Agenda CulturelIncontournables 2Podcasts

🔊 “Paris noir” au Centre Pompidou, du 19 mars au 30 juin 2025

Partage


“Paris noir” Circulations artistiques
et luttes anticoloniales 1950 – 2000

au Centre Pompidou, Paris

du 19 mars au 30 juin 2025

Centre Pompidou


Entretien avec AurĂ©lien Bernard et Marie Siguier, attachĂ©.es de conservation, service de la crĂ©ation contemporaine et prospective, MusĂ©e national d’art moderne − Centre Pompidou, commissaires associĂ©.es de l'exposition, par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă  Paris, le 17 mars 2025, durĂ©e 32’19, © FranceFineArt.

PODCAST –  Entretien avec
Aurélien Bernard
et Marie Siguier, attachĂ©.es de conservation, service de la crĂ©ation contemporaine et prospective, MusĂ©e national d’art moderne − Centre Pompidou, commissaires associĂ©.es de l’exposition,


par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă  Paris, le 17 mars 2025, durĂ©e 32’19,
© FranceFineArt.


previous arrow
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
next arrow
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
Paris noir
previous arrow
next arrow
©Anne-Frédérique Fer, journée de tournage presse, le 17 mars 2025.

Extrait du communiqué de presse :

Roland DorcĂ©ly, LĂ©da et le cygne, 1958. Huile sur toile, 149 × 117 cm. Centre Pompidou, MusĂ©e national d’art moderne, Paris. Achat, 2023. AM 2023-179. Droits rĂ©servĂ©s. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Janeth Rodriguez-Garcia/Dist. GrandPalaisRmn.

Roland DorcĂ©ly, LĂ©da et le cygne, 1958. Huile sur toile, 149 × 117 cm. Centre Pompidou, MusĂ©e national d’art moderne, Paris. Achat, 2023. AM 2023-179. Droits rĂ©servĂ©s. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Janeth Rodriguez-Garcia/Dist. GrandPalaisRmn.

Raymond Saunders, Asking for Colors, Marie’s Gift [Demander des couleurs, cadeau de Marie], vers 2000. Bois, papiers dĂ©chirĂ©s, scotch, peinture et craie sur panneau, 148 × 122 cm. Centre Pompidou, MusĂ©e national d’art moderne, Paris. Don des Amis du Centre Pompidou, 2024. AM 2024-895. © The Estate of Raymond Saunders. All rights reserved. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Joseph Banderet/Dist. GrandPalaisRMN.

Raymond Saunders, Asking for Colors, Marie’s Gift [Demander des couleurs, cadeau de Marie], vers 2000. Bois, papiers dĂ©chirĂ©s, scotch, peinture et craie sur panneau, 148 × 122 cm. Centre Pompidou, MusĂ©e national d’art moderne, Paris. Don des Amis du Centre Pompidou, 2024. AM 2024-895. © The Estate of Raymond Saunders. All rights reserved. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Joseph Banderet/Dist. GrandPalaisRMN.

Papa Ibra Tall, Couple dans la nuit, vers 1965. Tapisserie en laine tissĂ©e, 221 × 162 cm. The Royal Collection/HM King Charles III. © Adagp, Paris, 2025. Photo © Royal Collection Enterprises Limited 2025 I Royal Collection Trust.

Papa Ibra Tall, Couple dans la nuit, vers 1965. Tapisserie en laine tissĂ©e, 221 × 162 cm. The Royal Collection/HM King Charles III. © Adagp, Paris, 2025. Photo © Royal Collection Enterprises Limited 2025 I Royal Collection Trust.

Gerard Sekoto, Self-portrait [Autoportrait], 1947. Huile sur carton, 45,7 × 35,6 cm. The Kilbourn Collection. © Estate of Gerard Sekoto/Adagp, Paris, 2025. Photo © Jacopo Salvi.

Gerard Sekoto, Self-portrait [Autoportrait], 1947. Huile sur carton, 45,7 × 35,6 cm. The Kilbourn Collection. © Estate of Gerard Sekoto/Adagp, Paris, 2025. Photo © Jacopo Salvi.

Ed Clark, Untitled (VĂ©theuil), 1967. Acrylique sur toile, 177,8 ‱ 208,3 cm. © The Estate of Ed Clark. Courtesy of the Estate and Hauser & Wirth. Photo Sarah Muehlbauer.

Ed Clark, Untitled (VĂ©theuil), 1967. Acrylique sur toile, 177,8 ‱ 208,3 cm. © The Estate of Ed Clark. Courtesy of the Estate and Hauser & Wirth. Photo Sarah Muehlbauer.

Commissariat :

Alicia Knock, conservatrice, cheffe du service de la crĂ©ation contemporaine et prospective, MusĂ©e national d’art moderne − Centre Pompidou.

Commissaires associĂ©.es : Éva Barois De Caevel, conservatrice, AurĂ©lien Bernard, Laure Chauvelot, et Marie Siguier, attachĂ©.es de conservation, service de la crĂ©ation contemporaine et prospective, MusĂ©e national d’art moderne − Centre Pompidou.




De la crĂ©ation de la revue PrĂ©sence africaine Ă  celle de Revue noire, l’exposition « Paris noir » retrace la prĂ©sence et l’influence des artistes noirs en France entre les annĂ©es 1950 et 2000. Elle met en lumiĂšre 150 artistes afro-descendants, de l’Afrique aux AmĂ©riques, dont les Ɠuvres n’ont souvent jamais Ă©tĂ© montrĂ©es en France.

« Paris noir » est une plongĂ©e vibrante dans un Paris cosmopolite, lieu de rĂ©sistance et de crĂ©ation, qui a donnĂ© naissance Ă  une grande variĂ©tĂ© de pratiques, allant de la prise de conscience identitaire Ă  la recherche de langages plastiques transculturels. Des abstractions internationales aux abstractions afro-atlantiques, en passant par le surrĂ©alisme et la figuration libre, cette traversĂ©e historique dĂ©voile l’importance des artistes afro-descendants dans la redĂ©finition des modernismes et post-modernismes.

Quatre installations produites spĂ©cifiquement pour « Paris noir » par ValĂ©rie John, Nathalie Leroy-FiĂ©vĂ©e, Jay Ramier et Shuck One, rythment le parcours en portant des regards contemporains sur cette mĂ©moire. Au centre de l’exposition, une matrice circulaire reprend le motif de l’Atlantique noir, ocĂ©an devenu disque, mĂ©tonymie de la CaraĂŻbe et du « Tout-Monde », selon la formule du poĂšte martiniquais, Édouard Glissant comme mĂ©taphore de l’espace parisien. Attentive aux circulations, aux rĂ©seaux comme aux liens d’amitiĂ©, l’exposition prend la forme d’une cartographie vivante et souvent inĂ©dite de Paris.

Une cartographie artistique transnationale

DĂšs les annĂ©es 1950, des artistes afro-amĂ©ricains et caribĂ©ens explorent Ă  Paris de nouvelles formes d’abstraction (Ed Clark, Beauford Delaney, Guido LlinĂĄs), tandis que des artistes du continent esquissent les premiers modernismes panafricains (Paul Ahyi, Skunder Boghossian, Christian Lattier, Demas Nwoko). De nouveaux mouvements artistiques infusent Ă  Paris, tels que celui du groupe Fwomaje (Martinique) ou le Vohou-vohou (CĂŽte d’Ivoire). L’exposition fait Ă©galement place aux premiĂšres mouvances post-coloniales dans les annĂ©es 1990, marquĂ©es par l’affirmation de la notion de mĂ©tissage en France.

Un hommage Ă  la scĂšne afro-descendante Ă  Paris

AprĂšs la Seconde Guerre mondiale, Paris devient un centre intellectuel oĂč convergent des figures comme James Baldwin, Suzanne et AimĂ© CĂ©saire ou encore LĂ©opold SĂ©dar Senghor qui y posent les fondations d’un avenir post et dĂ©colonial. L’exposition capte l’effervescence culturelle et politique de cette pĂ©riode, au coeur des luttes pour l’indĂ©pendance et des droits civiques aux États-Unis, en offrant une plongĂ©e unique dans les expressions plastiques de la nĂ©gritude, du panafricanisme et des mouvements transatlantiques.

Un parcours entre utopie et émancipation

Le parcours de l’exposition retrace un demi-siĂšcle de luttes pour l’émancipation, des indĂ©pendances africaines Ă  la chute de l’apartheid, en passant par les combats contre le racisme en France. « Paris noir » souligne la puissance esthĂ©tique et la force politique des artistes qui, Ă  travers leurs crĂ©ations, ont contestĂ© les rĂ©cits dominants et rĂ©inventĂ© un universalisme « des diffĂ©rences » dans un monde post-colonial. Cette toile de fond politique sert de contexte, et parfois de contour direct, Ă  certaines pratiques artistiques. En parallĂšle ou en contrepoint, se dĂ©ploient dans l’exposition des expĂ©rimentations plastiques souvent solitaires, mais qui trouvent dans le parcours des communautĂ©s esthĂ©tiques. Reconnu Ă  la fois comme espace majeur de formation artistique classique et comme centre d’expĂ©rimentation, Paris bĂ©nĂ©ficie d’une attractivitĂ© exceptionnelle pour les crĂ©ateurs, qu’ils soient de passage ou rĂ©sidents. La ville fonctionne comme un carrefour de rencontres et un point de circulation – notamment vers l’Afrique – propice Ă  l’affirmation de trajectoires transnationales.

Une programmation culturelle ambitieuse

L’exposition est accompagnĂ©e d’une riche programmation culturelle Ă  Paris et Ă  l’international. Des confĂ©rences, des publications et l’acquisition d’oeuvres par le MusĂ©e national d’art moderne, ainsi que d’archives au sein de la BibliothĂšque Kandinsky, grĂące au fonds « Paris noir », contribuent Ă  renforcer la visibilitĂ© des artistes noirs. Ces initiatives permettent Ă©galement de constituer une archive durable de la culture artistique et militante anticoloniale dans une institution nationale.


#ParisNoir – Catalogue de l’exposition – Paris noir. Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950-2000 sous la direction d’Alicia Knock, avec Éva Barois De Caevel, AurĂ©lien Bernard, Laure Chauvelot, et Marie Siguier.

Demas Nwoko, Senegalese Woman [Femme sĂ©nĂ©galaise], 1970. Huile sur panneau, 91,4 × 61 cm. Collection Kavita Chellaram. © Demas Nwoko, 1960. Courtesy of New Culture foundation. All rights reserved. Photo Courtesy kĂł, Lagos, Nigeria.

Demas Nwoko, Senegalese Woman [Femme sĂ©nĂ©galaise], 1970. Huile sur panneau, 91,4 × 61 cm. Collection Kavita Chellaram. © Demas Nwoko, 1960. Courtesy of New Culture foundation. All rights reserved. Photo Courtesy kĂł, Lagos, Nigeria.

Bob Thompson, The Struggle [La Lutte], 1963. Huile sur toile, 147,3 ‱ 198,1 cm. Courtesy of Michael Rosenfeld Gallery LLC, New York. © Michael Rosenfeld Gallery LLC, New York. Photo Courtesy of Michael Rosenfeld Gallery LLC, New York.

Bob Thompson, The Struggle [La Lutte], 1963. Huile sur toile, 147,3 ‱ 198,1 cm. Courtesy of Michael Rosenfeld Gallery LLC, New York. © Michael Rosenfeld Gallery LLC, New York. Photo Courtesy of Michael Rosenfeld Gallery LLC, New York.

Beauford Delaney, James Baldwin, vers 1945-1950. Huile sur toile, 61 ‱ 45,7 cm. Collection of halley k harrisburg and Michael Rosenfeld, New York. © Estate of Beauford Delaney, by permission of Derek L. Spratley, Esquire, Court Appointed Administrator, Courtesy of Michael Rosenfeld Gallery LLC, New York. Photo Courtesy of Michael Rosenfeld Gallery LLC, New York.

Beauford Delaney, James Baldwin, vers 1945-1950. Huile sur toile, 61 ‱ 45,7 cm. Collection of halley k harrisburg and Michael Rosenfeld, New York. © Estate of Beauford Delaney, by permission of Derek L. Spratley, Esquire, Court Appointed Administrator, Courtesy of Michael Rosenfeld Gallery LLC, New York. Photo Courtesy of Michael Rosenfeld Gallery LLC, New York.


Parcours de l’exposition

1 | Paris panafricain

Le Discours sur le colonialisme (1950) d’AimĂ© CĂ©saire puis le premier CongrĂšs des artistes et Ă©crivains noirs Ă  la Sorbonne (1956) permettent l’essor d’une pensĂ©e panafricaine et anticoloniale en France. Alors que la lutte pour les indĂ©pendances en Afrique se joint Ă  celle pour les droits civiques aux États-Unis, la dĂ©colonisation passe aussi par la culture. Les artistes adossent d’emblĂ©e leurs innovations Ă  une parole poĂ©tique et politique. L’écrivain amĂ©ricain James Baldwin, arrivĂ© Ă  Paris en 1948, s’entoure de nombreux artistes. AimĂ© et Suzanne CĂ©saire contribuent dans la revue Tropiques Ă  forger une identitĂ© martiniquaise libĂ©rĂ©e des stĂ©rĂ©otypes « doudouistes ». Les Ă©crivains haĂŻtiens RenĂ© Depestre et Jacques Stephen Alexis dĂ©finissent un rĂ©alisme merveilleux au-delĂ  des principes de l’art « spontanĂ© » haĂŻtien. Sur la rive gauche, les cafĂ©s, clubs de jazz et PrĂ©sence Africaine, maison d’édition fondĂ©e en 1947 par l’intellectuel sĂ©nĂ©galais Alioune Diop, façonnent une culture propre aux diasporas africaines. Une conscience internationale noire s’y forge autour des penseurs de la nĂ©gritude comme les poĂštes LĂ©opold SĂ©dar Senghor ou LĂ©on-Gontran Damas, et d’artistes modernes. Dans le contexte parisien s’affirme une identitĂ© complexe et en mouvement, croisant l’Afrique et le monde, l’ancien et le moderne, les cultures et les influences.

2 | Édouard Glissant

PremiĂšre salle dĂ©diĂ©e au poĂšte et philosophe Édouard Glissant, cet espace s’inscrit dans un disque conçu comme une matrice, et rĂ©interprĂšte le motif de l’Atlantique noir : l’ocĂ©an, Ă©voquant le « gouffre » de la traite transatlantique. MĂ©taphore de la CaraĂŻbe et du « Tout-Monde » (concept dĂ©veloppĂ© par Glissant) – il agit comme une reprĂ©sentation de l’espace parisien. Paris encourage en effet des rencontres interculturelles et une PoĂ©tique de la relation. Dans les annĂ©es 1950, Glissant publie Ă  Paris des ouvrages engagĂ©s comme La LĂ©zarde, ainsi que le recueil de poĂšmes Sang rivĂ© aux Ă©ditions PrĂ©sence Africaine. Il frĂ©quente la galerie du Dragon et Ă©crit sur le surrĂ©alisme mĂ©moriel des AmĂ©riques, notamment sur l’Ɠuvre de son ami, l’artiste cubain AgustĂ­n CĂĄrdenas. Il commente ses sculptures travaillĂ©es par un « Ă©tat d’absence », Ă©voquant des passages et des totems, qu’il compare Ă  la silhouette irrĂ©ductible de l’exilĂ© debout.

3 | Paris comme école

À Paris, « capitale des arts », l’attention des artistes Ă  l’histoire de l’art europĂ©en est cruciale. Venus se former dans les ateliers de Fernand LĂ©ger ou de Ossip Zadkine, dans les Ă©coles et les acadĂ©mies, les artistes frĂ©quentent le musĂ©e du Louvre et les collections d’art africain du musĂ©e de l’Homme. Ils procĂšdent Ă  des renversements historiographiques et Ă  des hybridations : « La peinture classique m’a beaucoup appris, mais les fauves aussi (
) leur palette parlait Ă  ce que j’avais apportĂ© d’Afrique », souligne le peintre Iba N’Diaye. Les artistes redĂ©couvrent l’art africain par le biais d’oeuvres modernes occidentales, dont le cubisme de Pablo Picasso, largement influencĂ© par l’art africain. Au-delĂ  de l’exercice acadĂ©mique, revisiter la peinture d’histoire, mythologique et religieuse, devient le moyen de reprĂ©senter l’expĂ©rience des communautĂ©s noires comme une Ă©mancipation artistique et politique. L’affirmation d’un regard subjectif et critique marque ainsi l’entrĂ©e dans l’histoire de l’art de figures noires historiques et contemporaines, jusqu’alors Ă©cartĂ©es.

4 | Surréalismes afro-atlantiques

Dans les annĂ©es 1940-1950 Ă  Paris, le surrĂ©alisme s’enrichit d’un vocabulaire afro-atlantique influencĂ© par les Ă©changes historiques et culturels entre l’Afrique et les AmĂ©riques. Wifredo Lam, artiste cubain, en est la figure centrale aprĂšs des voyages Ă  Cuba, en Martinique et en HaĂŻti. Sa rencontre avec le poĂšte AimĂ© CĂ©saire influence profondĂ©ment sa vision du surrĂ©alisme, qu’il transforme en outil politique et poĂ©tique. Lam dĂ©veloppe un style unique mĂȘlant totĂ©misme anticolonial et iconographie inspirĂ©e de la nature. Cette approche apporte une dimension Ă©cologique et dĂ©colonisatrice au surrĂ©alisme. Il s’inspire de l’histoire des marrons, esclaves qui ont fui les plantations, pour crĂ©er des formes tropicales qui renouvellent la reprĂ©sentation des paysages caribĂ©ens, marquĂ©s par l’exploitation coloniale. Certains artistes, en peuplant leurs oeuvres d’ossements et de visions intĂ©rieures, travaillent « l’ĂȘtre intĂ©rieur fondamental » tel que CĂ©saire dĂ©finit le surrĂ©alisme pour la Martinique. L’intĂ©gration d’écritures afro-atlantiques et de symboles, parfois issus du contact direct avec les objets africains, donne naissance Ă  des abstractions-signes dans l’imaginaire surrĂ©aliste.

5 | Le saut dans l’abstraction

DĂšs les annĂ©es 1950, les artistes, en quĂȘte d’expression libre, renouvellent les tendances abstraites de l’école internationale de Paris, qu’ils exposent dans la galerie-coopĂ©rative amĂ©ricaine Galerie Huit ou plus tard, dans la galerie Darthea Speyer. Une attention Ă  la construction de l’image encourage les artistes Ă  travailler la perspective et Ă  recomposer l’espace pictural. Ceci se traduit Ă©galement dans des pratiques sculpturales rĂ©alisĂ©es Ă  partir d’assemblages de matĂ©riaux rĂ©cupĂ©rĂ©s, nourrissant une esthĂ©tique composite. Les procĂ©dĂ©s du jazz comme le collage, l’improvisation et le dialogue direct avec la danse, conduisant Ă  des abstractions gestuelles. InfluencĂ©s par la rencontre avec les oeuvres de Claude Monet et les vitraux des cathĂ©drales, plusieurs artistes, dans un aller-retour fĂ©cond avec New York, tĂ©moignent alors d’une pratique expressionniste oĂč la lumiĂšre a « le pouvoir d’illuminer, de rĂ©concilier et de guĂ©rir » (Baldwin). Cette rĂ©invention de l’abstraction vient corriger certaines gĂ©nĂ©alogies esthĂ©tiques comme celle de l’expressionnisme abstrait, mouvement amĂ©ricain directement issu de la culture atlantique du jazz.

6 | Paris Dakar Lagos

L’aprĂšs-guerre voit Paris traversĂ© par des expositions encore marquĂ©es par l’imaginaire colonial et organisĂ©es par des EuropĂ©ens vivant en Afrique, oĂč Ă©mergent cependant des artistes modernes. Ainsi, l’école congolaise de Poto-Poto est mise Ă  l’honneur Ă  Paris puis Ă  Rome, avant de devenir une des branches de l’école de Dakar. D’autres mouvements (Shona au Zimbabwe, Osogbo au NigĂ©ria) bĂ©nĂ©ficient d’expositions parisiennes. Leurs ambassadeurs, le curateur anglais Frank McEwen et l’éditeur allemand Ulli Beier, souhaitent remettre l’Afrique sur le chemin d’une « authenticitĂ© » parfois fantasmĂ©e. À Dakar, le Festival mondial des arts nĂšgres de 1966 met Ă  l’honneur de nombreux artistes formĂ©s Ă  Paris. La capitale française constitue aussi un point de transit pour les artistes qui circulent activement entre Le Caire, Lagos et Dakar dans les annĂ©es 1960. Le contact avec le continent africain les pousse Ă  dĂ©velopper un nouveau rapport aux couleurs et une symbolique spĂ©cifique, notamment par la rencontre avec l’Égypte, assise civilisationnelle incontournable selon la pensĂ©e afro-centriste de Cheikh Anta Diop. En Afrique, les artistes ont Ă  coeur de mettre en oeuvre, parfois grĂące aux techniques dĂ©veloppĂ©es en Europe, des philosophies africaines transformatrices pour la sociĂ©tĂ©.

7 | Solidarités révolutionnaires

Dans les annĂ©es 1960, des formes Ă©clatĂ©es de panafricanisme culturel se font les Ă©chos parfois dissonants d’une culture militante Ă  Paris. Suite Ă  la guerre menĂ©e par la France en AlgĂ©rie, la capitale française voit la marche pour les droits civiques organisĂ©e en 1963 par Baldwin, dĂ©fenseur de la condition noire. Mai 68, qui suit les Ă©vĂ©nements contestataires de mai 1967 en Guadeloupe, s’accompagne de prises de parole contre les oppressions du « Tiers-monde ». Les artistes amĂ©ricains en exil rĂ©investissent leurs abstractions de rĂ©fĂ©rences engagĂ©es. En parallĂšle, les oeuvres indĂ©pendantistes antillaises s’affirment au son du gwoka, musique percussive qui accompagne les contestations sociales en Guadeloupe depuis l’esclavage. PortĂ©s par la revue Tricontinental, des rĂ©seaux de soutien au Sud global, investis d’idĂ©aux communistes, se constituent en opposition au modĂšle capitaliste. En 1969, le Festival Panafricain d’Alger rassemble artistes, intellectuels, musiciens et militants – dont des membres du Black Panther Party – dans une effervescence teintĂ©e des premiĂšres dĂ©sillusions post-coloniales. Le surrĂ©alisme y rencontre le free jazz chez des figures parisiennes comme Ted Joans et Archie Shepp, tandis que circule un théùtre anticolonial autour d’AimĂ© CĂ©saire et de Kateb Yacine.

8 | Jazz – Free Jazz

L’émergence du jazz au dĂ©but du 20e siĂšcle puis du free jazz dans les annĂ©es 1960 influence profondĂ©ment les artistes visuels Ă  Paris. De nombreux crĂ©ateurs sont eux-mĂȘmes musiciens. Cette forme d’expression libre se manifeste dans leurs techniques, telles que le collage ou l’improvisation, et dans leurs thĂšmes, Ă  travers de nombreux portraits de musiciens Ă©galement actifs dans la lutte pour l’émancipation. Leurs reprĂ©sentations du monde musical tĂ©moignent de la performance d’une conscience noire collective, mĂȘlant cĂ©lĂ©bration et rĂ©sistance. Ces Ɠuvres plastiques, comme certaines pratiques poĂ©tiques ou performatives, participent d’un processus de reconstruction mĂ©morielle et d’affirmation de soi.

9 | Retours vers l’Afrique

Dans les annĂ©es 1960 et 1970, les artistes caribĂ©ens, pour certains formĂ©s Ă  l’universitĂ© de Vincennes, travaillent Ă  des formes d’abstraction hantĂ©es par l’idĂ©e de retour vers l’Afrique, passant par une recherche expĂ©rimentale de matiĂšres et par une attention constante Ă  la vitalitĂ© des formes. À Abidjan dans les annĂ©es 1970, les artistes martiniquais Serge HĂ©lĂ©non et Louis Laouchez fondent l’école nĂ©gro-caraĂŻbe. Ils dĂ©veloppent une nouvelle matĂ©rialitĂ© enrichie d’élĂ©ments de rĂ©cupĂ©ration dans des oeuvres peuplĂ©es de silhouettes anthropomorphiques et de signes. Depuis la CĂŽte d’Ivoire, ils forment les artistes du mouvement vohou-vohou, qui poursuivent leur formation Ă  Paris dans l’atelier de Jacques Yankel Ă  l’école des Beaux-Arts. Au mĂȘme moment, le groupe FwomajĂ©, Ă  la recherche d’une esthĂ©tique martiniquaise, se nourrit de rĂ©fĂ©rences africaines, amĂ©rindiennes ou vaudoues, et entre en relation avec le groupe amĂ©ricain afro-centriste AfriCOBRA. D’autres formes d’abstractions-traces voient le jour en Guyane. Ces retours vers l’Afrique dĂ©bouchent cependant sur d’autres dĂ©tours, dans l’esprit du « Tout-Monde » d’Édouard Glissant.

10 | Le Tout-Monde d’Édouard Glissant

L’écrivain et penseur martiniquais Édouard Glissant partage son temps entre Paris et Fort-de France dans les annĂ©es 1970. En 1981, il publie sa thĂšse Le Discours antillais, une Ă©tude socio historique de la Martinique qui explore notamment l’oralitĂ©. L’exposition « Soleil noir » de son ami l’artiste Victor Anicet, qui a lieu en Martinique en 1970, prĂ©figure ses idĂ©es. À partir de 1982, il dirige Le Courrier de l’Unesco, ce qui lui permet de poursuivre une rĂ©flexion transatlantique et transafricaine. Avec l’aide de ses collĂšgues le poĂšte et romancier haĂŻtien RenĂ© Depestre et l’homme politique sĂ©nĂ©galais Amadou-Mahtar M’Bow, il en fait un laboratoire d’émancipation des Suds, Ă  la suite de sa revue pionniĂšre Acoma. Il y met en avant une communautĂ© du « Tout-Monde » travaillant Ă  Paris « la mĂ©moire de plusieurs continents et de multiples histoires ».

11 | Nouvelles Abstractions

Dans les annĂ©es 1980, une nouvelle gĂ©nĂ©ration d’artistes femmes africaines-amĂ©ricaines bĂ©nĂ©ficie de bourses, poursuivant le dialogue franco-amĂ©ricain autour de l’abstraction. Leurs oeuvres proposent une réécriture critique de l’histoire moderniste et oscillent entre engagement fĂ©ministe, effacement et affirmation de soi. ParallĂšlement, des artistes caribĂ©ens Ă©laborent Ă  Paris des abstractions conceptuelles, explorant le noir, le blanc et la ligne de couleur, prĂ©lude Ă  l’intĂ©gration d’autres gammes chromatiques. Leurs oeuvres tridimensionnelles, prenant parfois la boĂźte comme motif plastique et conceptuel, ouvrent un espace poĂ©tique d’opacitĂ©, tout en rĂ©activant le dĂ©bat conceptuel sur l’usage du noir, prĂ©sent dans l’art africain-amĂ©ricain depuis les annĂ©es 1960.

12 | Affirmations de soi

Dans les annĂ©es 1970, la rĂ©putation de terre d’accueil de Paris est mise en cause, alors qu’éclatent les grĂšves des foyers de travailleurs immigrĂ©s, dont plusieurs photographes et cinĂ©astes rĂ©vĂšlent les conditions de vie. Le Bureau pour le dĂ©veloppement des migrations intĂ©ressant les dĂ©partements d’outre-mer (Bumidom) encadre depuis 1963 la venue de travailleurs depuis les Outre-mer, et parmi eux, celle d’artistes guadeloupĂ©ens et martiniquais. Les reprĂ©sentations du corps noir s’affirment Ă  travers des pratiques picturales, photographiques ou issues du monde de la mode. Alors que la chanteuse et mannequin Grace Jones fait l’ouverture du club Le Palace, incarnant la ferveur des nuits parisiennes des annĂ©es 1980, les artistes rĂ©inventent la tradition de l’autoportrait et du portrait. Ils honorent des figures historiques de rĂ©sistance, comme les anciens esclaves marrons, et revisitent des icĂŽnes parisiennes contemporaines comme la danseuse JosĂ©phine Baker. Ces esthĂ©tiques militantes permettent alors de reprendre possession des reprĂ©sentations de soi au moment de l’apogĂ©e de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud et de l’organisation de Marches de luttes pour l’égalitĂ© et contre le racisme, dont le Centre Pompidou se fait le forum en tant que place publique.

13 | Rites et mĂ©moires de l’esclavage

Paris, point d’ancrage de l’histoire culturelle noire et point de passage de ses diasporas, se prĂȘte Ă  partir des annĂ©es 1970 Ă  des relectures critiques de l’histoire. Des commĂ©morations organisĂ©es par l’État sont ainsi l’occasion pour de nombreux artistes d’interroger le modĂšle universel français. Le bicentenaire de la RĂ©volution française en 1989 voit de nombreuses manifestations s’orchestrer, honorant aussi bien la rĂ©volution haĂŻtienne que la Jeunesse communiste internationale. En 1994, alors qu’est Ă©galement cĂ©lĂ©brĂ© le bicentenaire de la premiĂšre abolition de l’esclavage, des reprĂ©sentations liĂ©es Ă  l’histoire du marronnage se dĂ©veloppent. Autour de l’exposition « Rites » Ă  La Villette, organisĂ©e par l’écrivaine et professeure Delia Blanco, de nouvelles figures de rĂ©sistance entrent dans l’histoire, alors que l’abstraction s’exprime chez certains artistes par une gĂ©omĂ©trie triangulaire liĂ©e Ă  l’histoire de la traite. ConformĂ©ment au processus de reconstruction historique explicitĂ© par Édouard Glissant, cette mouvance exprime le devoir de mĂ©moire et le refus de l’oubli, pour cheminer vers la dĂ©finition d’un nouvel universalisme « de la diffĂ©rence ».

14 | Syncrétismes parisiens

Les abstractions syncrĂ©tiques se poursuivent dans des recherches de textures, oĂč la mĂ©moire des scarifications rituelles croise l’émergence contemporaine du graffiti. Se propageant de New York Ă  Paris grĂące Ă  des artistes comme Jean-Michel Basquiat, le graffiti est le fruit d’une culture underground convoquant Ă  la fois la peinture rupestre et la symbolique africaine. D’autres artistes travaillent l’assemblage dans une esthĂ©tique qui rĂ©cupĂšre et recycle les rebuts de la sociĂ©tĂ© de consommation. Une dimension spirituelle se dĂ©gage de leurs oeuvres, qui mettent en scĂšne des mondes intermĂ©diaires peuplĂ©s de figures mythologiques. Plusieurs artistes femmes investissent ces thĂ©matiques, confirmant par leur travail un attachement aux questions de transmission et d’appartenance auxquelles s’ajoutent des mythologies intimes et fĂ©minines. Ces syncrĂ©tismes conduisent Ă  la production de formes transculturelles et ancestrales, affirmant non seulement la quĂȘte d’unitĂ© civilisationnelle mais aussi la reconquĂȘte d’un processus de transmission, aprĂšs les fractures de la colonisation.

15 | Les nouveaux lieux du Paris noir

À Paris, dans les annĂ©es 1980-1990, de nouvelles structures collectives artistiques s’ouvrent aux cultures urbaines, de la mode et de la musique – notamment africaines, alors en pleine lumiĂšre. Des initiatives Ă©mergent, telles que l’association Wifredo Lam, les arts du monde, les galeries L’intemporel ou Black New Arts, les ateliers partagĂ©s des Frigos ou de l’HĂŽpital ÉphĂ©mĂšre, tĂ©moignant d’une volontĂ© d’auto-organisation. Les associations Afrique en CrĂ©ations ou Revue Noire oeuvrent quant Ă  elles Ă  dĂ©velopper des liens pĂ©rennes entre la France et l’Afrique. L’artiste Raymond Saunders organise l’exposition « Paris Connections » et la confĂ©rence « A Visual Arts Encounter: African Americans & Europe » rĂ©unissant plusieurs gĂ©nĂ©rations d’expatriĂ©s africains-amĂ©ricains. Certains espaces alternatifs comme le Monde de l’art, en contrepoint des galeries commerciales, ouvrent la voie Ă  de nouveaux Ă©changes entre les Suds, permettant aux artistes d’exister sur la scĂšne parisienne et internationale.