“Jacques Prévert, le rêveur d’images” au Musée de Montmartre – Jardins Renoir, du 18 octobre 2024 au 16 février 2025
“Jacques Prévert, le rêveur d’images”
au Musée de Montmartre – Jardins Renoir, Paris
du 18 octobre 2024 au 16 février 2025
Musée de Montmartre – Jardins Renoir
Texte Sylvain Silleran
Jacques Prévert, Désert de Retz, avant 1963. Collage réalisé à partir d’une photographie argentique d’Izis. Collection Eugénie Bachelot Prévert, Adagp, Paris, 2024.
Jacques Prévert, Portrait de Janine, vers 1943. Collage sur papier, 61 x 49,5 cm, collection Eugénie Bachelot Prévert. © Fatras – Succession Jacques Prévert / Adagp, Paris, 2024.
Jacques Prévert rêveur d’images
Musée de Montmartre
Comme un livre aux pages éparpillées, les murs sont constellés de petits morceaux de poèmes, ces fragments d’étoiles où Jacques Prévert aimait résider. Les images d’Epinal de son enfance, l’imagerie populaire de contes de fées et les histoires de cowboys et d’indiens, petits romans de gare, sont les livres de l’école buissonnière d’un rêveur refusant de se laisser dompter. Plus tard il rejoindra le surréalisme comme un maquis contre l’autorité militaire, policière, religieuse.
Un cadavre exquis de 1925 dessiné avec Yves Tanguy, des photomatons de jeunesse potache, le surréalisme est abordé avec joie et fraîcheur. Pour y trouver de la gravité il faut lire l’article corrosif et impitoyable: ‘Mort d’un Monsieur’ avec lequel il signe sa rupture avec André Breton. Texte et dessins se mélangent dans une expression libre de toute contrainte, fil de pensée qu’on peut voir se dérouler, s’emmêler et se dénouer. C’est ainsi que se tricotent les scénarios dessinés des chefs d’œuvre du cinéma que sont Les Visiteurs du soir et Les Enfants du Paradis. Il y a des serpents et des monstres ailés, un crocodile et un funambule, des symboles griffonnés, des flèches qui pointent vers quelque dénouement ou finissent nulle part. Prévert fait un numéro d’équilibriste entre candeur et noirceur, remplit l’unique page du codex d’un monde intérieur en perpétuel mouvement.
Mais Jacques Prévert c’est d’abord des amis, des amitiés. Il laisse à ses proches une œuvre intime, sensible, faite de lettres, de dessins. Il écrit des textes pour leurs livres d’artistes: le bestiaire de Picasso, chèvres, silhouettes, visages enfantins ou faunes découpées dans des photographies noir et blanc, l’alphabet de couleurs primaires de Calder, les signes cabalistiques de Miró, Les chiens ont soif de Max Ernst, les illustrations de Chagall du Décaméron de Boccace…
Sur sa table, Prévert pratique le collage, discipline surréaliste par excellence. Un enfant pas si sage sort de la couverture d’un livre rouge comme un rideau de théâtre, marionnette de papier dont on se surprend à guetter le mouvement. Son vocabulaire est constitué d’images chinées chez les bouquinistes, d’albums religieux. Saints et figures pieuses se retrouvent projetés dans un monde de monstres et de singes, les exemples vertueux ont bifurqué pour s’égarer sur les chemins de traverse. Des tableaux classiques écorchés vifs, disséqués par le scalpel d’un sale gosse font penser à un Arcimboldo ébouriffé, des grands cœurs anatomiques sont affublés de jolies gambettes, une femme enceinte et son Adam à la belle moustache, pudiquement vêtu d’une feuille de vigne sortent d’un mur photographié par Brassaï. Des Jésus plongent dans une fontaine au milieu du château de Versailles, un enfant espiègle mord avec délice dans une tranche de melon.
Prévert se met en scène dans un bel intérieur, buvant un coup avec des personnages masqués de comédie. Il bricole des cartes postales pour ses amis. Dans une distorsion d’échelle, une femme minuscule se perd dans des fleurs, un Gargantua barbu, Saint Nicolas imposant, trône sur le grand escalier de l’opéra de Paris. Paris se retrouve haché menu, passé à la moulinette surréaliste: un Christ est crucifié sur les ailes du moulin rouge ou un pape en fait son Vatican pendant que le Sacré Cœur se voit déplacé sur l‘île de la cité. Un coq déplumé fanfaronne fièrement devant l‘arc de triomphe tandis que des Indiens s’échappent des livres des bouquinistes. Dans ce rejet féroce de la religion, des moines s’occupent à changer l’ampoule d‘un lustre comme des illusionnistes bidouillant un truc, un Jésus sort d’un lit avec un enfant. Dans un bas-fond, on trouve la panoplie du petit curé assassin, son chapeau, un pistolet, un couteau publicitaire Suze, un crucifix et un petit bébé cassé, poupée de celluloïd destroy, assemblés par Siné. Aucun espoir à attendre: un monstre, chauve-souris laide comme une gargouille emporte une Vénus sous les prières de saints.
Les Éphémérides sont un agenda poétique, chaque page est une grande fleur dessiné au feutre, elles se succèdent, l’une après l’autre, sans reliure, comme les pétales effeuillées par un amoureux. Prévert s’empare du feutre, cette nouvelle invention qui promet encore plus d’imprudence. Il n’y a pas de dates, les jours se succèdent librement, simplement vendredi 3 ou mardi 7. La vie, quoi. Les annotations, numéros de téléphone, noms, heures mélangent l’agenda et le journal. Le temps futur devient passé, peu importe, la vie qui défile, les jours qui s’envolent, feuilles mortes échappant à la pelle, est un conte, un rêve fleuri couleur Garance.
Sylvain Silleran
Extrait du communiqué de presse :
Commissariat :
Eugénie Bachelot-Prévert, petite fille et unique ayant-droit de Jacques Prévert, artiste plasticienne, également présidente de l’association « Chez Jacques Prévert »
Alice S. Legé, docteure en histoire de l’art, responsable de la conservation du musée de Montmartre
L’oeuvre de Jacques Prévert (1900-1977) a marqué le 20ème siècle et touché de nombreuses générations. Par son imagination foisonnante et sa créativité débordante, il donne vie à une oeuvre unique, pleine de magie et d’humanité, ici plus de 150 objets de formats divers (peintures, dessins, lithographies, manuscrits, photographies, objets, archives, extraits de films et d’interviews…) racontent un artiste méconnu malgré lui.
Si l’année 2024 célèbre le centenaire du surréalisme, c’est aussi l’occasion de célébrer les 70 ans de l’installation de Jacques Prévert dans le 18ème, Cité Véron (juste au-dessus du Moulin Rouge) en 1955. Pas étonnant que le musée de Montmartre se soit emparé de cette figure incontournable, que l’on connaît d’abord et surtout comme poète et scénariste, mais dont la création s’étend bien au-delà.
Car Jacques Prévert est un artiste aux multiples facettes. Parolier de Barbara et d’Yves Montand, scénariste et dialoguiste pour « Les Enfants du paradis » de Marcel Carné, poète célébré dans les cours d’écoles, dramaturge, humaniste engagé, pleinement surréaliste, il a également consacré une part importante de sa vie aux arts visuels : planches de scénarios illustrées, collaborations artistiques avec des peintres, sculpteurs et photographes, collages surréalistes, Éphémérides…
Ces créations, plus intimes et confidentielles, souvent éclipsées par ses écrits mais tout aussi révélatrices de son génie, méritent aujourd’hui d’être redécouvertes et sont mises en lumière dans l’exposition « Jacques Prévert, rêveur d’images ».
Tel un alchimiste, Prévert jongle avec les images comme il manie les mots, il les décortique, les assemble, construit et crée des mondes « à la Prévert », nous emportant dans sa rêverie et son temps. Profondément poétiques et visuelles, elles viennent enrichir notre compréhension de l’univers prolifique de l’artiste.
Edito par les commissaires Eugénie Bachelot-Prévert et Alice S. Legé
Jacques Prévert, c’est ce grand homme, profondément libre, empreint d’humour, de tendresse et d’impertinence, et dont l’imagination foisonnante et la créativité débordante donnent à son oeuvre toute sa magie et son unicité. Amoureux des mots et des images depuis toujours, il consacre sa vie à jouer et rêver avec eux, à les faire chanter et danser dans des univers qui nous emmènent au coeur de la vie, avec son infinité de couleurs, d’émotions, de décors, de secrets et sa grande humanité.
À l’occasion de la célébration du centenaire du surréalisme et du soixante-dixième anniversaire de l’installation de Prévert en 1955 au 6 bis, Cité Véron –juste au dessus du Moulin Rouge – le musée de Montmartre met à l’honneur celui qu’on connaît d’abord et surtout comme poète et scénariste, mais dont la création s’étend bien au-delà.
Nourri des univers merveilleux des contes de son enfance et façonné par les années surréalistes du phalanstère de la rue du Château, Jacques Prévert est un artiste aux multiples facettes. Parolier et auteur de chansons, dramaturge, humaniste engagé, pleinement surréaliste, il a également consacré une part importante de sa vie et de sa force créative aux arts visuels :
Collages, dessins et éditions de bibliophilie. Ces créations, plus intimes et confidentielles, souvent moins connues que ses écrits mais tout aussi révélatrices de son génie créatif, méritent aujourd’hui d’être redécouvertes et mises en lumière. Tel un alchimiste, Prévert décortique, assemble, construit et crée des mondes « à la Prévert », nous emportant dans sa rêverie et son temps. Planches de scénarios illustrées, collaborations artistiques avec ses amis peintres Picasso, Miró, Calder, Ernst, Braque ou Chagall, collages surréalistes, Éphémérides… Ces Œuvres profondément poétiques et visuelles viennent enrichir notre compréhension de l’univers créatif de l’artiste, et révèlent une liberté artistique et une inventivité sans bornes. Elles témoignent combien Prévert était passionné du dialogue entre les arts, et à quel point l’interaction et l’amitié étaient au coeur de son processus créatif.
Grâce à la grande générosité et l’engagement de sa petite-fille Eugénie Bachelot Prévert, que nous remercions très chaleureusement, l’exposition s’achève dans l’intimité de Jacques Prévert avec la présentation de son bureau de la Cité Véron. Lieu de création par excellence et fantastique cabinet de curiosités, il est à l’image de l’artiste, rêveur d’images et magicien des mots.
L’exposition se séquence ainsi en quatre parties :
« Une vie arborescente » : cette partie hautement biographique vient montrer combien l’enfance et le surréalisme façonnent et font «advenir» Prévert, dans son univers créatif.
« Jacques Prévert au pays des peintres », rassemble quelques-unes de ses plus belles collaborations artistiques « à quatre mains » qui font l’objet d’éditions de bibliophilie précieuses. Réalisées avec Picasso, Miro, Calder, Ernst, Braque ou Chagall, elles témoignent combien Prévert était passionné du dialogue entre les arts, et à quel point l’interaction et l’amitié étaient au coeur de son cheminement artistique.
« Collages : le manège des images », présente un ensemble très important et diversifié d’oeuvres de Jacques Prévert. Absolument surréalistes, ces collages surprenants, autant poétiques qu’ironiques, révèlent une liberté artistique et une inventivité sans bornes. Prévert vint composer ses imaginaires en faisant côtoyer les images colorées de son enfance et un vaste univers d’images populaires dont des chromos lithographies, des gravures sur cartes postales, photographies d’amis…
« Le temps et l’espace » – titre d’un poème de Prévert- présente une série des Éphémérides de l’artiste, dont Matisse disait qu’il était « L’ami intime des fleurs vivantes ». Ces pages d’agenda, sont de grandes feuilles blanches sur lesquelles Prévert dessine une grande fleur colorée, inscrit le jour de la semaine et ses rendez-vous… Elles sont représentatives du talent de Prévert pour capturer la beauté du quotidien et l’essence des moments fugaces pour les transformer en poésie.
Le parcours s’achève ensuite « Chez Jacques Prévert », dans l’intimité de l’artiste, avec la présentation de son bureau de la Cité Véron, présenté pour la première fois hors les murs. Lieu de création par excellence et fantastique cabinet de curiosités, il est à l’image de l’artiste, d’un Prévert rêveur d’images et magicien des mots…