“le petit sou du samedi” manuel scolaire (1956), texte Pierre Menanteau, illustrations José et Jean-Marie Granier
“le petit sou du samedi” manuel scolaire (1956)
texte Pierre Menanteau, illustrations José et Jean-Marie Granier
aux éditions Les Nouvelles Presses Française
texte de Françoise Schmid, rédactrice pour FranceFineArt.
Pierre Menanteau est un poète français (1885-1992) par ailleurs auteur d’anthologies et florilèges ainsi que d’ouvrages destinés aux enfants des écoles. Il fut instituteur puis, inspecteur de l’Education nationale. C’est la dimension d’écrivain et de pédagogue qui a donné lieu à l’écriture de plusieurs ouvrages de lecture jeunesse auxquels sont consacrées ces lignes, plus particulièrement au Petit sou du samedi, paru aux éditions Nouvelles presses de France, à Paris en 1956.
Autant dire tout de suite que la maison d’édition a rapidement disparu et que les livres de lecture de Menanteau n’ont pas eu la notoriété escomptée, victimes d’un phénomène éditorial nouveau : le tournant des années soixante correspond à l’émergence paradoxale d’un livre jeunesse de petits éditeurs, délibérément affranchis des contraintes idéologiques du livre scolaire et d’autre part la domination des gros éditeurs qui en normalisent la production. Mais pourquoi retenir aujourd’hui un livre à peu près introuvable et qui a peu de chance d’être réédité ? A la fois pour un texte et son illustration (due à José et Jean-Marie Granier) qui, à l’analyse, ont une grande cohérence dans le projet.
L’auteur met en scène une famille dont le père est l’instituteur d’un village de Vendée et le petit Jacques Poisbelaud, l’alter ego de l’écrivain. Inspiré de souvenirs d’enfance, ce récit se situe dans les années 1900, le monde est vu par les yeux du petit Jacques. Comme dans le célèbre Le Tour de la France par deux enfants, paru en 1877, ce texte a une visée pédagogique. Les descriptions ont la précision d’une « leçon de choses », valeurs morales et républicaines sont présentes, celles que les instituteurs avaient pour mission de transmettre. La ressemblance s’arrête là. Si cet écrit, publié en 1956, se situe à peu près à la même époque, dans une société rurale, après l’avènement de la révolution industrielle, il aborde le monde de l’enfance de façon différente, voire opposée. L’idéologie du Tour de France, patriotique jusqu’à satiété, qui fait l’apologie des grands hommes, militaires ou savants et qui stipule que les deux enfants protagonistes du voyage sont des modèles de sagesse et de vertu, est bien démodée. Les théories de l’Education nouvelle sont passées par là. Le petit sou du samedi, récit à consonance biographique, rend vivants et humains les personnages : les enfants ne sont pas des modèles parfaits ; ils sont éduqués mais font aussi des bêtises. La rigueur est enseignée mais laisse sa place à la poésie et à l’imaginaire.
Les illustrateurs on suivit un chemin similaire. Le dessin de ligne claire est très référencé. Malgré la pauvreté de moyen mis à disposition par l’éditeur, un seul passage de couleur, le dessin est précis, objets ou animaux ont des caractéristiques reconnaissables et documentées, ce qui n’ôte pas la fantaisie qui habite bien des pages, à l’instar du regard malicieux que suggère souvent le texte.
De l’art des titres
Divisé en chapitre ou séquence de lecture suivie, le récit ménage les chutes et le suspens. Un exemple de titre : « Chapitre III. Qui raconte les événements d’un certain jeudi, et, en particulier, l’épisode du parapluie bleu barbeau. » Puis : « Chapitre IV. Qui fait suite au précédent et raconte le dramatique épisode de la soupe grasse. » La psychologie enfantine et celle des adultes est mise en scène, les événements d’importance ou anecdotiques font surgir le cadre de vie, la société dans laquelle ils vivent. Chaque séquence est accompagnée de didascalies pour lire et comprendre le texte ainsi que des suggestions d’activités. Néanmoins, ce volet pédagogique ne requiert pas ici notre attention.
L’apprentissage.
Celui des enfants bien sûr, on pense aux bancs de l’école et à la blouse noire, ici de couleur bleue sur les illustrations monochromes. L’observation de la nature est omniprésente dans ce monde rural, avec ses poules, ses jardins, mais aussi celle des métiers et des savoir-faire. L’éducation n’est pas seulement livresque, quand bien même science et littérature sont tenues en grande estime, l’humble savoir des artisans, des jardiniers y participe.
A l’opposé de la société de consommation, les enfants ont peu de jouets mais leur est ouverte une nature riche à explorer. La récompense suprême résidant dans les images, celle des bons points, celles des réclames du pharmacien ou du catalogue d’étrennes. Créer son propre livre d’images est une activité enthousiasmante pour les enfants curieux, débordant d’initiative pour arriver à leurs fins, elle constitue le fil sous-jacent du récit. L’apprentissage est aussi celui des parents, parfois confrontés au dilemme d’asseoir leur autorité et de satisfaire les désirs de leur enfant. Un épisode savoureux qu’illustre dans toute son ambiguïté, l’image de la page 82, relate l’achat d’un cheval-tricycle par le père, pris en otage entre le désespoir sonore de l’enfant qui veut ce jouet non prévu, les rires des clients et l’insistance du vendeur. Racontée de multiple fois dans la famille par le père lui-même, qui en garde une mémoire tendre et amusée, l’histoire ne manque pas de rappeler l’admonestation adressée au gamin une fois sortis du magasin…
Le plus important doit être l’acquisition des valeurs morales. Jacques Poisbelaud, par exemple, illustre l’intériorisation de la valeur d’honnêteté : pour enrichir le fameux album de sa sœur malade, il dérobe une image à un camarade. Saisi de remords, il va s’ingénier à restituer l’objet, sous les remontrances émues de la sœur, sensible à la part de générosité qui a suscité le larcin. L’illustration, là encore est en adéquation avec le texte (p. 162). Mais l’univers enfantin n’est pas sans heurts et difficultés ! En témoigne une vraie leçon de grammaire par conflit d’intérêt interposé : Madeleine a reçu en main propre l’album tant désiré, destiné à recevoir les images dont les enfants font depuis des mois la collection. Tout soudain, les images deviennent dans sa bouche « mes images », l’album « mon album », alors que pour Jacques, la collecte d’images est collective, il s’agirait plutôt de « nos images » et de « notre album ». La pratique de la solidarité et de la générosité, très présente dans l’ouvrage, a ses ratées.
En dernier point, évoquons la relation adulte / enfant, particulière dans cette famille où l’autorité intellectuelle de l’enseignant se joint à celle du père. Le petit Jacques a écrit son premier poème. Le père ne peut s’empêcher de remarquer quelques entorses à la rigueur formelle que l’enfant s’évertue à corriger. Le résultat pourrait satisfaire Boileau, ce qu’admire le père qui finit cependant par reconnaitre que la première version, dans sa gaucherie, avait bien plus de charme… Anecdote qui traduit bien l’ambiance éducative de cette maison.
Françoise Schmid
« En vol et en chant »
au Musée Médard à Lunel
du 25 octobre 2017 au 17 mars 2018
exposition construite autour des Oiseaux de Buffon, comporte une partie annexe consacrée à l’artiste graveur Jean-Marie Granier qui fut l’illustrateur privilégié de Pierre Menanteau. Plusieurs vitrines présentent ses ouvrages illustrés.