🔊 “Jamais je ne t’oublierai” photographies de Carolle Bénitah, aux éditions L’Artière
“Jamais je ne t’oublierai”
photographies de Carolle BĂ©nitah
aux éditions L’Artière
Ă©ditions l’Artière
Carolle BĂ©nitah
PODCAST – Interview de Carolle BĂ©nitah,
par Anne-Frédérique Fer, enregistrement réalisé par téléphone, entre Paris et Marseille, le 20 novembre 2020, durée 17’27, © FranceFineArt.
(photographie, Autoportrait : crédit © Carolle Bénitah)
Extrait du communiqué de presse :
“J’ai réalisé, en travaillant sur mes archives personnelles, qu’il existait très peu d’images de mes parents avant leur mariage, un désert iconographique expliqué par le fait qu’ils sont nés dans les années 1930 dans un Maroc encore sans eau courante ni électricité. Les rares photographies détenues par ma grand-mère étaient verrouillées à double tour pour ne pas évoquer le drame causé par la perte accidentelle d’un de ses fils.Une chape de silence avait frappé d’interdit cette vie antérieure. Je me suis retrouvée orpheline d’images du passé.
Je collectionne les photographies anonymes que j’achète dans les brocantes. Je suis aimantée par ce bonheur qui s’affiche au garde-à -vous sur ces photos, par ces gens que je ne connais pas et qui ont existé, aimé et disparu. Ils sont des fantômes qui me suivent sans bruit et je me les approprie pour construire un album de famille imaginaire afin de réparer l’oubli.
Je reconstruis la mémoire de ma famille qui m’a manqué, je m’en invente une autre sur mesure où je ressuscite tous les ascendants qui ont disparu, les territoires que je n’ai pas connus et qui m’ont été vantés.
Ces rebuts, cédés pour quelques euros sur le bord du trottoir parce que les héritiers n’en veulent plus, changent de statut par un geste, l’application de la feuille d’or sur la photographie. En masquant une partie de l’image, et plus spécifiquement les visages de ces fantômes, je décuple les projections possibles.
L’or est un métal inoxydable. L’à -plat doré opère à la fois comme une oblitération et une surface brillante sur laquelle se réfléchissent nos propres visages.
Je choisis des photographies qui évoquent quelque chose de déjà -vu, une pose familière, des moments heureux qui illustrent toutes ces fables racontées sur les ancêtres. Ce bonheur ritualisé au fil des évènements renvoie aux mensonges sur le mythe familial. Il évacue la matière noire liée à la famille, justement absente de ces photographies-là .
Afin de démentir ce bonheur idéal, je note au bas des photographies de cet album imaginaire, des souvenirs personnels et douloureux qui parlent de difficulté à se construire une vie heureuse « comme sur les photos ».
Je tape ces souvenirs sur un clavier dont des touches sont inopérantes à cause d’un café que j’y ai accidentellement renversé, tout comme Hölderlin qui a volontairement enlevé certaines cordes de son piano et joue sans savoir lesquelles sont manquantes. Les souvenirs que je relate deviennent opaques, incompréhensibles pour le lecteur. Mais à l’instar de ces photographies qui disent l’impossibilité de l’identification, je construis des souvenirs absents.
Utiliser ces images est une façon de vivre par procuration et de reconstituer une vie rêvée. Néanmoins, l’intervention à la feuille d’or crée des trous de mémoire et impose une distance, ce qui fait que je ne suis pas dupe du mensonge qu’elles affichent.
Travailler sur ces photographies permet de faire le deuil de cette vie de famille idéale. Reprendre un à un tous les anciens fantasmes concernant ces projections et les démonter rend cette mort symbolique supportable.“
Carolle BĂ©nitah
Actualité : Le livre Jamais je ne t’oublierai de Carolle Bénitah est lauréat du PRIX HIP 2020 • MONOGRAPHIE ARTISTIQUE
http://www.prixhip.com
L’artiste
NĂ©e Ă Casablanca (Maroc), Carolle BĂ©nitah vit et travaille Ă Marseille (France).
J’ai commencĂ© Ă pratiquer la photographie au dĂ©but des annĂ©es 2000 suite Ă des remises en cause personnelles très fortes. La dimension fragile de la vie s’est imposĂ©e Ă moi et la photographie a fonctionnĂ© comme une bĂ©quille existentielle. Face Ă une rĂ©alitĂ© difficile Ă apprĂ©hender – comme la maladie dans la sĂ©rie Autoportrait au rideau rouge (2002), ou encore dans la sĂ©rie Un parterre de roses (2001-2008), la photographie a agi comme un nouvel organe de sens. D’emblĂ©e, j’ai placĂ© ma pratique dans le champ de l’intime. Aujourd’hui, mon travail dĂ©bouche sur des sujets plus ouverts comme la famille, le dĂ©sir, la perte, le deuil et l’enfermement et touchent Ă l’universel. Je cultive une approche protĂ©iforme de la crĂ©ation en dĂ©veloppant des installations Ă travers lesquelles j’interroge l’identitĂ©, la construction de soi. J’utilise des matĂ©riaux qui peuplent l’univers domestiques (napperons, mouchoir avec monogramme brodĂ©, torchon, drap de trousseau…). Ă€ travers les objets triviaux que je crĂ©e et brode, je renverse la hiĂ©rarchie des arts.
Double page de Jamais je ne t’oublierai de Carolle Bénitah aux éditions L’Artière. © Carolle Bénitah. © éditions L’Artière 2019.