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“Tokyo, naissance d’une ville moderne” Estampes des années 1920-1930 du Edo-Tokyo Museum, à la Maison de la culture du Japon, du 6 novembre 2024 au 1er février 2025

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“Tokyo, naissance d’une ville moderne” Estampes des années 1920-1930 du Edo-Tokyo Museum

à la Maison de la culture du Japon, Paris

du 6 novembre 2024 au 1er février 2025

Maison de la culture du Japon


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©Sylvain Silleran, visite de l’exposition, le 27 novembre 2024.

Texte Sylvain Silleran

Douze vues du Grand Tokyo : Octobre – L’Université impériale dans la lumière d’automne (arrondissement de Hongô), Fujimori Shizuo, 1934. Gravure sur bois, 24,2 x 31,6 cm. Collection du Tokyo Metropolitan Edo-Tokyo Museum.

Douze vues du Grand Tokyo : Mai - Ginza la nuit (arrondissement de Kyôbashi), Fujimori Shizuo, 1933. Gravure sur bois, 31,4 x 24,7 cm. Collection du Tokyo Metropolitan Edo-Tokyo Museum.

Douze vues du Grand Tokyo : Mai – Ginza la nuit (arrondissement de Kyôbashi), Fujimori Shizuo, 1933. Gravure sur bois, 31,4 x 24,7 cm. Collection du Tokyo Metropolitan Edo-Tokyo Museum.

Pont en acier (revue Shin hanga, n° 10), Fujimaki Yoshio, 1933. Gravure sur bois, 15,4 x 17,4 cm. Collection du Tokyo Metropolitan Edo-Tokyo Museum.

Pont en acier (revue Shin hanga, n° 10), Fujimaki Yoshio, 1933. Gravure sur bois, 15,4 x 17,4 cm. Collection du Tokyo Metropolitan Edo-Tokyo Museum.

Douze scènes de Tokyo : Le pont Kaminohashi à Fukagawa Kawase Hasui, 1920. Gravure sur bois, 24,1 x 36,3 cm. Collection du Tokyo Metropolitan Edo-Tokyo Museum.

Douze scènes de Tokyo : Le pont Kaminohashi à Fukagawa Kawase Hasui, 1920. Gravure sur bois, 24,1 x 36,3 cm. Collection du Tokyo Metropolitan Edo-Tokyo Museum.

Le pont Kaiun et la Première banque sous la neige, Kobayashi Kiyochika, 1876. Estampe nishiki-e, 21,8 x 33,6 cm. Collection du Tokyo Metropolitan Edo-Tokyo Museum.

Le pont Kaiun et la Première banque sous la neige, Kobayashi Kiyochika, 1876. Estampe nishiki-e, 21,8 x 33,6 cm. Collection du Tokyo Metropolitan Edo-Tokyo Museum.

320 – Tokyo, naissance d’une ville moderne

Maison de la culture du Japon à Paris


L’histoire s’apprend aussi par les images. Ici ce sont les estampes qui témoignent des évolutions de Tokyo au début du XXème siècle. Une centaine d’estampes nous emmènent dans une capitale accouchant dans la douleur d’une modernité vibrante. Sur une estampe de la fin du XIXème siècle, une élégante passe en calèche devant des bâtiments d’inspiration européenne à Ginza. Kobayashi Kiyochika peint un Japon entamant sa transformation sous les cerisiers en fleurs. La locomotive à vapeur de la première ligne de chemin de fer du pays masque de sa masse sombre les silhouettes des pins se découpant sur le ciel. L’ancien monde et sa représentation se voient défiés par l’arrivée de formes nouvelles.

Les portraits d’acteurs de kabuki des années 20 de Yamamura Kôka expriment les caractères des personnages ainsi que la personnalité de leur interprète: la détermination d’une amante, la sensualité, l’espièglerie. Un terrible Jean Valjean à l’âme torturée est pris au piège d’un enchevêtrement de lignes, un fond orageux, nasse à laquelle il est impossible d’échapper. De même, la Femme se peignant les cheveux de Hashiguchi Goyô, bien qu’ancrée dans la tradition, emporte le portrait vers de nouveaux horizons, avec sa masse de cheveux, rivière de soie tombant en cascade.

Le 1er septembre 1923, le grand tremblement de terre du Kantô détruit 40% de Tokyo. Ce cataclysme ne fait pas que détruire les vies et emporter l’héritage des tokyoïtes, il marque l’entrée dans une ère nouvelle. La catastrophe est suivie d’une reconstruction, admirable résilience d’un peuple qui voit s’activer la modernisation de la société et grandir l’influence de la culture occidentale. On y assiste au renouveau de l’estampe: si le shin hanga (estampes nouvelles) perpétue la tradition, la collaboration entre peintre, graveur et imprimeur, le sôsaku hanga (estampes créatives) voit l’artiste dessiner, graver et imprimer lui-même ses œuvres.

Les artistes viennent documenter l’étendue de la catastrophe, de ses croquis, Hiratsuka Un.ichi réalise douze gravures sur bois, les Paysages de ruines après le tremblement de terre de Tokyo. D’autres artistes illustrent des petits livrets de témoignages, l’Elégie du tremblement de terre : Ueno, Honjo et Yoshiwara. Magnifique art populaire de dessins imprimés en trois couleurs, rouge, bleu et noir. L’économie de moyens produit un dessin audacieux et vivant, les femmes portent des kimonos bleus qui s’envolent comme des flammes ou se froissent en chiffons pour y enfouir son visage.

Dans cette inventivité nouvelle, le flou exprime la pluie qui tombe, la neige est grattée, griffée sur le bois, le noir et blanc contrasté de troncs d’arbres flottants forme une abstraction. Un personnage est assoupi sur sa charrette devant des faisceaux de bambous en attente de livraison. Ceux-ci s’écartent comme un rideau de théâtre laissant voir la rivière Sumida. Kawase Hasui grave des images nostalgiques d’un Edo en train de disparaître. Les piles du pont Kaminohashi à Fukagawa encadrent les voiles d’un bateau, le présent déjà devenu souvenir. La poésie de marchands de daikon, d’enfants jouant sous un cerisier en fleurs se peint dans une grande inventivité graphique.

La simplification presque naïve d’une ruelle d’Asakusa par Koizumi Kishio évoque la désolation d’un quartier, sa condamnation par la modernité à disparaître. Le nouveau Tokyo le voilà: les images d’usines, de ponts basculants, d’acier et de béton de Koizumi Kishio. Un dessin simple, synthétisé en aplats géométriques de Fujimaki Yoshio, deux ou trois couleurs, et les gazomètres de Senju sont spectaculaires de rouge et de gris, colorés comme une réclame. Zone industrielle aux cheminées fumantes de Maekawa Senpan, lithographies poudreuses d’Oda Kazuma, les usines font désormais partie du paysage. Il reste toutefois quelques pêcheurs profitant du fleuve, faisant fi des silhouettes grises des manufactures. La gare de Gotanda, sa voie surélevé, un quai de gare bondé, la foule s’engouffre dans l’escalier. Jusqu’à la couleur, le jaune et le bleu, tout procède de l’accélération.

A l’empressement des citadins, la vitesse des trains et des automobiles, s’oppose l’effervescence du marché central gravé par Kawase Hasui, son aspect intemporel malgré la structure métallique du toit et les vêtements à l’occidentale. La vie nocturne est électrique, Ginza la nuit, par Fujimori Shizuo montre une foule déambuler sous les néons des bars, aller aux grands magasins. Les derniers roseaux au bord d’un canal de drainage tentent de survivre à l’avancée de la ville. L’aérodrome Haneda promet un futur plein d’audaces. Le futur, nous y sommes déjà, les Jeunes gens modernes immortalisés par Yamakawa Shûhô portent de nouveaux kimonos, de nouvelles couleurs, de nouvelles coiffures. Les mobo et moga, modern boys et modern girls, fréquentent les cafés de Ginza, de Shinjuku, les théâtres. Kawakami Sumio les imprime en rose et en turquoise, enivrés par une fête qui semble ne jamais devoir prendre fin. Une danseuse rouge sur fond noir est griffonnée à même le bois, énergie brute, sauvage, musicale de Kawamura Shûji. Ce monde de la nuit célèbre sa sexualité brûlante et le triomphe de ses nouvelles idées.

Il reste du Tokyo d’avant un peu d’innocence perdue, la Pêche aux poissons rouges de Yoshida Hiroshi, des enfants sages avec leurs casquettes, les kimonos bleus de la classe laborieuse de leurs mères. La délicatesse de Kawase Hasui, son Jardin d’iris, la neige sur le temple Zôjô-ji, des scènes silencieuses, contemplatives, sentimentales, l’héritage des siècles précédents est chéri. Le temps du dessin, de la gravure, le souci du détail le plus infime sur lequel tient toute l’harmonie de l’ensemble sont des trésors. Comme dernière image de la modernité triomphante, la Tour de Tokyo de 1959 par Kasamatsu Shirô marque l’aboutissement de cette transformation. Tokyo a achevé sa mue, elle incarne désormais la modernité et en est un exemple pour le monde entier.

Sylvain Silleran


Extrait du communiqué de presse :

Commissariat :

Shûko KOYAMA, conservatrice, Tarô NITTA, conservateur au Tokyo Metropolitan Edo-Tokyo Museum

Organisation : MCJP / Fondation du Japon, Tokyo Metropolitan Foundation for History and Culture, Tokyo Metropolitan Edo-Tokyo Museum.



À l’automne-hiver 2024, la Maison de la culture du Japon à Paris (MCJP) consacre son temps fort d’exposition temporaire aux transformations urbaines et sociétales de la ville de Tokyo, suite aux ravages du Grand tremblement de terre du Kantô de 1923, au travers d’une proposition mettant à l’honneur l’art de l’estampe moderne de la première moitié du XXe siècle.

Edo, ancienne capitale shogunale, devient Tokyo en 1868 et se modernise à grande vitesse tout au long de l’ère Meiji. Mais c’est durant l’ère Taishô, en 1923, que le coeur du Japon s’accélère, dévasté par le séisme de la région du Kantô faisant plus de 100 000 morts et détruisant 44% de la ville d’alors. Les travaux de reconstruction vont cependant permettre le développement des routes et du réseau ferré, la rénovation des voies fluviales, la création de parcs… La capitale se métamorphose en une ville de béton et d’acier qui s’agrandit considérablement en 1932 en fusionnant avec les villes et villages environnants.

Au travers d’une centaine d’oeuvres issues des collections de l’Edo-Tokyo Museum et centrées sur la période des années 20 et 30, le parcours imaginé par les commissaires de l’exposition, scandé en 4 thématiques distinctes, fait dialoguer des estampes modernes avec des affiches, photographies, accessoires de mode et cartes, afin d’éclairer les visiteurs sur l’histoire de l’évolution de Tokyo, devenue une capitale bouillonnante.

L’exposition s’ouvre sur le maître de l’estampe ukiyo-e Kobayashi Kiyochika avec des vues de sites célèbres du Tokyo de la fin du XIXe siècle.

Un premier volet réunit des oeuvres datées d’avant le Grand tremblement de terre du Kantô, à l’ère Taishô (1912-1926), période où naissent deux nouveaux courants de gravure : les shin hanga (nouvelles estampes) et les sôsaku hanga (estampes créatives). S’inscrivant dans un souci de réinvention des formes d’expression, les shin hanga continuent pourtant d’établir une séparation entre le peintre, le graveur et l’imprimeur, sous la direction d’un éditeur, tandis que les sôsaku hanga, quant à elles, sont réalisées par des artistes qui dessinent, gravent et impriment eux-mêmes leurs oeuvres. Dans ces estampes, les artistes expérimentent les possibilités renouvelées qu’offre la technique de la gravure et expriment leur personnalité au travers de paysages urbains ou de scènes de la vie quotidienne.

Le séisme du 1er septembre 1923 fait l’objet d’une deuxième section dans laquelle est notamment dévoilée la série Paysages de ruines après le tremblement de terre de Tokyo de Hiratsuka Un.ichi. Réunissant des photographies, documents et objets de natures variées, ce chapitre de l’exposition présente les conséquences désastreuses de cette catastrophe naturelle.

Un troisième volet met en lumière la reconstruction de la capitale, guidée par le plan d’urbanisme « Travaux de reconstruction de la capitale impériale ». Ces programmes métamorphosent Tokyo en une ville aux rues bordées d’immeubles de béton et d’acier, sujets de nombreuses estampes qui dépeignent ces paysages reconfigurés. Au-delà des transformations urbaines, la capitale s’agrandit considérablement. En effet, en 1932, les cinq régions qui entouraient Tokyo durant l’ère Meiji ainsi que 82 villes et villages limitrophes fusionnent avec la capitale, donnant naissance au Grand Tokyo qui compte alors 35 arrondissements. Les séries Douze vues du Grand Tokyo de Fujimori Shizuo et Cent vues du Grand Tokyo à l’ère Shôwa de Koizumi Kishio présentées dans cette section témoignent de l’ampleur de la capitale.

Enfin, le dernier chapitre révèle l’émergence de la culture de la consommation dans la ville nippone ainsi déployée. Une fois transformée, Tokyo accueille les grands magasins et les lieux de divertissement tels que les cafés et les salles de spectacle, et voit la mode occidentale gagner peu à peu les quartiers de Ginza, d’Asakusa et de Shinjuku. La culture urbaine qui s’épanouit à cette époque et les Tokyoïtes qui fréquentent ces endroits à la mode, sont autant de thèmes affectionnés par les graveurs de cette période.

Un épilogue, dédié aux estampes d’après-guerre de style shin hanga, vient clôturer le parcours en établissant un lien avec le Tokyo d’aujourd’hui.


PARCOURS DE L’EXPOSITION

Introduction : L’envol de la modernisation

En janvier 1868, le gouvernement de Meiji remplace l’ancien shogunat d’Edo. Pendant la période charnière de la fin du règne des shoguns Tokugawa jusqu’à la restauration Meiji, la culture occidentale déferle sur le pays, entraînant des changements majeurs dans la vie des Japonais. Pour illustrer les transformations de l’époque et un quotidien désormais bien différent du « monde flottant » (ukiyo) d’Edo, sujet traditionnel des estampes, les artistes utilisent des colorants synthétiques importés de l’étranger. Leurs oeuvres, que l’on nomme kaika-e (« estampes de l’ouverture [à la civilisation] »), se focalisent sur la description des us et coutumes des étrangers de Yokohama – dont le port est maintenant ouvert au commerce international -, l’arrivée des trains à vapeur ou encore les grandes expositions qui accompagnent l’essor industriel. Par ailleurs, à la même époque, Kobayashi Kiyochika (1847-1915) puis Inoue Yasuji (1864-1889) commencent à publier des gravures sur bois, connues plus tard sous le nom de kôsen-ga (« estampes aux lignes lumineuses »). À la différence des estampes classiques, ces oeuvres influencées par l’introduction au Japon de peintures à l’huile, d’aquarelles, de lithographies et de photographies en provenance de l’Occident, s’attachent à saisir des phénomènes naturels éphémères, l’ombre et la lumière. Prenant elles aussi pour thème un paysage tokyoïte transformé par la modernisation en marche, elles utilisent les éléments de la modernisation comme une composante de la peinture de paysage. La coexistence dans ces gravures de la description de la ville moderne et d’une certaine nostalgie de l’ancien Edo, combinée à l’expression de l’ombre et de la lumière, confère un souffle nouveau au monde de l’estampe.


I. Tokyo avant le Grand tremblement de terre du Kantô

Au tournant du XXe siècle, Tokyo se modernise à grands pas et le paysage urbain se transforme. Les tramways, entrés en service en 1903, deviennent le principal moyen de transport dans le centre-ville. En 1911, le pont de bois de Nihonbashi, point de départ des grandes routes qui traversent le Japon, est remplacé par l’actuel pont en pierre de style Renaissance. En 1912, le nom de l’ère change : on est désormais dans l’ère Taishô. En 1914, l’achèvement de la construction de la gare de Tokyo marque la naissance d’un nouveau point de repère dans la capitale. Toutefois, la modernisation de la ville a pour corollaire un sentiment de regret grandissant. Des voix s’élèvent pour déplorer la disparition de l’ancien Edo et une tendance à la réminiscence du passé se développe. Les grands magasins lancent toutes sortes de produits aux motifs anciens tels les « motifs [de l’ère] Genroku » : la nostalgie devient à la mode. Dans le monde de l’estampe, l’ukiyo-e, qui jouissait d’une grande réputation à l’étranger, est en plein déclin, la photographie et les journaux lui ayant confisqué son rôle informatif. Le nombre d’éditeurs publiant des gravures sur bois a fortement diminué, les nouveaux maîtres de l’ukiyo-e se font rares et graveurs et imprimeurs font faillite les uns après les autres. Dans ce contexte naissent des mouvements pour le renouveau de l’estampe. Ainsi, le mouvement sôsaku hanga (estampe créative) prône l’étude de l’art de l’estampe occidentale et la réalisation par l’artiste lui-même du dessin, de la gravure et de l’impression. À l’inverse, dans le mouvement shin hanga (nouvelle estampe), rassemblé autour de l’éditeur Watanabe Shôzaburô, artiste, graveur et imprimeur collaborent à la création de l’oeuvre. Dans les différentes oeuvres ainsi produites se font jour des techniques de gravures innovantes, qui renouvellent le genre de l’ukiyo-e, permettant à l’attrait japonais pour les gravures sur bois de se perpétuer. Les thèmes choisis, centrés sur les paysages de la ville et la vie de ses habitants, reflètent l’individualité marquée de chaque artiste.


II. Le Grand tremblement de terre du Kantô

Le 1er septembre 1923, à 11 heures 58 minutes, un violent séisme de magnitude 7,9 frappe l’ouest du département de Kanagawa, sur la côte pacifique du Japon. Le foyer se situe à 25 km de profondeur et la première secousse est suivie de plusieurs répliques de magnitude 7.

La destruction des habitations et infrastructures causée par la violence du séisme s’étend non seulement aux zones situées sur le plan de faille, mais également à celles des plaines alluviales de bassins fluviaux éloignés. Les feux qui se déclarent en divers endroits dans les zones densément peuplées comme Tokyo et Yokohama, attisés par des vents violents, provoquent des incendies majeurs qui feront plus de 105 300 morts. 293 300 maisons sont également détruites par les secousses, incendiées ou emportées par les eaux. L’ampleur des ravages causés par cette catastrophe naturelle, connue sous le nom de « Grand tremblement de terre du Kantô », est sans égale dans l’histoire du Japon. De nombreux artistes locaux ou d’ailleurs, notamment de la région du Kansai (où se trouvent Osaka, Kôbe et Kyoto), venus à Tokyo après la catastrophe, ont représenté de diverses manières le paysage de la capitale ravagée par les incendies et les destructions. Leurs témoignages sont publiés dans des journaux et des magazines, leurs peintures à l’huile présentées lors d’expositions. De plus, apparaissent des groupes composés notamment d’artistes souhaitant embellir la ville après la catastrophe. Cependant, peu de gravures représentant le drame sont produites par les graveurs appartenant aux mouvements shin hanga et sôsaku hanga. Le graveur Hiratsuka Un.ichi, qui habitait la partie ouest de Tokyo, relativement épargnée, réalise des croquis après le séisme à partir desquels il produit une série de douze gravures sur bois intitulée Paysages de ruines après le tremblement de terre de Tokyo, en édition limitée de cinquante exemplaires. À l’inverse de nombreuses oeuvres où s’exprime le sentiment du tragique, les lignes audacieuses de Hiratsuka dépeignent sans afféterie les ravages provoqués par le séisme.


III. La reconstruction de Tokyo

La reconstruction de la capitale entièrement ravagée par la catastrophe est désormais un enjeu majeur pour le gouvernement et un plan de reconstruction est élaboré. En dépit de coupes dans le budget, initialement prévu pour un projet spectaculaire de reconstruction, le réaménagement des terrains progresse et le remodelage de la capitale à grande échelle, entre 1924 et 1930, entraîne une transformation considérable du paysage urbain. De fait, depuis 1920 environ, la population des quinze arrondissements de Tokyo avait tendance à diminuer au profit de celle des banlieues à la lisière de la ville, et le séisme incite encore plus de personnes à s’installer dans les zones périphériques relativement épargnées. En 1925, la population des banlieues est 1,5 fois supérieure à celle de 1920, et les transports qui relient la ville à la banlieue se développent au fur et à mesure que s’étendent les zones d’habitation. La ligne ferroviaire circulaire Yamanote, inaugurée en 1925, devient une artère centrale de transport dans la capitale et les alentours de certaines gares de cette ligne, Shinjuku, Shibuya ou encore Ikebukuro, d’où partent les lignes menant vers les banlieues, se muent en nouveaux foyers d’effervescence urbaine. En 1932, Tokyo fusionne avec 82 bourgs et villages de cinq comtés (gun) voisins, organisés en 20 arrondissements qui, ajoutés aux 15 déjà existants porte le nombre d’arrondissements de la capitale à 35, officialisant ainsi l’expansion de la zone urbaine et des espaces de vie. Cette conurbation constitue le « Grand Tokyo ». En 1936, ce nouveau Tokyo devient une métropole d’une superficie d’environ 554 kilomètres carrés, comptant une population de 5,31 millions d’habitants, soit environ la même taille que les 23 arrondissements de l’actuel Tokyo.


IV. Le Tokyo moderne et ses habitants

« Le Tokyo d’aujourd’hui n’est plus le Tokyo de jadis ». Cette phrase de Kon Wajirô dans son Nouveau guide du Grand Tokyo ne fait pas seulement référence à la nouvelle architecture d’acier et de béton. Il mentionne les « voitures, routes nouvelles, immeubles, grands magasins, employés de bureau, cafés, mobo moga [garçons et filles modernes], etc. » comme autant d’éléments nouveaux auxquels on est désormais confronté dans la ville (metropolis), et décrit les changements majeurs de l’époque dans le mode de vie, l’habillement et les divertissements. Parmi les images de la ville en reconstruction après le Grand tremblement de terre du Kantô, on trouve également de nombreuses représentations de la vie nocturne : nouveaux lieux de divertissement tels que les cafés, les cinémas, les dancings, mais aussi rangées de vitrines et illuminations de rues. Le spectacle désordonné et fascinant de la vie nocturne séduit nombre d’artistes, qui expriment leur perception des lumières et les ombres de la nuit de Tokyo à travers les traits et les couleurs vives de leurs gravures. Cette période sera toutefois de courte durée. Au début des années 1940, le Japon s’enfonce dans la Seconde Guerre mondiale. Exprimer dans les estampes la perspective d’une vie urbaine hédoniste, telle que nous venons de la décrire, est désormais impossible.


Épilogue : un paysage qui continue à se transformer

Entre les années 1920 et 1930, le développement de la capitale devient pour les artistes un sujet à prendre au sérieux. Un groupe de graveurs d’estampes créatives (sôsaku hanga) déclare lors du lancement de leur série Cent vues du nouveau Tokyo: « Nous voulons transmettre à la postérité l’odeur de l’air et la respiration des habitants du Tokyo où nous vivons ». Ce slogan reflète également l’ambition globale de l’estampe japonaise de paysage tout au long de son histoire, de l’ukiyo-e à la gravure moderne. Rétrospectivement, l’entre-deux-guerres apparaît comme une période extrêmement précieuse au cours de laquelle de nombreux artistes graveurs ont représenté Tokyo, chacun avec son expressivité propre. Après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le Japon prend un nouveau départ en tant que pays démocratique ouvert au monde, les artistes de sôsaku hanga (estampe créative) retrouvent leur liberté d’expression et déploient leur activité sur la scène internationale. S’ils ne produisent plus de paysages de Tokyo en tant que groupe, ils poursuivent individuellement leur quête d’expression artistique. En ce qui concerne les artistes de shin hanga (nouvelle estampe), qui collaborent avec des graveurs et des imprimeurs, le pays dévasté de l’immédiat après-guerre ne se prête plus à leur conception lyrique du paysage. Des scènes débordantes d’émotion, saisies avec sensibilité, réapparaîtront dans les années 1950, alors que commence l’ère de la croissance économique rapide, dans un Tokyo reconstruit. Hasui dépeint avec affection les rares paysages de Tokyo épargnés, tandis que Kasamatsu Shirô – celui des artistes de shin hanga qui a persévéré le plus longtemps dans cette voie – exprime sobrement, avec peu de couleurs, la riche graduation des lumières nocturnes de la tour de Tokyo, haute de 333 mètres, symbole de la reconstruction. Ce sera la dernière oeuvre de ce type pour Kasamatsu, qui se tourne ensuite vers l’estampe créative.