĂ©tĂ©s et suggĂšrent la prĂ©sence de lâinvisible. Toutefois, certains masques, comme le masque Katso, sont utilisĂ©s par plusieurs confrĂ©ries. Institutions trĂšs hiĂ©rarchisĂ©es, les sociĂ©tĂ©s secrĂštes organisent les diffĂ©rents stades dâinitiations de leurs membres. On retrouve dans toutes les sociĂ©tĂ©s des objets de rite communs : le tambour pour communiquer et rythmer les danses ainsi que les tabourets dâinitiation dont la forme et le dĂ©cor dĂ©pendent du statut de leur propriĂ©taire dans la confrĂ©rie.
Des sociétés secrÚtes, organe de régulation sociales
Sâil existe une grande diversitĂ© de sociĂ©tĂ©s secrĂštes, certaines dâentre elles se retrouvent dans presque toutes les chefferies de lâOuest du Cameroun, illustrant lâorganisation sociale et politique commune aux Grassfields. Leur appellation peut varier : le Kunâgang, le Kemdjye, le Kwoâsi, le Mandjong⊠Chacune dâentre elles remplit une fonction prĂ©cise au sein de la chefferie, participant Ă sa pĂ©rennitĂ© et Ă sa stabilitĂ©. Les membres de ces sociĂ©tĂ©s que lâon nomme des notables, selon leur rĂŽle et celui de la confrĂ©rie Ă laquelle ils appartiennent, dansent ou se produisent lors des grandes cĂ©rĂ©monies. La place dans une confrĂ©rie se transmet souvent de maniĂšre hĂ©rĂ©ditaire. Il est Ă©galement possible dâintĂ©grer une sociĂ©tĂ© secrĂšte sur dĂ©cision du fo (chef), ou en Ă©tant parrainĂ© et en versant un droit dâentrĂ©e. LâaccĂšs Ă une confrĂ©rie implique ensuite une ou plusieurs initiations. Les costumes de ces sociĂ©tĂ©s secrĂštes sont codifiĂ©s et sont souvent rĂ©alisĂ©s par les notables eux-mĂȘmes ou des artisans ayant reçu une longue formation.
Espace des danses patrimoniales
Chaque sociĂ©tĂ© secrĂšte ou coutumiĂšre possĂšde au moins une danse qui lui est propre. Le dĂ©roulement dâune danse traditionnelle permet de dĂ©couvrir le faste du patrimoine matĂ©riel musical. Chez les BamilĂ©kĂ©, toutes les parades mettent en scĂšne un orchestre de musique sacrĂ©e qui comprend des instruments tels que le tam-tam dâappel, des tambours de sexe mĂąle et de sexe fĂ©minin, la cloche Ă double gong (kwuifo), des hochets (mtchoua), des cornes et des grelots. Les chants des danseurs et les sonoritĂ©s de ces idiophones, membranophones, aĂ©rophones et sonnailles sont entrecoupĂ©es de coups de fusil. Les instrumentistes et les danseurs font partie des sociĂ©tĂ©s secrĂštes qui se produisent. Câest dans cet ensemble â costume, musique, chant et danse â que les masques des sociĂ©tĂ©s secrĂštes prennent tout leur sens et deviennent performatifs.
La création contemporaine camerounaise
Mise Ă lâhonneur tout au long du parcours, les oeuvres de Franck Kemkeng Noah, Beya Gille Gacha, HervĂ© Youmbi et HervĂ© Yamguen dialoguent avec les objets traditionnels prĂ©sentĂ©s dans lâexposition. Deux artistes sont par ailleurs reçus pour deux mois en rĂ©sidence Ă Paris et interviennent directement dans lâexposition : Catherine Bella rĂ©alise une fresque intĂ©grĂ©e Ă lâexposition pour illustrer la section consacrĂ©e Ă lâimportance et au rĂŽle des fresques dans lâarchitecture des chefferies ; les couvertures des reproductions scĂ©nographiques dâentrĂ©e de chefferie et du palais royal sont recouvertes par lâartiste Calixte Kuissieu dit Banana Fashion qui dĂ©tourne les Ă©lĂ©ments vĂ©gĂ©taux, entre autres : feuilles de bananiers ou maĂŻs sĂ©chĂ©es, Ă©corces dâarachidesâŠ