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“Mari Katayama” Home Again, à la Maison Européenne de la Photographie, Paris, du 3 septembre au 24 octobre 2021

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“Mari Katayama” Home Again

à la Maison Européenne de la Photographie, Paris

du 3 septembre au 24 octobre 2021

MEP


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©Sylvain Silleran,
visite presse, le 2 septembre 2021.

Mari Katayama, Bystander #016, 2016. © Mari Katayama.
Mari Katayama, Bystander #016, 2016. © Mari Katayama.
Mari Katayama, Shadow Puppet #014, 2016. © Mari Katayama.
Mari Katayama, Shadow Puppet #014, 2016. © Mari Katayama.
Mari Katayama, On the way Home #005, 2017. © Mari Katayama.
Mari Katayama, On the way Home #005, 2017. © Mari Katayama.
Mari Katayama, In the Water #001, 2019. © Mari Katayama.
Mari Katayama, In the Water #001, 2019. © Mari Katayama.
Mari Katayama, Shell, 2016. © Mari Katayama.
Mari Katayama, Shell, 2016. © Mari Katayama.

Texte de Sylvain Silleran :




Mari Katayama est assise sagement comme une petite fille. Ses jambes sans pieds semblent artificielles, ses membres mutilés sont ceux d’une poupée, faits de plastique, de tissu. Elle coud des napperons comme une ménagère de catalogue. Icône glacée. Ce petit coin de pièce où elle se tient est tapissé de motifs qui se répètent en un ennui hypnotique : motifs de homards sur les rideaux, motifs de coquillages sur les coussins ; et sur le mur, le rectangle d’un emballage de bonbons Haribo comme motif de papier peint. 

Les bouts de tissu cousus, rapiécés façon Frankenstein s’étendent en longs bras mous et tombent, enchevêtrés, comme une étrange peau de bête dont elle se couvre, sorcière ou chamane. Ses jambes multiples se terminent par des mains, elles s’étalent sur la plage comme des tentacules de poulpe. Difficile de démêler le vrai du faux dans ce corps hybride, augmenté par cent greffes, devenant lui-même son propre prolongement. Mari Katayama se photographie de l’autre côté d’un miroir brisé, femme ou yōkai, monstre des mythes et légendes. Un mur de bocaux sortis d’un musée des horreurs ou d’une confiserie, des guirlandes non identifiées, une chair couleur de mélancolie : c’est triste et étincelant à la fois. Au centre la voilà sage comme une image, mais dans une image pas sage, empruntant au gothique de manga, à la culture populaire.

Mari fabrique des mannequins, des jambes de poupée, des formes de tissu rembourrées. Elle ne reconstitue pas ce qui n’est pas, un nouveau corps, mais au contraire reproduit ses membres infirmes. Par terre des prothèses et leurs fixations de métal étincelant, des pieds interchangeables avec leurs escarpins, toute une mécanique qui se visse, des bouts de corps interchangeables. Le dur et le tendre, l’acier chromé et le coton, deux mondes qui se confrontent. Ce qui est normal est rigide, blessant : le pied synthétique est froid et sans identité, on le visse sur une tige et on marche. L’anormal, au contraire, est doux et chaleureux, doré, argenté. Les membres cousus sont patiemment habillés, décorés, ils permettent de flotter, de s’envoler, d’échapper aux lois de ce monde et d’en atteindre un autre bien plus riche.

Des grands tirages présentent une architecture de jambes dressée vers le ciel, de doigts étranges, des coudes, des genoux. Le corps est agrandi en une image granuleuse, une image fine et fragile qui se défait déjà. Et pourtant, quelle présence ! La peau est saupoudrée de paillettes d’or, du sable, un corps glamour qui se plie et se déplie, une chair origami qui brouille les pistes. Mari Katayama est une sirène, femme et poisson, algue et corail. Sous ce maquillage brillant se distinguent des cicatrices terribles, une écriture droite, carrée, pâle comme un fantôme. Un ongle rouge scintille comme un bijou, un bijou de sang. La photographie plonge dans un univers aquatique, mystérieux, ça tangue, ça roule, un courant nous entraîne vers le large, vers les fonds.

Troublants portraits que ceux-là. Le corps, là où il devait se soumettre à la mécanique, à l’appareillage, s’affranchit de tout ça. Ses mains découpent, cousent, assemblent elles-mêmes un nouveau corps, un artificiel qui devient nature à son tour. L’audace de ces longues jambes de cow-girl prêtes à dompter rivalise avec la beauté fashionista d’un boudoir fantastique. Nouvelle Dorian Gray, Mari Katayama s’offre une jeunesse éternelle, flamboyante. L’étrange loi du désir, celui qui hypnotise et trouble, celui qui vient du fond des océans, est toujours aussi puissante et inattendue. On en veut encore.


Sylvain Silleran

Extrait du communiqué de presse :




Commissaires d’exposition :
Simon Baker
Laurie Hurwitz



Plasticienne, performeuse et photographe, l’artiste hors norme Mari Katayama présente Home Again, qui rassemble des œuvres réalisées depuis 2009, et, de façon inédite en Europe, sa nouvelle série photographique « In the Water ».

Pour sa seconde exposition de saison du Studio – son espace dédié à la photographie émergente -, la MEP parfait son hommage à la photographie japonaise contemporaine avec le travail de Mari Katayama qui allie sculpture, couture, performance et photographie. Photographe exposée au Pavillon Central et à l’Arsenal lors de dernière Biennale de Venise, Mari Katayama est devenue une artiste aussi incontournable qu’insolite.

Atteinte enfant d’une maladie rare, Mari Katayama, a été forcée de choisir, à l’âge de neuf ans, l’amputation partielle de ses membres. Elle transcende sa condition et son handicap en une oeuvre qui interroge le spectateur sur sa propre relation au corps. Ses premiers autoportraits prennent la forme d’une série de mises en scène et d’images idéalisées, dans lesquelles son corps et son visage se fondent aux décors imposants d’extravagantes sculptures qu’elle orne elle-même de cristaux, de coquillages et de poupées grandeur nature.

Les photographies qui en résultent ne sont finalement que la dernière étape d’un processus complexe de production et d’installation, qu’elle prolonge jusqu’à la création, à la main, de ses cadres photo. Ses mises en scène si élaborées et totalement contrôlées, ainsi que la fabrication de sa propre image, s’opposent à toute notion conventionnelle du « handicap ». Mari Katayama se révèle ainsi une artiste audacieuse et révolutionnaire, qui repousse dans son oeuvre les limites du médium photographique. Sa relation à l’image et à l’objectif de son appareil photographique semble lui être tout aussi essentielle qu’expérimentale.

L’exposition Home Again rassemble des oeuvres réalisées depuis 2009, mais elle présente également pour la première fois la série « In the Water », dans laquelle l’artiste met en relation la représentation de son corps avec une exploration de sa connexion au monde naturel. Ce nouveau travail résulte de la récente naissance de sa fille, et dont Mari Katayama dit « qu’il existe enfin dans ce monde quelqu’un qui voit et considère son corps comme normal ». Une prise de conscience qui marque un tournant décisif dans le travail de l’artiste et qui la conduit à réévaluer ses efforts à se conformer aux normes et aux attentes de notre société.

Des rivages de Naoshima au paysage pollué autour de sa maison à Gunma, Mari Katayama interroge par le titre « Home Again » la notion du « naturel », de l’« endommagé » ou du « perdu », l’appliquant à la fois à un endroit laissé intact – ou au contraire modifié – par l’homme, ainsi qu’à sa propre personne.



Biographie

Mari Katayama est née dans la préfecture de Saitama, Japon, en 1987 et a grandi dans la préfecture de Gunma. Elle est diplômée de la Prefectural Women’s University à Gunma, où elle a étudié dans le département d’Histoire de l’art esthétique, et a poursuivi ses études à Tokyo University of the Arts, Graduate School of Fine Arts. Parmi ses expositions, elle a participé à la Triennale d’Aichi (2013) et au « Roppongi Crossing » (Musée d’art de Mori, 2016). Elle a été exposée au Pavillon Central et à l’Arsenal de la Biennale de Venise en 2019. Son exposition personnelle On the way home a récemment eu lieu au Museum of Modern Art, Gunma.

Souffrant d’hémimélie tibiale, une maladie congénitale rare caractérisée par des malformations de ses deux jambes et de sa main gauche, Mari Katayama s’éloigne de l’école où les enfants se moquent d’elle. Comme les vêtements de prêt-à-porter ne lui vont pas, sa famille confectionne tous ses habits. Elle s’initie très jeune à la couture avec sa grand-mère et s’inspire de ce savoirfaire dès ses premières oeuvres pour fabriquer des cocons fantasmagoriques.

Mari Katayama ne pensait pas devenir artiste. Ses autoportraits en costume étaient pour elle une façon de vivre les jeux de rôle auxquels elle n’avait pas accès enfant. Elle s’est mise à broder des objets, oreillers anthropomorphiques, incrustés de dentelle, de coquillages, de cheveux et de cristaux pour s’amuser. Utilisant son corps comme une sculpture vivante, elle décore également ses prothèses avec des dessins ou porte des talons hauts en chantant sur scène, elle prend ainsi possession de ses membres fantômes.

Dans ses autoportraits photographiques, Mari Katayama explore les obstacles liés à son corps et à son identité auxquels elle doit faire face et restitue la solitude qu’elle a ressentie pendant sa jeunesse. Elle remet ainsi en question les normes sociales, incitant le spectateur à repenser la façon dont les idéaux de beauté sont façonnés, et à réfléchir aux défis et peurs auxquels elle est confrontée chaque jour.