🔊 “Carmontelle” ou le temps de la douceur de vivre, au Domaine de Chantilly, du 5 septembre 2020 au 3 janvier 2021 (prolongée jusqu’à mi-juillet 2021)
“Carmontelle” ou le temps de la douceur de vivre
au Cabinet d’Arts Graphiques Domaine de Chantilly
du 5 septembre 2020 au 3 janvier 2021 (prolongée jusqu’à mi-juillet 2021)
PODCAST – Interview de Nicole Garnier-Pelle, conservateur gĂ©nĂ©ral du Patrimoine chargĂ©e du musĂ©e CondĂ© et commissaire de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Chantilly, le 4 septembre 2020, durée 7’53, © FranceFineArt.
© Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, voyage presse et prĂ©sentation de l’exposition, le 4 septembre 2020.
Extrait du communiqué de presse :
Commissariat :
Nicole Garnier-Pelle, conservateur général du Patrimoine chargée du musée Condé.
Auteur dramatique, dessinateur, paysagiste, Louis Carrogis, dit Carmontelle (Paris, 1717-1806) est un brillant amateur dont les multiples talents reflètent le milieu cultivé et cosmopolite dans lequel il évolue. Ordonnateur des fêtes du duc d’Orléans, célèbre pour ses portraits comme pour ses comédies improvisées appelées Proverbes, il dessine le parc Monceau à Paris pour le duc de Chartres et met au point les transparents, rouleaux de papier faisant défiler de riants paysages.
De Mozart à Buffon, de Rameau au baron Grimm, il dresse le portrait fidèle du tout-Paris du milieu du XVIIIe siècle : princes du sang, écrivains, philosophes, musiciens, scientifiques, belles élégantes du « temps de la douceur de vivre », selon le mot de Talleyrand sur l’Ancien Régime. Grâce à Henri d’Orléans, duc d’Aumale (1822-1897), descendant des Orléans qui rachète la majeure partie de ce fonds en 1877, le musée Condé à Chantilly conserve la plus belle collection au monde de Carmontelle avec 484 portraits dessinés et un transparent.
DĂ©buts
Fils d’un maĂ®tre cordonnier parisien, Louis Carrogis, après des Ă©tudes de gĂ©omĂ©trie, est « ingĂ©nieur » en 1744. Pour faire oublier sa modeste extraction, il prend le nom de Carmontelle. Durant la guerre de Sept Ans (1756-1763), il participe aux campagnes comme topographe, croquant les soldats de son rĂ©giment et faisant jouer des comĂ©dies improvisĂ©es. Ses premiers dessins sont alors exĂ©cutĂ©s Ă la pierre noire et Ă la sanguine, Ă la diffĂ©rence des Ĺ“uvres postĂ©rieures.
Au service des Orléans. « Des portraits mauvais, mais ressemblants » (Grimm)
En 1759, son ami le chevalier de Pons propose au duc Louis- Philippe d’Orléans (1725-1785) de nommer Carmontelle lecteur de son fils Louis-Philippe-Joseph, duc de Chartres (1747-1793), futur duc d’Orléans et futur Philippe Egalité. Il réalise alors les portraits à la gouache et à l’aquarelle de toute la cour des Orléans du Palais-Royal, à Saint- Cloud et Villers-Cotterêts de 1755 à 1784, sous Louis XV et Louis XVI. «Cette place, quoique honorable, dit Mme de Genlis, était en quelque sorte subalterne, puisqu’elle ne donnait pas le droit de manger avec les princes, même à la campagne ». Dessinateur amateur, Carmontelle privilégie par facilité les portraits de profil, selon la mode lancée par Etienne de Silhouette (1709-1769), dissimulant ainsi son manque de technique. Il parsème ses portraits d’objets symboliques : scientifiques au travail, musiciens jouant de leur instrument, cantatrices sur scène, veneurs à cheval, collectionneurs avec leurs objets favoris, et s’attache aux costumes, étonnamment diversifiés. Les fonds sont, tantôt des appartements luxueux, tantôt des jardins animés de fontaines
Selon le baron Grimm, secrĂ©taire du duc d’OrlĂ©ans (1763): « M. de Carmontelle se fait depuis plusieurs annĂ©es un recueil de portraits dessinĂ©s au crayon et lavĂ©s en couleurs de dĂ©trempe. Il a le talent de saisir singulièrement l’air, le maintien, l’esprit de la figure plus que la ressemblance des traits. Il m’arrive tous les jours de reconnaĂ®tre dans le monde des gens que je n’ai jamais vus que dans ses recueils. Ces portraits de figures, toutes en pied, se font en deux heures de temps avec une facilitĂ© surprenante. Il est ainsi parvenu Ă avoir le portrait de toutes les femmes de Paris, de leur aveu. Ses recueils, qu’il augmente tous les jours, donnent aussi une idĂ©e de la variĂ©tĂ© des conditions ; des hommes et des femmes de tout Ă©tat, de tout âge, s’y trouvent pĂŞle-mĂŞle, depuis M. le Dauphin jusqu’au frotteur de Saint-Cloud ».
Les Proverbes « L’ami Carmontelle fournit des pièces comme des petits pâtés » (Grimm)
Pour distraire la famille d’Orléans, de Condé ou les amis de Mme d’Epinay à Montmorency, Carmontelle écrit des comédies ou proverbes dans la tradition du théâtre amateur, sur le thèmes des relations conjugales et des dettes, et publie ses oeuvres de 1768 à 1781 ; son nom et celui de Diderot sont réunis sur une affiche de théâtre en 1769. Selon Grimm (1771) : « Il est lui-même auteur passable ; il dessine fort bien pour un homme dont ce n’est pas le métier ; il a du goût et c’est un des ordonnateurs de fêtes de société le plus employé à Paris », mais pour Diderot : « M. de Carmontelle n’a jamais pu faire une comédie supportable.»
Carmontelle critique de Salons.
Carmontelle l’amuseur, Carmontelle l’amateur, s’intéresse aux tendances artistiques nouvelles. Dès 1765, dans ses Salons, Diderot rapporte leur discussion sur la peinture religieuse. Sensible à l’art de Greuze, il apprécie David et publie régulièrement mais de façon anonyme des critiques de Salon de 1779 à 1789.
Le créateur de « jardins naturels »
A cinquante ans passés, Carmontelle devient paysagiste. En 1769, le duc de Chartres achète le domaine de Mousseaux au pied de la colline de Montmartre : topographe, amateur de jardins et de fêtes, Carmontelle y crée la « Folie de Chartres » (1770-1774), dont une partie est l’actuel parc Monceau. Il appelle ce parc « un jardin naturel », animé de fabriques, dénigrant les pelouses à l’anglaise et critiquant la simplicité de Jean-Jacques Rousseau. Cela rend Carmontelle célèbre, mais le duc de Chartres fait appel au paysagiste écossais Thomas Blaikie qui modifie le parcours.
Les transparents
Dans les années 1780, pour amuser la cour des Orléans, il met au point un système permettant de dérouler un paysage peint de façon continue sur plusieurs feuilles de papier collées. « Carmontelle, écrit Mme de Genlis, a eu l’idée de faire sur papier transparent une espèce de lanterne magique toute composée de gracieuses scènes d’invention représentant des paysages. » Sa vente après décès en mentionnait onze réalisés de 1783 à 1804. Cinq sont aujourd’hui conservés dans des musées dont deux aux Etats-Unis, au J. Paul Getty Museum à Los Angeles, dans la collection Rachel Lambert Mellon à la Oak Spring Garden Library à Upperville, Virginie, et trois en France, au musée du Louvre, au musée de l’Ile-de-France à Sceaux et au musée Condé (ce dernier mesure 12 mètres).
A la Révolution, Carmontelle voit disparaître le duc d’Orléans, guillotiné en 1793. Il n’émigre pas et meurt à 89 ans en 1806 à Paris. Son acte de décès le désigne comme « rentier et homme de lettres » : délicieux dessins et prodigieux transparents n’étaient donc qu’amusement d’amateur.
Histoire des dessins du musée Condé, de Carmontelle au duc d’Aumale.
Sous Louis XVI, le Garde des Estampes du Roi Hugues-Adrien Joly (Paris, 1718-1800) avait songé à acquérir l’ensemble des portraits. En 1776, Diderot avait recommandé à Grimm de les proposer à la cour de Russie ; Catherine II n’acheta pas l’ensemble, mais en fit graver vingt-quatre. L’ensemble des portraits était resté groupé, car Carmontelle ne donnait pas les dessins à ses modèles, mais leur en offrait des copies. En 1807, lors de sa vente après décès, la collection comprenait 750 portraits. Le chevalier Pierre-Joseph Richard de Lédans (1736-1816), officier en retraite ami de Carmontelle, les racheta, puis en vendit quelques uns. A sa mort en 1816, 530 portraits de Carmontelle furent rachetés par Pierre de La Mésangère, directeur du Journal des dames et des modes. En 1831 à sa vente, 440 dessins, soit 520 portraits, furent acquis par un écossais, le major Gordon Duff, et passèrent en Écosse.
Le duc d’Aumale et Carmontelle.
Petit-fils de Philippe Egalité, le duc d’Aumale ne pouvait que s’intéresser à Carmontelle qui avait dressé les portraits de la cour du Palais Royal. Il voulait faire revenir en France ces dessins exilés en Angleterre, car d’un grand intérêt pour l’histoire familiale, pour l’histoire du goût et pour l’histoire de France. Il achète en 1877 pour 4 500 £ (112 500 francs) 440 dessins de Carmontelle (soit 520 personnages) par l’intermédiaire d’Andrew Mac Kay, de la galerie Colnaghi, qui procura ensuite au duc d’Aumale quelques autres dessins. A sa mort en 1897, le duc d’Aumale possédait ainsi 484 dessins, soit 562 portraits. En 1936, Gabriel Dessus donne au musée Condé un transparent long de 12 mètres.
Aucun musée au monde ne dispose d’un fonds aussi important et diversifié que le musée Condé. Carmontelle nous livre un témoignage précieux, presque un instantané, de la société d’Ancien Régime qui allait disparaître avec la Révolution.
Catalogue de l’exposition
Carmontelle, ou le temps de la douceur de vivre dans la collection Carnets de Chantilly n° 11 (catalogue par Nicole Garnier-Pelle).