đ âBerthe Weillâ Galeriste dâavant-garde, au MusĂ©e de lâOrangerie, du 8 octobre 2025 au 26 janvier 2026
âBerthe Weillâ
Galeriste dâavant-garde
au MusĂ©e de lâOrangerie, Paris
du 8 octobre 2025 au 26 janvier 2026

PODCAST – Entretien avec
Marianne Le Morvan,
fondatrice et directrice des Archives Berthe Weill, commissaire d’expositioin et chercheuse indĂ©pendante, et co-commissaires de l’exposition,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, 3 octobre 2025, durĂ©e 16’14,
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :

Marc Louis RenĂ© Vaux (1895-1971), Bal des noces dâargent de la Galerie B. Weill au restaurant Dagorno Ă La Villette, 28 dĂ©cembre 1926 » (Au centre, B. Weill porte un monocle) Photographie, 16,1 x 29 cm. Collection particuliĂšre. © photo : MusĂ©e dâOrsay/ Allison Bellido / © Centre Pompidou – MNAM / CCI â BibliothĂšque Kandinsky.

Pierre Girieud (1876-1948), Portrait de lâartiste peintre Ămilie Charmy, 1908. Huile sur carton, 101,5 x 72 cm. Munich, StĂ€dtische Galerie im Lenbachhaus, prĂȘt permanent de la Fondation Gabriele. MĂŒnter et Johannes Eichner, AK 61. Photo © StĂ€dtische Galerie im Lenbachhaus und Kunstbau MuÌnchen, Dauerleihgabe der Gabriele MĂŒnter- und Johannes Eichner-Stiftung, MĂŒnchen.

Ămilie Charmy (1878-1974), Portrait de Berthe Weill, 1910-1914. Huile sur toile, 90 x 61 cm. MontrĂ©al, MusĂ©e des beaux-arts de MontrĂ©al, achat, legs Horsley et Annie Townsend. Photo © MBAM / Julie Ciot. © Adagp, Paris, 2025.
Commissariat :
Sophie Eloy, AttachĂ©e de collection, chargĂ©e des contrepoints contemporains au musĂ©e de lâOrangerie
Anne Grace, Conservatrice de lâart moderne au MusĂ©e des beaux-arts de MontrĂ©al
Lynn Gumpert, Directrice du Grey Art Museum, New York University, de 1997 Ă 2025
Marianne Le Morvan, Fondatrice et directrice des archives Berthe Weill, commissaire dâexpositions et chercheuse indĂ©pendante
En 1901, Berthe Weill ouvre une galerie au 25, rue Victor-MassĂ©, dans le quartier de Pigalle. Elle choisit alors de sâengager aux cĂŽtĂ©s des artistes de son temps, en contribuant Ă leur rĂ©vĂ©lation puis Ă lâessor de leur carriĂšre, malgrĂ© des moyens limitĂ©s. Parmi eux se trouvent certains des plus grands noms des avant-gardes : comme dâautres aujourdâhui moins en vue. Avec un enthousiasme et une persĂ©vĂ©rance sans faille, elle a Ă©tĂ© leur porte-voix et les a soutenus pendant prĂšs de quarante ans, jusquâĂ la fermeture de sa galerie en 1940, dans le contexte de la guerre et de la persĂ©cution des Juifs. DĂšs 1933, elle avait publiĂ© ses souvenirs de trois dĂ©cennies dâactivitĂ© sous le titre Pan! dans lâOEil!âŠ, faisant oeuvre de pionniĂšre de ce genre littĂ©raire.
Pourtant, la trajectoire de Berthe Weill, un temps presque effacĂ©e, nâest aujourdâhui pas encore inscrite au firmament des marchands dâart oĂč figurent en bonne place Daniel-Henry Kahnweiler, Paul et LĂ©once Rosenberg, Ambroise Vollard ou encore Paul Guillaume. Lâexposition, organisĂ©e par le MusĂ©e des beaux-arts de MontrĂ©al, le Grey Art Museum, New York University, et le musĂ©e de lâOrangerie Ă Paris, a pour ambition de mettre en lumiĂšre un pan encore mĂ©connu de lâhistoire de lâart moderne. Berthe Weill sâest engagĂ©e dĂšs le dĂ©but du siĂšcle dans le soutien aux artistes sous le mot dâordre de « Place aux jeunes » qui figurait sur sa carte publicitaire.
De Picasso â quâelle contribue Ă vendre avant mĂȘme lâouverture de sa galerie â Ă Modigliani â dont elle organise la seule exposition personnelle de son vivant en 1917 â, elle participe Ă la reconnaissance du fauvisme en prĂ©sentant rĂ©guliĂšrement des expositions du groupe dâĂ©lĂšves de Gustave Moreau rĂ©unis autour de Matisse. Elle sâengage, un peu plus tard, auprĂšs des cubistes et des artistes de lâEcole de Paris dans des batailles pour lâart, pour lâĂ©closion de ses nouvelles formes, mais aussi contre le conservatisme et la xĂ©nophobie. MalgrĂ© les vicissitudes, son intĂ©rĂȘt pour les jeunes artistes nâa jamais faibli. Câest ainsi quâelle a dĂ©fendu farouchement des figures trĂšs diffĂ©rentes â dont certaines nâappartenant Ă aucun courant prĂ©cis, â et leur a donnĂ© une chance en organisant une ou plusieurs expositions. Elle promeut, en outre, nombre dâartistes femmes, sans prĂ©jugĂ©s de sexe ou dâĂ©cole, dâĂmilie Charmy quâelle expose rĂ©guliĂšrement de 1905 Ă 1933 et quâelle qualifie dâ « amie dâune vie » Ă Jacqueline Marval, Hermine David ou encore Suzanne Valadon, alors trĂšs en vue. En 1951, Ă sa disparition, elle a prĂ©sentĂ© plus de trois cents artistes aux quatre adresses successives de sa galerie : 25, rue Victor-MassĂ© ; 50, rue Taitbout Ă partir de 1917 ; 46, rue Laffitte de 1920 Ă 1934, et enfin 27, rue Saint-Dominique. Elle a organisĂ© des centaines dâexpositions jusquâĂ la fermeture dĂ©finitive de sa galerie en 1941.
Cette exposition sâinscrit dans une sĂ©rie commencĂ©e en 2023 avec Modigliani, un peintre et son marchand, consacrĂ©e au marchĂ© de lâart. Elle a pour ambition de mieux faire connaĂźtre les mĂ©canismes de lâĂ©mergence des avant-gardes du XXe siĂšcle et les personnalitĂ©s, souvent remarquables, qui en ont constituĂ© les rouages.
Lâexposition invite Ă dĂ©couvrir la carriĂšre et la personnalitĂ© de la marchande au travers de sa contribution Ă lâavĂšnement de certains des moments que lâhistoire de lâart a retenus. Elle retrace Ă©galement la vie dâune galerie dans la premiĂšre moitiĂ© du xxe siĂšcle, dans sa continuitĂ© comme dans ses pĂ©ripĂ©ties. Une centaine dâoeuvres â peintures, sculptures, dessins, estampes et bijoux â Ă©voquent les expositions que Berthe Weill organisa et le contexte historique dans lequel elles prirent place. Les oeuvres de Pablo Picasso, Henri Matisse, Diego Rivera, Amedeo Modigliani cĂŽtoient ainsi, comme Ă la galerie B. Weill, celles dâEmilie Charmy, de Pierre Girieud, dâOtto Freundlich, formant le portrait dâune femme et de son action.
Catalogue de lâexposition CoĂ©dition musĂ©e dâOrsay et Flammarion

Suzanne Valadon (1865-1938), La Chambre bleue, 1923. Huile sur toile, 90 x 116 cm. Paris, Centre Pompidou, musĂ©e national dâArt moderne / Centre de crĂ©ation industrielle, dĂ©posĂ© au musĂ©e des Beaux-Arts de Limoges. Photo © Centre Pompidou, MNAMCCI, Dist. GrandPalaisRmn / Jacqueline Hyde.

Raoul Dufy (1877-1953), 30 ans ou la Vie en rose, 1931. Huile sur toile, 98 x 128 cm. Paris, MusĂ©e dâArt Moderne de la Ville de Paris, don Mathilde Amos, 1955. © Paris MusĂ©es / MusĂ©e dâArt Moderne de la Ville de Paris.

Henri Matisse (1869-1954), PremiĂšre nature morte orange, 1899. Huile sur toile, 56 x 73 cm. Paris, Centre Pompidou, musĂ©e national dâArt moderne / Centre de crĂ©ation industrielle, dĂ©posĂ© au musĂ©e dĂ©partemental Matisse, Le Cateau-CambrĂ©sis. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, dist. GrandPalaisRmn / Bertrand PrĂ©vost.
Parcours de l’exposition
Lâexposition rĂ©unit un ensemble remarquable de 80 oeuvres, rĂ©parties comme suit : 58 peintures, 15 oeuvres graphiques et 7 sculptures et objets dâart. [Les titres des sections sont des citations extraites de Pan ! dans lâoeil⊠(1933) de Berthe Weill sauf « Notre-Dame des Fauves » (Philippe DiolĂ©, « Les livres », Beaux-arts, 21 avril 1933). ]
Introduction â « Place aux jeunes »
En 1901, Berthe Weill ouvre une galerie au 25 rue Victor-MassĂ©, dans le quartier de Pigalle, en bas de Montmartre. Elle choisit de sâengager aux cĂŽtĂ©s des artistes de son temps en contribuant Ă leur rĂ©vĂ©lation puis Ă lâessor de leur carriĂšre. Parmi eux se trouvent certains des plus grands noms des avant-gardes : Pablo Picasso, Henri Matisse, Amedeo Modigliani, Suzanne Valadon, comme dâautres artistes moins en vue. Avec un enthousiasme et une persĂ©vĂ©rance sans faille, elle a Ă©tĂ© leur porte-voix et les a soutenus pendant quarante ans jusquâĂ la fermeture de sa galerie en 1940, dans le contexte de persĂ©cution des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. DĂšs 1933, elle est la premiĂšre marchande Ă publier ses souvenirs. Sous le titre Pan ! dans lâoeil⊠elle relate trois dĂ©cennies dâactivitĂ©, faisant oeuvre de pionniĂšre de ce genre littĂ©raire qui, depuis, a fait de nombreux Ă©mules. Bravant le sexisme, lâantisĂ©mitisme et les difficultĂ©s Ă©conomiques, elle fait le pari de miser sur des talents encore inconnus plutĂŽt que sur des figures dĂ©jĂ sur le devant de la scĂšne artistique, Ă©crivant alors un pan encore mĂ©connu de lâhistoire de lâart moderne. Pourtant, la trajectoire de Berthe Weill, un temps presque effacĂ©e, nâest aujourdâhui pas encore inscrite au firmament des marchands dâart oĂč figurent en bonne place Daniel-Henry Kahnweiler, Paul et LĂ©once Rosenberg, Ambroise Vollard ou Paul Guillaume. Cette exposition se propose de lui rendre la place qui est la sienne.
Section 1 ⹠« Ma résolution est inébranlable ; on verra bien ! »
Berthe Weill, nĂ©e Ă Paris dans une modeste famille juive dâorigine alsacienne, est placĂ©e en apprentissage, trĂšs jeune, auprĂšs de Salvator Mayer, un marchand dâestampes renommĂ©. Elle apprend le commerce des oeuvres dâart et rencontre les diffĂ©rents protagonistes de la scĂšne artistique parisienne, ainsi que de nombreux collectionneurs. Peu aprĂšs le dĂ©cĂšs du marchand en 1897, elle sâassocie avec lâun de ses frĂšres pour ouvrir une boutique dâantiquitĂ©s et dâobjets dâart au 25 rue Victor-MassĂ© dans le quartier de Pigalle, alors Ă©picentre du Paris nocturne, des théùtres et des cabarets. Cette adresse se trouve en bas de Montmartre, oĂč beaucoup dâartistes dâavant-garde vivent et travaillent, souvent
dans une grande prĂ©caritĂ©. Sans ressources financiĂšres importantes, elle diversifie les activitĂ©s de sa galerie pour trouver des solutions Ă©conomiques viables. Elle vend des livres et expose des gravures dâartistes aux cĂŽtĂ©s dâoeuvres dâillustrateurs et de caricaturistes tels Jules ChĂ©ret et ThĂ©ophile Steinlen. Berthe Weill commence Ă se faire une rĂ©putation. Alors que lâantisĂ©mitisme virulent qui sâexprime en cette fin de XIXe siĂšcle sâincarne dans lâaffaire Dreyfus et divise dangereusement la France, elle prend position avec courage en exposant dans sa vitrine des volumes et dessins originaux en faveur dâAlfred Dreyfus et de son dĂ©fenseur, Ămile Zola.
Section 2 ⹠« JâachĂšte les trois premiers Picasso⊠»
En 1900, Pere Mañach, le fils dâun industriel catalan, sâest Ă©tabli comme marchand de tableaux Ă Paris, oĂč il sâest donnĂ© pour mission de promouvoir la jeune gĂ©nĂ©ration espagnole. Il prĂ©sente Berthe Weill Ă Picasso, tout juste arrivĂ© de Barcelone. Elle lui achĂšte des oeuvres dĂšs ce moment et repĂšre dans lâatelier Le Moulin de la Galette, premiĂšre grande toile que le peintre de vingt et un ans exĂ©cute Ă Paris. Elle la vend Ă un prix important pour un si jeune artiste. Ainsi, elle rĂ©alise une quinzaine de ventes, avant mĂȘme lâexposition « Picasso » Ă la galerie dâAmbroise Vollard lâannĂ©e suivante. En 1901, Ă trente-six ans, Berthe Weill, aidĂ©e par Mañach, transforme sa boutique, qui devient la « Galerie B. Weill » â son prĂ©nom nâest pas mentionnĂ©, sans doute pour faire oublier quâelle est une femme. Elle est officiellement inaugurĂ©e le 1er dĂ©cembre avec une exposition qui rassemble diverses oeuvres trĂšs rĂ©centes de Pierre Girieud, Fabien Launay et Raoul de Mathan, ainsi que des terres cuites dâAristide Maillol, qui rencontre peu de temps apreâs le succĂšs pour ses bronzes. Le critique dâart Gustave Coquiot signe une prĂ©face pour le premier catalogue. Berthe Weill, qui repĂšre les talents Ă©mergents dans le vivier des Salons, les encourage Ă se prĂ©senter Ă sa galerie, se constituant ainsi une notoriĂ©tĂ© de dĂ©couvreuse.
Section 3 ⹠« Notre-Dame des Fauves »
La salle VII du Salon dâautomne de 1905 rĂ©unit les peintures de Matisse, Maurice de Vlaminck, AndrĂ© Derain, Albert Marquet⊠Elle est jugĂ©e inacceptable par beaucoup de critiques en raison de lâaffranchissement des rĂšgles de la perspective et du modelĂ© au profit de lâexaltation des couleurs pures, ainsi que dâune simplification des formes. Un buste placĂ© au centre de la piĂšce fait Ă©crire au critique Louis Vauxcelles dans un article du Gil Blas : « Câest Donatello parmi les Fauves. » La formule plaĂźt tellement que la salle est rebaptisĂ©e « la cage aux Fauves ». La Galerie B. Weill prend une part importante dans la reconnaissance de ce mouvement en prĂ©sentant rĂ©guliĂšrement des expositions collectives qui rassemblent les diffĂ©rentes configurations du groupe, constituĂ© principalement dâĂ©lĂšves de Gustave Moreau, rĂ©unis autour de Matisse. Elle commence Ă sâintĂ©resser Ă ces artistes dĂšs 1902, bien avant le scandale du Salon dâautomne. Lorsquâil Ă©clate en 1905, ces peintres ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© montrĂ©s plusieurs fois chez la marchande. LâannĂ©e prĂ©cĂ©dente elle a demandĂ© au critique Roger Marx, fervent dĂ©fenseur de cette constellation, de prĂ©facer le catalogue dâune exposition, oeuvrant ainsi stratĂ©giquement Ă crĂ©er le contexte nĂ©cessaire Ă leur reconnaissance. De mĂȘme, elle a contribuĂ© Ă faire de Raoul Dufy, dont elle est proche, un artiste fauve contre la volontĂ© de Matisse, qui refuse de lâaccueillir dans son cercle. BientĂŽt Weill constate que « les Fauves commencent Ă apprivoiser les amateurs »
Section 4 ⹠« Le cubisme soulÚve les passions »
Le rĂŽle jouĂ© par Berthe Weill dans la prĂ©sentation des oeuvres cubistes a Ă©tĂ© presque oubliĂ©, bien quâelle ait accompagnĂ© dĂšs leurs dĂ©buts beaucoup dâartistes dont la carriĂšre a connu une pĂ©riode cubiste. Ainsi, elle montre les Ćuvres de Jean Metzinger, quâil soit nĂ©o-impressionniste, fauve ou cubiste, de 1903 Ă 1922, avant une ultime exposition en 1939. Elle contribue dans lâombre, comme elle lâavait fait quelques annĂ©es plus tĂŽt avec les Fauves, Ă façonner une avant-garde qui partage la leçon de Paul CĂ©zanne sous des formes multiples. La galeriste insiste sur les difficultĂ©s Ă faire apprĂ©cier cette peinture, tandis que le dĂ©bat qui fait rage depuis 1912 autour de la rĂ©ception du cubisme exprime souvent, sous des dehors de querelle esthĂ©tique, des considĂ©rations Ă caractĂšre nationaliste. Certains rĂ©clament, sans succĂšs, que les cubistes soient interdits dâexposition dans les bĂątiments publics ; dâautres souhaitent diffĂ©rencier « les indĂ©pendants français et les indĂ©pendants Ă©trangers ». Lorsque le mouvement sâĂ©parpille, peu avant la guerre, la marchande a montrĂ© presque tous les protagonistes du cubisme. Exceptionnellement, elle programme en 1914 trois expositions personnelles consacrĂ©es Ă Jean Metzinger, AlfrĂ©d RĂ©th et Diego Rivera. Elle porte ensuite ses efforts sur ceux que Georges Braque nommait les « cubisteurs » : AndrĂ© Lhote, Louis Marcoussis, LĂ©opold Survage, Alice Halicka, Albert Gleizes ou encore Jean Metzinger.
Section 5 ⹠« Groupe des plus éclectiques »
Au dĂ©but du xxe siĂšcle, des artistes du monde entier viennent chercher lâĂ©mulation et la reconnaissance Ă Paris. Berthe Weill participe Ă cette effervescence en rendant visibles des talents qui cherchent Ă Ă©chapper aux discriminations ainsi quâaux difficultĂ©s Ă©conomiques. Ils sont natifs de partout en Europe, des confins de lâEmpire russe, de NorvĂšge, de Pologne, dâEspagne, dâItalie ou de GrĂšce jusquâĂ lâEmpire austro-hongrois, ou mĂȘme les Ătats-Unis. Sa curiositĂ© la conduit Ă donner leur chance Ă des artistes, ne suivant aucun dogme, mais plutĂŽt son instinct, son oeil et ses sympathies. Elle adopte une position engagĂ©e en participant, exposition aprĂšs exposition, Ă la lutte contre certains dĂ©fenseurs dâun bon goĂ»t français aux rĂ©sonances xĂ©nophobes et antisĂ©mites. Si le nom de Berthe Weill est Ă©troitement associĂ© aux avant-gardes de la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle, elle sâintĂ©resse Ă©galement Ă des personnalitĂ©s nâappartenant Ă aucun courant prĂ©cis. Lâattention quâelle porte aux jeunes artistes ne faillit jamais, malgrĂ© les vicissitudes, et câest ainsi quâelle encourage, en organisant une ou plusieurs expositions, des figures aujourdâhui dans lâombre ou parfois tombĂ©es dans lâoubli. La galeriste insiste sur les difficultĂ©s Ă faire apprĂ©cier cette peinture, tandis que le dĂ©bat qui fait rage depuis 1912 autour de la rĂ©ception du cubisme exprime souvent, sous des dehors de querelle esthĂ©tique, des considĂ©rations Ă caractĂšre nationaliste.
Section 6 ⹠« Mais quâont-ils donc, ces nus ?⊠»
Esprit inventif, audacieux et original, Weill suit courageusement son instinct sans flĂ©chir devant les prĂ©jugĂ©s et les ressources financiĂšres des autres marchands dâart, souvent plus importantes que les siennes. Ainsi, en 1917, elle inaugure, Ă lâinstigation du poĂšte dâorigine polonaise LĂ©opold Zborowski, la seule exposition personnelle consacrĂ©e Ă Modigliani organisĂ©e de son vivant. LâĂ©crivain Blaise Cendrars, fervent admirateur du peintre, prĂ©face le catalogue avec un rapide poĂšme intitulĂ© « Sur un portrait de Modigliani ». Le 3 dĂ©cembre 1917, trente deux oeuvres, surtout des peintures, sont dĂ©voilĂ©es rue Taitbout, oĂč la galerie a dĂ©mĂ©nagĂ© au cours de la mĂȘme annĂ©e. Quatre nus devenus emblĂ©matiques sont prĂ©sentĂ©s. Leurs poils pubiens apparents dĂ©clenchent le scandale et le dĂ©sordre, qui braquent le projecteur sur la Galerie B. Weill. Le commissaire du poste de police situĂ© en face ordonne Ă la marchande dâ« enlever toutes ces ordures ! », exerçant sa censure pour « outrage Ă la pudeur ». LâĂ©chec commercial de lâexposition est cuisant malgrĂ© les cinq oeuvres achetĂ©es par Weill pour soutenir Modigliani, dont elle admire la peinture. Elle note dans Pan ! dans lâoeil⊠: « Nus somptueux, figures anguleuses, portraits savoureux. »
Section 7 ⹠« Je dois lutter seule »
Ă la fin des annĂ©es 1930, Berthe Weill choisit de montrer des artistes quâelle nâa pas encore promus. Elle sâattache alors Ă des tenants de lâabstraction, proches du groupe « Cercle et CarrĂ© », puis de lâassociation « Abstraction-CrĂ©ation ». Câest ainsi quâelle dĂ©cide en 1939 dâexposer les oeuvres dâAlfrĂ©d RĂ©th ou celles dâOtto Freundlich dans la galerie quâelle occupe, depuis 1934, rue Saint-Dominique, et quâelle devra bientĂŽt fermer en consĂ©quence des mesures antisĂ©mites prises Ă partir de 1940. Berthe Weill, qui ne publie plus de brochures aprĂšs 1935, accompagne certains de ses cartons dâinvitation de courtes pensĂ©es. Sous lâOccupation, elle Ă©chappe Ă la dĂ©portation mais vit dans un grand dĂ©nuement. En 1946, une vente aux enchĂšres est organisĂ©e pour mettre fin Ă ses difficultĂ©s financiĂšres. Elle regroupe plus de quatre-vingts oeuvres offertes par des amis de longue date, artistes et galeristes. Berthe Weill peut alors prendre sa retraite. En 1951, Ă sa disparition, elle a dĂ©fendu plus de trois cents artistes et organisĂ© des centaines dâexpositions aux quatre adresses successives de sa galerie : 25 rue Victor-MassĂ© ; 50 rue Taitbout Ă partir de 1917 ; 46 rue Laffitte de 1920 Ă 1934, et enfin 27 rue Saint-Dominique.