🔊 “Tout un film !” au Drawing Lab, Paris, du 16 janvier au 25 février 2021
“Tout un film !”
au Drawing Lab, centre d’art privé dédié au dessin contemporain, Paris
du 16 janvier au 25 février 2021
PODCAST –Â Interview de Joana P. R. Neves, directrice artistique de DRAWING NOW Art Fair et commissaire de l’exposition,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, enregistrement rĂ©alisĂ© par tĂ©lĂ©phone, entre Londres et Paris, le 18 janvier 2021, durĂ©e 28’24, © FranceFineArt.
© Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, visite de l’exposition en finalisation d’accrochage, le 15 janvier 2021.
Extrait du communiqué de presse :
Commissaire d’exposition :
Joana P. R. Neves, directrice artistique de DRAWING NOW Art Fair, en collaboration avec Françoise Lémerige, chargée du traitement de la collection des dessins et des oeuvres plastiques à La Cinémathèque française.
Artistes invités : Mathieu Dufois, Camille Lavaud, Antoine Marquis, Elsa Werth
Dessins de : Paul Grimault, Akira Kurosawa, Alejandro Jodorowsky, Alex Tavoularis, SĂ©bastien Laudenbach
L’exposition Tout un Film ! présente un ensemble de spécimens sélectionnés parmi les collections de La Cinémathèque française, qui viennent se mêler aux oeuvres issues des ateliers des artistes ainsi que des fonds de leurs galeries. Notre sélection permet de mettre en lumière l’influence croisée de ces deux arts, du storyboard à la matière même de la réalisation du film, le celluloïd.
Nous sommes partis de deux constats : d’une part, que le cinéma est aussi un exercice graphique, de la préparation à la réalisation ; et d’autre part, que les artistes contemporains s’y réfèrent volontiers par le biais de l’expression graphique. L’apparition et la disparition des images est à l’oeuvre dans les deux mediums, cinéma et dessin contemporain ; s’éloignant parfois de l’histoire pour se concentrer sur le contour d’un personnage, l’atmosphère d’une scène, la texture de la narration, la lumière et l’artifice de la profondeur, ainsi que le design des génériques.
Ce croisement entre graphie et cinématographie se perçoit dans un dialogue entre le 7ème et le 9ème art, le cinéma et la bande dessinée par exemple, dans le rapport à la vignette comme structure de la narration. Ceci s’illustre parfaitement à travers les story-boards du film iconique Le Parrain 2 (Francis Ford Coppola,1973), issus des fonds de la Cinémathèque française et exécutés par la main experte d’Alex Tavoularis.
Camille Lavaud, plasticienne, réalise quant à elle des posters et des storyboards fictionnels qui ont un statut proche de la bande dessinée, tout en faisant un clin d’oeil aux méthodes et à la culture filmique. La pratique de Camille Lavaud emploie le dessin comme moyen d’arriver au cinéma, en passant par la fausse affiche, la bande dessinée en guise de storyboard, des livres fictionnels dont les images publicitaires sont, elles aussi, dessinées, tout en montant, en amont, avec une production aussi délirante que prolifique, vers le générique du film où les logos et les crédits qui défilent sont inventés et dessinés, puis vers le court-métrage, mettant en scène des mystères animés par des dessins et par des personnages faisant allusion au ciné-noir, le détournant, tout en le mystifiant et le démystifiant à la fois. La dernière remontée vers ce cinéma-origine est le long-métrage qui s’intitutle La Vie Souterraine, 2017, dont les éléments de préparation et les étapes intermédiaires, sont montrées dans Tout Un Film ! Par ailleurs, les vidéos Sang d’Encre, 2017 et La Vie Souterraine, 2017 qui existent à présent sous forme de teaser, sont diffusées, pour accorder une étape de plus à cette remontée vers une narration qui se fait de la marge vers le centre, en point de fuite.
Dessin et cinématographie se rejoignent à nouveau à travers les trois dessins sur support celluloïd du film d’animation La Bergère et le ramoneur de Paul Grimault (1948), inclus dans l’exposition. Rares et précieux, ces celluloïds sont aussi extrêmement fragiles. Ils expriment une facette moins explorée de l’image mouvement : son rapport à la bande dessinée de par l’animation, mais aussi au story-board ou même au dessin libre entrepris par maints réalisateurs. Ils attirent aussi l’attention sur le matériau même du film, une ligne souvent reprise par les artistes plasticiens, comme l’artiste Sud-Africain William Kentridge.
Sont présentées également des maquettes d’affiches du réalisateur Sébastien Laudenbach pour son film La jeune fille sans mains (2015) ainsi que des dessins de l’animation finale présentés sur table lumineuse grâce à la galerie MIYU.
Mathieu Dufois a, quant à lui, travaillé directement avec les ressources de dessins conservés et archivés dans la collection de La Cinémathèque, en étroite collaboration avec Françoise Lémerige. Il est parti d’un dessin du décorateur Alexandre Trauner pour un film qui n’a jamais vu le jour, La Fleur de l’âge de Marcel Carné (1947), et qui aurait été la première apparition sur écran d’Anouk Aimée.
Cette fascination pour le storytelling cinématographique est aussi à l’oeuvre dans les dessins d’Antoine Marquis. Après avoir visité les collections graphiques (dessins, affiches, matériel publicitaire) de La Cinémathèque, il s’est inspiré de plusieurs sources possibles et a décidé de produire de nouvelles oeuvres pour Tout un Film ! Il a notamment réalisé des dessins issus d’images médicales d’archives des années 30 à caractère de films expressionnistes en clair-obscur, avec une atmosphère fantastique et étrange, intitulé Luminothérapie.
Les dessins d’Akira Kurosawa pour Les Sept Samouraïs (1954), conservés à la Cinémathèque, sont pour leur part à rapprocher de la bande dessinée et du manga.
Finalement, la démarche conceptuelle du rendu perspectif que le cinéma a en commun avec le dessin d’observation est performé par Elsa Werth, une artiste qui s’intéresse aux dessous de l’image et à ses correspondances dans l’espace abstrait mental.
La contribution d’Elsa Werth apporte une dimension conceptuelle aux outils communs au cinéma et au dessin, dans leur rendu de l’expérience de l’espace. Point de Fuite, 2017, l’oeuvre présentée, a une présence parasitaire, rappelant à la fois l’espace tridimensionnel dans lequel vit le spectateur et l’artifice de la profondeur du cinéma, évoquant les lois de perspective du dessin. La version exposée de ce travail est composée de 4 marques ou plus faites avec un tampon sur un ou plusieurs des murs de l’exposition. Le tampon inscrit un X (=un point) et juste au dessous VANISHING POINT (=le sens du point) sur la surface du mur. Il fait référence aux points de fuite qui permettent de construire la représentation d’un espace en trois dimensions sur une surface en deux dimensions : de créer une perspective, de donner l’illusion de la profondeur. Dans notre système de représentation, il est possible de créer des perspectives à 1, 2 ou 3 points de fuite, mais au delà , l’image perd son encrage à la réalité pour tendre vers l’abstraction.
Un personnage mystérieux et un ready-made d’Alejandro Jodorowsky des années 1960 issus de la collection de La Cinémathèque rappellent l’importance du dessin dans la constuction non seulement du personnage mais aussi de l’univers de l’oeuvre.
Cette rétrospective cinéma se clôt avec la projection d’un film de l’artiste sud-africain William Kentridge, Tide Table (2013, 8,02 min), 9e film de la série des Drawings for Projection. L’ensemble de ces Dessins pour projection ont pour toile de fond l’histoire de l’Afrique du Sud vue à travers deux personnages qui sont des alter-ego de l’artiste : Soho Eckstein, le riche homme d’affaires avec son cigare et son complet rayé, et Felix Teitlebaum, l’exilé, le rêveur toujours nu et souvent vu de dos. Dans ce 9e épisode de la série, on retrouve Soho Eckstein vieillissant sur la plage de Muizenberg, empli des souvenirs de son enfance.
On y retrouve aussi une technique chère à l’artiste, qu’il qualifie d’ “animation du pauvre” : au lieu de multiplier les dessins pour suggérer le mouvement, il dessine au fusain sur une ou plusieurs feuilles de papier, puis efface des parties pour recommencer un autre dessin ; les traces d’effacement sont visibles et, au fur et à mesure, l’objet se métamorphose pour devenir autre chose. Toutes ces opérations sont filmées par une caméra fixe et la narration s’oriente ainsi de façon aléatoire.