“Nicolas Daubanes” Ombre est lumière. Mémoires des lieux, au Panthéon, Centre des monuments nationaux, du 19 novembre 2025 au 8 mars 2026
“Nicolas Daubanes”
Ombre est lumière. Mémoires des lieux
au Panthéon, Centre des monuments nationaux, Paris
du 19 novembre 2025 au 8 mars 2026
Texte Sylvain Silleran

Nicolas Daubanes. © A. Francin.

Portrait Nicolas Daubanes intérieur Panthéon. © CMN.

Nicolas Daubanes, Struthof, 4 x 11 mètres, 2025. Dessin en cours de production. Vues d’atelier, Villa Médicis. © A. Francin.

Nicolas Daubanes, Prison de Montluc à Lyon, bâtiment cellulaire, rez-de-chaussée. © P. Rosset.
Ombre est Lumière – Nicolas Daubanes
Panthéon
Ce qui frappe d’abord c’est la lumière, une lumière descendue d’on ne sait où, inondant ces dessins immenses comme des fresques. On croit d’abord à des larges écrans blancs sur lesquels seraient projetées des images. On lève le regard vers la voûte, cherchant la source de cette clarté blanche. Le travail de mémoire de Nicolas Debanes s’attache à la mémoire des monuments qui ont fait l’histoire et à l’univers carcéral dans lequel il travaille depuis toujours. D’un côté le camp de concentration de Natzweiler-Struthof apparait dans une forêt, de l’autre le mémorial du Mont-Valérien semble lui aussi envahi de mousse et de lierre.
Le dessin est tracé à la poudre noire, de la poudre de fer, fixée par le champ magnétique des panneaux aimantés. Le trait est d’une précision de scalpel, tranché. Ce noir et blanc absolu est cinématographique, contrasté comme un Kurosawa. Dans la forêt de pins où disparait le camp de Struthof, le noir de la poudre de fer se pare de teintes de terre: de l’oxydation, de la rouille apportent une dimension organique. De ce camp nous n’apercevons qu’un mirador perdu dans les bois. Les troncs d’arbres sont autant de colonnes répondant à celles du Panthéon, eux aussi portant la lourde charge de la mémoire des hommes. Le mur des fusillés du Mont-Valérien tombe en coulures de poudre de fer. En laissant s’échapper de ses doigts la limaille, Nicolas Debane tisse avec ce matériau le drapé d’un rideau, une cascade en mouvement qui scintille et bouillonne sous nos yeux, hypnotique. Ainsi la terrible mémoire des lieux n’est pas chose figée, immobile, elle est bien vivante, elle gronde comme une chute d’eau ou bruisse et croît vers le ciel comme une forêt.
Trois images de la prison Montluc de Lyon rappellent également l’occupation. Des photos du couloir central sont agrandies aux dimensions de la prison, reproduites grandeur nature sur trois panneaux de 3m sur 3. La surface de chaque dessin est la surface d’une cellule standard, 9 mètres carrés. Les images sur trois niveaux superposés montrent les étages de la prison, sa hauteur de gouffre, et sont enserrés dans un échafaudage, ce qui en accentue l’oppressante architecture. Il y a dans ce procédé de construction, dans l’assemblage des panneaux, les grosses tubulures d’échafaudage d’acier nu et glacial, les odeurs de métal, les bruits de l’acier, la mémoire des ateliers, des usines, du labeur ouvrier. La poudre de fer ramassée au sol comme une poussière est celle des parents et des ancêtres, la mémoire des racines ouvrières, des familles entières.
Les pierres de l’abbaye royale de Fontevrauld devenue terrible prison, la voûte de la caserne Rochambeau, l’architecture s’estompe comme le souvenir. L’image se fond dans le blanc du panneau, dans le noir de la limaille. Parfois c’est à la nature elle-même qu’est confié le dessin. Une image du camp de Natzweiler-Struthof a été laissée dehors subir les éléments, la pluie. Le dessin oxydé, sali, érodé devient un témoignage fluctuant, que le temps fait tanguer et vaciller telle une flamme. Nicolas Daubanes a aussi réalisé des photogrammes de ces lieux et des paysages environnants. Mais il les expose à la lueur des étincelles produites par une disqueuse, retour à l’industriel, à l’usine et son travail. La gerbe d’étincelles révèle et brûle à la fois. La forêt inversée, silhouettes d’arbres blancs, est traversée de pluies de comètes noires.
Le blanc, le noir, peu importe, c’est dans les lignes de fracture entre ces deux valeurs que naît l’image. Elle surgit hors du dessin, d’une tension terrible, d’un conflit vieux comme le monde entre ombre et lumière. Nicolas Daubanes manie le blanc et le noir, le fer et les aimants non pas comme un métallurgiste mais comme un alchimiste.
Sylvain Silleran
Extrait du communiqué de presse :
Commissariat :
Nicolas Surlapierre, directeur du MAC VAL
Frédéric Paul, conservateur aux collections contemporaines, Musée national d’art moderne, Centre Pompidou
Coordination, Julien Blanpied
Commissariat : Barbara Wolffer, administratrice du Panthéon
Le Centre des monuments nationaux invite l’artiste Nicolas Daubanes pour une exposition au Panthéon, « Ombre est lumière. Mémoires des lieux », du 19 novembre 2025 au 8 mars 2026, dans le cadre de son programme « Un artiste, un monument ». Après plusieurs résidences dans les hauts-lieux de la mémoire nationale, Nicolas Daubanes a créé des oeuvres monumentales spécialement conçues pour le Panthéon, lieu dédié à la mémoire des grandes figures de la nation. À travers le regard de l’artiste, les dix hauts-lieux se révèlent dans une perception saisissante et sensible, proposant une relecture à la fois intime et collective de leur histoire.
En partenariat avec l’Office national des anciens combattants et des victimes de guerre (ONaCVG) et dans le prolongement d’une série de résidences qu’il a menées à travers la France dans chacun des dix hauts-lieux de la mémoire nationale, Nicolas Daubanes livre, dans la nef du Panthéon, sa mémoire de ces lieux à travers 5 installations d’une très grande intensité.
Les hauts-lieux de la mémoire nationale, placés sous la responsabilité du ministère des Armées et gérés par l’ONaCVG, perpétuent la mémoire des conflits contemporains et sont destinés au recueillement, à l’histoire et à la transmission. De son immersion dans ces environnements, Nicolas Daubanes a tiré des fragments de paysages, d’architectures ou de motifs, dont il révèle, dans ses créations la puissance d’évocation : dessins, tour monumentale, sculpture. Réalisés à la limaille de fer ou à la poudre d’acier, ses « dessins aimantés » sont des surfaces sensibles, sur lesquelles se projettent à la fois la matière de l’oeuvre et la mémoire d’un événement, celle de l’artiste mais aussi du spectateur. À l’image de la mémoire de chacun de ces hauts-lieux, cristallisée en un espace mais toujours vulnérable et menacée d’oubli, le matériau employé par l’artiste est dur, mais sa forme et sa fixation sont fragiles. Les œuvres de Nicolas Daubanes présentées dans l’exposition entrent directement en résonance avec les mémoires du Temple républicain qu’est le Panthéon. Tandis que l’une est créée pour évoquer spécifiquement le monument, d’autres rappellent le passage de Grands Hommes par certains des haut-lieux. L’artiste nous donne ainsi à voir le Mont-Valérien de Missak Manouchian et de ses camarades de Résistance, ou encore la prison de Montluc dans laquelle Jean Moulin fut interné.
Parallèlement à l’exposition du Panthéon, une seconde exposition personnelle de Nicolas Daubanes est proposée du 8 novembre 2025 au 17 mai 2026 au musée de l’Armée – Invalides. Elle rassemble des créations récentes de l’artiste, y compris certaines oeuvres réalisées au cours des résidences dans chacun des dix hauts-lieux de mémoire, qui seront présentées dans le parcours permanent du musée de l’Armée.
Entretien de Nicolas Daubanes avec Barbara Wolffer
administratrice du panthéon – Même un paysage tranquille – extrait
Barbara Wolffer : Votre exposition au Panthéon, qui s’intitule Ombre est lumière. Mémoires des lieux, a pour point de départ un travail sur les hauts lieux de la mémoire nationale. Ces dix lieux sont tous associés à un conflit contemporain, mais se singularisent par leur histoire et par leur forme : un site, un monument, un édifice… Comment les avez-vous abordés ?
Nicolas Daubanes : Les hauts lieux de la mémoire nationale sont de typologies variées. Certains sont des « lieux témoins », sortes d’archives architecturales – les événements s’y sont déroulés, comme à la prison de Montluc ou au Mont-Valérien. D’autres sont des gestes artistiques, tel le Mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, situé au pied de la tour Eiffel. Pour créer un lien entre ces différents sites, je me suis intéressé à la façon dont ils se présentent au public : quel récit nous est proposé ? Je me suis ainsi positionné comme un simple spectateur pour aborder ces lieux et en faire un travail artistique.
B.W. : Ce travail sera montré au Panthéon, lui-même édifice mémoriel. Et les personnalités qui y sont honorées ont parfois une histoire liée à ces hauts lieux, comme Jean Moulin, enfermé à la prison de Montluc, ou Missak Manouchian, exécuté au Mont-Valérien. Comment avez-vous pensé ce travail pour sa présentation au Panthéon ?
N.D. : J’ai souhaité créer un dialogue entre mouvement et immobilité. En effet, le récit qui nous est proposé dans les hauts lieux de mémoire est une mise en situation, un parcours, un cheminement. Dans chacun des dix sites, j’ai retrouvé cette idée de mobilité. Par exemple, les forêts qui ont poussé tout autour du camp de Natzweiler-Struthof et que l’on voit aujourd’hui étaient nettement moins présentes lors de sa période d’activité. Le Panthéon, a contrario, et en dépit de l’évolution de son histoire, donne le sentiment d’être une force immobile. J’ai ainsi construit pour ce monument un récit qui s’oriente vers l’idée d’une représentation « théâtrale ». J’ai voulu forcer le trait de la dimension temporaire de mes installations, en les présentant sur des échafaudages et en les « élevant » de manière théâtrale. Le Panthéon peut accueillir à l’échelle 1:1 les grands espaces que sont les couloirs de la prison de Montluc, les arbres de la forêt ceinturant le camp du Struthof, ou encore la clairière du Mont- Valérien. Ils sont également présentés dans une sorte de mouvement – y compris l’œuvre installée dans le bras sud du transept, qui reprend l’idée d’un panorama, archétype du dispositif de l’image racontant la guerre. Un vaste cercle déploie un ensemble de dessins sur verre mêlant plusieurs hauts lieux de la mémoire nationale, qui se superposent parfois. J’ai donc créé pour le Panthéon ce que l’on pourrait appeler de grands « paysages-mémoire ». […]
Actualité de Nicolas Daubanes
NICOLAS DAUBANES, UN ARTISTE CONTEMPORAIN AU MUSÉE DE L’ARMÉE
au musée de l’Armée – Invalides, Paris, du 8 novembre 2025 au 17 mai 2026.














