🔊 “Marie Quéau” Fury, Lauréate du Prix LE BAL/ADAGP de la jeune création 2025, LE BAL, du 28 novembre 2025 au 8 février 2026
“Marie Quéau” Fury
Lauréate du Prix LE BAL/ADAGP de la jeune création 2025
LE BAL, Paris
du 28 novembre 2025 au 8 février 2026

PODCAST –Â Entretien avec
Marie Quéau,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, 1er dĂ©cembre 2025, durĂ©e 20’09,
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :

Marie Quéau, Sans titre #111, Campus Univers Cascades, 2024, extrait de la série Fury, Courtesy Galerie Les filles du calvaire, Paris © Marie Quéau / ADAGP, Paris, 2025.

Marie Quéau, Sans titre #55, Action Training Productions, 2020, extrait de la série Fury, Courtesy Galerie Les filles du calvaire, Paris © Marie Quéau / ADAGP, Paris, 2025.
Direction du BAL
Diane Dufour, fondatrice, directrice artistique
Christine Vidal, directrice
Julie Héraut, directrice adjointe
Marie Quéau est la cinquième lauréate du Prix LE BAL/ADAGP de la Jeune Création, qui a été décerné en 2023. Ce prix a pour vocation d’accompagner pendant deux ans la réalisation d’un projet de création s’inscrivant dans le spectre large de l’image-document, fixe et en mouvement, articulant enjeux sociétaux et esthétiques.
Le projet de Marie Quéau FURY fait l’objet d’une installation au BAL et d’un livre co-édité par Roma Publications et LE BAL.
Comment apprend-on à tomber, se jeter par une fenêtre, tout casser sur rendez-vous ? Marie Quéau expose dans FURY des corps confrontés à des états extrêmes : cascadeurs défenestrés à répétition, acteurs en transe dans des studios de motion capture, apnéistes en immersion statique au bord de la dérive, individus donnant libre cours à leur rage dans une fury room. Mêlant expériences réelles et machineries du faux, son travail emprunte à la science-fiction sa dimension spéculative pour éprouver le réel et ses limites.
Ces univers disparates ont en commun de fabriquer du vraisemblable. Ainsi, documenter une probabilité pourrait parfaitement résumer la démarche de Marie Quéau ou photographier la possibilité qu’une chose a d’être « vraie ». Cadrages serrés, noir-et-blanc saturé et couleurs artificielles lui permettent de construire un espace indéterminé, menaçant, opaque, où pointe une violence sourde et où seuls les corps et leurs gestes comptent.
Face à un monde où la logique échappe, Marie Quéau s’attache aux figures poétiques du renversement : la chute comme un envers de l’envol, un corps qui encaisse la blessure ou l’accident pour un autre, un état de transe converti en données par la machine, la violence théâtralisée pour assurer sa survie. Loin de se contenter de capturer ces instants de bascule, elle en expose aussi les mécanismes : protocoles, capteurs, instruments, autant d’outils qui transforment l’expérience limite en performance maîtrisée, en récit mesurable. En juxtaposant ces fragments – corps tendus vers l’extrême, dispositifs de contrôle et gestes calculés – son travail met au jour une contradiction fondamentale : l’humain cherche sans cesse à dompter ce qui, par définition, le dépasse.
Le Prix LE BAL/ADAGP de la Jeune Création
a reçu le soutien du ministère de la Culture.
La publication est co-éditée avec Roma Publications, avec un texte inédit de Guillaume Blanc-Marianne
Le projet a bénéficié du soutien à la photographie documentaire du Centre national des arts plastiques (Cnap).
Marie QuĂ©au – La dĂ©rive et les limites
Extraits – par Guillaume Blanc-Marianne
Le genre humain s’ignore amplement, au fond. Peut-être est-ce la raison pour laquelle il s’emploie avec tant de constance à tracer ses propres limites, à tâtons comme en prenant les plus grands risques. Il s’aide parfois de stimulants, en vue de comprendre que ce qu’il saisit n’est justement qu’une infime partie de ce qu’il pourrait comprendre ; pour ouvrir, a-t-on dit, les « portes de [sa] perception ».
[…]C’est que l’Homme, dans sa quête incessante de profiler les pourtours de sa conscience, d’en explorer la discontinuité, les sursauts et les régions inconnues, s’est aussi découvert d’autres drogues, pour ainsi dire ; en lui-même cette fois. Il les a nommées adrénaline, sérotonine ou encore dopamine. Nul besoin de consommer quelque substance pour en connaître l’impact et en apprécier l’incidence : il les active en cultivant la peur, le danger, la douleur, ou leur apaisement. Voilà la grande affaire de Marie Quéau, qu’elle documente par la photographie, la vidéo et la recherche iconographique. Elle en tire une encyclopédie des états-limites du corps et de la conscience, des moments de tensions par lesquelles le corps est rappelé à sa finitude, et des formes de transe ou d’extase qu’il traverse.
[…]Ses carnets de recherche composent un paysage mental prompt à rappeler à quel point la vie humaine prend si souvent la forme d’une lutte – contre elle-même en ce qu’elle contient de péril, contre son environnement qui la menace si souvent. Ils rappellent aussi, en creux, qu’une telle lutte implique nécessairement une recherche éperdue de protection pour pouvoir atteindre ce qui semble a priori inaccessible ; qu’il s’agisse d’approcher un volcan et de tenir face à la chaleur, d’apprendre à chuter sans se briser, de voir et respirer sous l’eau, ou de quitter la Terre pour la Lune. Ces carnets-là rappellent enfin que le genre humain, et c’est probablement l’un de ses aspects qui le distingue le mieux des autres espèces, met en scène ses désastres, ses misères et ses malheurs – il en fait des mots et des images par lesquels il s’oriente, prend acte de ses limites et les consigne.
Le travail de Marie Quéau dans les écoles de cascadeurs en témoigne. Les corps y sont soumis aux pratiques les plus téméraires, les exposant à des conditions exceptionnelles pour que le cinéma puisse figurer l’exception sans abîmer quiconque. À vrai dire, on ne joue pas avec le feu car il est sans merci et consume d’une manière ou d’une autre tout ce qu’il lèche. On apprend là à se brûler, à chuter, à se noyer, à se faire abattre.
Le médium photographique, qui se prête si bien à toutes les amplifications et simulations, offre à Marie Quéau l’option de dire les effets causés par ces états proches de la transe, lisibles dans la disposition des corps, sur des visages, dans un regard, dans une certaine quantité de sueur. Elle en tire des images qui suintent l’effort et la douleur, vernies du suc de l’intensité physique.
Il en va de même dans les ateliers de motion capture, où l’on procède à la numérisation schématique des mouvements du corps, fussent-ils erratiques, comme ceux que l’on observe dans certains épisodes de possession religieuse. On y attend des chairs et des visages qu’ils exploitent toutes leurs ressources expressives et, peut-être, les exagèrent ; qu’ils se contorsionnent comme des insectes mourants et qu’ils puissent, par exemple, rendre parfaitement lisible le pouvoir déformateur de la colère ou de la tristesse.
Ce sont aussi des âmes que l’on voit se tordre, relâchant les tensions qui les enragent dans ces espaces symptomatiques du XXIe siècle qu’on appelle fury rooms. Thématisées selon l’origine et la nature de la colère (une peine de coeur, le travail, la politique), on les loue pour étancher une soif de destruction et vérifier son pouvoir cathartique.
Marie Quéau a prélevé les enregistrements filmés de certaines de ces pièces. On serait tenté de dire qu’on y voit ce que le genre humain renferme de plus sombre et de plus violent, mais sous les apparences, on y constate surtout à quel point l’ordre social brime le chaos intérieur. Les émotions les plus viles et les affects les plus dangereux sont souvent rentrés, contenus. Tout l’enjeu d’une société qui se rêve saine consiste à dresser et juguler le monstre collectif que Thomas Hobbes appelait Léviathan, comme pour faire de la peur que les hommes ont d’eux-mêmes et de leurs semblables le principal objet du contrat social.
[…]Dans son ouvrage sur les États modifiés de conscience, Georges Lapassade soulignait quant à lui que dans l’Occident du Moyen Âge, la notion de transe, liée à celle de « transit » (dérive, passage) était toujours nouée à celle de mort. Les apnéistes de Marie Quéau ne l’ignorent pas, eux qui font état de deux syndromes récurrents : selon un axe vertical, alors même qu’ils stagnent à l’horizontale, ils rapportent leur sentiment soit de monter vers la lumière, soit de tomber dans un gouffre. Les personnes ayant vécu une expérience de mort imminente, souvent comprises comme une décorporation, relatent un vécu comparable.
[…]Voilà , peut-être, ce qui fait finalement tenir ensemble tout le projet de Marie Quéau : la façon dont nous, humains, nous évertuons à comprendre cette ultime intensité de la vie – cette furie – qu’est la mort elle-même, et qui est, à ce titre, la plus poétique des énigmes.
Extraits du texte de Guillaume Blanc-Marianne pour la publication FURY
















