🔊 “La Force du dessin” Chefs-d’oeuvre de la Collection Prat, au Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, du 16 juin au 4 octobre 2020
“La Force du dessin”
Chefs-d’oeuvre de la Collection Prat
au Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
du 16 juin au 4 octobre 2020
PODCAST – Interview de Christophe Leribault, directeur du Petit Palais et co-commissaire de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 15 juin 2020, durée 12’00. © FranceFineArt.
© Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, prĂ©sentation de presse de l’exposition avec Louis-Antoine Prat et Christophe Leribault, le 15 juin 2020.
Extrait du communiqué de presse :
Commissariat général :
Pierre Rosenberg, président-directeur honoraire du musée du Louvre
Christophe Leribault, directeur du Petit Palais
Le Petit Palais est très heureux de présenter dans ses murs la Collection Prat, certainement l’un des plus remarquables ensembles au monde de dessins français allant du XVIIe jusqu’au début du XXe siècle.
Initiée dans les années 1970 par Louis-Antoine et Véronique Prat, elle est la première collection privée à avoir fait l’objet d’une présentation au Louvre en 1995. Vingt-cinq après, le Petit Palais entend témoigner de la vitalité de la collection qui s’est enrichie ces dernières années de pièces majeures montrées ici pour la première fois. Les 184 feuilles présentées comptent parmi les dessins les plus importants de Callot, Poussin, Le Brun, Watteau, Prud’hon, Ingres, Delacroix, Redon, Cézanne ou Toulouse-Lautrec …
Un panorama du dessin français de 1580 à 1900
La Collection Prat se concentre sur l’école française avant 1900, et constitue un survol particulièrement représentatif de trois siècles de création, de Callot à Seurat. L’exposition propose donc de suivre ce fil chronologique tout en offrant quelques incursions thématiques.
Le parcours s’ouvre sur une série de dessins du XVIIe siècle qui témoignent de l’influence de l’Italie chez les artistes français comme François Stella à la fin des années 1580 dont le dessin présenté ici est le plus ancien de la collection. Le Lorrain, Jacques Callot, Poussin bien sûr, ainsi que Vouet traverseront aussi les Alpes et l’influence de ce séjour s’exprime dans les feuilles réunies ici.
La section suivante présente plusieurs dessins préparatoires aux décors de Versailles par Le Brun, Coypel ou La Fosse. Les deux amateurs ont toujours privilégié dans leurs choix des oeuvres très significatives du point de vue de l’histoire de l’art, et certains de leurs plus fameux dessins sont liés à la genèse d’oeuvres séminales de la peinture française.
L’exposition aborde ensuite le style Rocaille avec Watteau et Boucher. Poursuivant cette évocation du XVIIIe siècle, Natoire et Greuze évoquent tour à tour le dessin sur le motif, ainsi que les débuts du réalisme et la recherche de vérité psychologique dans le portrait, sans oublier la fantaisie d’un Fragonard.
Un bel ensemble de projets sculptés ou architecturaux, de Bouchardon, Challe, Petitot, Desprez ou Hubert Robert manifestent de la pregnance encore du séjour romain en plein siècle des Lumières.
Viennent ensuite des illustrations fortes du retour à l’Antique comme en témoignent plusieurs oeuvres de Jacques-Louis David dont un dessin préparatoire pour La Douleur d’Andromaque. À la même époque, d’autres artistes comme Boilly ou Prud’hon élaborent un style tout à fait personnel. Ce début du XIXe est marqué par des tensions entre l’affirmation du style néo-classique et l’émergence du romantisme.
Les feuilles de Gros, Géricault, et trois beaux ensembles de Ingres, de Delacroix et de Chassériau offrent un florilège des tendances esthétiques qui agitent cette période si riche. L’exposition aborde ensuite les académismes et les réalismes d’après 1850 avec les dessins de Corot, Courbet, Millet, Daumier ou encore Carpeaux, Gustave Doré et Puvis de Chavanne.
Une sélection remarquable de dessins d’écrivains enrichit de façon originale ce panorama avec de magnifiques lavis et encres de Victor Hugo et de Baudelaire complétés par des oeuvres symbolistes de Redon et de Gustave Moreau d’inspiration littéraire.
Le parcours se termine en ouvrant vers la modernité avec des feuilles de Manet, Degas et Rodin. Les expérimentations de Seurat et de Cézanne achèvent magistralement la présentation de cette collection construite et réfléchi avec le plus grand soin par deux amateurs engagés et passionnés.
Parcours de l’exposition :
CommencĂ©e il y a plus de quarante-cinq ans, la collection Prat constitue l’une des plus remarquables rĂ©unions de dessins de maĂ®tres anciens en mains privĂ©es, parmi toutes celles conservĂ©es en Europe. Après des Ă©tudes en histoire de l’Art, VĂ©ronique Prat s’est tournĂ©e vers le journalisme tandis que Louis-Antoine Prat a poursuivi sa carrière de chercheur au Louvre, en assumant Ă©galement des fonctions d’enseignement et publiant nombre de catalogues raisonnĂ©s d’artistes, parallèlement Ă son oeuvre de romancier. AffinĂ©e au fil des ans, leur collection illustre l’évolution du dessin français durant plus de trois siècles – de 1600 Ă 1900 -, Ă travers 220 feuilles dont plus de 180 sont prĂ©sentĂ©es ici, depuis Poussin et Callot jusqu’à Seurat et CĂ©zanne. La plupart de ces oeuvres ont dĂ©jĂ figurĂ© dans nombre de rĂ©trospectives d’artistes Ă travers le monde, et la collection elle-mĂŞme a fait l’objet de plusieurs expositions d’ensemble, dont le catalogue a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© par Pierre Rosenberg : Ă New York, Fort Worth, Pittsburgh et Ottawa en 1990-1991, puis au Louvre, à Édimbourg et Ă Oxford en 1995, de nouveau aux États-Unis en 2004-2005, puis Ă Barcelone en 2007, Ă Sydney en 2010, ainsi qu’à Venise et Ă Toulouse (Fondation Bemberg) en 2017. Ă€ l’occasion de sa prĂ©sentation de 1995 au musĂ©e du Louvre, une grande première pour une collection privĂ©e, une douzaine de dessins avaient Ă©tĂ© offerts au musĂ©e par les collectionneurs, sous rĂ©serve d’usufruit ; la plupart sont d’ailleurs prĂ©sentĂ©s ici mĂŞme. L’actuelle exposition, vingt-cinq ans après celle du Louvre, tĂ©moigne de la vitalitĂ© de la collection, qui s’est enrichie ces dernières annĂ©es de pièces majeures rĂ©vĂ©lĂ©es ici pour la première fois. C’est un hommage tant Ă la gloire du dessin français qu’au rĂ´le capital des collectionneurs dans la redĂ©couverte de chefs-d’oeuvre oubliĂ©s.
Les dessinateurs français entre Paris, Rome et la province
Tout au long du XVIIe siècle, l’Italie, et particulièrement la Ville éternelle, attire les artistes français qui n’hésitent pas à accomplir ce long voyage. Nicolas Poussin en demeure l’exemple le plus célèbre, lui qui accomplira presque toute sa carrière à Rome. Il en sera de même pour son ami Claude Gellée dit Le Lorrain, pour qui la campagne romaine demeurera la principale source d’inspiration. Plus épisodiques, les relations avec l’Italie de François Perrier ou de Jacques Callot, qui séjourna un temps à Florence à la cour des Médicis, ont marqué à jamais l’art de ces dessinateurs. Les artistes français inscrits dans la lignée du Caravage ne dessinèrent en général pas, à l’exception de Simon Vouet dont la manière changea avec son retour définitif en France en 1627, date à laquelle il entreprit une grande carrière de décorateur et de peintre d’histoire. Son style se distingue par son élégance et des recherches formelles qui marquent une inflexion vers le classicisme. Une forme épurée de celui-ci se retrouve chez Eustache Le Sueur comme chez Laurent de La Hyre, dont le style raffiné a pu être qualifié d’« attique », en référence à la pureté de l’art grec. En province, plusieurs foyers artistiques se développent avec davantage de liberté, comme en témoignent les inventions du peintre lyonnais Thomas Blanchet. En Avignon, Nicolas Mignard affirme une manière plus assagie, tandis qu’à la fin du siècle, les Toulousains Antoine Rivalz et Raymond La Fage fascinent par leurs audaces stylistiques.
La couleur face au dessin : Rubénistes et Poussinistes
Le long règne de Louis XIV, dont la production artistique tend avant tout à célébrer la gloire du souverain, assure le triomphe de l’esprit classique. L’établissement de l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1648 permet de canaliser peu à peu la création artistique dans cette direction. Charles Le Brun, premier peintre du roi, en sera jusqu’en 1690 le parfait illustrateur, en particulier au château de Versailles dont il conçoit une grande partie du décor. Son rival Pierre Mignard, qui le remplacera dans toutes ses fonctions, puis ses successeurs Antoine Coypel et Charles de La Fosse, poursuivront son oeuvre de décorateur, mais en s’attachant davantage à la couleur qu’à la ligne pure. C’est la revanche des adminrateurs de Rubens sur les héritiers de Poussin.
Watteau et la rocaille
Au temps de la Régence, l’art devient moins majestueux, plus poétique aussi. Malgré sa courte vie, Antoine Watteau demeure le représentant idéal de cette tendance, avec ses fêtes galantes imaginaires et ses incessantes évocations des progrès de l’amour. Après lui, François Boucher continuera dans cette veine, l’enrichissant de toute une iconographie mythologique à travers laquelle il célébrera les amours des dieux. En ce XVIIIe siècle réputé d’impiété et de critique religieuse, il subsiste, grâce aux commandes des églises, toute une tradition d’iconographie chrétienne, qui se reflète dans l’art d’un Jean Restout comme d’un Pierre Charles Trémolières, trop tôt disparu. En province, certains foyers artistiques s’illustrent encore par leur originalité, comme le Languedoc avec un Michel-François Dandré-Bardon particulièrement expressif.
La seconde moitié du XVIIIe siècle
C’est déjà sous le règne de Louis XV (mort en 1774) que se fait jour la réaction néoclassique, influencée par les écrits de Winckelmann et du comte de Caylus, et le regain d’intérêt pour l’Antique suscité par les fouilles de Pompéi et d’Herculanum. Les frères Challe, Desprez ou Petitot reflètent ainsi ce goût archéologique diffusé par le grand graveur romain Piranèse. Porté parallèlement par une nouvelle bourgeoisie d’affaires qui ne se reconnaît plus dans les sujets d’histoire, le réalisme – les sujets dits de genre – s’impose peu à peu, en même temps que s’affirme le goût pour la peinture nordique du siècle précédent. Un Greuze, un Hoin expriment une tendance nouvelle à l’analyse psychologique, au réalisme du portrait. Le voyage d’Italie demeure néanmoins l’ambition de nombre de jeunes artistes, avec l’indispensable séjour à Rome, pour les lauréats du Grand prix, au palais Mancini, siège de l’Académie de France. Charles Natoire dirigera longtemps l’institution et poussera beaucoup d’artistes à dessiner sur le motif, souvent à la sanguine, comme Hubert Robert, parfois à l’aquarelle, comme Houël.
Le néoclassicisme ou le triomphe de la vertu
Autour de Jacques-Louis David se cristallise un nouvel évangile, celui de l’exemplum virtutis (exemple de courage physique ou moral) hérité des Anciens. Grands lecteurs de Plutarque et de Tacite, les jeunes rénovateurs du style, adeptes de la ligne froide et du récit héroïque, cultivent un répertoire nouveau dont leurs dessins constituent une approche essentielle. Avant même Le Serment des Horaces qui triomphe au Salon de 1785, David célèbre la vertu d’Andromaque, veuve d’Hector, le suicide exemplaire d’Artémise ou le respect par Régulus de la parole donnée. Exilé à Bruxelles après le retour définitif des Bourbons en 1815, il dessine des portraits d’un réalisme acerbe. Son succès prodigieux ne laisse que peu de chances à ses rivaux, comme Peyron, lointain continuateur de la ligne attique, ou Vincent, dont les changements de manière successifs n’entachent en rien la grande habileté. Bien d’autres dessinateurs pratiquent une veine semblable, tandis que Louis-Léopold Boilly, peintre réaliste de la bourgeoisie contemporaine, ou Prud’hon, vaporeux héritier du Corrège, s’affirment chacun par un style bien à eux.
Multiplicité du premier XIXe siècle
La gloire de Napoléon sera illustrée bien sûr par David, mais aussi par ses élèves comme Girodet et Gros. C’est précisément avec Gros que se manifestent les tensions entre la rigueur néoclassique et l’impulsion romantique, contradictions si violentes qu’elles le conduiront au suicide. Pour son contemporain Géricault, la problématique s’avère différente : les héros qu’il représente sont populaires et souvent coupables, bien souvent déjà condamnés ; leur stature michelangelesque contrastent avec la puissance du fatum qui les accompagne. Ingres se voulait, quant à lui, l’apôtre d’un classicisme respectueux des formes, mais ses audaces graphiques, jointes à une habileté déconcertante, feront de lui « un homme à part ». Ses portraits au graphite, où il se montre l’héritier des Clouet et d’Holbein, contraste avec des moments d’audacieuse bizarrerie, un primitivisme qui s’affirme dans ses « grandes machines » historiques. Davantage impulsif, bien qu’il se soit voulu lui aussi « un pur classique », son grand rival, Delacroix, incarne la mouvance et l’élan romantiques par l’affirmation d’une imagination sans cesse renouvelée, cette imagination que Baudelaire célébrait chez lui comme « la reine des facultés ».
Académismes et réalismes après 1850
Les oppositions classiques entre novateurs et académiques après 1850 n’ont guère lieu d’être dans le monde du dessin où la liberté inventive des uns ne contrarie en rien la pureté graphique de ceux que l’on a trop longtemps qualifiés de « pompiers ». Il n’est plus juste aujourd’hui d’opposer Jean-Baptiste Carpeaux, Jean-François Millet ou Théodore Rousseau aux décorateurs de l’Opéra-Garnier que sont Isidore Pils ou Paul Baudry, ni aux puristes comme Pierre Puvis de Chavannes, alors que certains artistes comme Thomas Couture, Camille Corot ou Gustave Courbet poursuivent un chemin à part et très personnel.
Dessinateurs littéraires et tendances symbolistes
Si Delacroix, selon le mot encore de Baudelaire, s’est voulu « un peintre littéraire », c’est aussi l’importance des rapports entre l’écrit et le dessiné qu’illustrent les oeuvres d’artistes, souvent rompus à l’art de l’estampe, comme Honoré Daumier ou Rodolphe Bresdin. Des écrivains-dessinateurs, prolixes (Victor Hugo, plus de trois mille dessins) ou rarissimes (Charles Baudelaire, à peine trente dessins), participent de la même énergie. Les rapports entre l’art et la littérature nourrissent également l’imagination d’un Gustave Moreau comme d’un Odilon Redon, que l’on considère comme les fondateurs du courant symboliste.
Vers la modernité
La modernité graphique qui prépare les conquêtes plastiques du XXe siècle n’est pas à chercher dans l’impressionnisme pur, dont les grands maîtres du plein air (Monet, Sisley, etc.) dessinent sans véritable génie. Elle est plutôt le fait d’un Manet ou d’un Degas, qui, à leurs débuts, feront cependant référence dans leurs dessins aux grands ancêtres italiens de la Renaissance et à leurs figures idéales. Elle réside aussi dans une affirmation de la plasticité spectaculaire des formes, comme chez Rodin, tandis qu’un autre langage s’élabore en ces mêmes années à Pont-Aven autour de Gauguin, Bernard et Sérusier. Avec Toulouse-Lautrec, comme avec Seurat et Cézanne, l’acte graphique s’affirme conquérant, d’une extrême acidité chez le premier, d’une étonnante maîtrise technique chez le deuxième, sorte d’« inventeur du noir », enfin d’une audace inouïe chez le troisième. Cézanne cherche à rapprocher le rendu de sa « petite sensation », longuement méditée, de sa haute conception de « l’art des musées », à travers une quête d’harmonie formelle d’une puissance inégalée.