“Arnaud Labelle-Rojoux” Voyez-vous ça ! au MAC VAL, musée d’art contemporain du Val-de-Marne [Centre Pompidou – Constellation], du 15 novembre 2025 au 15 février 2026
“Arnaud Labelle-Rojoux” Voyez-vous ça !
au MAC VAL, musée d’art contemporain du Val-de-Marne [Centre Pompidou – Constellation], Vitry-sur-Seine
du 15 novembre 2025 au 15 février 2026
Texte Sylvain Silleran

Arnaud Labelle-Rojoux, Stop making sense, 27.10.2021. Collage et crayon graphite sur papier, 37 × 30 cm. Courtesy galerie Loevenbruck, Paris. N° Inv : ALR230101.1. © ADAGP, Paris.

Arnaud Labelle-Rojoux, So what ?, 25.06.2022. Collage et crayon graphite sur papier, 37,5 × 30,5 cm. Courtesy galerie Loevenbruck, Paris. N° Inv : ALR230101.242. © ADAGP, Paris.

Arnaud Labelle-Rojoux, Espion ridicule, 22.12.2021. Collage et crayon graphite sur papier 37 × 30 cm. Courtesy galerie Loevenbruck, Paris. N° Inv : ALR230101.57. © ADAGP, Paris.

Arnaud Labelle-Rojoux, Re-make up, 03.11.2021. Collage et crayon graphite sur papier, 36,5 × 30 cm. Courtesy galerie Loevenbruck, Paris. N° Inv : ALR230101.8. © ADAGP, Paris.
Voyez-vous ça! Arnaud Labelle-Rojoux
Mac Val
Il y a d’abord le titre, Voyez-vous ça! qui sonne comme une harangue de forain, un cri qui rythme le boulevard du crime des Enfants du Paradis. On entre dans le monde d’Arnaud Labelle-Rojoux comme sous une affiche aux couleurs vives, illustrée de promesses du bout du monde, des choses qu’on n’a jamais vues. Il faut donc se décider, l’offre n’est que pour aujourd’hui, une occasion unique. Un homme aux prises avec la créature du lagon noir, des femmes aux coiffures en choucroutes de chantilly, au mur, un immense sein encadré de roses, des masques géants, une scène pour des musiciens avec micros et table de mixage, tout est prêt pour une performance. Et puis un galerie de portraits, artistes et rockers, anonymes ou pas, on n’est pas bien sûr, tant tout se dérobe à nos yeux: une alsacienne à la grande coiffe, des pastiches de photos Harcourt. Mais que se passe-t-il donc ici?
22 toiles dans un couloir, des références musicales, de la bande dessinée, des vieilles affiches détournées, peintes comme on barbouille un slogan sur une pancarte de manif. C’est simple, coloré, d’une brutalité enfantine. Les images d’Arnaud Labelle-Rojoux sont un concert rock, d’ailleurs le titre, Stop Making Sense, est tiré d’un album live des Talking Heads. Sous le regard de Martine Carol, 365 collages, un par jour, réalisés entre 2021 et 2022 forment une grande fresque remplissant toute une salle. Littérature et cinéma, culture populaire vintage et pop’ des années 50 et 60 se télescopent dans un grand collage post-queer. Des visages éparpillés, des paires de fesses, des formes organiques un peu patatoïdes tenues par des morceaux d’adhésif coloré bien rectangulaires sont autant de corps morcelés. Boy George, un Caravage au masque de chat, des poumons de fumeur, une grappe d’yeux, des sexes bien sûr, des pin ups côtoient des hommes en chapeau melon, des dollars, des hommes en chapeau et des filles en bikini, des flingues et de l’alcool. Il y a de la lingerie, un burger, des saucisses, des cow boys et des chiens, des dieux hindous, et partout des mots griffonés de cette écriture raide, grattée plus que tracée, une écriture égratignure.
Des bouts de phrases tirées de chansons, des bons mots ironiques déploient au tac-au-tac une satire du flux continu des médias, de la culture. Les jours passent, des jours sans grand-chose à dire, des jours bruyants, agités, furieux, pleins de désir, d’illusions et de désillusions. Et ce matériau tiré de catalogues oubliés depuis longtemps, de vieux magazines, finit par devenir une présence épaisse, lourde; le vintage soldé rend tout glamour et ringard à la fois, l’amusement s’estompe et la nostalgie moqueuse reste quelque peu sur l’estomac, gros gâteau avec trop de crème.
Dans la troisième salle, des sculptures de mousse expansive dont un formidable Hulk-broccoli, un chien caché dans un sac tenant une pomme en équilibre sur sa truffe forment une nouvelle ménagerie, une parade Arte povera. Ce grand théâtre brut se mêle à des cadres dégoulinants, des icônes religieuses découpées, une tête sculptée polychrome qui tire une énorme langue et des dessins rapides, urgents, sur des collages. C’est une grande fête colorée, rafistolée, un carnaval destroy rappelant la Dé-évolution de Devo mélangeant rock, performance et vidéo. Dans ce monde du catalogue, tout est découpé et collé, tout a été dit et référencé avant d’être dé-référencé. Après le vertige de la vitesse, du tour de montagne russe, reste un goût de papier, de poussière, un parfum doucereux de grenier.
Sylvain Silleran
Extrait du communiqué de presse :
Commissariat :
Nicolas Surlapierre, directeur du MAC VAL
Frédéric Paul, conservateur aux collections contemporaines, Musée national d’art moderne, Centre Pompidou
Coordination, Julien Blanpied
Dans le cadre d’un partenariat fixé sur une durée de cinq ans entre le MAC VAL et le Centre Pompidou, les deux institutions présentent « Voyez-vous ça ! », une exposition consacrée à Arnaud Labelle-Rojoux et imaginée autour de la série Stop Making Sense, acquise en 2024 par le Groupe d’Acquisition pour l’Art Contemporain des Amis du Centre Pompidou. Figure singulière de la scène artistique française – à la fois artiste, écrivain, enseignant et performeur – Arnaud Labelle-Rojoux développe depuis les années 1980 une oeuvre plastique, théorique et performative, traversée par l’humour, la culture populaire et l’histoire de l’art, portant une attention constante aux formes marginales ou non académiques.
L’exposition se compose de trois volets répartis en trois salles, réunis sous un seul titre volontairement non hiérarchisé. Comme le formule l’artiste : « Titrer une exposition n’est jamais une mince affaire. C’est tout particulièrement le cas de celle-ci, dont les trois volets qui la composent requièrent un titre d’ensemble n’en privilégiant aucun. Voyez-vous ça ! est une interjection dépourvue d’intention autre que d’insister sur le regard, et la surprise, voire le persiflage, toutes choses pouvant caractériser le tout. »
Chaque salle porte un titre propre, apparemment codé : LCDB, SMS, ++. Deux acronymes, et un signe d’addition redoublé.
La première salle, fait référence à un livre publié par l’artiste en 2024 : LCDB (Le Culte des Banni.e.s). Ce texte constitue une somme de réflexions sur des artistes cooptés par d’autres, issus d’un domaine extérieur aux leurs, et sur des formes d’expression traversant les catégories artistiques. De ce livre est née une série de performances live, prolongeant une réflexion sur l’art et ses marges. Cette dimension performative est essentielle dans le travail de Labelle-Rojoux. Davantage que des performances à la première personne, il privilégie ce qu’il nomme des « pièces composites », juxtaposant références et complicités d’hier et d’aujourd’hui : un collage d’affinités électives. Cette salle, réunissant musiciens, cinéastes, écrivains, artistes, tous membres éminents de la confrérie occulte des « Banni.e.s », est un temple dédié à la ligne marginale. Plusieurs événements s’y tiennent, à commencer par une performance en duo avec l’artiste Xavier Boussiron, dans le cadre de leur projet au long cours Le Manifeste de la passion triste, mêlant installations, vidéo, performances et musique. Les suivantes, animées du même esprit, montrent combien ce dernier est transgénérationnel.
La seconde salle, est à l’origine de l’invitation du MAC VAL. Elle présente SMS (Stop Making Sense), une œuvre récemment acquise par les Amis du Centre Pompidou et prêtée dans le cadre de l’accueil de certaines oeuvres de la collection du Musée national d’art moderne pendant la fermeture du Centre Pompidou pour rénovation. SMS, initialement installée dans cette forme à la Galerie Loevenbruck à Paris, est constituée de 365 collages encadrés à l’identique et juxtaposés bord à bord, réalisés au rythme d’un par jour, d’octobre 2021 à octobre 2022. Le collage, et ses techniques cousines – photomontages, cut-ups, assemblages, remix, mashup, sampling –, à la fois langages visuels ou textuels et réservoirs de mythologies personnelles, sont au coeur de la pratique de l’artiste. Il écrit : « Hiatus formels, métissages improbables, dispositifs truqués, ressorts secrets, érudition factice, tout concourt aux lectures démultipliées sans garantie critique : à chacun la sienne. » Le titre complet de la pièce, Stop Making Sense, emprunté à un album des Talking Heads, est né du tout premier collage, sur lequel l’artiste a écrit cette phrase : « Y déceler un sens unique aurait limité et orienté ce qui se passe visuellement dans chaque collage, et encore davantage dans l’ensemble constitué. »
La troisième salle, intitulée ++ (overmore), s’inscrit dans la continuité logique de SMS. Comme dans la plupart des expositions importantes consacrées à l’artiste, les oeuvres sont accrochées selon un principe de remix : les éléments qui ont pu apparaître dans d’autres configurations prennent ici une nouvelle vie. Leur quantité justifie également ce titre ++. Des pièces issues d’expositions antérieures se croisent et composent une rétrospective sous forme de feuilleton (les expositions « Rien à branler des chiens » en 2003, « L’oignon fait la sauce » en 2012, « Étant damné » en 2021, « C’est écrit dessus » en 2025, l’oeuvre À la main du diable de 2013, à la Galerie Loevenbruck, l’exposition collective « Les Maîtres du mystère » en 2012, au musée du quai Branly – Jacques Chirac). L’accumulation fait ici l’unité. L’artiste notait déjà lors d’une précédente exposition, « Esprit es-tu là ? » que certaines obsessions – l’entrelacement des registres majeur et mineur – persistent depuis ses années aux Beaux-Arts de Paris. « Plus que la chronologie des oeuvres, leur somme me constitue autant que les objets qui les traduisent. »
En écho aux trois salles, plusieurs vitrines exposent les ouvrages publiés par Arnaud Labelle-Rojoux. De L’Acte pour l’art (1988) à LCDB, Le Culte des Banni.e.s (2023), en passant par Leçons de scandale (2000), Twist dans le studio de Vélasquez (1999), Je suis bouleversé (2007), Les gros cochons font de bonnes charcuteries (2011) ou Duchamp (2020), ces livres témoignent d’un travail critique et littéraire aussi dense que l’oeuvre plastique. « Il n’y a pas si loin entre L’Acte pour l’art, le Caravage et les “banni.e.s”. »
















