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🔊 “Magdalena Abakanowicz” La trame de l’existence, au MusĂ©e Bourdelle, du 20 novembre 2025 au 12 avril 2026

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“Magdalena Abakanowicz” La trame de l’existence

au Musée Bourdelle, Paris

du 20 novembre 2025 au 12 avril 2026

Musée Bourdelle


Entretien avec OphĂ©lie Ferlier Bouat, Directrice du musĂ©e Bourdelle, et commissaire gĂ©nĂ©rale de l’exposition, par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă  Paris, 17 novembre 2025, durĂ©e 17’16, © FranceFineArt.

PODCAST –  Entretien avec
Ophélie Ferlier Bouat,
directrice du musée Bourdelle,
et commissaire gĂ©nĂ©rale de l’exposition,


par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă  Paris, 17 novembre 2025, durĂ©e 17’16,
© FranceFineArt.


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Magdalena Abakanowicz
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©Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 17 novembre 2025.

Extrait du communiqué de presse :


Magdalena Abakanowicz, La Foule V, 1995-1997, toile de jute et rĂ©sine, CCØ Paris MusĂ©es / MusĂ©e d’art moderne de Paris. Avec l’autorisation de la Fondation Marta Magdalena Abakanowicz-Kosmowska et Jan Kosmowski, Varsovie, Pologne.

Magdalena Abakanowicz, La Foule V, 1995-1997, toile de jute et rĂ©sine, CCØ Paris MusĂ©es / MusĂ©e d’art moderne de Paris. Avec l’autorisation de la Fondation Marta Magdalena Abakanowicz-Kosmowska et Jan Kosmowski, Varsovie, Pologne.

Magdalena Abakanowicz et son Ɠuvre Dos Ă  la Biennale de Venise, 1980,© Fondation Marta Magdalena Abakanowicz-Kosmowska et Jan Kosmowski, Varsovie, Pologne. Photo ©Jan Kosmowski.

Magdalena Abakanowicz et son Ɠuvre Dos Ă  la Biennale de Venise, 1980,© Fondation Marta Magdalena Abakanowicz-Kosmowska et Jan Kosmowski, Varsovie, Pologne. Photo ©Jan Kosmowski.

Magdalena Abakanowicz et son métier à tisser, 1966, Varsovie © Fondation Marta Magdalena Abakanowicz-Kosmowska et Jan Kosmowski, Varsovie, Pologne. Photo ©Jan Kosmowski.

Magdalena Abakanowicz et son métier à tisser, 1966, Varsovie © Fondation Marta Magdalena Abakanowicz-Kosmowska et Jan Kosmowski, Varsovie, Pologne. Photo ©Jan Kosmowski.

Commissariat général :
Ophélie Ferlier Bouat, Directrice du musée Bourdelle

Commissariat scientifique :
JĂ©rĂŽme Godeau, Historien de l’art
Avec la collaboration de Colin Lemoine, Historien de l’art

AssistĂ©s de Margaux CoĂŻc, Assistante d’exposition



Le musĂ©e Bourdelle prĂ©sente la premiĂšre grande exposition dĂ©diĂ©e Ă  Magdalena Abakanowicz en France. Artiste majeure de la scĂšne polonaise du 20e siĂšcle, Abakanowicz (1930-2017) a connu dĂšs son plus jeune Ăąge la guerre, la censure et les privations sous le rĂ©gime communiste. Elle a livrĂ© des sculptures et des Ɠuvres textiles immersives, poĂ©tiques, parfois inquiĂ©tantes, souvent politiques. InspirĂ©e par le monde organique, par la sĂ©rialitĂ© et la monumentalitĂ©, sa crĂ©ation possĂšde une puissance et une prĂ©sence indĂ©niables, en rĂ©sonance avec les problĂ©matiques contemporaines – environnementales, humanistes, fĂ©ministes. Radicale et pionniĂšre, l’Ɠuvre d’Abakanowicz a Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement exposĂ©e Ă  l’étranger, des États-Unis au Japon en passant par l’Europe, et plus rĂ©cemment Ă  la Tate Modern de Londres et au MusĂ©e cantonal des Beaux-Arts de Lausanne. Le musĂ©e Bourdelle propose des clĂ©s de lecture biographiques et historiques Ă  travers un parcours chrono-thĂ©matique de 70 ensembles – 33 installations sculptĂ©es, 10 Ɠuvres textiles, dessins et photographies.

Dans les 600mÂČ de l’aile Portzamparc, dont les murs de bĂ©tons ont Ă©tĂ© rĂ©novĂ©s pour l’occasion, l’exposition met l’accent sur la production sculpturale d’Abakanowicz afin de redonner Ă  l’artiste sa place parmi les grands sculpteurs du 20e siĂšcle. Le sous-titre de l’exposition, « La trame de l’existence », associe deux termes employĂ©s par l’artiste pour dĂ©finir son Ɠuvre. Elle envisageait le tissu comme l’organisme Ă©lĂ©mentaire du corps humain, marquĂ© par les alĂ©as de son destin.

Fruit d’un travail de trois annĂ©es, le projet bĂ©nĂ©ficie du soutien actif de la Fondation Marta Magdalena Abakanowicz-Kosmowska et Jan Kosmowski de Varsovie, de l’Institut polonais et de l’Institut Adam Mickiewicz. Les principaux prĂȘteurs sont la Fondation Marta Magdalena Abakanowicz-Kosmowska et Jan Kosmowski de Varsovie, la Fondation Toms Pauli de Lausanne, le MusĂ©e central des Textiles de ƁódĆș, la Tate Modern de Londres, le MusĂ©e d’art contemporain de Cracovie et le musĂ©e d’Art moderne de Paris.

Magdalena Abakanowicz, Abakan rouge, 1969, sisal, Tate, Don anonyme, 2009. Photo: © Magdalena Abakanowicz.

Magdalena Abakanowicz, Abakan rouge, 1969, sisal, Tate, Don anonyme, 2009. Photo: © Magdalena Abakanowicz.

Magdalena Abakanowicz avec Abakan rouge Ă  l’exposition du musĂ©e d’Art de Pasadena, Los Angeles, 1971 © Fondation Marta Magdalena Abakanowicz-Kosmowska et Jan Kosmowski, Varsovie, Pologne. Photo ©Jan Kosmowski.

Magdalena Abakanowicz avec Abakan rouge Ă  l’exposition du musĂ©e d’Art de Pasadena, Los Angeles, 1971 © Fondation Marta Magdalena Abakanowicz-Kosmowska et Jan Kosmowski, Varsovie, Pologne. Photo ©Jan Kosmowski.

Magdalena Abakanowicz dans son atelier, 1960, Varsovie. © Fondation Marta Magdalena Abakanowicz-Kosmowska et Jan Kosmowski, Varsovie, Pologne. Photo ©Marek Holzman.

Magdalena Abakanowicz dans son atelier, 1960, Varsovie. © Fondation Marta Magdalena Abakanowicz-Kosmowska et Jan Kosmowski, Varsovie, Pologne. Photo ©Marek Holzman.


Parcours de l’exposition

Située dans le jardin sur rue, la monumentale Grande figure accueille le visiteur au début de son parcours.

Dans le couloir de l’aile Portzamparc, la premiĂšre partie donne un aperçu de l’ampleur de la production de Magdalena Abakanowicz : piĂšces textiles des dĂ©buts, sculptures de petits formats (souvent anatomiques), dessins et projets pour l’espace public.

Le parcours se poursuit sur le cycle d’oeuvres monumentales entamĂ© par Abakanowicz au cours des annĂ©es 1960 : les Abakans, de spectaculaires piĂšces textiles suspendues au plafond. MalgrĂ© une pĂ©nurie de matĂ©riaux, l’artiste tisse ces objets en fibres naturelles Ă  l’aide de cordes et tissus de rĂ©cupĂ©ration pliĂ©s sous son lit.

Dans les annĂ©es 1970, la pratique d’Abakanowicz s’ouvre Ă  la figure humaine et adopte le principe de la sĂ©rialitĂ©, qu’elle dĂ©veloppe avec Dos et Figures dansantes. La troisiĂšme partie de l’exposition se penche sur ces coques, sans identitĂ©, qui interrogent la prĂ©sence et la disparition. La quatriĂšme partie s’ouvre sur son installation emblĂ©matique Embryologie, dĂ©voilĂ©e Ă  la Biennale de Venise en 1980. Entre corps, matiĂšre organique et roche, ces cocons accumulĂ©s immergent le pectateur dans un lieu ambigu et hybride. IllustrĂ© de dessins et des reliefs Paysages, le parcours met l’accent sur la matĂ©rialitĂ© des Ɠuvres d’Abakanowicz et sur son intĂ©rĂȘt pour les mĂ©tamorphoses.

On dĂ©couvre ensuite dans les alvĂ©oles bĂ©tonnĂ©es du musĂ©e les ensembles des Mutants et de La Foule V. Quand les Mutants occupent l’espace de maniĂšre indĂ©terminĂ©e, le peuple anonyme et inquiĂ©tant de La Foule V matĂ©rialise la rĂ©flexion d’Abakanowicz sur « la foule agissant comme un organisme dĂ©cervelĂ© ».

L’exposition s’achĂšve sur le cycle de sculptures monumentales Jeux de guerre, composĂ© d’énormes troncs d’arbres enserrĂ©s dans des cerceaux d’acier. Il fait Ă©cho Ă  la puissance destructrice de la guerre, et parachĂšve la force symbolique de cette artiste si singuliĂšre dans la crĂ©ation de la seconde moitiĂ© du 20e siĂšcle.

Introduction
Figure majeure du renouveau textile et de la sculpture du 20e siĂšcle, l’artiste polonaise Magdalena Abakanowicz (1930-2017) a bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une reconnaissance nationale et internationale, jusqu’aux États-Unis ou encore en Asie.Abakanowicz porte Ă  jamais l’empreinte du territoire de son enfance, de son lien organique avec la forĂȘt. Elle pratique d’abord la peinture puis la tapisserie, dont elle subvertit bientĂŽt le cadre artisanal et dĂ©coratif. À la croisĂ©e des disciplines, l’artiste joue de la combinaison de matĂ©riaux textiles et de techniques propres Ă  la sculpture pour crĂ©er des « environnements » immersifs qui font « partie intĂ©grante d’[elle-mĂȘme] ». Sa maniĂšre singuliĂšre de renouer les fils tend Ă  rĂ©parer le traumatisme de la guerre dans le contexte totalitaire d’un rĂ©gime qui soumet l’espace physique et mental Ă  la loi du collectif. En perpĂ©tuel devenir, la production plurielle d’Abakanowicz manifeste un dĂ©sir d’ampleur et d’ouverture. Toutes ses crĂ©ations procĂšdent du mĂȘme questionnement : quelle est la place occupĂ©e par l’homme dans son environnement ? En vertu de leur nature hybride, les Ɠuvres organiques d’Abakanowicz nous confrontent Ă  la trame primordiale de la vie : « Je considĂšre la fibre comme [
] le plus grand mystĂšre de notre environnement. C’est Ă  partir de la fibre que sont construits tous les organismes vivants, les tissus des plantes, des feuilles et de nous-mĂȘmes. ».

SECTION 1 | ABAKANS
À partir du milieu des annĂ©es 1960, Magdalena Abakanowicz adopte une approche minimaliste et expĂ©rimente les possibilitĂ©s sculpturales du tissage. Elle impose la singularitĂ© radicale de piĂšces monumentales bientĂŽt baptisĂ©es Abakans. En 1969, la quatriĂšme Biennale internationale de la tapisserie Ă  Lausanne marque un tournant dĂ©cisif : affranchi du support de la cimaise, l’Abakan rouge de 4 mĂštres de diamĂštre se dĂ©ploie sous toutes ses coutures. Conçus, tissĂ©s, assemblĂ©s et cousus en collaboration avec une assistante dans l’exiguĂŻtĂ© de l’atelier, les Abakans ne se dĂ©ploient que dans l’espace des salles d’exposition. Parfois teints en couleurs vives, ils offrent plus souvent une gamme chromatique de noirs et de bruns. Leur monumentalitĂ© expansive abolit la notion de centre et de pĂ©riphĂ©rie, de dehors et de dedans. Flottantes et hors sol, les sculptures textiles des Abakans exhibent tout en dissimulant les « secrets » de leur nature. De quelles catĂ©gories esthĂ©tiques ou mentales relĂšvent-elles ? Riche de fentes, de replis, leur enveloppe tactile suscite toutes sortes d’analogies organiques : la chair Ă©corcĂ©e du bois, la fourrure d’un animal, les lĂšvres ourlĂ©es d’un sexe fĂ©minin
Étroitement liĂ©e Ă  la sociĂ©tĂ© dans laquelle vit l’artiste, la genĂšse des Abakans est un acte de rĂ©sistance. L’espace qui les habite est littĂ©ralement cet asile politique oĂč Abakanowicz renoue, avec « une rage contenue », le tissu d’un territoire et le fil d’une histoire.

SECTION 2 | LA CONDITION HUMAINE
Au cours des annĂ©es 1970, Magdalena Abakanowicz se tourne vers la figuration. À partir du moulage sur nature d’un corps, elle appose Ă  l’intĂ©rieur du moule des bandes de toile de jute, solidifiĂ©es avec de la rĂ©sine et de la colle. Elle obtient une coque dont la texture rappelle la peau ou l’écorce. L’artiste rĂ©pĂšte ce processus mais individualise chaque nouvelle figure en crĂ©ant des plis, des creux, en accentuant les coutures ou en rajoutant des cordes Ă  la surface. RĂ©alisĂ© entre 1978 et 1980, l’ensemble des Dos nous confronte Ă  l’envers de nous-mĂȘmes. InterrogĂ©e sur le sens de ces figures acĂ©phales, l’artiste y voit l’expression « de la condition humaine en gĂ©nĂ©ral ». On pourrait aussi considĂ©rer qu’elles participent Ă  quelque cĂ©rĂ©monie, en vertu de leur disposition souvent semi-circulaire. Abakanowicz revivifie ainsi la dimension rituelle de la sculpture telle qu’elle l’a expĂ©rimentĂ©e en Papouasie-Nouvelle-GuinĂ©e. La genĂšse de Figures dansantes est liĂ©e au choc esthĂ©tique du butƍ dĂ©couvert par Abakanowicz au Japon, en 1990. Dans un pays hantĂ© par le dĂ©sastre d’Hiroshima, la tension extrĂȘme de cette chorĂ©graphie d’avant-garde tient du rituel conjuratoire. On en retrouve le caractĂšre Ă  la fois libĂ©ratoire et angoissant dans l’élan suspendu de cette « danse sans tĂȘte, sans visage, une danse vers nulle part. [
] Ils se tiennent par la main sans se voir, [
] comme dans une dĂ©bandade, une dĂ©sertion ».

SECTION 3 | MÉTAMORPHOSES ORGANIQUES
Dix ans aprĂšs l’invention des Abakans, Magdalena Abakanowicz s’affranchit toujours davantage du cadre de la tapisserie. Expansive et environnementale, Embryologie transpose Ă  l’échelle monumentale le dĂ©but d’un processus de morphogĂ©nĂšse, c’est-Ă -dire du dĂ©veloppement des formes d’une espĂšce vivante. Cette installation abolit les frontiĂšres entre l’Ɠuvre et le spectateur. ComposĂ©e de plusieurs centaines de piĂšces, la premiĂšre sĂ©rie est prĂ©sentĂ©e en 1980, au pavillon polonais de la 39e Biennale de Venise. Les membranes de ces « embryons » de chanvre et de lin – Ă©tayĂ©s de structures mĂ©talliques pour les plus consĂ©quents – sont suturĂ©es de points dont certains s’entrouvrent
 comme pour mieux s’associer, se diviser. Amas cellulaire observĂ© au microscope, tissus, ou peaux
 Embryologie immerge le regard dans le mystĂšre du vivant. Magistral contrepoint graphique Ă  la sĂ©rie Embryologie, l’ensemble des Compositions est conçu en 1981. Sur la feuille posĂ©e Ă  plat, animĂ©e d’un lent mouvement de rotation, l’encre s’épaissit, se circonscrit avant que l’artiste ne la disperse sur la rĂ©serve du papier par un lavis. À l’instar des sculptures biomorphiques, les Compositions renvoient Ă  l’unitĂ© fondamentale du vivant : la cellule dont le cytoplasme gris forme une masse fluide, enveloppĂ© d’une membrane ouverte. D’un mĂ©dium Ă  l’autre, Abakanowicz manifeste la continuitĂ© du processus biologique oĂč les formes s’auto-engendrent, se reproduisent. La vie Ă  l’Ɠuvre.

SECTION 4 | ENSEMBLES GRAPHIQUES
Au dĂ©but de sa carriĂšre, Magdalena Abakanowicz recourt ponctuellement au dessin pour reprĂ©senter le monde vĂ©gĂ©tal ou animal. À compter des annĂ©es 1980, elle intensifie sa pratique de l’art graphique. De 1983 Ă  2004, Abakanowicz exĂ©cute Ă  l’encre noire et Ă  la gouache la sĂ©rie des Visages qui ne sont pas des portraits. Circonscrits de traits nerveux, parfois redoublĂ©s, ils surgissent de la feuille comme autant d’empreintes sacrĂ©es. L’artiste joue de l’équivoque entre abstraction et figuration Ă  travers ces « faces-icĂŽnes » oĂč fusionnent croix et visage. Ces apparitions spectrales participent de la mĂȘme force rituelle que les masques en toile de jute des Portraits anonymes exposĂ©s au dĂ©but du parcours. La sĂ©rie au fusain des Mouches (1993-1994) transpose dans un format monumental l’observation de mouches mortes ou Ă  l’état de pupe. Abakanowicz en agrandit le corps, comme sous l’oculaire d’un microscope, pour rĂ©vĂ©ler leur structure. La vision quotidienne et ordinaire d’un insecte mort, le corps renversĂ© au sol, prend dĂšs lors une dimension poĂ©tique. La transparence des ailes nervurĂ©es est rendue en pressant et en estampant le crayon sur le papier. Loin d’une angoisse de la dĂ©composition, l’artiste manifeste sa curiositĂ© viscĂ©rale de la rĂ©alitĂ© organique.

SECTION 5 | INSTALLATIONS

Mutants
La composition des Mutants relĂšve de l’hybridation, du croisement expĂ©rimental des rĂšgnes animal et vĂ©gĂ©tal. La toile de jute imprĂ©gnĂ©e de rĂ©sine s’apparente Ă  la texture fibreuse de l’écorce. Les troncs sont greffĂ©s de pattes. Entre exorcisme et fascination, Ă  quelle violence primitive ces figures totĂ©miques renvoient-elles ? « Maintenant, je suis consciente que les gens peuvent avoir un instinct innĂ© pour la cruautĂ© et le plaisir inexplicable que tuer doit donner », Ă©crit-elle en 2002. Ces Mutants, aveugles et sourds, sont incapables de se dĂ©fendre et pourraient bien devenir une proie sacrificielle. À l’inverse de l’isolement radical de la sĂ©rie des Dos (1976-1980) ou des Foules (1986-1997), leur troupeau Ă©nigmatique est dans l’attente du pasteur ou de l’artiste en mesure de les rassembler. Et de les protĂ©ger ?

Foule
Du moulage sur nature d’un homme debout, les bras le long du corps, Abakanowicz tire un ensemble de figures. Ces sĂ©ries intitulĂ©es Foules se succĂšdent de 1986 Ă  1997. La terminologie anglaise Crowd renvoie Ă  l’entassement, aux effets de masse des idĂ©ologies totalitaires. Abakanowicz joue de la saturation de l’espace par la dĂ©multiplication. La technique mĂȘme, par compression de toiles de jute imbibĂ©es de rĂ©sine dans un moule en plĂątre, manifeste l’écrasement : l’individu se plie, littĂ©ralement, au moule. PrivĂ©e de tĂȘtes, voire de bras, cette horde sans visage, que l’artiste Ă©lĂšve comme « une barriĂšre » entre elle et « tous ceux qui l’effraient », remplit une fonction conjuratoire. Pour autant, Abakanowicz ne condamne pas les aspirations collectives : elle leur donne une singularitĂ©, par de subtiles variations dans la disposition et le plissĂ© des toiles de jute. « Ne voyez-vous pas que chacun est un individu ? »

SECTION 6 | JEUX DE GUERRE
Abakanowicz rĂ©alise la sĂ©rie des Jeux de guerre entre 1987 et 1995, pĂ©riode qui voit se fissurer le rĂ©gime communiste et l’instauration d’un nouvel ordre politique et social. Par-delĂ  le « rideau de fer », l’artiste avait dĂ©jĂ  trouvĂ© une ouverture dans la culture occidentale. Mais son lien Ă  l’espace originel du territoire reste primordial : « Je me sens extrĂȘmement Ă  l’aise dans un inconfort total en Pologne et trĂšs mal Ă  l’aise dans un grand confort dans d’autres endroits. ». L’oxymore dĂ©routant du titre de la sĂ©rie des Jeux de guerre se retrouve dans une association de matĂ©riaux hĂ©tĂ©rogĂšnes. SculptĂ©s Ă  partir d’arbres abattus dans la rĂ©gion de Mazurie, en Pologne, les bois « sont comme des bras, comme des blessĂ©s toujours ensemble ; ils sont mystĂ©rieux ». Dans La Pie (1992), le tranchant des armes est Ă©voquĂ© par un manchon d’acier duquel jaillit un monumental tronçon d’arbre. Son caractĂšre organique et cellulaire s’oppose Ă  la froideur du mĂ©tal. Le Laboureur (1996-1997) associe une roue avec une figure acĂ©phale, juchĂ©e sur l’assemblage de bois et d’acier qui caractĂ©rise la sĂ©rie. Qui est ce laboureur et quel est le champ qu’il laboure ? Rien n’interdit d’y voir la transposition de la figure de l’artiste, aux prises avec la matiĂšre. Le Laboureur est aussi une allĂ©gorie universelle de la condition humaine, confrontĂ©e Ă  la rĂ©sistance du monde, irrĂ©ductible.