“Gao Zhenyu” artiste plasticien
“Gao Zhenyu“
maître potier spécialisé dans l’art du zisha
texte de Liyu Yeo, rédacteur pour FranceFineArt.
Gao Zhenyu, né en 1964, est un maître potier spécialisé dans l’art du zisha, ce sable pourpre originaire de Yixing dans la province du Jiangsu [argile de Yixing 宜興]. Ses parents sont des potiers reconnus. Sa femme Xu Xu est aussi une potière où ils partagent les mêmes ateliers à Pékin et à Yixing. En 1982, Gao est l’apprenti du maître Gu Jingzhou (1915-1996). Il a ensuite complété sa formation en céramique à l’université Musashino de Tokyo en 1990. Depuis son retour en Chine, il est chercheur à l’Académie nationale chinoise des arts.
Depuis plus de 30 ans, la carrière artistique de Gao tourne autour du zisha. La saga du zisha est passionnante et liée à l’histoire de la civilisation chinoise. Les théières en zisha furent introduites à la fin de la dynastie Ming (1368/1644) lors d’un changement de coutume dans la façon de faire le thé. L’empereur Hongwu a décrété que l’on devait boire du thé infusé plutôt que du thé battu. Yixing, d’où provient le zisha est proche de Suzhou, important centre culturel à la fin de l’ère Ming. Les lettrés et les peintres de la période Ming se servaient de théières en zisha, elles sont donc devenues leurs préférées. La palette des terres de zisha : ocre, gris et jaune, tout comme l’absence de glaçure correspond parfaitement à l’esthétique humble et naturelle des lettrés confucéens. Les théières zisha ont une autre caractéristique, elles sont signées sous la base, du nom du potier. C’est tout à fait remarquable car le travail des artisans chinois, des architectes, des ébénistes, des porcelainiers, était anonyme. Les potiers du zisha sont une exception sûrement due à leurs liens avec les élites intellectuelles.
Les théières en zisha sont tellement liées à celle du thé infusé que leurs usages s’est répandus dans toute la population. Ces théières correspondent tout à fait à la politique de Mao des années 1950 : l’art devant servir au peuple. Chaque théière est façonnée individuellement, à la main, sans l’aide de machine. C’est ce qui explique que des entreprises d’état restaient ouvertes même pendant la révolution culturelle (1966/1976) et la production manuelle ne fut pas arrêtée. Cette tradition ininterrompue de l’art du zisha est unique en Chine, malgré les dégâts de la révolution culturelle.
Tout comme Gao Zhenyu, de nombreux potiers sont devenus des artistes renommés. Gao a eu la chance d’appartenir à la génération ayant bénéficié des réformes économiques de Deng Xiaoping de 1979. En 1985 suivant le mouvement de la nouvelle vague artistique, la population eut désormais accès aux informations internationales. Les chinois sont devenu curieux de l’art et des mouvements culturels étrangers. Cela a rendu possible le voyage de Gao au Japon pour qu’il approfondisse sa technique. C’est là qu’il a découvert une théière en zisha ayant appartenu au moine chinois Ingen Ryūki (1592-1673). Ingen s’est rendu au Japon en 1654. Il est censé avoir introduit l’usage de l’infusion du thé vert au Japon. Cette théière a été créée par Shi Dabing, l’un des potiers de zisha le plus célèbre actif de la fin de l’ère Ming (1368/1644) au début de l’ère Qing (1644/1911). La théière de Shi se trouve dans les collections impériales, véritable exploit pour un artisan. Gao a eu le privilège de voir et de toucher cette théière créée par Shi, ça l’a bouleversé. Il en a fait plusieurs versions dont une se trouve au musée Victoria et Albert de Londres. Paradoxalement son séjour au Japon lui a permis d’approfondir ses connaissances des traditions chinoise du zisha.
Après avoir maîtriser toutes les formes classiques des théières en zisha avec leurs subtilités et les qualités harmonieuses de lignes et de proportions, Gao a interprété toutes les formes céramiques datant des dynasties Tang, Song, Yuan, Ming et Qing. À chaque création en zisha, Gao a tenté d’incarner dans ces objets la quintessence de la forme et de l’esprit de chaque dynastie impériale. Il a aussi créé d’autres séries inspirées par les jades et les bronzes archaïques datant des dynasties Xia, Shang, Zhou (âge du bronze). Un exemple de l’innovation de Gao est une théière en zisha à quatre pieds inspirée de « He » avec un réceptacle de bronze servant pour des cultes ancestraux. En se servant du zisha comme langage personnel Gao rend hommage, avec lyrisme, aux formes classiques chinoises.
Après des décennies de réformes économiques, la Chine est maintenant, dans une période de renaissance culturelle et les formes artistiques traditionnelles sont revisitées. Une nouvelle génération de potier travaille librement et explore bien au-delà des limites traditionnelles. Pour sa première exposition au musée national de Pékin, en 1997, Gao a exprimé que seuls les objets fonctionnels avaient une âme. Gao a infléchi son attitude à partir de 2014. Son exposition en 2017 au musée national de Pékin s’intitulait « le nirvana de l’argile » et témoigne de son renouveau artistique. Ses nouveaux travaux s’inspirent des formes des outils et instruments de chasse de la période néolithique. Gao est persuadé que par tradition, la création chinoise est intégrée dans l’esprit de faire corps avec la nature. Le principal désir de Gao est désormais de souligner et de célébrer toutes les qualités de l’argile.
Maître Gu lui a donné la compétence pour réaliser la théière la plus classique « duozi » et maître Gu y a gravé les lignes suivantes : « hérites et respectes les normes traditionnelles, innoves et chéris l’esprit intérieur ». Appliquant la philosophie du Taoïsme avec ses changements constants et cycliques, Gao suit sa propre renaissance artistique ce qui lui permet d’aborder de nouveaux territoires tout en restant fidèle à ses origines classiques. Gao s’est embarqué pour un nouveau voyage, marqué par cette nouvelle liberté de ne créer ce que son cœur lui inspire.
Liyu Yeo