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“Jean Cortot” Écritures peintes, au Musée d’Art moderne de Paris, du 10 septembre au 1er décembre 2021

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“Jean Cortot” Écritures peintes

au Musée d’Art moderne de Paris

du 10 septembre au 1er décembre 2021

Musée d’Art moderne de Paris


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©Sylvain Silleran,
présentation presse, le 9 septembre 2021.

Jean Cortot, Éloge d’Henri Michaux 1997-2000. Technique mixte sur toile, 195 x 130 cm. © Juan Cruz Ibáñez.
Jean Cortot, Éloge d’Henri Michaux 1997-2000. Technique mixte sur toile, 195 x 130 cm. © Juan Cruz Ibáñez.
Jean Cortot, Éloge d’Henri Michaux 1997-2000. Technique mixte sur toile, 195 x 130 cm. © Juan Cruz Ibáñez.
(détail)Jean Cortot, Éloge d’Henri Michaux 1997-2000. Technique mixte sur toile, 195 x 130 cm. © Juan Cruz Ibáñez.
Jean Cortot, Éloge d’Henri Michaux 1997-2000. Technique mixte sur toile, 195 x 130 cm. © Juan Cruz Ibáñez.
(détail)Jean Cortot, Éloge d’Henri Michaux 1997-2000. Technique mixte sur toile, 195 x 130 cm. © Juan Cruz Ibáñez.
Jean Cortot, Éloge d’Henri Michaux 1997-2000. Technique mixte sur toile, 195 x 130 cm. © Juan Cruz Ibáñez.
(détail)Jean Cortot, Éloge d’Henri Michaux 1997-2000. Technique mixte sur toile, 195 x 130 cm. © Juan Cruz Ibáñez.

Texte de Sylvain Silleran :




Le musée d’art moderne offre à Jean Cortot un nouvel accrochage dans le parcours des collections permanentes. Quelques toiles pour une entrée dans l’abstraction juste après le si flamboyant Henry Darger, il va falloir conquérir sa place. C’est lourd, du gesso épais comme du ciment, des mots tracés sans les écrire, en laissant couler la peinture. Là où Pollock vit à cent à l’heure, le ventre noué de l’urgence de vivre, le dripping chez Cortot paresse, hésite entre nord et sud, est et ouest. Le tableau-lettre ou ordonnance de médecin est illisible, sali, recouvert d’un voile. Eh! si on savait les lire, ça serait du Ben. Chez Cortot les mots nous quittent déjà avant qu’on ait eu une chance de les déchiffrer.

Deux armées s’affrontent dans un hérissement de lances dorées. Le fond rouge et bleu disparait sous les zébrures métalliques. On est 20 ans avant le Hip Hop, le New York des années 80, 90, cette élégance furieuse des lettrages extravagants graffés sur les murs, les métros. Revoir le documentaire de 1983, Style Wars de Tony Silver et Henry Chalfant, les mômes du Bronx qui inventent le graf créeront une peinture mouvante, des mots qui voyagent sur les rails de la ville.

La ville ici est peinte au peigne, en sillons noirs qui grattent la matière blanche de la toile. Des tours s’élèvent vers le ciel, une vue de Metropolis qui n’est qu’un empilement d’étages. Les colonnes d’un journal annoncent mille crimes dans cette cité, mille lignes racontant mille histoires. Les silhouettes d’immeubles se pressent les unes contre les autres jusqu’à ce qu’il ne reste plus de place, elles rivalisent comme les troncs d’une forêt. Il y en a tant, c’est une jungle épaisse, une promesse et une menace, une mégalopole de l’autre côté de l’océan.

Des traits courts qui se croisent à angle droit, un vestige du cubisme de Braque, de Gris, émerge d’une nuit noire, d’une mélasse grise. Une ville, des pavés qui luisent dans la nuit, une palissade de quartier glauque, c’est mal famé façon polar. La lumière d’un réverbère se reflète dans une flaque. Et dans ce miroir huileux on peut lire les vies des mauvais garçons, des femmes perdues ou fatales, des vies écrites en cicatrices.

Et puis des mots, des vrais, avec des caractères qu’on peut lire, des a, des e, des r et des s bien ourlés, des enluminures pleines de couleur dans un cadre propre, droit, rectangle fermé. En fait non, on ne peut pas vraiment lire, même si les mots se distinguent, ils finissent toujours par dériver, se camoufler. Des mots-soldats en tenue de combat se cachent, tendent des embuscades. Le sens reste alors un mystère, une poésie élégante mais qui se dérobe encore.

Des bouts de journaux collés, des mots minuscules et des mots géants dessus, des radeaux flottent sur un océan bleu ou vert. Une mer raturée d’écume, la parole comme bruit de fond cherche donc à tout engloutir? Des formes sombres de poissons glissent lentement sous la surface. Le temps s’écoule en couches successives déchirées comme les affiches désuettes, les slogans à la vie courte sont vite remplacés d’un mouvement du balai trempé dans le seau de colle.

Soudain Cortot lâche tout, L’encre noire liquide se décompose en gouttes explosées sur la toile. Le mot-pointillé bégaie, se disloque. Un cri brut comme ces graffitis grattés dans les murs photographiés par Brassaï. L’écriture est chaos, il n’y a même plus de geste mais la vie tout simplement, cette évidence. 


Sylvain Silleran

Extrait du communiqué de presse :




Commissaire : Charlotte Barat


En écho à l’exposition Jean Cortot, peintre des mots organisée par la BnF* du 21 septembre au 7 novembre 2021, le Musée d’Art Moderne de Paris rend hommage à Jean Cortot dans l’une des salles de ses collections permanentes. Une dizaine de tableaux retrace le cheminement artistique du peintre, depuis ses Villes abstraites des années 1950 jusqu’à ses « écritures peintes » continuées jusqu’à sa mort en 2018. Prêtées par la famille de l’artiste, les oeuvres exposées proviennent toutes de l’atelier de Montparnasse dans lequel Cortot travailla toute sa vie. Un don de plusieurs tableaux a par ailleurs été promis au MAM.

Mélomane et lecteur passionné, Cortot n’a cessé de puiser son énergie créatrice dans les oeuvres des poètes et écrivains qu’il admirait : « c’est le génie des textes qui me donne l’envie de peindre », expliquait-il. Cet amour de l’écriture se traduit dans ses toiles qui accueillent, dès les années 1960, de grands signes énigmatiques et indéchiffrables. Dans les décennies suivantes apparaissent des mots, fragments de poèmes et autres citations, retranscrits dans des typographies variées. L’accrochage du MAM présente cette évolution progressive vers davantage de lisibilité, tout en témoignant de la richesse plastique du travail de Cortot – ses effets de texture, ses fonds atmosphériques et ses compositions patiemment orchestrées.






A la BnF I François-Mitterrand, Galerie des donateurs

Jean Cortot, le peintre des mots, du 21 septembre au 7 novembre 2021



Commissariat :
Marie Minssieux-Chamonard, conservatrice en chef à la Réserve des livres rares, BnF
Bruno Ligore, gestionnaire de collections à la Réserve des livres rares, BnF




La Bibliothèque nationale de France rend hommage à Jean Cortot, peintre et illustrateur français (1925-2018), amoureux des mots, qu’il va s’attacher à mettre en dessins et en couleurs tout au long de sa vie. L’exposition dévoile un peintre-poète au travail, nourri de la symbiose entre peinture et écriture et des liens étroits qu’il entretient avec des auteurs tels que Paul Valéry, Raymond Queneau, Henri Michaux ou Michel Butor. Au fil des années, il imagine une oeuvre graphique exceptionnelle qui place l’exploration des signes au coeur de sa création. À travers une sélection de livres d’artiste, correspondances, photographies et tableaux, le parcours invite le visiteur à suivre Jean Cortot dans l’intimité de son atelier où s’élabore l’alchimie de son langage pictural. Son épouse, Bébé Cortot, fait par ailleurs don à la BnF de cent vingt livres d’artistes, manuscrits et imprimés, gravés et peints, constituant ainsi le plus important fonds français consacré à l’artiste.

Né à Alexandrie en 1925 et mort à Paris en 2018, Jean Cortot hérite de son père, le célèbre pianiste Alfred Cortot, un goût pour les arts et les lettres. Il côtoie dans sa jeunesse, au sein du cercle familial, Henri Matisse, Paul Morand, Stefan Zweig, Colette ou encore Paul Valéry dont il garde un souvenir vivace. Grand lecteur, il se liera d’amitié avec un certain nombre d’écrivains questionnant comme lui les relations de l’écriture et de la peinture, tels Raymond Queneau, Jean Tardieu, Henri Michaux ou Michel Butor. 

Entré à 17 ans à l’Académie de la Grande Chaumière pour suivre l’enseignement d’Othon Friesz, il contribue en octobre 1942 à la fondation du Groupe de l’Echelle avec Jacques Busse, Jean-Marie Calmettes, Michel Patrix, Geneviève Asse. Représentant un des grands espoirs de la peinture figurative d’après-guerre, il obtient en 1948 le prix de la Jeune Peinture à Paris, et sera élu à l’Académie des Beaux-Arts en 2001 au fauteuil d’Olivier Debré. 

S’éloignant progressivement de la figuration, Cortot interroge l’écriture, qui deviendra son langage plastique. Dès 1957, il introduit des signes dans ses tableaux, pour la plupart inventés et indéchiffrables, évoquant des cursives, des idéogrammes ou des pictogrammes, avant de laisser place, au sein de Tableaux-poèmes (1974), à des citations et des fragments de poèmes empruntés aux écrivains de son panthéon personnel. Les écritures deviennent lisibles, tout en s’apparentant à la peinture : ainsi naissent les fameuses « écritures peintes » si caractéristiques du travail de Jean Cortot.

S’éloignant progressivement de la figuration, Cortot interroge l’écriture, qui deviendra son langage plastique. Dès 1957, il introduit des signes dans ses tableaux, pour la plupart inventés et indéchiffrables, évoquant des cursives, des idéogrammes ou des pictogrammes, avant de laisser place, au sein de Tableaux-poèmes (1974), à des citations et des fragments de poèmes empruntés aux écrivains de son panthéon personnel. Les écritures deviennent lisibles, tout en s’apparentant à la peinture : ainsi naissent les fameuses « écritures peintes » si caractéristiques du travail de Jean Cortot. 

Parallèlement, son goût pour la littérature l’amène à illustrer près de deux cents ouvrages. Le premier d’entre eux, La charge du roi de Jean Giono édité par Maeght en 1965 est suivi de nombreux autres à tirage plus confidentiel, avec des textes de René Char, Jean Tardieu ou Henri Michaux. Avec des artistes comme Julius Baltazar ou Gérard Garouste, il collabore épisodiquement à la création de livres d’artistes, pour la plupart manuscrits et ornés de peintures originales aux contrastes colorés. Ces derniers sont prétexte à des expérimentations formelles et jouent avec la multiplicité des formes possibles du livre (codex, leporello, rouleaux, livre-objet etc.). Par l’expressivité de sa graphie et par sa gestuelle, l’artiste semble à chaque fois interpréter le texte et l’exécuter, telle une partition musicale. 

Quatre sections thématiques rythment le parcours de l’exposition. Après une première partie consacrée à la formation intellectuelle et artistique du peintre, marquée par les figures tutélaires d’Alfred Cortot et de Paul Valéry, l’exposition dévoile la recherche de l’artiste autour des signes et des systèmes d’écriture découverts lors de voyages ou de lectures dans les années 1950-1960 : idéogrammes, caractères oghamiques (celtiques), tifinagh (touareg), mais aussi le latin et le grec. Elle se poursuit avec les « écritures peintes », étonnantes symbioses entre écriture et peinture, créées à partir des années 1980 en hommage aux écrivains et poètes admirés. Enfin, la dernière partie montre quelques oeuvres croisées élaborées à quatre mains avec des amis artistes (Julius Baltazar, Anne Walker, Bertrand Dorny, Gérard Garouste) invités à partager l’espace ludique du livre avec le peintre, se faisant poète pour l’occasion.