đ âAlberto Giacometti / Salvador DalĂâ Jardins de rĂȘves, Ă lâInstitut Giacometti, Paris, du 13 dĂ©cembre 2022 au 9 avril 2023
âAlberto Giacometti / Salvador DalĂâÂ
Jardins de rĂȘves
Ă lâInstitut Giacometti, Paris
du 13 décembre 2022 au 9 avril 2023
PODCAST –Â Interview de Ămilie Bouvard, directrice scientifique et des collections, Fondation Giacometti, et commissaire de lâexposition,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 12 dĂ©cembre 2022, durĂ©e 24â29. © FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :
Commissaire :Â
Ămilie Bouvard, directrice scientifique et des collections, Fondation Giacometti
Lâexposition « Jardins de rĂȘves » associe de maniĂšre inĂ©dite le travail dâAlberto Giacometti et de Salvador DalĂ autour de la crĂ©ation dâun jardin imaginaire tout au dĂ©but des annĂ©es 1930. Giacometti et DalĂ, membres du groupe surrĂ©aliste, frĂ©quentent alors les mĂȘmes cercles. L’Ă©change entre eux est vif, intellectuel, crĂ©atif, et leurs oeuvres entrent dans un dialogue fĂ©cond. Cette exposition met en lumiĂšre leur amitiĂ© ainsi que leur goĂ»t commun pour lâexploration dâespaces rĂȘvĂ©s.
Au dĂ©but des annĂ©es 1930, Giacometti et DalĂ imaginent en commun un jardin extraordinaire pour le vicomte et la vicomtesse de Noailles. Ce projet Ă quatre mains, connu par des dessins, comporte des Ćuvres surrĂ©alistes de Giacometti dans un vaste paysage onirique caractĂ©ristique du style de DalĂ. Ce paysage fantasmĂ© intĂšgre aussi un environnement sculptural conçu par Giacometti pour un espace en plein air, le Projet pour une place.
#GiacomettiDali
Ă lâoccasion de cette exposition, lâInstitut Giacometti prĂ©sente pour la premiĂšre fois la reconstitution du Projet pour une place. Installation de grande ampleur, ce chef-dâĆuvre Ă©laborĂ© en 1931, illustre la conception du jardin que partagent Giacometti et DalĂ et leur goĂ»t pour les formes ainsi que les images ambiguĂ«s…
Des prĂȘts exceptionnels montrent les Ă©chos de cette thĂ©matique dans les peintures, sculptures et dessins des deux artistes. Des oeuvres majeures du peintre catalan telles que La Vache spectrale (1928, Centre Pompidou, musĂ©e national dâart moderne), La MĂ©moire de la femme-enfant (1929, MusĂ©e Reina Sofia, Madrid), Ensemble masochiste (1931, collection privĂ©e), et Femme Ă tĂȘte de roses (1935, Kunsthaus, ZuĂŒrich), font Ă©cho aux oeuvres surrĂ©alistes du sculpteur suisse. « Jardins de rĂȘves » explore ainsi les liens profonds entre les toiles oniriques de DalĂ et les sculptures Ă©nigmatiques de Giacometti, habitĂ©es par une mĂȘme recherche autour du paysage, de la sexualitĂ© et du songe.
Un ouvrage de 192 pages, richement illustrĂ©, co-Ă©ditĂ© par la Fondation Giacometti et FAGE Ă©ditions, Lyon, bilingue français/anglais, accompagne lâexposition.
Lâexposition sera prĂ©sentĂ©e au Kunsthaus ZuĂŒrich, en Suisse, du 14 avril au 2 juillet 2023. Commissaires : Ămilie Bouvard et Philippe BĂŒttner
PRĂSENTATION DE L’EXPOSITION
Introduction par Ămilie Bouvard, commissaire â extrait du catalogue en , co-Ă©ditĂ© par la Fondation Giacometti et FAGE Ă©ditions
Salvador Dalà et Alberto Giacometti. Affinités électives.
Salvador DalĂ et Alberto Giacometti se rencontrent au sein des cercles surrĂ©alistes qui gravitent autour de Marie-Laure et Charles de Noailles. Grands mĂ©cĂšnes et collectionneurs dâart ancien et moderne, sensibles aux formes artistiques les plus avant-gardistes et provocantes de leur temps, ceux-ci soutiennent les projets cinĂ©matographiques de Luis Buñuel et DalĂ (Un chien andalou, 1929, LâĂge dâor, 1930), et acquiĂšrent parmi les premiers plusieurs peintures du peintre espagnol et des Giacometti. Ils commandent Ă ce dernier une sculpture pour le jardin de leur Villa de HyĂšres, qui sera exĂ©cutĂ©e au printemps 1931. En juin de la mĂȘme annĂ©e, DalĂ dĂ©couvre fascinĂ© la Boule suspendue (en bois) que Giacometti expose, accompagnĂ©e dâune maquette dâun Projet pour une place (en bois, visible dans la grande salle), dans une exposition collective Ă la Galerie Pierre.
La relation entre les deux hommes connaĂźt sa plus grande intensitĂ© au cours de cette annĂ©e 1931-1932. Les sculptures de Giacometti stimulent lâinventivitĂ© thĂ©orique de DalĂ qui publie en dĂ©cembre 1931 son essai sur les « Objets Ă fonctionnement symbolique », dĂ©finissant la sculpture surrĂ©aliste. Peut-ĂȘtre Ă lâinvitation des Noailles, DalĂ et Giacometti imaginent un jardin extraordinaire pour une de leurs villas. Biomorphique, usant de jeux dâillusions, apte Ă susciter de multiples sensations physiques et Ă stimuler lâimaginaire fantasmatique, ce « parc » de rĂȘve dessinĂ© par DalĂ intĂšgre des Ćuvres agrandies de Giacometti, dont le Projet pour une place quâon appelle alors « Projet pour un jardin ». Lâun comme lâautre cherche Ă crĂ©er, de maniĂšre inĂ©dite des sculptures sur lesquelles on marche, que lâon manipule, que lâon dĂ©place, avec lesquelles on joue, laissant parler librement lâinconscient et les plaisirs corporels.
« Parc dâattractions, basĂ© sur la rĂ©alisation de dĂ©sirs â dĂ©sirs de marcher, monter, sâasseoir, rentrer dans les trous et que jamais ne nous sont offerts ni dans la rĂ©alitĂ© ni dans lâart, produit de lâesprit rationalisĂ©, architecture ou attractions et basĂ© uniquement sur les fantasmes et reprĂ©sentations inconscientes, endormiront le sentiment de retour, attraction de la vie intra-utĂ©rine â imaginĂ© pour ĂȘtre rĂ©digĂ© incolore, plĂątre blanchi Ă la chaux. 1. Objet de la boule de Giacometti. 2. Objet recouvert de toile dĂ©jĂ existant. 3. Cylindre construit en une armature de bois recouvert de toile, Ă lâintĂ©rieur pendu
dâun axe des boules de plomb, en laissant rouler par la pente, celles-ci cognent les murs de toile du cylindre lui provoquant un mouvement saccadĂ© trĂšs caractĂ©ristique et vite Ă la fin du parcours, il roule encore un mĂštre par inertie sur un bassin de farine. 4. SiĂšge oĂč il y a marquĂ© la forme des fesses, une pointe trĂšs fine et presque imperceptible au centre. » Salvador DalĂ, texte inscrit sur le dessin Fun Fair, 1932
Les affinitĂ©s sont nombreuses entre les deux hommes dont les oeuvres se rĂ©pondent sur bien des aspects dĂšs la fin des annĂ©es 1920, tous deux attachĂ©s Ă une expĂ©rience radicale de vision et dâexploration des pulsions, habitĂ©s par une mĂȘme recherche autour du paysage, de la sexualitĂ© et du songe. AprĂšs leur rencontre, ce jeu de regard croisĂ© sâintensifie, Ă la mesure de lâestime stimulante quâils Ă©prouvent lâun pour lâautre et qui traverse les diffĂ©rentes crises que rencontre le mouvement surrĂ©aliste : Affaire Aragon en 1932, qui engage lâhistoire complexe des relations entre le mouvement surrĂ©aliste et le Parti communiste ; affaire du Guillaume Tell en 1934, une peinture de DalĂ qui montre LĂ©nine, la fesse transformĂ©e en long pĂ©nis mou (Giacometti soutient DalĂ face Ă Breton) ; rupture finale de Giacometti avec le mouvement en 1935. Mais le surrĂ©alisme revendique toujours les deux artistes, les rassemblant, mĂȘme aprĂšs cette date, dans diverses expositions. Ils se retrouvent aussi dans le cercle du dĂ©corateur Jean-Michel Frank et de la couturiĂšre Elsa Schiaparelli.
Projets pour un jardin le projet pour une place, Alberto Giacometti
« Il ne sâagissait plus de prĂ©senter une figure extĂ©rieurement ressemblante, mais de vivre et de ne rĂ©aliser que ce qui mâavait affectĂ©, ou que je dĂ©sirais. Mais tout ceci alternait, se contredisait et continuait par contraste. DĂ©sir aussi de trouver une solution entre les choses pleines et calmes et aiguĂ«s et violentes. [âŠ] Maquette pour une grande sculpture dans un jardin, je voulais quâon puisse marcher sur la sculpture sây asse[oir] et sây appuyer. » Alberto Giacometti, Lettre Ă Pierre Matisse, 1948.
La reconstitution documentaire du Projet pour une place est une expĂ©rience inĂ©dite rendue possible par lâexposition. Giacometti, probablement au cours de lâannĂ©e 1931- 1932, rĂ©alise une maquette en plĂątre (aujourdâhui disparue) et une maquette en bois (Collection Peggy Guggenheim, Venise) de petite taille, puis une maquette de grand format en plĂątre dont seul le CĂŽne subsiste (Centre Pompidou, musĂ©e national dâart moderne). Un important travail documentaire rĂ©alisĂ© par la Fondation Giacometti Ă partir des archives et carnets de lâartiste a permis de reconstituer les Ă©lĂ©ments disparus et de recrĂ©er une version de la grande maquette.
Le Projet pour une place de Giacometti a Ă©tĂ© maintes fois commentĂ©. Trois interprĂ©tations sont communĂ©ment admises. Il sâagirait dâune reprĂ©sentation symbolique du jardin dâĂden et de lâĂ©pisode du serpent tentateur descendu de lâarbre (la StĂšle) ou sortant de terre (le Creux sur la maquette), Adam (le CĂŽne) et Ăve (la Demi-SphĂšre) se tenant de part et dâautre. Cette interprĂ©tation rĂ©vĂšle lâinquiĂ©tude sourde associĂ©e Ă la sexualitĂ© et le sentiment de danger qui Ă©manent indirectement du Projet, exploitĂ©s dans les textes de DalĂ et de Giacometti publiĂ©s dans les revues surrĂ©alistes de lâĂ©poque.
Elle entraĂźne une seconde lecture : celle dâun paysage sexuel, protubĂ©rances pĂ©niennes et mammaires alternant avec des creux. La derniĂšre interprĂ©tation du Projet est celle dâune image double, selon une logique « paranoĂŻaque » au sens oĂč DalĂ lâentend, et sur le modĂšle de la TĂȘte- Paysage. On y a vu un visage Ă©mergeant du sol (front/ menton, nez, orbite/globes oculaires). Ces deux derniĂšres lectures font Ă©cho Ă dâautres oeuvres contemporaines de Giacometti, telle Trois yeux, deux bras.
Le projet pour les Noailles, DalĂ et Giacometti
A la mĂȘme Ă©poque, DalĂ et Giacometti conçoivent un projet commun de jardin pour les Noailles, connu uniquement par des dessins de lâun et de lâautre. InspirĂ© certainement des jardins illusionnistes de la Renaissance (le Sacro Bosco ou parc des monstres de Bomarzo au nord de Rome, la grotte de Buontalenti derriĂšre le Palais Pitti Ă Florence), ce projet intĂšgre dans un paysage biomorphe dalinien plusieurs oeuvres de Giacometti, dont le Projet pour une place. Parmi les oeuvres de Giacometti, sont privilĂ©giĂ©es celles qui Ă©voquent la sexualitĂ© : La Boule suspendue (1931), LâObjet dĂ©sagrĂ©able Ă jeter (1931). Paysages Ă©rotiques, corps renversĂ©s et arpentĂ©s, ce jardin ainsi que le Projet pour une place seraient, avant ceux de Jean Dubuffet, dâIsamu Noguchi et de Niki de Saint-Phalle, parmi les premiĂšres sculptures praticables de lâhistoire de lâart.
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